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Alexandre Peutin, Matériauthèque de la Cité du Design : « La question écologique ne se réduit pas à un simple changement de matériau »

Interview de Alexandre Peutin

Portrait d'Alexandre Peutin
© Maëlle Dagron - Cité du design
Chargé de la Matériauthèque de la Cité du Design de Saint-Étienne

La matériauthèque de la Cité du Design de Saint-Étienne est un centre de ressources, d’inspiration et d’innovation pour les créateurs, industriels, chercheurs et étudiants (design, art, ingénierie, architecture, etc.). Elle regroupe plus de 3500 échantillons de matériaux venant du monde entier et met à disposition des bases de données sur les procédés de transformation (découpe, pliage, usinage, assemblage, etc.), des outils d’analyse sensorielle, des colorimètres et une collection de livres spécialisés.

Ce centre de ressources propose aux entreprises de référencer leurs matériaux et procédés de fabrication dans ses bases de données. Sur place, une vitrine leur permet également de mettre en avant leur savoir-faire : objets, matériaux, procédés de fabrication, à l’image d’un cabinet de curiosités qui se décline aussi en version numérique.

L’équipe de la matériauthèque propose des workshops d’innovation par les matériaux et les procédés afin d’accompagner des porteurs de projets dans la conception de leurs produits et les mettre en relation au sein d’un réseau de professionnels impliqués dans l’innovation.

Alexandre Peutin est en charge de la matériauthèque. Dans cet entretien, il nous présente le rôle que peuvent jouer les matériaux et les procédés dans la transition écologique. Il soutient notamment que la question écologique n’est pas tant liée aux matériaux et aux procédés en eux-mêmes qu’à l’usage qui en est fait.

Cet entretien est mené dans le cadre d’un travail plus général sur la prospective des matériaux.

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Date : 23/02/2023

Comment les matériaux présents dans la matériauthèque sont-ils sélectionnés ? Sur quels types de projets êtes-vous amené à accompagner les utilisateurs de la matériauthèque qui sollicitent votre expertise ?

Nous sommes une matériauthèque généraliste. En tant qu’établissement public, nous n’avons pas vocation à soutenir un industriel plutôt qu’un autre. Tous les échantillons de matière sont acceptés, de toutes les régions de France, mais également du monde entier. Le référencement des matériaux est gratuit pour toutes les entreprises. Dans une démarche de valorisation des savoir-faire du territoire, le référencement et l’exposition des savoir-faire des entreprises sont gratuits pour les entreprises de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. 

Les matériaux présents sont répertoriés en 9 familles : bétons et minéraux, bois et dérivés, composites et composés, métaux et alliages, plastiques et élastomères, textiles et cuirs, végétal et animal, verres et céramiques, papier et cartons. 

Deux vitrines ont été mises en place pour mettre en valeur spécifiquement les matériaux issus des savoir-faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ceux favorables à l’éco-conception. 

 

Des pièces de métal de différentes couleurs, pliées différemment : en accordéon, en triangle, en cube, en escalier, avec des marques rondes
Vitrine de la Matériauthèque Miralu© Maëlle_Dagron-Cité du design

 

Nous sommes en cours de réflexion pour intégrer deux nouvelles familles de matériaux : l’une autour de la lumière, l’autre autour du biomimétisme. Sur ce dernier, il existe déjà une base de données sur laquelle nous orientons nos utilisateurs mais nous aimerions pouvoir présenter sur place des matériaux qui s’inscrivent entièrement dans les cycles du vivant.

Les porteurs de projet nous sollicitent sur des thématiques extrêmement variées. Par exemple, nous avons travaillé récemment avec un industriel qui cherchait des solutions pour isoler des composants électroniques en milieu hostile ou encore avec un artiste qui souhaitait fabriquer une chaise en caramel.

Constatez-vous une évolution dans le type de matériaux présentés et la demande des utilisateurs de la matériauthèque ?

À la matériauthèque, nous soutenons au contraire qu’il est nécessaire d’avoir une approche globale qui inclue la modification des usages (avons-nous vraiment besoin de cet objet, pouvons-nous faire différemment ou moins ?), une pensée cyclique (d’où vient le matériau ? quelle est sa fin de vie ?) et une conception qui prenne en compte le long terme (par exemple, la pierre nécessite très peu d’entretien et permet de construire des bâtiments pour les 200 prochaines années contrairement à d’autres matériaux ayant une durée de vie plus courte)

Je constate clairement un intérêt de plus en plus important pour les questions relatives au développement durable et à l’écologie. Au démarrage de la matériauthèque, il y a dix ans, deux demandes sur dix étaient relative à cette thématique. Aujourd’hui, huit demandes sur dix concernent la manière d’être plus respectueux de l’environnement.

En revanche, nous avons un gros travail pédagogique à mener auprès de nos deux publics cibles que sont l’enseignement supérieur et les professionnels pour expliquer que la question écologique ne se réduit pas à un simple changement de matériau.

Pour donner un exemple, nous avons régulièrement des industriels qui viennent nous présenter de nouveaux matériaux conçus pour être recyclables. Par contre, quand nous leur demandons des informations pratiques sur leur recyclabilité, bien souvent ils n’ont aucune idée de la manière dont le déchet est réellement pris en charge en fin de vie.

À la matériauthèque, nous soutenons au contraire qu’il est nécessaire d’avoir une approche globale qui inclue la modification des usages (avons-nous vraiment besoin de cet objet, pouvons-nous faire différemment ou moins ?), une pensée cyclique (d’où vient le matériau ? quelle est sa fin de vie ?) et une conception qui prenne en compte le long terme (par exemple, la pierre nécessite très peu d’entretien et permet de construire des bâtiments pour les 200 prochaines années contrairement à d’autres matériaux ayant une durée de vie plus courte). 

L’accompagnement que nous proposons permet justement d’aborder les projets de manière globale grâce à une approche par le design et la créativité, ainsi que par la mise en relation avec un écosystème complémentaire (pôles de compétitivités, clusters et enseignement supérieur).

Nous encourageons les porteurs de projet à fouiller dans la matériauthèque et à se laisser attirer et surprendre par les échantillons de matière mis à leur disposition. Ceux-ci deviennent alors des médiums pour aborder le projet sous toutes ses facettes et établir des liens et des connections nouvelles. Les vitrines dédiées aux savoir-faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de matériaux favorables à l’éco-conception permettent de susciter une réflexion autour de la soutenabilité.

 

Photo d'une planche et d'un bloc en marbre avec des lignes en différentes couleurs
Matériaux de la marbrerie Gros Dérudet© Maëlle_Dagron - Cité du design

 

Pouvez-vous donner quelques exemples de matériaux issus des savoir-faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de matériaux favorables à l’éco-conception ?

Revenir à des matières plus brutes, plus simples, me semble être une piste plus prometteuse. Je pense par exemple au cuir qui permet de réaliser des soufflets et des joints de haute technicité dont la durée de vie est vraiment très intéressante

Actuellement, beaucoup de matières présentées comme écologiques sont des composites fabriqués à partir de déchets ou de matières naturelles liés par des composants synthétiques. Personnellement, je ne suis pas convaincu de leur intérêt quand on connaît la difficulté à recycler des objets mêlant des matières hétérogènes. Revenir à des matières plus brutes, plus simples, me semble être une piste plus prometteuse. Je pense par exemple au cuir qui permet de réaliser des soufflets et des joints de haute technicité dont la durée de vie est vraiment très intéressante.

Dans la vitrine dédiée aux matériaux favorables à l’éco-conception, nous présentons par exemple une fibre de noix de coco mélangée à du latex naturel. Lors d’un workshop d’accompagnement d’un industriel, cette matière avait fortement intéressé l’équipe projet dans l’optique de remplacer leurs emballages de protection actuellement fabriqués en mousses issues de matières pétrochimiques. Nous avons eu des débats très intéressants sur l’intérêt de remplacer des matières pétrochimiques par des matières naturelles provenant de l’autre bout du monde.

C’est là que l’approche territoriale prend tout son sens. Une des questions à se poser est de savoir quelles sont les matières disponibles localement. La région Auvergne Rhône Alpes dispose de savoir-faire dans le domaine du textile et des métiers à tisser, de la métallurgie ou encore de de la pierre. Peu de gens savent par exemple que nous avons une carrière de marbre dans la région.

La matériauthèque permet de mettre en relation des créatifs avec un réseau de professionnels et d’encourager un mode de fonctionnement collaboratif. La mise en réseau et la collaboration sur le territoire me semblent être des éléments fondamentaux pour apporter des réponses à la hauteur des enjeux que pose la crise écologique.

 

Photo de rubans en textile avec des motifs différents (écriture, fleurs, lignes)
Ruban Julien Faure© Maëlle_Dagron - Cité du design

Avez-vous remarqué une évolution particulière dans le domaine de l’ameublement ? Est-ce que les lignes commencent à bouger ?

De par son positionnement, la Cité du design, dont le futur siège social sera principalement équipé avec des meubles recyclés, est bien entendu à l’avant-garde des nouvelles pratiques de conception dans le domaine du mobilier.

Si on prend un objet du quotidien, tel que la chaise, pour nos étudiants en design, c’est à la fois le plus facile – l’objet est simple - et le plus difficile : comment apporter une plus-value avec tout ce qui a déjà été conçu précédemment par les meilleurs designers ? Comment concevoir une chaise qui va apporter un plus à l’humanité et plus largement au vivant ?

Des ergothérapeutes ont par exemple conçu une chaise dont le dossier s’adapte à la colonne vertébrale de l’utilisateur. Avec l’approche « Cradle to Cradle » (du berceau au berceau), on peut même concevoir une chaise qui se composte. Mais dans le fond, la question est de savoir si nous avons vraiment besoin de nos jours de produire encore des chaises. N’avons-nous pas suffisamment produit d’objets ? Ne faut-il pas maintenant faire avec l’existant ? Je constate actuellement que de plus en plus de projets sont tournés autour du surcyclage de meubles avec des réflexions qui sont liées à la manière de rendre attrayant ce type de proposition pour les utilisateurs.

La réparation de l’ameublement me semble être une évolution tout à fait intéressante, encore faut-il que les meubles aient été conçus pour cela. On le sait, les meubles fabriqués en masse à bas coût supportent difficilement les déménagements. Il faut donc revenir à des matières plus nobles, plus durables, telles que le bois massif et local. Concevoir de manière modulaire est aussi une manière de penser les objets dans la durée. 

Dans cette optique de réparabilité, les procédés d’impression 3D permettent de fabriquer des pièces d’origine qui ne sont plus produites et facilitent les pratiques de maintenance des objets du quotidien. 

Malgré tout, même si les questions de la soutenabilité préoccupent de plus en plus nos étudiants et les concepteurs, je remarque qu’il y a encore malheureusement beaucoup à faire pour changer les mentalités et s’orienter vers une éco-conception qui prenne en compte réellement les limites du vivant, et ce, quelques que soient les secteurs d’activités (ameublement, aménagement et architecture, conception d’objets …).

Néanmoins, je constate une multiplication de projets de plus en plus favorable au vivant, ce qui me semble très encourageant et motivant.

 

Photo de blocs en métal, ressemblant à des cellules
Mousse métallique de NéoLATTICE© P.Grasset - Cité du design

 

Pour en savoir plus : 

Matériauthèque de la Cité du design – Esadse