Plus encore, le concept même de comportements pro-environnementaux pose un double problème. Le premier, c’est que la notion de comportement renvoie nécessairement à une échelle individuelle. Or, raisonner sur le comportement d’un individu implique de ne pas s’intéresser à ce qui se passe en amont de la prise de décision et du comportement en lui-même. Parler de comportement incite à oublier tous les autres facteurs qui vont amener, à un moment donné, les personnes à avoir ces désirs, ces habitudes, et in fine ces usages. Le second problème, c’est ce qui est défini comme « pro-environnemental ». Beaucoup d’enquêtes identifient un nombre de comportements pro-environnementaux assez limité : trier ses déchets, fermer son robinet, éteindre ses lumières, acheter une voiture hybride, prendre les transports en commun, etc. Pourtant, il y a beaucoup d’autres pratiques qui ont un impact écologique positif dans le sens où elles se substituent à des pratiques ayant au contraire un fort impact. Par exemple, passer sa soirée à lire consomme moins d’énergie que regarder du streaming en HD, et c’est pareil si vous passez votre weekend à randonner ou à bricoler plutôt qu’à faire du shopping. C’est un gros angle mort des politiques publiques : si ces pratiques étaient plus diffusées, l’impact carbone s’en ressentirait beaucoup plus que si tout le monde triait mieux ses déchets.
À mon sens, il est plus pertinent de parler de pratiques que de comportements, parce que cela implique de se demander pourquoi, à un moment donné, cette pratique-là n’existait pas, puis comment et pourquoi elle s’est généralisée. Tout « comportement » cache en réalité des questions de pratiques sociales, d’influence, de normes... Ça dépasse l’individu et le moment t où il adopte un comportement. Comment se construisent les pratiques, c’est la question centrale. Or la normalité est toujours construite socialement : ce qui est normal en 2020 ne l’était pas en 1990, et ne le sera pas en 2050, ou alors le sera dans une région du monde et pas dans une autre. Quelques exemples : fumer dans les lieux publics, jeter les mégots de cigarette dans la rue… En réalité, les choses deviennent normales ou anormales, en raison d’un ensemble complexe de facteurs sociaux et économiques. C’est donc important de retracer cette construction, parce que c’est ce qui permet ensuite de faire évoluer les normes et les pratiques (ou les comportements si vous voulez). La pratique de partir en week-end en Europe sur trois ou quatre jours en prenant l’avion n’existait par exemple pas il y a 30 ans, puis elle s’est banalisée, et maintenant elle en vient à disparaître pour certaines catégories de la population qui considèrent que c’est néfaste pour l’environnement.