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La place de l'art dans l'enseignement

Interview de Pierre-Alain FOUR

Chercheur, membre fondateur de Aporss

<< En termes de pratique, les arts gagneraient à être banalisés, à être considérés comme une activité obligatoire et ordinaire >>.

Docteur en sciences politiques (IEP de Paris), membre fondateur de Aporss (Association pour la Promotion et l’Organisation de la Recherche en Sciences Sociales), de l’agence FRV100 et directeur artistique de l’Ensemble Boréades, Pierre-Alain Four a rédigé une thèse de sciences politiques portant sur la genèse des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain), sur leur insertion dans le monde de l’art et sur l’analyse de leurs collections. Il s’est ensuite spécialisé dans l’étude des politiques publiques culturelles et notamment celles consacrées à l’art contemporain. Il s’intéresse par exemple aux interactions entre artistes plasticiens et politiques publiques, aux ateliers de pratiques artistiques et à leur influence dans la perception de l’art. Plus largement, il travaille sur l’apparition d’objets artistiques dissonants dans le paysage culturel, c’est-à-dire produits hors des cadres ordinaires de légitimation. Par ailleurs, Pierre-Alain Four a été le correspondant du Journal des Arts (compte rendu d’exposition, politique culturelle) et a aussi été chargé de cours à l’Université de Montpellier III et à l'école des Beaux-Arts de La Réunion. Il est actuellement chargé de cours au sein du Master Direction et Développement des projets culturels, Université Lumière-Lyon 2. Il développe en parallèle à ses activités d’étude et de recherche une activité artistique au sein de l’Ensemble Boréades, où il assure la direction artistique, l’écriture et la mise en scène de concerts-spectacles, en lien avec l’art contemporain.

L'agglomération lyonnaise fait de plus en plus valoir sa situation de métropole innovante et créative, c'est-à-dire une métropole où les sciences, les techniques et les arts sont particulièrement dynamiques. L'économie de la connaissance se développe : nouvelles modalités de production du savoir, approches innovantes et multidisciplinaires de plus en plus privilégiées et recommandées, dialogue sciences-société... Mais il semble encore difficile pour un professionnel -industriel, chercheur, artiste, politique, etc.- de sortir de la discipline pour laquelle il a été formé et de développer des capacités de dialogue avec des professionnels de spécialités différentes, dans une autre « langue » que la sienne. Ces nouvelles pratiques ne s'improvisent pas. Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés en particulier à l'art et à son apprentissage.
Après avoir exploré les relations arts-sciences, nous abordons ici les questions suivantes : quelle est la place de l'art dans l'enseignement ? Au-delà des formations artistiques, la pratique des arts pourrait-elle enrichir l'enseignement d'autres disciplines ?

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Date : 06/05/2009

Le monde actuel semble exiger toujours plus d'innovation, de créativité, pensez-vous que nous y sommes préparés ?

Dans une certaine mesure, oui, car on apprend de plus en plus aux enfants, aux collégiens, lycéens et étudiants à être autonomes, à mener des projets par eux-mêmes, à trouver des solutions à un problème. Par contre, on conceptualise assez mal ce processus, on ne le nomme pas. On pourrait davantage insister, valoriser le fait qu’être mis en situation de trouver une solution est un mode d’apprentissage opérationnel, dérivé de l’attitude qu’ont les chercheurs ou les artistes. Cela incite à découvrir des solutions par soi-même, des solutions qui ne sont pas forcément celles que pourraient proposer un enseignant. Dans ce cas de figure, on est assez proche d’une démarche artistico-scientifique qui consiste à apporter des propositions sinon novatrices ou originales, du moins personnelles, à un problème donné. Ceci ne veut pas dire que les réponses sont « artistiques », c’est la démarche qui l’est : on peut être mis en situation d’innover, ou de trouver une réponse, et y arriver.

 

L'art a-t-il une place dans l'enseignement primaire et secondaire ?

À l'école maternelle, on envisage les arts comme une matière à part entière, une matière comme une autre, à même de développer certaines aptitudes et traits de la personnalité, tels que la créativité, l'autonomie, l'esprit critique, etc. En termes de pratique, les arts gagneraient à être banalisés, à être considérés comme une activité obligatoire et ordinaire… La danse qui est parfois pratiquée dans les  écoles maternelles, a de nombreuses vertus éducatives. Par exemple, elle permet de travailler le maintien du corps, l'apprentissage du rythme, la discipline, etc. Cela ne veut pas dire que tout le monde sera danseur professionnel ! Ni que l’on instrumentalise une discipline, simplement elle peut apporter sa propre dimension à l’éducation des enfants.

Ensuite, le système scolaire fait beaucoup moins de place aux arts, en tant que mode d’apprentissage. Au delà de la maternelle, il n’existe pratiquement plus rien. Il y a de rares classes à horaires aménagés qui permettent par exemple d’apprendre la musique (chant ou instrument), mais on est déjà dans une dimension très spécifique, on y apprend à faire de la musique, beaucoup plus qu’on utilise la musique pour ses dispositions particulières telles que la relation aux autres par l’écoute ou encore la capacité à placer sa voix, etc. Finalement, l’art à l’école demeure dans « une case » qui est celle qui lui est assignée dans la société : un petit monde à part, exotique et marginal. Il n’y a pas que je sache de cours d’histoire qui reposerait sur l’analyse des représentations d’un événement via la peinture. Or pour bon nombre d’événements historiques, la media iconographique est essentiel. Pourquoi ne pas apprendre à lire les images, pour comprendre, par exemple, comment le pouvoir se représente?

 

Côté enseignement supérieur, l'enseignement de l'art est-il toujours distinct des autres formations ou peut-on suivre des cursus « mixtes » ?

Il semble que l'enseignement supérieur soit encore relativement cloisonné. Il existe peu de passerelles entre les disciplines : on peut suivre successivement des cursus scientifiques puis artistiques, mais rarement les deux en parallèle. Or, il serait parfois utile de mettre la casquette de l'artiste... On peut par exemple s’étonner que les études de droit ne comportent pas d'ateliers d'écriture, de diction, de théâtre, que les étudiants se destinant au métier de professeur n'aient pas de cours d'expression, de « mise en scène » du savoir, etc. Aucun chercheur n'apprend à parler en public, encore moins à mettre en spectacle des notions complexes, alors que placer sa voix, s'exprimer sans notes, travailler également le support multimédia d'une communication ne pourraient qu'être bénéfique à la transmission des idées énoncées.

 

Il existe pourtant des services culturels au sein des Universités...

En effet, mais on est là dans des dispositifs qui cherchent à réduire les inégalités d’accès à la culture. De plus, on sait depuis longtemps que la proximité ne lève que très partiellement les freins à la consommation culturelle. Avoir la possibilité de visionner des films, d'assister à des pièces de théâtre ou à des concerts sur place ne diversifie pas nécessairement le public… Les étudiants qui ont des habitudes de consommation seront les premiers à utiliser ces dispositifs, les autres en demeureront éloignés. Et il ne s’agit pas là d’un apprentissage artistique, et encore moins de la mise en œuvre d’un raisonnement artistique. Autrement dit, il faut distinguer les dispositifs de soutien à la consommation culturelle, de ceux qui permettent l’étude des arts et de ceux qui viseraient à tirer parti de l’art pour explorer d’autres disciplines.
Il existe cependant des cursus un peu plus ouverts, comme ceux qui forment les ingénieurs à l’Insa, et qui intègrent des savoirs artistiques. C’est un peu un retour à la case départ, où on enseigne « les humanités » qui dans l’idéal ne distinguent pas les arts des sciences. Les écoles d'architecture et les formations au design semblent elles faire exception, mais c’est aussi que de tels cursus forment des professionnels qui seront nécessairement en lien avec la technique et la créativité.

 

Quels sont les freins à l’expansion de la place de l'art dans l'enseignement supérieur ?    

Ce sont les mêmes que ceux qui freinent le dialogue arts et sciences  : une approche cartésienne du savoir, une approche par discipline qui demeure la règle, une « sanctuarisation » de l'art et de la création qui reste dans une sphère à part et ne sont pas mis au service d'autres projets, une vision idéalisée de l'artiste et de l'art où l'inspiration et « l’inné » prennent le pas sur l'apprentissage...

 

L'agglomération lyonnaise a-t-elle des atouts en matière de formation aux métiers créatifs ?

En effet, en raison des industries liées aux arts appliqués (soie, gravure sur métal, etc.) présentes en Rhône-Alpes, de nombreuses formations liées aux « arts industriels » y ont été développées. La première école spécialisée, ancêtre des Beaux-arts, a été créée à Lyon en 1756. Il faut aussi remarquer que se sont installées plus récemment, plusieurs lieux de formations artistiques. Il y a aujourd’hui de très nombreuses écoles d’enseignement supérieur artistique. La question est de savoir comment les intégrer ou du moins assurer des échanges avec l’université et les grandes écoles. Tout est encore très compartimenté. Or, on pourrait imaginer que les écoles d'art –École Nationale des Beaux-Arts de Lyon, École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (Ensatt), Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse (CNSMD)– rejoignent la vingtaine d'établissements composant le PRES, et notamment l’École d'Architecture et l’École Nationale des Travaux Publics de l'État qui en font déjà partie.  

 

Quelles pourraient être les évolutions possibles ? Comment faire bouger les choses ?

Tout ce qui concourt à montrer que l’art a une utilité sociale, qu’il est générateur d’idées, de productions de connaissances sous-exploitées ira dans le bon sens. Il faut arriver à arrimer l’idée que notre développement, que la pérennité de notre société, passe par une croissance qui repose sur l’intelligence et que celle-ci se trouve dans de très nombreuses productions humaines…