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Benoît Guillemont : « Le premier Défilé a marqué quelque chose d’essentiel : la présence dans la ville d’une diversité culturelle vécue de manière très positive »

Interview de Benoît Guillemont

Portrait de Benoît Guillemont
Conseiller action culturelle de la DRAC

Benoît Guillemont a été conseiller action culturelle de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) pendant presque quatre décennies (1983-2020), spécialisé autour des questions culture-ville. À ce titre, il a été membre du comité de pilotage du Défilé de 1996 à 2018. Il nous livre aujourd’hui son point de vue sur la naissance, les objectifs et les évolutions du Défilé.

Cet entretien a été mené dans le cadre de l’enquête sur le Défilé de la Biennale de Lyon, réalisée en 2021 et 2022, à l’initiative de la Métropole de Lyon et de la Biennale de la Danse. Les résultats sont restitués dans trois cahiers, coordonnés et mis en page par la direction de la Prospective de la Métropole de Lyon.

L’objectif en était de comprendre ce que peut changer un tel événement, sur les participants, les territoires et la métropole ; de questionner la manière dont les grandes évolutions de la société l’impactent ou le questionnent ; enfin, de rendre possible une réflexion collective sur l’avenir de cet événement d’exception.

Date : 26/11/2021

Pourriez-vous tout d’abord nous raconter la création du premier Défilé en 1996, et la manière dont vous l’avez vécu ?

Le premier Défilé a marqué quelque chose d’essentiel : la présence dans la ville d’une diversité culturelle vécue de manière très positive

À la DRAC, alors que les années Lang permettaient le développement des services déconcentrés de la culture, j’étais au cœur des mouvements des années 1990 de prise en compte des publics et des territoires, et des nouvelles formes artistiques.

Petit à petit, on a eu le souci de repérer tous les groupes de danse urbaine qui pouvaient exister dans les quartiers de la région Rhône-Alpes. Et en 1992, avec le FAS, nous avons co-produit l’ouvrage Danse, ville, danse, qui a été assez fondateur de tout un parcours de reconnaissance et de visibilité des danses urbaines en amont du Défilé.

À cette époque c’était l’effervescence de groupes de danse hip-hop puisqu’on en a recensé plus d’une centaine (Traction Avant, les B-Boys Breakers, Accrorap, etc.). En 1992 à Villefranche-sur-Saône a été organisée une manifestation artistique, Danse, ville, Danse, qui a permis de voir un grand nombre de ses groupes sur scène, qui dégageaient une énergie très forte... Et tout de suite, Guy Darmet le directeur artistique de la Biennale de la danse, a compris qu’il y avait dans ce mouvement-là un possible renouvellement des formes chorégraphiques et des publics de la danse.

C’est un peu sur cette base qu’est né le Défilé, je pense qu’on peut retenir ces trois ingrédients : l’effervescence des quartiers et le repérage des groupes de la région, la volonté motrice de Guy Darmet qui a vraiment insufflé l’idée, et l’important soutien de l’État pour le financement et la reconnaissance des danses urbaines.

Donc, petit à petit, il y a eu ce cheminement, et le premier Défilé a marqué quelque chose d’essentiel : la présence dans la ville d’une diversité culturelle qui était vécue de manière très positive. On ne voulait pas reprendre l’angle des médias sur cette diversité, mais au contraire montrer l’aspect festif, de rencontre, de croisement, d’ouverture, tout ce qui fait la ville aujourd’hui. Car j’avais une définition de la culture qui était « les mille et une manières de vivre ensemble autour d’un projet commun ».

Il y a le but commun d’une journée festive exceptionnelle, mais les gens vont le composer de manière multiple, car ils ont des identités multiples. C’est ça qui fait la force du Défilé. Parce qu’à l’époque, Lyon c’était les Pennons, une fête Renaissance, et d’un seul coup, c’était la vitalité des banlieues qui arrivait au centre de Lyon pour exprimer une joie, une fête, et ça, c’était absolument magnifique.

 

Pour la DRAC, quels étaient les objectifs principaux du Défilé ?

La vraie reconnaissance pour ces compagnies de danse hip-hop, c’était d’être financées par les crédits d’aides aux compagnies de danse, et plus sur ceux de l’action culturelle

Le ministère de la Culture avait un souci très fort d’ouvrir les champs de la reconnaissance artistique, et des publics. Nous travaillons autour d’une Directive Nationale d’Orientation (DNO), et moi, en tant que conseiller action culturelle à la DRAC, mon rôle était vraiment de travailler cette question des publics et des territoires.

Ces orientations du ministère sont ensuite en quelque sorte appropriées par les différents conseillers, qui s’en saisissent en fonction de leur personnalité et ce qu’il se passe sur le territoire. En Rhône-Alpes, il y avait un mouvement de culture urbaine très fort, et nous nous sommes concentrés sur cette dynamique, pour faire sortir ces groupes des marges dans lesquels, souvent, on les enfermait.

Il y avait un véritable enjeu à sortir des images stéréotypées qui collaient aux danses urbaines à l’époque, et montrer qu’au contraire il y avait là des formes tout à fait novatrices – sur le plan artistique mais aussi social – d’organisation sociale de jeunes qui avaient envie de prendre la parole. Et très rapidement, ce vocabulaire-là s’est mélangé avec d’autres. C’est ce qu’a fait Traction Avant dès 1987, et ce qui a fait l’ascension de chorégraphes comme Mourad Merzouki, qui très tôt a croisé le langage hip-hop avec celui de la danse contemporaine, du cirque, de l’art contemporain, et d’autres types de cultures.

La vraie reconnaissance pour ces compagnies de danse hip-hop, c’était d’être financées par les crédits d’aides aux compagnies de danse, et plus sur ceux de l’action culturelle. Ce qui est arrivé assez tardivement, à la fin des années 2000 je dirais. Ça s’appuie sur tous ce mouvement de reconnaissance par l’État à travers le travail de la DRAC et du FAS. Et aujourd’hui, si vous regardez les programmations actuelles, le métissage culturel est très présent. La plupart des spectacles sont très liés à cette question de croisement d’esthétique, de parcours, de personnalités artistiques bien sûr.

 

Avec le recul, comment voyez-vous l’évolution du Défilé ?

On a vu petit à petit des classes moyennes et supérieures s’emparer du Défilé, et on perdait un peu l’action d’origine

Je pense qu’il y a eu une dérive en quelques sortes. On a vu petit à petit des classes moyennes et supérieures s’emparer du Défilé, et on perdait un peu l’action d’origine. On peut alors se poser la question des stratégies pour aller au plus près des publics des classes populaires. Et au comité de pilotage, j’ai souvent interrogé cette évolution sociologique des publics du Défilé, et comment on pouvait repenser la forme l’ensemble du Défilé (parcours, modes de recrutement des publics), parce que je pensais qu’on ne pouvait pas seulement reproduire la même chose d’une année sur l’autre. Pour contre, balancer ce fait, on a de plus en plus développé les projets dans les prisons, les projets d’insertion, etc., qui n’étaient pas du tout vécus comme une nécessité au démarrage.

 

En 25 ans la société a, elle aussi, beaucoup changé. Selon vous, comment le Défilé peut-il adapter ses objectifs aux temps présents ?

Pour moi, la question importante aujourd’hui est celle de l’hospitalité

En 1996, il y avait cette énergie des quartiers et des jeunes chorégraphes hip-hop qui s’imposait d’elle-même. Aujourd’hui, qu’est-ce qui s’impose ? J’ai le sentiment que les quartiers se replient, avec l’influence de la drogue liée à l’économie des quartiers, la montée du religieux, des soucis qui étaient bien moins présents dans les années 1990. Je pense que le Défilé a aidé les gens sur des parcours individuels, mais sur le plan collectif, les quartiers ne sont pas particulièrement vus de manière positives parce qu’ils ont participé au Défilé. Je pense aussi qu’il faut réfléchir à ce que sont les cultures émergentes aujourd’hui.

D’autre part, mais je suis peut-être optimiste, je pense qu’aujourd’hui la notion de diversité culturelle est un acquis de nos sociétés progressistes, admis par une majorité. Mais paradoxalement, on a presque 30% de la population qui se laisse séduire par des votes d’extrême-droite, et qui au contraire sont prêts à refuser toute diversité. Est-ce qu’il faut contrecarrer ces discours extrêmes par l’affirmation de l’importance de remettre au centre-ville cette diversité ? Je crois que c’était un discours très important entre 1996 et 2006 disons, mais il y a peut-être d’autres choses à réfléchir aujourd’hui.

Pour moi, la question importante aujourd’hui est celle de l’hospitalité. C’est-à-dire l’accueil, le fait de faire attention à l’autre, d’être solidaire. C’est ça l’hospitalité, et je crois que c’est l’enjeu de notre société, que ce soit l’accueil de gens de culture différente sur le long terme comme les personnes réfugiées, ou plus proche de nous, avec les personnes sans domicile fixe par exemple.

Et pour en revenir au vote extrême-droite, je pense que ceux qui se font prendre par ces positions sont de plus en plus repliés sur eux-mêmes et se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. Peut-être que le Défilé pourrait avoir cette démarche d’aller chercher ces personnes isolées, de les inclure dans un projet collectif pour tenter d’ouvrir leurs horizons. Je pense aux médias qui ont tendance à cultiver la peur et l’enfermement. Qu’est-ce que le Défilé peut faire contre ça ? Comment aller chercher les gens qui sont chez eux, à avoir peur de tout ? C’est pour ça qu’il me semble important de continuer à défendre le Défilé.