Vous êtes ici :

Télérelève : une plus-value pour l’usager ?

Texte de Geoffroy BING

Date : 01/03/2012

Texte écrit pour la revue M3 n°2

Geoffroy Bing est consultant au sein du bureau d’étude Nova7 spécialisé dans les études de prospective territoriale et de marketing des services publics.

Fruit de la convergence entre le numérique et les réseaux de services urbains, la télérelève est l'un des pivots de la ville intelligente. Elle est promue comme un dispositif permettant aux villes de résoudre une problématique grandissante : celle de la maîtrise des consommations énergétiques des usagers. À la condition toutefois que son déploiement intègre information, fiabilité et sécurité des données.

La télérelève est le relevé des compteurs (eau, électricité, gaz) à distance. À la faveur d’un dispositif technique  associant transmetteur radio placé sur le compteur et d’un relais (concentrateur) situé à un endroit stratégique de la ville, les données sont transmises par ondes vers une base de données ou serveur, capable de les analyser. La télérelève permet donc d’éviter le déplacement physique d’un technicien, d’effectuer un relevé à intervalles réguliers (voire en temps réel) et, au gestionnaire du réseau, d’assurer une gestion à distance (réduction de la puissance, coupure, gestion de la demande, gestion des structures tarifaires).
L’intérêt du gestionnaire s’explique à plus d’un titre : gains de productivité (gestion automatisée de la facturation, limitation des déplacements, etc.), meilleur suivi du rendement du réseau (détection des fuites), maîtrise de la demande et effacement des pointes de consommation (régulation de la demande en jouant directement sur certaines consommations des abonnés). Du côté de l’usager, les bénéfices sont également attendus à plusieurs niveaux : facturation de la consommation réelle (et non plus estimée), gestion à distance du contrat, des relevés, des changements de puissance des installations (sans intervention d'un technicien), prévention des fuites (le client pourra réagir plus vite en cas de fuite ou de surconsommation, une alerte pouvant lui être envoyée par le gestionnaire) et enfin, information en temps réel sur ses consommations. Les avantages techniques de la télérelève sont donc nombreux. Pour autant, l’instauration de cette nouvelle technologie dans les logements, et plus largement dans la ville, soulève une série de questions qui sont autant de points de vigilance à observer en vue d’un déploiement maîtrisé et accepté de la télérelève.

L’usager, possible acteur de sa consommation
La télérelève marque le basculement progressif de nos réseaux urbains vers, d’une part, une production d’énergie de plus en plus diverse et complexe, et d’autre part, une gestion active des consommations. En effet, et dans le domaine de l’électricité en particulier, le réseau doit maintenant intégrer les énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien), par définition intermittentes, et veiller en permanence à l’équilibre entre l’offre et la demande pour optimiser la production. Qu’en est-il de l’implication de l’usager vis-à-vis de cet objectif d’optimisation des consommations ? Il apparaît en premier lieu qu’on ne peut attendre un changement de comportement de sa part s’il ne dispose pas d’un accès facile à l’information produite par son compteur. L’expérimentation Linky (http://linky.erdfdistribution.fr) montre de ce point de vue une grande insuffisance dans la mesure où ces nouveaux compteurs ne sont pas rendus accessibles à l’usager. Quand bien même cette information serait disponible, nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’en prédire l’impact sur les consommations. Selon l’Ademe, il y a peu d’études en France sur la corrélation entre l’affichage des consommations et le comportement du consommateur. Une étude de l’université d’Oxford de 2006, qui a compilé plusieurs retours d’expérience (États-Unis, Canada, Scandinavie, Pays-Bas et Royaume-Uni) a montré qu’un dispositif d’information en temps réel permettait une économie de 5 à 15 % de la consommation, variable toutefois selon le pays, et parfois décroissante dans le temps. Passé l’effet de nouveauté, on observe généralement un retour au niveau de consommation antérieur. Il ressort que l’information seule ne suffit pas. D’une part, elle doit être mise en perspective pour lui donner du sens aux yeux de l’usager. C’est pourquoi, soumettre à celui-ci une information comparative, par rapport à la moyenne du quartier ou du voisinage par exemple, est très souvent préconisé. De même, la définition de différents tarifs au cours de la journée peut être de nature à orienter certains comportements si toutefois ils sont compréhensibles par l’usager et appliqués en toute transparence.
D’autre part, les débats autour de la télérelève pointent l’importance de mettre l’information à disposition de l’usager au moment où celui-ci consomme pour qu’il fasse des choix rationnels.
Cela peut passer par un affichage déporté, une interface internet, un téléphone portable ou encore des objets situés dans son logement. Les dispositifs de télérelève ouvrent donc la voie à un ensemble d’interfaces (en dehors du compteur lui-même qui est bien souvent inaccessible) devant permettre aux usagers de piloter leur consommation et d’adapter leur comportement. En somme, la télérelève doit permettre à l’usager de devenir acteur de sa consommation. Il y a cependant fort à parier que l’usager préfèrera déléguer la gestion de ses consommations à des systèmes automatiques ou des services adossés au compteur que les gestionnaires de réseau et d’autres entreprises de domotique ne manquent pas déjà de proposer. Le débat autour du prix de ces services est déjà entamé et le rapport coûts-bénéfices pour l’usager est au cœur des débats.

Contrer les dérives de la télésurveillance
Parce qu’elle génère un flux nouveau de données dans la ville, la télérelève comporte son lot d’interrogations quant à leur sécurisation et au respect de la vie privée. S’agissant de la sécurité, nous pouvons nous étonner de la vulnérabilité des dispositifs de télérelève comme en témoignent les piratages des compteurs Linky en France ou ceux de Discovergy en Allemagne. Des hackers ont récemment démontré qu’il était possible d’intercepter les données transitant entre un compteur et le gestionnaire, de les modifier, et de connaître très précisément le nombre d’équipements électroniques dans les logements.
La télérelève pose par conséquent la question de la confidentialité des données relevées, qui permettent de connaître assez précisément les habitudes comportementales des usagers (à quelle heure prend-t-il sa douche ? combien de temps regarde- t-il la télévision ?), le nombre de personnes au domicile ou encore le type d’appareil en marche à l’instant T dans un logement. C’est d’ailleurs ce qui fait dire aux opérateurs que le relevé des données en temps réel permet d’assurer un service de télésurveillance, voire même de maintien à domicile… Enfin, le piratage malveillant pourrait également provoquer des pannes généralisées sur l’ensemble du réseau d’une ville (d’électricité, de gaz ou d’eau) étant donnée la forte centralisation des données sur laquelle reposent les dispositifs de télérelève, avec les conséquences que l’on peut imaginer pour les personnes fragiles. Si nous sommes encore aux prémices de ces systèmes, des précautions restent donc à prendre pour garantir leur fiabilité et leur sécurité. Gageons que la Cnil, qui a émis un certain nombre de recommandations dans ce domaine, sera entendue, et que les problèmes de sécurité seront dorénavant pris au sérieux par les gestionnaires de ces réseaux.

Construire la ville intelligente avec les usagers
Les collectivités locales sont aujourd’hui face à des choix stratégiques en ce qui concerne le développement de la télérelève. D’un côté, elles devront être capables d’évaluer en connaissance de cause les promesses technologiques ainsi que les modèles économiques proposés par les industriels et les opérateurs privés de services urbains. Ces derniers fourbissent en effet leurs armes pour attaquer le marché émergent de la télérelève comme en témoignent la création de la joint-venture Veolia-Orange ou l’alliance Suez-General Electric pour conquérir le marché des compteurs d’eau intelligents et imposer leurs standards de collecte.
De l’autre côté, elles devront préserver l’intérêt des usagers-citoyens qui sont en droit de réclamer toutes les garanties en termes de prix, de services et de sécurité. S’il y a en effet urgence à faire évoluer les comportements individuels en matière de consommation d’énergie ou d’eau, la technologie seule ne suffit pas, surtout si elle est imposée à l’usager. Les déboires rapportés de Californie où l’entreprise PG & E (équivalente à ERDF) fait marche arrière et démonte les nouveaux compteurs, (suite à une fronde des usagers dénonçant des problèmes sanitaires ainsi qu’une atteinte à la vie privée et un manque de concertation), mais aussi en France où la généralisation des compteurs Linky fait débat, sont illustratifs des enjeux d’acceptabilité associés à la télérelève. Un travail de fond sur l’appropriation de ces nouvelles technologies installées dans les logements sera requis pour pouvoir prétendre à des changements de comportements réels et sur le long terme.
Pour qu’une ville soit durable et intelligente, il faut qu’elle soit d’abord capable de mesurer tous les paramètres qui la concernent, et la télérelève en constitue un moyen essentiel grâce aux technologies numériques. Mais plus qu’un outil au service du gestionnaire, la télérelève aura réussi son pari lorsqu’elle aura fait des usagers de réels « acteurs » de leurs consommations.
_______________________________________________________________________
A voir :
Le site web de la Commission de régulation de l’énergie, think tank virtuel au service du développement des réseaux du futur : www.smartgrids-cre.fr

A lire :
Rapport d’information fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le compteur électrique évolué, par Ladislas Poniatowski, 15 décembre 2010 www.senat.fr