Quand êtes-vous arrivée sur le projet art public Rives de Saône ?
Je suis rattachée à la Direction de l’aménagement de la Délégation générale au développement urbain, qui porte la plupart des projets opérationnels de transformation urbaine. Je suis arrivée sur le projet directeur Rives de Saône très en amont. Toute la stratégie du projet n’était pas définie. Quand on attrape un projet comme Rives de Saône, qui traverse 14 communes dont 5 arrondissements lyonnais, il est important de se demander par quoi on commence.
A l’époque, il n’était pas encore question d’art public. C’est en 2009 que la question art public s’est posée. On n’est pas dans du 1%, c’est un projet qui porte une vraie ambition culturelle et artistique. On a travaillé avec les élus et les membres du cabinet qui portaient la commande. Pour trouver la juste place de la question artistique dans ce projet. L’échelle territoriale est très vaste, les lieux ne sont pas faciles à appréhender, le projet s’inscrit dans des temporalités différentes, en plusieurs phases. Il fallait que le projet artistique colle à la stratégie opérationnelle, au découpage territorial et au calendrier.
Le Grand Lyon n’a pas de compétence culturelle ; ce projet ne s’inscrit pas dans le cadre du 1%. Comment s’organise le portage de ce projet d’art public ?
Sur le plan pratique, se posait la question de la pertinence organisationnelle. Au sein d’une institution comme le Grand Lyon, comment on porte un projet comme celui là ? Car il est vrai que la question artistique est de compétence communale, et non communautaire.
Pour nous, il s’agit d’un projet d’aménagement global dont la dimension artistique est une composante. Il y a une vraie volonté politique ; on l’a intégrée comme un vrai élément de programme, un élément non négociable qui s’impose à tous les maîtres d’œuvres. Ce n’est pas la cerise sur le gâteau.
Pourquoi avez-vous choisi une seule direction artistique pour l’ensemble du projet Rives de Saône, plutôt qu’une direction artistique associée à un maître d’œuvre pour chacune des séquences du projet d’aménagement urbain ?
Au niveau du processus de projet, on trouvait intéressant que le projet directeur soit découpé en plusieurs séquences et plusieurs temporalités. Ce qui fait le lien entre tous, c’est ce qu’on a appelé le vocabulaire commun : les végétaux, le mobilier, les matériaux… qu’on retrouve à chaque séquence tout en permettant à chacun de garder sa spécificité. Du coup, sur le plan artistique, on pensait qu’il était intéressant de confier à une direction artistique un projet global et cohérent sur l’ensemble.
On aurait pu lancer un concours de maîtrise d’œuvre, ou un appel d’offres, demandant l’association d’un maître d’œuvre et d’un artiste, comme on l’a fait pour la place Lazare-Goujon à Villeurbanne, où l’artiste Philippe Favier avait été retenu. On sait faire. On procède comme cela sur des territoires bien délimités. Sur des projets d’échelle territoriale plus large, généralement, la maîtrise d’ouvrage s’associe à un commissariat artistique qui a compétence pour choisir les interventions artistiques, et on consulte ensuite pour l’équipe de production qui va mettre en œuvre le projet artistique. C’est ce qui s’est fait pour le tram T3 à Paris. On n’a pas choisi ces options-là.
Juridiquement, quelle forme prend le marché ?
On a beaucoup travaillé sur les aspects juridiques, y compris avec la Préfecture, le contrôle de légalité, pour être sûrs d’être dans le processus juridique et administratif adéquat. Suite à des échanges avec les services juridiques, nous avons choisi de lancer un marché global, un accord-cadre mono attributaire pour une mission globale de direction artistique et technique. Il s’agissait de proposer un concept global, une ligne directrice artistique, puis de la décliner sur tous les sites opérationnels, en nous proposant à chaque fois les artistes les plus adaptés à chacun des sites, de faire travailler ces artistes, de réaliser les œuvres et les installer. Associer équipe artistique et production nous semblait intéressant car ça les met en responsabilité de nous proposer des choses « réalisables ».
Sur les huit premiers sites, la mission de Jérôme Sans et Art Public Contemporain (APC) est très complète :cela va de Jérôme Sans qui définit le « River movie » à l’équipe qui va sur le terrain installer les œuvres. Sur les autres, ils auront la mission de proposer des artistes et de les faire travailler. Pour ce qui est des droits, ils nous sont cédés. Nous avons demandé à l’équipe artistique de faire signer à tous les artistes, avant la conclusion des marchés d’étude des œuvres, une lettre accord avec un contrat type précisant les conditions d’exploitations des droits cédés.
On sait que la question de la maintenance et de l’entretien des œuvres est généralement cruciale dans les projets d’art public. C’est ainsi que les œuvres accompagnant le tramway T2 à Lyon ne fonctionnent plus, sont invisibles. Qui a cette responsabilité sur le projet Rives de Saône ?
Le Grand Lyon est propriétaire des œuvres ; nous en assurerons donc la maintenance et l’entretien. Pour chaque œuvre, l’APC a l’obligation de nous remettre un carnet d’entretien très précis. Cet aspect est important. Car les Rives de Saône sont un espace public en zone inondable. Les crues sont fréquentes, et ce n’est pas juste de l’eau qui monte et puis s’en va ! Elle charrie des troncs d’arbres qui endommagent les berges et des limons qui les salissent.
Pourquoi le Grand Lyon a-t-il choisi le tandem Jérôme Sans – Jean-Dominique Secondi (APC) ?
On a lancé une consultation fin février 2010 à la suite de laquelle nous avons reçu 11 candidatures de très bonne facture. On a demandé à cinq candidats de remettre une offre qui a été examinée par un comité d’orientation consultatif. On ne demandait pas aux directeurs artistiques d’arriver avec leur liste d’artistes mais de nous convaincre à partir d’univers et d’ambiances artistiques. Jérôme Sans et APC ont le mieux compris, et le mieux réussi à se projeter dans les sites aménagés. C’est aussi l’équipe qui a le plus mis en avant l’importance de l’échange et du dialogue avec les maîtres d’œuvres. C’est un élément décisif.
Comment ont procédé Jérôme Sans et APC ?
L’équipe Sans / APC a d’abord fait une visite sur le site avec chaque maître d’œuvre. A partir de cet échange-là sur le terrain, Jérôme Sans a proposé tel ou tel artiste, en fonction du lieu, du projet, de ce qu’il avait pu percevoir de l’équipe de maître d’œuvre. Ils avaient pré-défini une expérience sensorielle par site, et l’ont confrontée à la maîtrise d’œuvre. Certaines ont évolué, d’autres ont été abandonnées.
Quelles évolutions relevez-vous ?
Deux exemples, mais il y en a d’autres, Dans le projet, on savait qu’on devait contourner le parking Saint-Antoine par une promenade basse. Le maître d’œuvre avait proposé de continuer la promenade basse et de remonter par des escaliers. Tadashi Kawamata a proposé une double rampe. Ça a fait évoluer le projet. A Fontaine sur Saône, le Gentil Garçon voulait installer des cheminées dans l’eau, en écho à l’usine Rhodia sur l’autre rive. En dialoguant avec le paysagiste Tim Boursier, ils ont convenu de décaler l’œuvre dans une anse qui la protège.
Les contraintes techniques semblent assez fortes sur les Rives de Saône…
Le projet Rives de Saône est très compliqué sur le plan technique. Les rives sont dans un corridor biologique qu’il faut préserver, des questions sont liées aux estacades, car on ne connaît pas la stabilité des bas ports, il y a un problème d’érosion des berges… L’art public est lui aussi soumis à ces contraintes-là. Des sondages techniques ont été commandés pour chaque œuvre nécessitant des fondations. APC s’occupe de la recherche des matériaux, des études préalables, de la mise au point technique de l’œuvre, de façon à en garantir sa pérennité.
Par exemple, pour une œuvre de Pascale Marthine Tayou, il faut trouver des matériaux qui ressemblent à des craies et qui résistent dans des conditions naturelles. Pour ses Lucioles, Erik Samakh travaille avec des fabricants de leds électriques pour que même inondées, les lucioles s’éclairent toujours.
Où en est le projet en ce début d’été 2011 ; les actions de médiation autour des œuvres ont-elles commencé ?
Nous sommes aujourd’hui dans des phases de concertation, mais la médiation n’a pas commencé. Plusieurs projets ont une dimension participative importante : certains motifs des marelles de l’artiste Meschac Gaba seront dessinés par les écoles. Tadashi Kawamata a l’habitude de travailler avec des écoles d’art, d’architecture et même des écoles d’ingénieurs pour la réalisation de ses œuvres. Le Gentil Garçon veut travailler avec des associations de pêcheurs pour son arbre à poissons. Les œuvres ne sont pas ouvertes à la concertation, ce sont plutôt les projets d’aménagement, sur le végétal, le mobilier, certains usages, qui le sont.
Les premiers projets d’art public présentés sur Rives de Saône semblent assez consensuels ; était-ce le sens de la commande politique ?
Ce n’est pas un projet qui a cherché le consensus. La commande n’était pas là ! Que les œuvres fonctionnent avec les usages du lieu et avec le territoire, ça c’était vraiment la commande. Et aussi qu’elles arrivent à emmener les gens ailleurs, qu’elles créent de l’émotion.
C’est un projet important pour l’agglomération. Il faut qu’on le réussisse, c’est-à-dire qu’il marche avec les usages du site. Le projet art public participe complètement de l’aménagement ; certaines œuvres portent des usages physiques complètement intégrés. Les œuvres de Tadashi Kawamata, à l’exception des cabanes, sont toutes supports d’usage.
La dimension la plus essentielle est que les gens s’approprient les œuvres. C’est un vrai beau projet où l’on va chercher les gens chez eux, avec des œuvres plutôt généreuses. C’est un projet politique, complémentaire de la BAC, Biennale d’art contemporain de Lyon, et du MAC, Musée d’art contemporain. La commande et la nature des œuvres sont différentes mais l’exigence de qualité est la même. Ça donne une certaine dimension à l’agglomération dans le champ de l’art contemporain. Il s’agit de faire un projet qui réponde à un enjeu de proximité et qui intéressent des amateurs sur un véritable parcours d’art contemporain.