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Natacha Sautereau (ITAB) : « D’un point de vue des politiques publiques, cela a du sens d’accompagner fortement le développement de l’agriculture biologique »

Interview de Natacha Sautereau

Portrait de natacha sautereau
Coordinatrice du pôle Durabilité-Transition de l’Institut de l’Agriculture et de l’Alimentation biologiques (ITAB)

Est-il possible de quantifier les coûts indirects de l’agriculture conventionnelle et de l’agriculture biologique sur l’environnement et la santé ?

Dans cet entretien, Natacha Sautereau, coordinatrice du pôle Durabilité-Transition de l’Institut de l’Agriculture et de l’Alimentation biologiques (ITAB), revient sur la méthodologie d’une étude publiée en 2016 intitulée Quantifier et chiffrer économiquement les externalités de l’agriculture biologique ?, co-écrite avec Marc Benoit (INRA).

L’ITAB est un organisme à statut associatif, doublement qualifié par le ministère en charge de l’agriculture, en tant qu’institut technique agricole, mais aussi en tant qu’institut technique agroindustriel. Il couvre à la fois l’amont de la production agricole, et l’aval : process de transformation, distribution, etc.

Réalisée par :

Date : 23/03/2023

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis agronome de formation, avec une spécialisation en agroéconomie. J’ai travaillé plusieurs années en chambre d’agriculture afin d’accompagner les conversions en agriculture biologique, avant de rejoindre l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) pour travailler sur la multi-performance de l’agriculture biologique, mais aussi sur les déterminants de la conversion des agriculteurs. J’ai enfin rejoint l’Institut Technique de l’Agriculture et de l’alimentation Biologique (ITAB, aujourd’hui Institut de l’agriculture et de l’alimentation biologiques) il y a six ans, et je suis actuellement coordinatrice d’un pôle qui gère les enjeux de durabilité et de transition.

L’institut a une vocation très transversale, qui en fait son originalité, puisque nous travaillons sur toutes les filières de l’agriculture et de l’alimentation biologiques, à toutes les étapes, de la production à la transformation. Notre vocation est d’être un maillon entre la recherche et le développement, pour favoriser la diffusion et l’appropriation des connaissances scientifiques.

C’est notamment dans ce cadre que nous avons réalisé en 2016 un travail sur l’évaluation des externalités de l’agriculture biologique.

Pouvez-vous nous rappeler comment est née l’idée de ce rapport sur les externalités de l’agriculture biologique ?

Quand on pollue l’eau, on n’impute pas les coûts de dépollution à la pomme conventionnelle

À l’origine c’est le Sénateur écologiste Joël Labbé qui a interpellé le ministre de l’agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, en lui faisant remarquer que l’on reprochait souvent aux produits bio leur prix élevé, sans jamais prendre en compte les coûts invisibilisés : ceux qui sont pris en charge par ailleurs, mais qui n’apparaissent pas dans le prix du produit final. Il voulait savoir s’il existait des études qui permettraient de préciser le coût de ces externalités, c’est-à-dire les effets directs et indirects induits par les modes de culture. Est-ce qu’il était possible de mesurer ces impacts sur le plan scientifique ?

Stéphane Le Foll a trouvé que c’était une bonne question. La lettre de mission qui nous a été confiée par son cabinet nous invitait à prendre appui sur la littérature scientifique environnementale, à laquelle on a proposé d’ajouter un volet de santé humaine.

L’objectif était double, à savoir d’identifier et de quantifier tout d’abord quelles étaient, sur ces aspects, les différences d’externalités entre, par exemple, une pomme bio et non bio, puis d’évaluer s’il existait des possibilités de chiffrages économiques des dites différences, c’est-à-dire les coûts induits qui sont invisibilisés et n’apparaissent pas dans le prix final. Par exemple, quand on pollue l’eau, on n’impute pas les coûts de dépollution à la pomme conventionnelle. La difficulté était donc de rendre ces externalités visibles et de les affecter à des types de production, ce qui pose une multitude de questions méthodologiques.   

 

Image Pomme de France
© Borrin kamguia

Comment avez-vous procédé pour répondre à cette question ?

Nous nous sommes essentiellement appuyés sur des méta-analyses, c’est-à-dire des études qui font une synthèse de la littérature existante

L’objet de la mission était de faire une analyse de l’état de l’art à partir de publications scientifiques disponibles à l’instant T. Il s’agissait d’être le plus exhaustif et le plus précis possible, même si l’exhaustivité est impossible à atteindre du fait de l’ampleur des thématiques à prendre en compte, qui vont de l’antibiorésistance aux cancers, en passant par la biodiversité, les vers de terre, les oiseaux, l’eau, le climat et bien d’autres enjeux encore.

Chacun de ces enjeux est traité par des communautés scientifiques spécifiques, si bien que nous nous sommes essentiellement appuyés sur des méta-analyses, c’est-à-dire des études qui font une synthèse de la littérature existante. Par exemple, un travail récent de la Direction de l’Expertise scientifique collective, de la Prospective et des Études (DEPE) de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) porte sur les impacts des produits phytosanitaires sur la biodiversité. Ce travail s’est appuyé sur 4 000 articles scientifiques et a mobilisé une quarantaine de chercheurs pendant trois années. Pour chaque thématique, c’est notamment sur ce genre de méta-analyse que nous nous sommes appuyés, en faisant également appel à des experts pour nous aider à identifier les publications les plus reconnues.

Est-ce que vous pouvez nous donner quelques exemples d’externalités qui sont à la fois bien connues en termes d’impacts physiques, et dont on serait également parvenu à estimer les coûts ?

On ne pourrait éviter ces coûts qu’à la condition d’avoir un effet de masse, c’est-à-dire une conversion en bio de tous les agriculteurs situés sur l’aire d’alimentation de captage

Le rapport est constitué de deux parties bien distinctes : l’une étudie les impacts biophysiques, et l’autre le chiffrage économique. Cette seconde partie est toutefois beaucoup plus délicate à établir, car on manque de méthodes et de littérature scientifique fiables, ce qui nous a obligé parfois à aller puiser des données dans une littérature dite « grise ». C’est le cas de certains rapports du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), qui fournissent des exemples souvent assez parlants, comme celui de la qualité de l’eau.

Les pesticides de synthèse sont des polluants reconnus et attestés des cours d’eau et des nappes phréatiques, dont l’origine agricole ne fait pas débat. Ce problème génère des coûts de dépollution pour potabiliser l’eau, mais aussi des coûts évités – par exemple lorsque les consommateurs se détournent de l’eau du robinet pour acheter de l’eau de source en bouteille. Les travaux du CGDD additionnent ces coûts de traitement et d’évitement, ce qui permet d’estimer le coût induit pour la collectivité par la production conventionnelle.

Mais même sur ce sujet assez bien balisé, il faut préciser qu’on ne pourrait éviter ces coûts qu’à la condition d’avoir un effet de masse, c’est-à-dire une conversion en bio de tous les agriculteurs situés sur l’aire d’alimentation de captage. Il y a d’ailleurs des initiatives en cours sur certains bassins versants, comme à Münich, où la ville a accompagné financièrement les agriculteurs à la conversion biologique, ce qui coûte au final moins cher que la dépollution des eaux a posteriori. Dans un tel cas, on arrive à montrer que la gestion curative s’avère plus onéreuse que la gestion préventive, c’est donc une opération gagnant-gagnant.

Est-ce que cela signifie que la prise en compte des externalités positives et négatives rendrait l’agriculture conventionnelle plus onéreuse que l’agriculture biologique, et si oui, de combien ?

Plusieurs journalistes sont venus nous poser cette question : « si je mets un euro dans l’agriculture biologique, est-ce que je le récupère ailleurs ? »

On a eu beaucoup de discussions à ce sujet, mais on ne s’est jamais autorisés à faire la somme de l’intégralité des externalités étudiées. Il nous a semblé que ce serait à la fois trop difficile et critiquable. Il y aurait par exemple des double-comptages : si vous prenez en compte des coûts liés à la dépollution de l’eau, vous avez également des coûts en moins sur la santé qu’il faudrait pouvoir évaluer, mais aussi sur la biodiversité, avec des boucles de rétroaction ou des synergies très difficiles à évaluer.

À l’issue de l’étude et du colloque de présentation, plusieurs journalistes sont venus nous poser cette question : « si je mets un euro dans l’agriculture biologique, est-ce que je le récupère ailleurs ? ». Mais, à notre sens, ce n’est pas possible de répondre de façon aussi précise, cela supposerait de nombreuses simplifications, approximations et extrapolations. Il nous a toujours paru plus instructif d’éclairer les contextes de calculs, et de rendre compte des fourchettes selon les hypothèses retenues pour les différentes estimations, lorsqu’il existe des méthodes de chiffrages, certes imparfaites.

La difficulté de répondre tient-elle davantage à l’identification des effets biophysiques, ou à l’évaluation économique de ces effets ?

On sait par exemple que certains effets biophysiques sont bien quantifiés, mais leur donner une valeur économique est souvent très compliqué

Le rapport parvient à estimer assez bien si les effets biophysiques sont positifs ou négatifs, et des travaux permettent de donner des ordres de grandeur de certains écarts, mais les coûts estimés sont très incertains : on a des fourchettes de 1 à 100 sur certains impacts. La variabilité peut être énorme selon les études. On est en capacité de citer les études avec les chiffres correspondants, mais on ne peut pas arbitrer en disant voilà : le bon chiffre c’est celui-ci.

On sait par exemple que certains effets biophysiques sont bien quantifiés, mais leur donner une valeur économique est souvent très compliqué. Par exemple, en 2010, on estimait entre 2,3 et 5,3 milliards d’euros la contribution des insectes pollinisateurs à la valeur marchande de la production végétale française destinée à l’alimentation humaine ce qui représentait entre
5,2 % et 12 % de cette valeur.

Plus récemment, en 2017, une vaste étude EFESE (Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques)- écosystèmes agricoles conduite par INRAE) a produit une nouvelle estimation du service de pollinisation rendu par les insectes pollinisateurs, chiffré à hauteur de 2 milliards d’euros.  

Cela signifie qu’on ne pourra jamais estimer le coût réel des deux modèles, biologique et conventionnel ?

On dispose de plus en plus de publications scientifiques qui pointent des effets sur la santé

On pourra faire des estimations des coûts induits sur certains aspects, mais avec des limites évidentes. Par exemple, dans le cadre du rapport INSERM 2021 et du programme de recherche Ecophyto sur l’impact des pesticides sur la santé, on dispose de plus en plus de publications scientifiques qui pointent des effets sur la santé.

Mais il y a ensuite plusieurs méthodologies pour estimer le coût : certaines considèrent le coût direct du traitement et de la prise en charge des maladies pour, par exemple, les agriculteurs qui seraient victimes de maladies professionnelles aujourd’hui reconnues comme telles. Mais on peut également considérer des coûts indirects, comme le remplacement des agriculteurs pendant les périodes d’hospitalisation, ou même ce que les économistes appellent la valeur de la vie statistique humaine, c’est-à-dire la valeur qu’une société consent afin d’éviter la perte d’une vie. Or il existe plusieurs manières de calculer une telle valeur, avec une variabilité énorme qui, selon les hypothèses retenues, entraîne des estimations des coûts induits qui n’ont au final plus rien à voir les unes avec les autres, et qui ne vont pas forcément parler au grand public.

Mais est-ce que ces estimations permettent au moins d’argumenter en faveur de certaines aides agro-environnementales en faveur de la bio, par exemple ?

En Île-de-France, les coûts estimés de traitement de l’eau pour les pesticides sur les aires d’alimentation en eau potable montent alors entre 50 et 310 euros de l’hectare

La conclusion de nos études va dans ce sens : oui, d’un point de vue des politiques publiques, cela a du sens d’accompagner fortement le développement de l’agriculture biologique au vu des nombreuses moindres externalités négatives.

Si je prends l’exemple de la pollution de l’eau, le CGDD donne un montant global pour le coût de traitement (54 milliards d’euros par an) et le coût d’évitement des pollutions aux pesticides. On s’est demandé comment en faire un indicateur utile. Avec quelle unité fonctionnelle pertinente faut-il comparer ce coût en euro, sachant que les études disponibles portent sur des échelles territoriales très différentes ? Pour rendre compte du coût à l’échelle de la France, on a ramené cette valeur à l’hectare de grande culture – notamment parce que, en agriculture biologique, l’indice de fréquence des traitements phytosanitaires est quasi nul, mais aussi parce que ces cultures représentent la majorité des usages du sol en France. On obtient un chiffre de 20 à 46 euros de l’hectare : c’est le coût de dépollution des eaux lié à l’usage des pesticides pour un hectare de grande culture.

Mais on peut également rapporter cette valeur à l’échelle des aires d’alimentation de captage, dites « aires à enjeu eau » qui représentent, selon les définitions des périmètres, 6 à 22 % de la superficie agricole française. Si on rapporte le coût à une surface plus limitée, on comprend que le coût à l’hectare est majoré. En Île-de-France, les coûts estimés de traitement de l’eau pour les pesticides sur les aires d’alimentation en eau potable montent alors entre 50 et 310 euros de l’hectare.

Là encore, cet exemple montre bien la variabilité des estimations en fonction des hypothèses retenues : au final, on peut obtenir des coûts très différents.

 

Malgré les incertitudes, ce genre d’argumentaire peut-il être utilisé pour soutenir la consommation bio, par exemple ? Et comment ?

Certains, comme l’agro-économiste Marc Dufumier, portent depuis longtemps une revendication consistant à utiliser la PAC non seulement comme une politique agricole, mais comme une politique agricole, alimentaire et environnementale

Jusqu’à présent, le soutien public se concentre plutôt sur la partie amont, notamment via la Politique Agricole Commune (PAC). Le soutien de la consommation est parfois mentionné, mais encore très peu mis en œuvre. Parmi les pistes allant dans ce sens, il y a évidemment l’idée d’une TVA différenciée qui aurait pu être explorée plus en avant. Certains, comme l’agro-économiste Marc Dufumier, portent depuis longtemps une revendication consistant à utiliser la PAC non seulement comme une politique agricole, mais comme une politique agricole, alimentaire et environnementale. Cela signifie notamment que la réflexion devrait englober également des dispositifs d’appui au bio, pour le rendre plus accessible.

Il existe quelques projets, notamment portés par l’Agence Bio, visant à faciliter l’accès à la consommation bio, ou encore des expérimentations comme les défis « familles à alimentation positive ». Mais c’est sans doute encore trop marginal et insuffisant, surtout dans le contexte actuel de très forte inflation, où il faudrait davantage soutenir cette consommation.

Est-ce qu’une autre piste ne consisterait pas également à renchérir les prix du conventionnel, eu égard aux coûts qu’il génère pour la société ?

Certains économistes travaillent sur le sujet, comme Alain Carpentier à INRAE, qui a travaillé sur des dispositifs de politique publique tel que la taxation des pesticides de synthèse. Mais cette proposition a aussi des détracteurs, car cela créerait des situations de concurrence déloyale vis-à-vis des agriculteurs conventionnels d’autres pays, qui n’appliqueraient pas cette taxe au sein de l’Union Européenne. Or la situation des agriculteurs est déjà compliquée aujourd’hui.

L’étude que vous avez réalisée date de 2016, quelles sont les évolutions que vous constatez depuis ?

Certains spécialistes des Analyses de Cycle de Vie (ACV) rapportent par exemple les émissions de gaz à effet de serre au kilo produit, ce qui pénalise le bio du fait de sa plus faible productivité

Il y a eu pas mal de controverses au cours des dernières années concernant les impacts climatiques de l’agriculture biologique. Certains spécialistes des Analyses de Cycle de Vie (ACV) rapportent par exemple les émissions de gaz à effet de serre au kilo produit, ce qui pénalise le bio du fait de sa plus faible productivité.

Fin 2018, un article paru dans Nature pointait une moindre efficience de l’agriculture biologique de ce point de vue, ce qui a fait couler beaucoup d’encre. Or la méthodologie ACV a certains biais, notamment du fait de sa construction : en ramenant les impacts à la quantité produite, elle privilégie les procédés intensifs et massifiés, car cela revient à diluer les impacts.

L’argument avancé est que, pour une même quantité produite, le bio va nécessiter davantage de surfaces de terre, qui pourraient par exemple être destinées pour préserver la biodiversité ou stocker du carbone : c’est ce qu’on appelle l’approche « land sparing » (économie des terres). Ce à quoi s’oppose l’approche dite du « land sharing » (partage des terres), prônée par les promoteurs de l’agroécologie et de l’agriculture biologique, qui considèrent que l’agriculture doit être multifonctionnelle : même si elle utilise davantage de surface, elle les gère de façon plus vertueuse et rend une multitude de services écosystémiques, en préservant davantage la biodiversité et les ressources. Les débats sont passionnés entre ces deux approches.

 

Est-ce que ces débats ne sont pas en train de rebattre les cartes du côté de l’affichage environnemental des produits alimentaires ? Et est-ce que cet affichage ne risque pas de concurrencer l’agriculture biologique ?

Nous avons proposé d’intégrer des indicateurs complémentaires à ceux existants dans le socle ACV et qui prennent très mal en compte la biodiversité ou les pesticides

Oui, le débat porte très précisément sur ces questions. L’affichage environnemental fait aujourd’hui l’objet de travaux auxquels nous participons, et nous avons pointé les limites de la méthode qui sert de socle de base pour répondre aux objectifs fixés par la loi climat et résilience.

Nous avons proposé d’intégrer des indicateurs complémentaires à ceux existants dans le socle ACV et qui prennent très mal en compte la biodiversité ou les pesticides – sur le plan de l’écotoxicité et de la toxicité humaine. Il y a aujourd’hui différentes propositions qui sont sur la table et un algorithme d’État est en train d’être produit par le Ministère de la transition écologique et ses partenaires – dont l’ADEME et INRAE.

À l’ITAB, nous avons travaillé avec des partenaires tels que Sayari et Very Good Future sur une méthode, preuve de concept, qui s’appelle Planet-Score, qui est désormais opérationnalisée par un nouveau collectif, en charge de son développement.

Est-ce que vous pouvez en dire davantage sur la démarche de l’État, à ce stade ?

Il s’agit de permettre au consommateur de différencier l’impact d’une pomme et d’un steak, mais aussi de deux pommes cultivées de différentes manières

De fait, cet affichage doit être produit d’ici début 2024 par l’État. La grosse difficulté, c’est que le score affiché doit être en mesure de guider les consommateurs à la fois en intra-catégorie (c’est-à-dire entre différents produits d’une même catégorie) et en inter-catégorie, dans une optique par exemple de végétalisation du régime, puisqu’on sait que cela a un effet positif sur le climat.

Pour faire simple, il s’agit de permettre au consommateur de différencier l’impact d’une pomme et d’un steak, mais aussi de deux pommes cultivées de différentes manières. La méthode doit donc également montrer quels sont les modes de production les plus vertueux, par exemple entre une pomme conventionnelle, une pomme bio ou une pomme Haute Valeur Environnementale (HVE). Sur une notation en seulement cinq grades (ABCDE), il faut donc pouvoir discriminer à la fois les produits de catégories différentes (animaux et végétaux par exemple), mais aussi différents produits de la même catégorie.

Cela représente de grosses difficultés méthodologiques, raison pour laquelle il nous semble que l’algorithme retenu aura une forte portée politique, au sens noble du terme : il doit être en cohérence avec les politiques publiques, que ce soit en matière de climat, mais également de biodiversité, d’agroécologie, puisque l’État vise une réduction de 50 % de l’usage des phytosanitaires. Toute la difficulté est d’incarner de multiples enjeux et politiques dédiées dans un outil de ce type.

Est-ce que vous craignez que le futur « écoscore » de l’État ne prenne pas suffisamment en compte les aspects les plus positifs de l’agriculture biologique ?

Les acteurs qui travaillent aujourd’hui sur cet algorithme d’État ont convergé notamment sur le fait que la base de données Agribalyse ne devait pas être utilisée à elle seule pour générer les futurs scores environnementaux, sans y inclure d’autres indicateurs ; c’est la raison pour laquelle des travaux sont actuellement conduits pour introduire des critères hors ACV. Ce fut tout l’enjeu de l’expérimentation nationale : il s’est agi d’identifier les manques, et de proposer des indicateurs complémentaires à mobiliser pour obtenir un affichage environnemental pertinent et cohérent.

Il me semble que les services de l’État qui travaillent aujourd’hui sur cet algorithme ont également en tête le fait qu’il devra être cohérent avec les politiques publiques, notamment le plan national stratégique bio qui vise à passer d’un peu plus de 10 % en 2023 à 18 % de surfaces cultivées en bio d’ici à 2027. Pour une question de cohérence avec les politiques publiques, il me semble que les signaux envoyés vers les systèmes vertueux, dont la bio, devraient être, a priori, favorables.

Pour rappel, le site du Ministère de l’agriculture stipule que : « La production biologique atteste d'une excellence environnementale à tous les stades notamment par la mise en place de pratiques garantissant notamment l'absence d'utilisation de produits chimiques de synthèse et d'OGM. Le mode de production biologique repose notamment sur le respect des systèmes et cycles naturels, le maintien et l’amélioration de la santé du sol, de l’eau, des végétaux et des animaux, contribue à atteindre un niveau élevé de biodiversité, et respecte des normes élevées en matière de bien-être animal ».