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Élodie Rolland (Agribio Rhône & Loire) : « La filière bio a globalement peu de moyens financiers pour réaliser de la promotion des produits bio »

Interview de Élodie Rolland

Portrait d'Élodie Rolland
Chargée de mission communication et circuits courts d’Agribio Rhône & Loire

Élodie Rolland est chargée de mission communication et circuits courts au sein d’Agribio Rhône & Loire, une association créée en 1986 par des agriculteurs bio, qui entend développer l’agriculture biologique. Composée d’une dizaine de salariés, l’association mène trois types de missions : l’accompagnement des agriculteurs à la conversion et à l’amélioration des pratiques de l’agriculture biologique, la structuration des filières et la commercialisation, et la sensibilisation et l’information du public. 

En charge du volet circuits courts, qui consiste notamment à créer et structurer la commercialisation en circuits courts, Élodie Rolland accompagne des producteurs dans la création de points de vente collectifs, et dans l’organisation des salons pour faire se rencontrer acheteurs et producteurs. Elle est aussi en charge de la communication, avec notamment l’organisation d’évènements comme la campagne « Manger bio et local c’est idéal », « les petits déj bio à la ferme », mais aussi la réalisation des guides des bonnes adresses bio pour faire connaître les points de vente directe, ou encore le « guide pour vos amis biosceptiques ».

Dans cet entretien, Élodie Rolland revient sur l’évolution du marché local de la consommation bio, les difficultés à communiquer et les outils de communication déjà mis en place par Agribio et d’autres acteurs de l’agriculture biologique.

Réalisée par :

Date : 27/07/2023

En tant qu’observatrice privilégiée du secteur, comment voyez-vous l’évolution du marché de la consommation bio au cours des deux dernières années ?

On n’a pas de chiffres spécifiques sur le territoire. On n’a pas les moyens de faire des études à l’échelle du territoire de la métropole de Lyon, mais ce que nous disent par exemple les chiffres nationaux, c’est effectivement que les ventes ont tendance à diminuer. Les magasins bio voient leurs ventes baisser, et certains craignent de fermer. Les circuits de paniers constatent la même tendance, ils avaient parfois des dizaines de familles en attente, alors qu’aujourd’hui, ils ont du mal à avoir suffisamment de familles sur un même secteur. Les magasins de producteurs semblent également connaître une petite baisse. Donc oui, même si nous n’avons pas de chiffres précis, la tendance est là.

En 2021, les points de vente directe semblaient épargnés par la baisse, ce n’est plus le cas à votre avis ?

Ce qui nous est rapporté depuis un an et demi environ, c’est une baisse de la consommation dans tous ces circuits

La vente directe se maintient plutôt bien au niveau national, mais on a des retours d’agriculteurs localement qui témoignent d’une baisse de leurs ventes en circuits courts et qui sont obligés de trouver de nouveaux lieux de vente. Par exemple, le marché bio du 8ème arrondissement de Lyon, place Ambroise Courtois, qui marchait très bien jusqu’à présent, a connu une baisse de fréquentation. Nous les avons aidés à réaliser une campagne de communication. Globalement, ce qui nous est rapporté depuis un an et demi environ, c’est une baisse de la consommation dans tous ces circuits.

Certains points de vente vous semblent davantage touchés ?

Il y a eu beaucoup d’ouvertures au cours des dernières années, avec parfois plusieurs magasins bio sur la même rue, ce qui a généré pas mal de concurrence

Les magasins spécialisés bio et les rayons bio des grandes et moyennes surfaces (GMS) sont touchés par la baisse des ventes. Pour les premiers, il y a eu beaucoup d’ouvertures au cours des dernières années, avec parfois plusieurs magasins bio sur la même rue, ce qui a généré pas mal de concurrence. Les fermetures qu’on constate aujourd’hui sont aussi liées à ce phénomène.

Pour certains producteurs, commercialisant leurs produits en milieu urbain, notamment à Lyon, une des causes de diminution des ventes sur les marchés bio serait le déménagement des clients, notamment après le Covid-19 vers la campagne. C’est vrai que les urbains qui ont quitté les villes suite au Covid-19 sont le profil type de consommateurs de produits bio et locaux, sensibles à l’environnement et à la santé, qui fréquentaient les marchés bio et les magasins spécialisés de centre-ville.

 

Magasin de vente des produits locaux de Vidal
© Rieul Techer

Quelles sont, à votre avis, les principales causes du recul de la consommation bio aujourd’hui ?

On entend souvent : « moi je préfère manger local que bio ». Mais concrètement ça veut dire quoi ? « Je préfère encourager l’usage de pesticides localement »

Je pense que la concurrence de certains produits conventionnels qui communiquent sur l’aspect environnemental a pu jouer : sans résidus de pesticides, naturels, HVE, etc. Il y a eu beaucoup de communication pour faire apparaître les produits conventionnels plus qualitatifs, pour promouvoir des labels ou pseudo-labels potentiellement concurrents de l’agriculture biologique.

Dans le même temps, on ne peut pas dire que les filières bio aient beaucoup dépensé pour promouvoir la bio.

À la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB), il n’y a jamais eu vraiment de moyens dédiés à la communication auprès du grand public sur les bénéfices de manger bio. L’Agence Bio, dont c’est davantage la vocation, a des budgets limités pour faire de la communication.

Donc la filière bio a globalement peu de moyens financiers pour réaliser la promotion des produits bio, alors même que les critiques à l’égard de la filière se sont développées. On se retrouve avec une image de la bio qui est assez dégradée. Les gens ne savent pas vraiment ce qui est derrière le label bio, ne connaissent pas les pratiques des agriculteurs bio et les obligations liées au cahier des charges. Ils mettent souvent en priorité l’aspect local, voire oppose les deux critères. On entend souvent : « moi je préfère manger local que bio ». Mais concrètement ça veut dire quoi ? « Je préfère encourager l’usage de pesticides localement ». Si on présentait les choses ainsi aux consommateurs, peut-être qu’ils feraient d’autres choix alimentaires. Pour nous, en effet, il est important de manger des produits locaux, mais qui sont produits sans produits chimiques de synthèse et dans le respect du bien-être animal, en agriculture biologique.

Cela signifie que, au-delà des labels de moindre qualité, la bio se voit concurrencer par la vague actuelle en faveur du « manger local » ?

Oui, mais aujourd’hui il y a 90 % des surfaces agricoles qui ne sont pas en bio. Donc les agriculteurs conventionnels et leurs représentants n’ont pas envie d’expliquer ce que signifie de manger local lorsque ce n’est pas bio. Il ne faut pas oublier que la France est un gros utilisateur de pesticides.

En même temps, l’image de la bio n’a-t-elle pas souffert de l’industrialisation de la bio, de l’image des fruits et légumes sous plastique dans les supermarchés, etc. ?

C’est l’organisation du supermarché qui est en cause

Bien sûr. Mais la bio en supermarché, est-ce moins bien que le conventionnel en supermarché ? En réalité, on fait souvent des procès au bio pour de mauvaises raisons : la bio est un label qui précise comment on doit produire : sans pesticides chimiques, sans OGM, en préservant l’eau, le sol, etc. L’emballage des légumes sous plastique en supermarché est une obligation pour assurer la traçabilité et permet de ne pas mélanger les légumes bio avec les autres légumes dans les points de vente mixte. C’est déplorable mais ce n’est pas lié à l’agriculture biologique. C’est l’organisation du supermarché qui est en cause. C’est symptomatique du biobashing : on va chercher les petites failles de la bio, sans les comparer au conventionnel.

Au-delà de l’image de la bio et de la communication, le prix est également un facteur important dans le choix des produits. Dans le contexte actuel de forte inflation, est-ce que cela ne reste pas le facteur qui explique majoritairement la baisse des ventes ?

C’est certain. L’inflation est moins importante pour les produits bio, qui n’ont pas besoin d’intrants comme les pesticides ou les engrais minéraux. Les prix des produits bio devraient donc moins augmenter que ceux des produits conventionnels.

Après, il est évident que les produits bio restent en moyenne plus chers que les conventionnels. Mais cette question du prix est tout de même très complexe. Les prix dépendent aussi beaucoup des circuits de vente et du type de produits acheté.

Je ne suis pas sûre qu’acheter des pommes de terre bio en direct chez un producteur coûte plus cher que des pommes de terre conventionnelles en supermarché. Il faut privilégier les produits bruts, l’achat en direct aux producteurs pour maitriser son budget.

Si je comprends bien, un levier d’action important consiste à améliorer la compréhension des avantages de la bio. Est-ce que vous avez des pistes ? Comment les acteurs publics peuvent accompagner cette communication auprès du grand public ?

Je pense qu’il faut mener le combat à tous les niveaux

Pour la première fois en 2023, les interprofessions ont dédié un budget à l’Agence Bio pour réaliser une campagne de communication : la campagne « #bioréflexe ».

Au sein de la FNAB, certaines régions testent des actions de communication. Mais nous avons, globalement, peu de moyens humains et financier pour développer des actions d’ampleur.

Cette année, sur notre territoire, la Métropole de Lyon et la Ville de Lyon nous soutiennent pour développer une semaine de sensibilisation durant la semaine du goût. Notre objectif est de mobiliser et mettre en avant les agriculteurs bio de notre réseau, leurs pratiques, leurs valeurs, leurs motivations, à nourrir la société tout en préservant l’environnement.

La question de l’échelle territoriale est importante : à quelle échelle faut-il communiquer ? Je pense qu’il faut mener le combat à tous les niveaux ! À l’échelle nationale, mais aussi localement, à travers différents types de médias. Chacun est sensible à des thèmes et des supports différents. La multiplication des messages (santé, environnement, bien-être animal, alimentation…) permet de toucher davantage les gens.

 

Vous avez également participé à produire un « guide pour vos amis biosceptiques », qui présente des arguments intéressants en faveur de la bio, et de manière assez ludique. Est-ce que vous parvenez à toucher un public assez important ?

On a créé ce guide il y a une dizaine d’années, avec notre réseau, puis on l’a réactualisé. On a également produit des posters, avec les mêmes personnages. L’idée est de lutter contre les idées reçues de manière ludique. Nous diffusions ce guide lors d’événements, de salons, etc. Mais, par manque de moyens, nous devons limiter notre présence dans ce type d’événements, même si nous sommes régulièrement sollicités.

Le guide est actuellement téléchargeable sur notre site internet.

En même temps, les moyens de communication de la bio sont dérisoires en comparaison des acteurs conventionnels de l’agroalimentaire. Est-ce qu’il ne faudrait pas également agir de ce côté-ci, comme on a pu le faire dans le domaine du tabac, de l’alcool ou encore des voitures, en rappelant par exemple l’impact négatif des pesticides sur la santé et l’environnement ? Cela vous semble envisageable ?

C’est vrai que, si sur l’emballage du produit conventionnel, on avait un message nous rappelant que ce produit contient potentiellement des pesticides, qu’il a pu polluer l’eau ou nuire à la santé de l’agriculteur, les consommateurs auraient peut-être une approche différente. Ceci étant dit, je pense qu’on en est encore très très loin.

Les démarches d’éco-score, qui s’inspirent du nutriscore, pourraient toutefois aller dans ce sens. Est-ce que vous avez un avis sur le sujet ?

Le risque est de noyer la bio dans la masse d’autres labels pseudo environnementaux

Oui, l’idée de l’éco-score est intéressante parce qu’elle permettrait aux gens de choisir leur alimentation en connaissance de cause. Mais encore faut-il savoir ce qui sera réellement pris en compte par cet éco-score. Par exemple, est-ce que le fait d’être labellisé Haute Valeur Environnementale (HVE) vaudra autant de points que le fait d’être en bio ? Le risque est de noyer la bio dans la masse d’autres labels pseudo environnementaux. C’est le problème que l’on a déjà avec la HVE : un agriculteur peut être labellisé HVE tout en produisant hors sol, avec des pesticides chimiques. Et on communique sur cette agriculture comme si elle était vertueuse. Elle vient concurrencer les produits bio dans les points de vente alors que les pratiques sont loin d’être aussi exigeantes qu’en agriculture bio.

En plus de la communication traditionnelle, vous aidez également certaines familles à inclure davantage de produits bios dans leur alimentation. Comment cela fonctionne ?

L’idée des foyers à alimentation positive est de créer un groupe de familles autour s’une structure relais, comme un centre social, puis d’accompagner les familles tout au long de l’année dans le but d’acheter davantage de produits bio et locaux sans augmenter son budget. Les familles sont accompagnées avec la mise en place d’actions de sensibilisation, comme des ateliers de cuisine, des visites de fermes bio, des jeux, etc. Et à la fin, le groupe de familles qui a le mieux répondu au défi est récompensé. Le projet évolue cette année et s’appelle « mon assiette en action ».

Une enquête a permis de constater que, plusieurs années après, les familles ayant participé ont encore conservé de nombreuses bonnes habitudes. Cela prouve que la démarche a du sens et que les gestes acquis tiennent sur la longueur.

 

C’est efficace, mais cela demande là encore de gros moyens pour une population concernée qui reste très restreinte.

Oui, depuis le début on a dû accompagner environ 1 000 familles. Je n’ai pas les chiffres précis. Mais c’est vrai que cela demande beaucoup de moyens financiers, en grande partie issus des collectivités locales.

Il semble difficile de massifier ce genre d’expérience, mais avez-vous tiré des leçons de cet exercice pour alimenter vos campagnes de communication ?

Ces projets nous permettent de mieux connaître les leviers d’actions pour accroître sa consommation bio en maîtrisant son budget. Il faut notamment manger moins de viande et plus de protéines végétales, se fournir auprès des agriculteurs, respecter la saisonnalité des produits, cuisiner soi-même, etc. Cela conforte nos informations et ce sont des sujets sur lesquels il est important pour nous de communiquer.

Au-delà de la communication, pensez-vous qu’il serait possible d’agir sur les prix pour inciter à la consommation de produits bio ?

Si l’on veut rémunérer correctement l’agriculteur, les prix de vente ne peuvent pas baisser

Il y a des réflexions intéressantes auxquelles nous participons avec le collectif « territoires à vivre ». Des expérimentations sont, par exemple, menées pour concrétiser l’idée de sécurité sociale alimentaire. Cela me semble une piste intéressante et innovante.

Mais il n’y a pas de mystère en termes de prix : sur notre territoire, nous avons plutôt des petites fermes, moins intensives et avec des coûts de production plus élevés. Aujourd’hui, produire bio coûte plus cher et les subventions ne sont pas à la hauteur. Donc si l’on veut rémunérer correctement l’agriculteur, les prix de vente ne peuvent pas baisser. À long terme, des évolutions du côté de la recherche et de la technique pourraient permettre d’optimiser certaines techniques et de baisser certains coûts. Mais aujourd’hui, si on veut que les produits bio soient accessibles pour des publics précaires, il faut envisager des aides extérieures.

Justement, les coûts de l’agriculture intensive sont souvent portés par la collectivité. Est-ce que cela ne légitimerait pas une aide à l’achat pour les consommateurs de bio ? Ou, au contraire, ne faut-il pas faire davantage supporter ces coûts aux acheteurs conventionnels ?

Il faudrait arriver à ce que ces coûts soient visibles quand on achète un produit. Tout le monde pourrait alors faire ses choix de consommation en connaissance de cause

L’agriculteur intensive coûte très cher à la société ! Elle pollue les sols et l’eau. Elle nuit à la biodiversité. Elle contribue au développement de certaines maladies… Et c’est la collectivité et le citoyen, qui paient pour la dépollution de l’eau, pour soigner les maladies, etc. Ces coûts cachés ne sont pas visibles par le consommateur qui fait ses courses. Mais ils sont bien présents dans ses impôts. Idéalement, il faudrait arriver à ce que ces coûts soient visibles quand on achète un produit. Tout le monde pourrait alors faire ses choix de consommation en connaissance de cause. Et on aurait tous à gagner à développer l’agriculture biologique.

Aujourd’hui, on en est très loin. C’est le producteur bio qui paie, chaque année, des frais de certification et de contrôle, pour prouver qu’il ne pollue pas ! Ces frais participent bien sûr au prix final du produit bio.

C’est un argument qui est encore peu présent dans les campagnes de communication de l’agriculture biologique…

Oui, c’est vrai. On a déjà réalisé une exposition sur ce sujet il y a une dizaine d’années, afin d’expliquer pourquoi les produits bio sont plus chers, et pourquoi on ne paie pas le conventionnel à son juste prix, du fait des coûts cachés. Mais depuis, ce n’était plus un sujet central, la consommation de produits bio se développant bien.

Dans le contexte actuel plus difficile, nous allons de nouveaux mettre l’accent sur la communication grand public. L’objectif est de mettre en avant les agriculteurs bio du territoire, d’expliquer les pratiques vertueuses de l’agriculture bio et de faire connaitre au consommateurs les points de vente de produits bio et locaux, à travers la diffusion, entre autre de notre guide des bonnes adresses bio.