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Face au défi climatique, quelle place pour les changements de modes de vie et d’organisation socio-économique ?

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Pour faire face au défi climatique, d’aucuns s’accordent aujourd’hui à reconnaître qu’il ne suffit pas de réduire considérablement (et rapidement) les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Il faut également nous préparer à affronter un climat plus chaud. Autrement dit, mener de front des politiques d’ « atténuation » et d’ « adaptation ».

Or, ces deux mouvements de transformation de la société peuvent mobiliser plus ou moins de changements dans nos modes de vie, nos représentations, nos modèles économiques ou encore nos formes d’organisation sociale.

Les scénarios prospectifs liés à la mobilité individuelle et à l’alimentation de l’Ademe permettent d’illustrer la variété des transformations de modes de vie et d’organisation socio-économiques à notre disposition.

Il en ressort un besoin de prendre en compte cette variété de trajectoires en prévision d’un débat public sur l’enjeu climatique.

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Date : 22/10/2024

Le terme de transition est utilisé dans l’analyse des systèmes pour décrire un processus de transformation dans lequel un système change de manière fondamentale son fonctionnement et son organisation. De nombreux travaux ont étudié la manière dont se sont opérées les transitions au sein des sociétés humaines par le passé et d’autres, plus prospectifs, esquissent les contours de ce que pourrait être une transition énergétique à venir. 

La caractéristique commune de ces travaux est qu’ils font intervenir dans les processus de transition des procédés techniques, d’un côté, et des évolutions des comportements qui se situent aussi bien à l’échelle individuelle (habitudes, représentations, croyances) que mésosociale (groupes sociaux, organisations, entreprises) et macrosociale (systèmes de production et de consommation, systèmes organisationnels, normes sociales, modes de vie, etc.).

À quoi ressemblent concrètement les changements de modes de vie et d’organisation sociale lorsqu’on parle d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique ?
De nombreuses publications produisent des préconisations aux ménages ou aux entreprises afin de réduire leurs émissions de GES ou pour s’adapter au changement climatique. On constate alors que les leviers sont innombrables, au point qu’il est impossible d’en dresser ici un inventaire exhaustif (voir quelques exemples ci-dessous). On retiendra toutefois que :

  • Du côté de l’atténuation, les propositions d’action sont particulièrement nombreuses et s’adressent le plus souvent aux ménages ou aux individus — et dans une moindre mesure aux organisations comme les entreprises ou les administrations. 
     
  • Du côté de l’adaptation, les propositions sont pour l’instant moins documentées — beaucoup d’actions préconisées dans les plans d’adaptation relevant plutôt des infrastructures et des équipements, et encore peu des comportements en tant que tels. Les documents officiels s’adressent aujourd’hui davantage aux professionnels qu’aux particuliers, sauf concernant certains enjeux impliquant les ménages (eau, température des logements en été). 

 

Quelques exemples de changements de modes de vie et d’organisation
préconisés par les politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique

 

Atténuation : Secteurs émetteurs de gaz à effet de serre : Mobilité, Alimentation, Bâtiments. Les individus et les ménages, ainsi que les entreprises et les organisations mènent au changements de modes de vie et d'organisation préconisés : éviter le gaspillage, réduire la consommation de produits issus des animaux, privilégie les produits frais, développer le télétravail, optimise la logistique, encourage les salariés à utiliser les transports en commun et modes doux... Adaptation : Aléas climatiques : Canicules, sécheresses, inondations, incendies. Solutions pour individus : éviter les bains, réduire arrosage, arrêter de laver son véhicule, toilettes sèches, renoncer aux piscines, stocker l'eau de pluie. Pour les organisations et entreprises : Aménager les horaires et l'organisation, préparer les bâtiments, mettre à disposition de sources d'eau, aménager des aires de repos fraiches

 

Adapter, ou changer les modes de vie et d’organisation sociale ?
Lever l’ambiguïté du mot « adaptation »

 

Si les enjeux d’atténuation et d’adaptation au changement climatique sont aujourd’hui bien définis, une ambiguïté demeure concernant l’usage du terme adaptation. En effet, le verbe adapter est parfois utilisé pour désigner des actions d’atténuation, par exemple, lorsqu’il s’agit de modifier des comportements pour atteindre la neutralité carbone.

Maintenir cette ambivalence du terme adaptation dans le contexte du changement climatique peut se révéler préjudiciable, pour au moins deux raisons :

  • Le concept d’adaptation correspond à un concept précis des travaux du GIEC et des politiques publiques. Parce que cet enjeu peine encore à trouver sa juste place dans le débat public, il semble préférable de réserver l’usage du terme adaptation à cette définition.
     
  • Le défi climatique implique davantage qu’une « simple » adaptation des modes de vie et des organisations. Parler de changement ou de transformation est plus adapté pour traduire l’ampleur des évolutions à opérer.

 

Par souci de clarté et de neutralité, nous utilisons dans cet article la notion de « changements de modes de vie et d’organisation sociale », ou celle plus large de « changement sociétal ».

 

Quelle intensité du changement sociétal dans les scénarios de transition ?

 

L’idée que les changements de modes de vie et d’organisation sociale constituent une condition sine qua non de la transition écologique peine à trouver sa place dans les exercices prospectifs de trajectoire de décarbonation à l’échelle nationale ou mondiale. Jusqu’à présent, ces travaux ont en effet eu tendance à se focaliser sur les transformations technico-économiques des secteurs de production. 

Ce parti-pris tend à dépolitiser les choix faits en matière de transition, en les résumant à des questions d’investissements et de rythme d’adoption des solutions techniques par les entreprises et les ménages. Or, parce que ces solutions s’avèrent insuffisantes pour réduire les émissions de GES — notamment en raison d’effets rebond — il apparaît indispensable de mieux rendre compte de l’éventail des possibles, ainsi que des choix de société sous-jacents [1] : quel niveau de risque considère-t-on acceptable ? Que choisit-on de protéger ? etc.

Pour la première fois, le GIEC a consacré un chapitre de son dernier rapport aux évolutions des modes de vie et aux usages de l’énergie [2]. En France également, les exercices de scénarisation de la transition vers la neutralité carbone se sont multipliés ces dernières années, intégrant de plus en plus précisément les changements d’organisation et de modes de vie. Après les travaux du Débat national sur la transition énergétique (DNTE) et ceux de RTE, l’Ademe a récemment publié quatre scénarios dessinant autant de chemins contrastés vers la neutralité carbone en 2050.

L’exploration de ces scénarios est utile ici pour souligner l’éventail et l’interaction des choix possibles en matière d’options techniques, d’organisation socio-économique, d’aménagement et de modes de vie. Ils rappellent ainsi que le déploiement de nouvelles solutions techniques nécessite généralement une évolution des comportements et des organisations pour être effectif. Ils mettent également en lumière une relation inverse entre intensité du recours aux solutions techniques et intensité du changement sociétal. 

Pour faire simple, substituer une offre carbonée par une autre bas-carbone semble être un bon moyen d’éviter de requestionner les modes de vie actuels ; inversement, favoriser une inflexion forte des modes de vie et d’organisation sociale vers la sobriété peut réduire la nécessité de développer et produire une solution technique alternative.
 

[1] Saujot M. et coll. (2022), Pour une meilleure intégration des dimensions sociales et des modes de vie dans les exercices de prospective environnementale, IDDRI, Étude n° 1, janvier 2022 ; Saujot M., Waisman H. (2020). Mieux représenter les modes de vie dans les prospectives énergie-climat, IDDRI, Étude, février 2020 ; Dépoues V., Dolques G., Nicol M. (2022), Se donner les moyens de s’adapter aux conséquences du changement climatique en France : De combien parle-t-on ?, I4CE — Institute for climate economics
[2] Perrine Mouterde (2022), La sobriété, un levier pour accélérer la lutte contre le dérèglement climatique, Le Monde, 04 avril 2022

 

 

Génération frugale Des transformations importantes dans les façons de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter, d’acheter et d’utiliser des équipements, permettent l’atteinte de la neutralité carbone sans impliquer de technologies de captage et stockage de carbone, non éprouvées et incertaines à grande échelle.  La transition est conduite principalement par la contrainte et par la sobriété. De nouvelles attentes des consommateurs, mais surtout de nouvelles pratiques, s’expriment rapidement dans les modes de consommation. La croissance de la demande énergétique qui épuise les ressources s’interrompt grâce à des innovations comportementales, organisationnelles autant que technologiques. Coopérations territoriales La société se transforme dans le cadre d’une gouvernance partagée et de coopérations territoriales. Organisations non gouvernementales, institutions publiques, secteur privé et société civile trouvent des voies de coopération pragmatique qui permettent de maintenir la cohésion sociale.  Pour atteindre la neutralité carbone, la société mise sur une évolution progressive mais à un rythme soutenu du système économique vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise.  L’évolution des valeurs de la société permet des investissements massifs dans les solutions d’efficacité et d’énergies renouvelables. Technologies vertes Le développement technologique permet de répondre aux défis environnementaux. Les métropoles se développent. Les technologies et le numérique, qui permettent l’efficacité énergétique, sont dans tous les secteurs. Les meilleures technologies sont déployées largement et accessibles de manière généralisée aux populations solvables.   Les manières d’habiter, de se déplacer ou de travailler se rapprochent beaucoup de celles d’aujourd’hui mais gagnent en sobriété. Pari réparateur Les enjeux écologiques globaux sont perçus comme des contreparties du progrès économique et technologique : la société place sa confiance dans la capacité à gérer, voire à réparer, les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable.  Les modes de vie du début du XXIe siècle sont sauvegardés. Mais le foisonnement de biens consomme beaucoup d’énergie et de matières avec des impacts potentiellement forts sur l’environnement.
Les 4 scénarios Transition(s) 2050 en bref

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Incarner les changements de modes de vie et d’organisation : deux exemples de scénarios contrastés

 

Pour illustrer la diversité des degrés de changements de modes de vie et d’organisation qui peuvent effectivement permettre une atténuation et une adaptation pour atteindre la neutralité carbone, les pages qui suivent se penchent sur deux exemples issus de l’étude de l’Ademe : la mobilité individuelle et l’alimentation.

 

La mobilité individuelle : quelle place pour l’électrification et la sobriété dans la décarbonation des déplacements ?

 

La décarbonation de la mobilité constitue un exemple particulièrement illustratif dans la mesure où la voiture représente encore de loin le premier mode de déplacement en France (63 % des déplacements en 2019), devant la marche (24 %). Or, les émissions de GES liées aux déplacements des personnes en voiture particulière représentent la moitié (51 %) des émissions du secteur des transports, lequel est le premier contributeur aux émissions de la France (31 % des émissions en 2019) et le seul secteur dont les émissions continuent de croître ces dernières années (hausse du trafic routier, hausse du poids des véhicules).

 

 

Pour atteindre la neutralité carbone, la Stratégie nationale Bas-Carbone (SNBC) n’envisage pas de changement massif des comportements de mobilité, ni même de baisse du trafic de voyageurs. Au contraire, une progression de 26 % de la mobilité individuelle est projetée d’ici à 2050. Afin de décarboner ce secteur, la SNBC mise donc sur la « transformation complète du parc de véhicules », au profit majoritairement de motorisations électriques. 

Qu’en est-il dans les scénarios Transition(s) 2050 proposés par l’Ademe ? 

 

Scénarios « Technologies vertes » et « Pari réparateur » :
accompagner la croissance des mobilités par des solutions bas-carbone

 

Ces scénarios sont assez proches de ceux envisagés par la SNBC, puisqu’ils se caractérisent par un idéal de poursuite de la croissance des mobilités des personnes. L’augmentation continue des distances parcourues est ici perçue comme un facteur de liberté et d’émancipation, permettant l’accès à un espace d’opportunités plus vaste à la fois au plan professionnel et personnel. 

Même si la technologie est mobilisée pour réduire certains besoins de déplacement (télétravail, télémédecine, etc.), ces scénarios se caractérisent malgré tout par une demande de déplacements en progression (respectivement +38 % et +23 % dans les scénarios S3 et S4). L’objectif premier est d’accroître la vitesse de déplacement par le recours à des solutions technologiques permettant la gestion dynamique des infrastructures ou l’automatisation progressive des véhicules. L’amélioration des vitesses encourage la poursuite de l’étalement urbain, tandis que la croissance des voyages en avion reste portée par le désir de voyages lointains.

Dans ces deux scénarios, la préoccupation première est de décarboner l’automobile plutôt que de limiter son usage, via des incitations financières à l’achat et le déploiement massif d’infrastructures de recharge. Si la place de la voiture tend à reculer en centre-ville du fait de certaines restrictions et du développement de l’usage du vélo et de lignes de transport en commun à forte capacité, elle reste prédominante partout ailleurs. L’absence de remise en question de la voiture dans ces scénarios se traduit également par la poursuite de la croissance du parc automobile, du poids et de l’automatisation/digitalisation des véhicules.

Au final, ces scénarios laissent de côté de nombreux autres impacts négatifs de la mobilité automobile : la consommation de ressources liées à production des véhicules, la construction et l’entretien des infrastructures routières, l’artificialisation des sols, la congestion urbaine, l’accidentologie, les bruits, la pollution de l’air, le prix croissant des véhicules, etc.

 

Demande de transport : +39% km parcourus au total. +28% km/personne (aérien international compris). Report modal : 92% distances totales en avion. Les parts modales varient un peu d'ici 2050. Le remplissage moyen passe de 1,58 à 1,62 passager par voiture. Efficacité énergétique des véhicules : +25% poids des voitures neuves, +9% vitesse moyenne en voiture. Intensité carbone de l'énergie : 52% carburants liquides, 45% électricité, 1% gaz, 2% H², 86% de l'énergie totale des décarbonée.
Résumé des principales évolutions du scénario « Pari réparateur »

 

Scénarios « Génération frugale » et « Coopérations territoriales » :
miser sur la sobriété des mobilités avant tout

 

À la différence des scénarios précédents, ceux-ci s’appuient principalement sur les leviers de maîtrise de la demande de mobilité par un ajustement de l’aménagement, de l’organisation socio-économique et des modes de vie. Ils sont portés par un changement significatif de la vision de la mobilité au sein de la société. La baisse de la mobilité automobile est vue comme un facteur clé pour en réduire les impacts négatifs — émissions de GES et de polluants, bruits, coûts, pollutions, perte de temps, etc. — qui prennent le pas sur ses dimensions positives. La « démobilité », la proximité et le ralentissement sont perçus comme un idéal de mode de vie

La demande de transport des personnes recule respectivement de 26 % et 10 % dans les scénarios S1 et S2, par des actions favorisant les politiques d’emploi (proximité recherchée à l’embauche, télétravail, tiers-lieux, etc.) et les déménagements permettant de réduire le nombre et la distance des déplacements domicile-travail. Ces scénarios sont marqués également par un rééquilibrage territorial des activités économiques et des populations au profit des villes petites et moyennes, qui facilitent un « mode de vie en proximité » pour l’accès aux emplois, commerces, services et loisirs, et par la recherche d’un tourisme plus local au détriment des destinations lointaines.

La baisse des distances parcourues rend plus facile le report vers des modes de déplacement plus sobres (marche, vélo, transports en commun), encouragé également par la réallocation des espaces occupés par la voiture, la baisse des vitesses sur la route et le développement volontariste des infrastructures et services dédiés aux modes alternatifs. Reposant sur des logiques d’entraide, le covoiturage se développe dans les territoires peu denses. Par ailleurs, de nouvelles manières de voyager émergent et font la part belle au train, au détriment de l’avion.

Combinant de multiples changements de modes de vie, d’organisation socio-économique et d’aménagement, ces scénarios donnent une place bien différente au véhicule électrique : réduction quantitative des ventes annuelles de véhicules et de la taille du parc automobile, limitation de la vitesse maximale, de la puissance et du poids des véhicules neufs, développement d’une large gamme de véhicules légers intermédiaires entre voiture conventionnelle et vélo, etc.

 

Demande de transport : 26% km parcourus au total. -32% km/personne (aérien international compris). Report modal : -55% nombre de trajets en voiture, la moitié des trajets réalisés à pied ou à vélo. Taux de remplissage : le remplissage moyen passe de 1,58 à 2 passagers par voiture. Efficacité énergétique des véhicules : -27% poids des voitures neuves et -12% vitesse moyenne en voiture. Intensité carbone de l'énergie : 42% carburants liquides, 49% électricité, 9% gaz, 0% H², 80% de l'énergie totale est décarbonée
Résumé des principales évolutions du scénario « Génération frugale »

 

Le cas de l’alimentation :
quelle place pour les changements de modes de vie et d’organisation ?

 

Pour illustrer le rôle des modifications de comportement et d’organisation face au changement climatique, le cas de l’agriculture et de l’alimentation est également intéressant à étudier. Ce secteur va en effet jouer un rôle central dans la transition, à la fois en matière d’atténuation et d’adaptation.

En effet :

  • Du côté de l’atténuation, l’agriculture est aujourd’hui responsable d’environ 19 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, si bien que ce secteur va devoir opérer une véritable révolution afin de diviser par deux ses émissions à l’horizon 2050.
     
  • Fortement dépendante des conditions climatiques, l’agriculture est aussi en première ligne en matière d’adaptation, notamment pour ce qui concerne la consommation d’eau, dont elle est l’un des secteurs les plus consommateurs.

 

Les travaux de scénarisation menés par l’Ademe à l’horizon 2050 peuvent là encore servir de guide pour nous aider à comprendre comment ces objectifs extrêmement ambitieux peuvent être atteints en mobilisant plus ou moins les changements de comportements et d’organisation, selon les scénarios choisis.

 

 « Pari réparateur » :
une technologisation de l’agriculture pour décarboner la production dans un contexte de pratiques alimentaires stables

 

Le scénario « Pari réparateur » (S4) parvient à relever le défi de la transition climatique dans un contexte caractérisé par des habitudes alimentaires qui évoluent assez peu : l’indice de masse corporelle continue d’augmenter et, même si la consommation de viande baisse légèrement (-10 %) par rapport à aujourd’hui, le régime moyen reste globalement très carné et dominé par les produits transformés.

Comme dans les autres scénarios, la lutte contre le gaspillage s’intensifie, mais elle est essentiellement axée sur les avancées techniques et technologiques au niveau de la production agricole et de la transformation — et donc sans changement important des pratiques des professionnels ou des ménages.

Les besoins en calories et protéines restent très élevés. Ils impliquent de conserver des modes de production très intensifs, avec une légère progression de la productivité grâce à l’innovation. Biocontrôle, recherche variétale, agriculture dite de précision ou encore innovations génétiques sont largement déployés. De son côté, l’élevage s’intensifie, le pâturage disparaît quasiment et la production fourragère augmente. La dépendance à l’égard des importations reste forte, notamment pour l’alimentation animale et les fruits.

Dans un contexte de réchauffement climatique, les besoins en eau augmentent fortement, avec un doublement des surfaces irriguées et des volumes d’eau consommée par rapport aux consommations actuelles. Ce scénario s’avère donc peu favorable en termes d’adaptation et, pour limiter les prélèvements en période estivale, il obligerait notamment à recourir plus massivement à des solutions de stockage hivernal de l’eau, de type « bassines ».

 

Scénario « Génération frugale » :
une métamorphose des pratiques agricoles conditionnée par un changement radical des pratiques alimentaires

 

 

Dans le premier scénario proposé par l’Ademe (S1, « génération frugale ») l’accent est au contraire mis sur la sobriété, avec un changement profond du régime alimentaire de la population, caractérisé par une forte réduction de la consommation de produits issus des animaux (-70 % de viande) ainsi qu’une baisse des quantités de calories ingérées — ce qui a pour conséquence une amélioration de la santé des populations et une baisse de l’obésité et du surpoids. Ce changement de régime est notamment porté par une montée en puissance des préoccupations liées au bien-être animal.

La lutte contre les gaspillages est également renforcée, comme dans le scénario S4, mais en impliquant beaucoup plus les changements d’organisation, avec en particulier « une formation systématique des professionnels opérationnels et saisonniers, un assouplissement en profondeur des cahiers des charges en lien avec les distributeurs, le développement de circuits alternatifs pour l’écoulement systématique des produits non conformes, une offre en circuit court optimisée. »

La végétalisation des régimes alimentaires permet des changements considérables de pratiques agricoles et des paysages ruraux : l’élevage se désintensifie, avec une quasi-disparition des élevages les plus industrialisés (porcs, poulets), au profit d’un élevage plus extensif qui se concentre sur les zones peu favorables aux cultures.

Les cultures fourragères (dont le maïs) voient de leur côté leur production baisser fortement au profit des productions végétales à destination de l’alimentation humaine, en particulier les légumineuses, les légumes et les oléoprotéagineux (colza, soja, tournesol, pois). Enfin, ce changement de régime réduit les exigences de rendement, permettant une très forte réduction de l’utilisation des engrais de synthèse, des pesticides, mais aussi de la déforestation importée.

En matière d’adaptation, malgré l’augmentation des températures, ce nouveau modèle agricole permettrait de réduire les consommations d’eau à usage agricole d’environ un tiers, passant de 2,7 à 1,9 milliard de m3 d’eau par an. L’irrigation du maïs ne représenterait par exemple plus que 15 % de la consommation du secteur, contre plus de 50 % aujourd’hui. L’essentiel de l’irrigation servirait à la culture des fruits et légumes, dont la production aurait été en grande partie relocalisée en France.