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Modéliser pour gérer la ville durable

Vélo'v
© Jacques Léone, Grand Lyon

Texte d'Anne-Caroline JAMBAUD

Article écrit pour la revue M3 n°5

La ville durable devient un objet d’analyse et un terrain d’application privilégié pour la recherche sur les systèmes complexes. Exemple avec le réseau lyonnais de vélo en libre-service qui fonctionne depuis 2005.

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Date : 01/06/2013

Le projet Vélino’v, démarré en février 2013, implique le LET, l’IXXI, l’ENS Lyon et le Liris. Il consiste à modéliser les réseaux urbains de transports publics individuels à partir de l’analyse des données Vélo’V. Prêtée par la société Decaux, cette base de données exhaustive des flux entre les stations de vélos en libre-service automatisés se réfère à un système ancien, stabilisé et massif (4 500 vélos, 350 stations). Comme la loi sur la protection des données personnelles empêche de savoir qui enfourche les vélos, Vélino’v prévoit de coupler l’étude des données à des enquêtes sociologiques ad hoc aux stations. L’ensemble constituera un matériau précieux d’analyse. Il s’agit également de voir comment Vélo’V modifie les pratiques des usagers et s’inscrit dans la pratique quotidienne de l’intermodalité. La première application de cette recherche sera de fournir un modèle de simulation d’un système optimisé de réseau de stations de vélos en libre service. « Nous pourrons confronter le fonctionner, être équilibré ou pas. Ou bien, à partir d’un ensemble de données sur une ville et sa population, générer automatiquement la définition ou l’emplacement d’un réseau de stations optimales », explique Charles Raux.

 

Optimiser énergies, mobilités et services
C’est à l’IXXI que Guillaume Chelius, chargé de recherche Inria dans l’équipe DNET, Dynamic Network (ENS Lyon), a développé ses recherches sur les réseaux de capteurs et l’électronique embarquée. Il a eu l’idée d’appliquer ses travaux à d’autres disciplines. L’institut a incubé sa société HiKoB qui propose de « capter et analyser des données qui seront ensuite modélisées par les chercheurs sur les systèmes complexes dans différents domaines ». La biologie a été le premier secteur investi par HiKoB, depuis, la start up travaille de plus en plus dans le champ urbain où il existe « un besoin énorme d’aller capter des informations pour améliorer l’efficacité énergétique, la circulation ou les services » selon son dirigeant. HiKoB vient ainsi d’équiper l’agglomération lyonnaise d’un réseau de capteurs permettant de faire remonter en temps réel la température des sols, ce qui permet au Grand Lyon de lancer son dispositif de salage des routes au moment le plus opportun.
The Cosmo Company a opéré ce même glissement vers le champ urbain : « La pression réglementaire sur la ville durable, la disponibilité des données et la capacité à traiter ces questions avec l’émergence des systèmes complexes font que la ville est un marché complètement mature », résume Éric Boix, directeur scientifique de la start up lyonnaise. La logique smart grid d’optimisation énergétique, mais aussi celle, plus large, de smart city, sont ainsi, typiquement, des problématiques de systèmes les systèmes complexes. « Modéliser la mobilité urbaine » et « modéliser l’environnement » sont des thématiques qui requièrent une présence accrue des chercheurs en sciences humaines et sociales, notamment issus du LabEx IMU, Intelligence des mondes urbains. L’un de ses pilotes, Jean-Yves Toussaint, voit tout simplement dans les systèmes complexes.
Parce que les métiers urbains sont tous couplés et s’influencent mutuellement, il faut être capable de modéliser cette interaction systémique pour identifier les bons leviers d’action. Ainsi, le choix de l’emplacement d’un incinérateur est une décision de gestion des déchets qui a des effets sur la gestion des transports, de l’eau, de l’énergie. Autre illustration pour Hugues de Bantel, président et cofondateur de The Cosmo Company : « On pensait que la prolongation du métro jusqu’à Oullins désengorgerait l’ouest lyonnais. Or, si on mesure son impact sur l’attractivité du territoire, le prix du foncier et l’implantation d’entreprises, le scénario à dix ans prévoit une augmentation du trafic automobile dans la zone ». C’est ce que l’on appelle un effet contre-intuitif.

 

Maîtriser et prévoir la complexité urbaine pour guider l’action publique
Pour maîtriser cette complexité, The Cosmo Company a mis au point des solutions logicielles permettant de décrire les interactions à l’œuvre dans le système urbain : « On vient perturber l’interaction des métiers clés de la ville pour étudier l’évolution. On permet ainsi aux décideurs urbains de mesurer l’impact de leurs décisions à cinq, dix ou vingt ans », poursuit Hugues de Bantel. The Cosmo Company est ainsi partie prenante, avec le Grand Lyon, Veolia, EDF et CMN Partners du projet For City visant à développer un outil d’aide à la décision pour une ville durable. Les deux derniers séminaires organisés par l’IXXI soulignent que la ville durable devient l’objet privilégié de la recherche sur systèmes complexes « des moyens que nous mettons en œuvre pour rendre le monde habitable ». Ils ne sont pas une fin en soi, mais un outil de plus que se donnent les chercheurs pour élucider la complexité du monde contemporain. Désormais, rendre la ville durable et le monde habitable passe également par une modalité de recherche non plus seulement centrée sur l’excellence de cœurs disciplinaires, mais sur la qualité des interfaces entre disciplines.