Vous êtes ici :

La prise en charge de la souffrance psychique

Interview de Jacques HOUVER

<< Les promoteurs de petites associations sont habituellement des gens engagés, qui réfléchissent et expérimentent l’innovation sociale à taille humaine >>.

Jacques Houver, cadre socio-éducatif, coordonnateur du Service Social, Centre Hospitalier le Vinatier, Direction des Relations avec les Usagers et du Service Social.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 19/01/2009

Une montée de la souffrance psychique est-elle significativement observable parmi la population ?

Le phénomène de sortie massive des hôpitaux psychiatriques de personnes très malades dans les années 70 à 80 est d’abord à prendre en compte. Ces personnes ont été aidées  pour s’installer dans le parc social et avoir un mode de vie plus autonome. A l’époque, l’offre ambulatoire et l’accompagnement au quotidien en étaient à leurs balbutiements. Les services ne pouvant répondre à hauteur voulue aux besoins, il y a eu des effets en termes de souffrance, d’isolement et de difficultés variées de cohabitation. Au bout de quelques années, plusieurs bailleurs privés et sociaux ont dû gérer l’incapacité de certains patients à vivre seuls. Leur enthousiasme initial à participer au grand mouvement de « désinstitutionnalisation » des patients psychiatriques s’est émoussé ! Ils ont même commencé à adopter une attitude d’extrême prudence lorsqu’ils voyaient arriver quelqu’un qui semblait bénéficier de l’allocation adulte handicapé pour un handicap visiblement dû à une maladie psychique ou mentale : ce sont des personnes qui ont souvent des difficultés à s’exprimer, sont repliés sur eux-mêmes, peuvent tenir des propos pas toujours adaptés… 
Bref, il y a eu une série de refus d’attribution d’appartements. La recherche est devenue beaucoup plus difficile, dans un contexte de crise du logement. Le climat s’est durci. Parallèlement, dès les années 80, il y a eu la montée en charge importante d’un public souffrant d’une situation sociale très détériorée. La part de la population la plus fragile, incapable de s’adapter à la complexification du monde professionnel, a été touchée de plein fouet par le chômage. Perte d’emploi, rupture conjugale, éloignement familial, conduites addictives… La conjugaison de ces multiples facteurs entraine chez certains individus une souffrance psychique majeure, qui se traduit par de l’anxiété, une dépression, un laisser-aller et un repli sur soi, avec, à terme, le développement de pathologies mentales plus graves. 

 

Ce type d’engrenage a toujours existé… ?

Sans aucun doute, mais pas à cette échelle-là. L’instauration du RMI en 1999 a permis de mesurer le phénomène : une partie des bénéficiaires se sont retrouvés dans l’incapacité de retourner sur le marché du travail en raison de difficultés psychologiques. N’ayant, pour la plupart, jamais été en arrêt maladie pendant leur période d’activité, ces personnes ne se considéraient pas comme relevant d’une prise en charge psychiatrique. Quelque soit l’état de souffrance dans lequel elles pouvaient se trouver, demander une reconnaissance d’un handicap était, pour elles, totalement inimaginable. Un rapport réalisé par la délégation interministérielle à la Ville et à la Direction Générale de la Santé, « Ville, précarité et santé mentale : une souffrance qu’on ne peut plus cacher », a été le coup d’envoi de nombreuses observations, études, travaux de recherche et méthodologies de travail pour mieux accompagner ces populations en difficulté. Malgré la prise de conscience collective et les efforts déployés, la poussée considérable du nombre de personnes désocialisées n’a pas été enrayée. Les mesures prises par les pouvoirs publics n’ont pas été forcément cohérentes et coordonnées sur la durée. Les résultats obtenus sont, par conséquent, très disparates et parfois peu significatifs. Le nombre de personnes sans domicile, présentant des troubles divers d’ordre psychologique, n’a de cesse d’augmenter. Il suffit de se promener dans le métro, les gares ou les centres commerciaux de grandes agglomérations pour constater que la population touchée est des deux sexes et souvent très jeune.

 

Les grandes métropoles concentrent-elles cette part de la population ?

C’est ce qui est constaté par le personnel d’accueil des gares de Marseille, Paris, Lille, Lyon… Tous les jours, des hommes et des femmes arrivent avec un sac sur l’épaule, persuadés que la taille de l’agglomération leur permettra de trouver un travail plus facilement que dans la petite ville qu’ils ont souvent quitté sur un coup de tête. L’argent manque rapidement et ils se retrouvent à la rue, dans les centres d’hébergements, face à un monde beaucoup plus dur qu’ils ne l’imaginaient. Il est à craindre que le mouvement ne s’accélère avec la crise actuelle.

 

Comment l’agglomération lyonnaise s’est-elle organisée pour gérer le phénomène ?

La saisie de la question s’est notamment faite par l’entrée du logement. Une première concertation s’est tenue dans le cadre de la Conférence d’Agglomération pour l’Habitat du Grand Lyon. Elle portait sur la problématique des familles difficiles à loger. Après examen, il s’est avéré que ces familles en cumul de difficultés comprenaient la plupart du temps un membre dont l’état de santé mentale était à la dérive. En 2002, un programme a été monté par la Mission Habitat  pour mobiliser, au cas par cas, l’ensemble des professionnels en contact avec chaque famille : bailleur, corps médico-social, etc., l’objectif étant de trouver collectivement les solutions les plus adéquates. Ce premier dispositif a été l’occasion de réaliser que la montée de la souffrance psychique au sein de la population posait des difficultés inédites à l’ensemble des professionnels. Un processus de concertation régulier s’est mis en place, piloté par la Mission Habitat du Grand Lyon. Cette initiative, pionnière à l’échelle d’une grande agglomération, a été suivie par d’autres Communautés Urbaines (comme Lille) ou communes (telle la Ville de Grenoble). A mon sens, ce type de coordinations transversales devrait être généralisé, voire obligatoire, partout en France.

 

L’échelle du territoire d’intervention joue-t-elle un rôle ?

Il semble que la forte densité d’acteurs empêche Paris d’emboîter le pas. Le Rhône présente l’avantage d’être suffisamment vaste pour permettre la promotion d’actions de grande ampleur, et en même temps, de rester à taille humaine pour que les partenaires puissent se repérer facilement, se fédérer ou s’organiser en collectif. Depuis une quinzaine d’années, beaucoup d’investissements se sont faits en matière de coordination dans le département via les Conseils locaux de santé mentale . Le tissu associatif est important dans le domaine social et humanitaire. Le premier Conseil local de santé mentale de France a été créé à Givors ! Et l’hôpital psychiatrique de Saint-Jean de Dieu s’est toujours montré favorable aux initiatives de coordination avec le champ social et médico-social. La concertation qui a été développée par le Grand Lyon a le mérite de poser au plus haut niveau de la ville une problématique qui existe dans tout le pays.

 

La révision des politiques publiques en cours et le projet de loi Hôpital, Patient, Santé et Territoire  vont sans doute bouleverser la donne en matière d’organisation sanitaire et sociale. Quel est votre avis sur ce point ?   

Il est peut-être un peu tôt pour en parler. Cependant, d’après les éléments connus, l’idée est d’obtenir une meilleure interaction entre les champs du sanitaire, du social et du médico-social. Les durées moyennes de séjour en milieu hospitalier étant devenues extrêmement courtes, il est grand temps de mieux coordonner des formes de prise en charge complémentaires pour les personnes malades, handicapées et âgées. Ce, d’autant plus que les seniors sont de plus en plus nombreux. Une organisation mieux coordonnée doit être mise sur pied. Chaque dispositif  est invité à réinterroger son fonctionnement et à chercher des appuis extérieurs, de manière à mutualiser davantage les moyens. Les services de l’Etat invitent tous les acteurs à faire des efforts dans ce sens. Par exemple, s’il existe 100 associations intervenant dans un domaine, ce sont autant de projets d’établissements et de négociations de budgets qui doivent être suivies et contrôlées par des fonctionnaires. Si les 100 associations se réduisent à 10, cela favorise ainsi des économies de moyens des services de tutelle et de contrôle. D’un point de vue administratif et financier, cette rationalisation de l’organisation est actuellement considérée comme prioritaire pour l’application des politiques publiques actuelles. Mais les acteurs concernés et les usagers ne sont pas forcément convaincus du bien fondé de ces stratégies.

 

L’effet de concentration souhaité est-il forcément corrélé à une meilleure prise en charge des usagers ?

L’objectif officiel est, bien entendu, d’apporter une réponse mieux ciblé et plus efficace à des besoins clairement identifiés. En réalité, il existe un risque à vouloir normaliser les structures et les formes de prise en charge. Cette volonté d’unification s’apparente aux schémas des services à but lucratif. Le privé cherche à augmenter les dividendes des actionnaires, le public lui emboite le pas pour réaliser des économies d’échelle. La qualité de la réponse risque d’en être profondément transformée. Une grosse organisation est gérée d’après des critères économiques. Elle fait habituellement preuve d’une certaine lenteur administrative, et le turn-over des salariés est régulier. Les promoteurs de petits dispositifs associatifs sont habituellement des gens engagés, qui réfléchissent et expérimentent l’innovation sociale à taille humaine. L’ambiance est complètement différente.

 

Les services publics iraient vers un système d’administration identique à celui des prestataires privés ?

C’est la tendance. La logique n’est pourtant pas du tout la même. Lorsque l’on compare hôpitaux publics et établissements de santé privés, la différence est à priori flagrante. Les médias s’en font d’ailleurs régulièrement l’écho : les listes d’attente du public sont interminables, on y meurt beaucoup, alors que le privé affiche une organisation impeccable et un faible taux de mortalité. C’est logique. Les hôpitaux publics assurent les missions les plus lourdes et les moins rentables. Ils accueillent les publics défavorisés et les personnes en fin de vie. Ils mettent en œuvre des techniques onéreuses pour des soins à risques majeurs comme la cardiologie ou l’oncologie. Les cliniques sont spécialisées dans le traitement de pathologies définies et d’opérations calibrées, à faible risque. Les missions assurées ne sont tout simplement pas les mêmes, notamment en psychiatrie. Le mode de gestion doit-il pour autant être similaire ? L’état penche pour l’affirmative.