Vous êtes ici :

Conception éco-culturelle d'un centre de recherche

Alain Hays, Centre de recherche scientifique du XTBG — Académie des Sciences de Chine.

Texte d'Alain HAYS

Date : 01/06/2014

Texte écrit pour la revue M3 n°7

À l’extrême sud-ouest de la Chine, au Yunnan, se love dans les méandres d’un affluent du Mékong le plus grand jardin botanique de Chine : le « Xishuangbanna Tropical Botanical Garden (XTBG) » de l’Académie des sciences de Chine (CAS). Récit d’une conception éco-culturelle très exigeante.

Nous sommes au pays des Dai, l’une des 55 minorités ethniques parlant thaï, de culture animiste et bouddhiste. Sur 1 125 hectares, de riches collections d’arbres et de plantes se mêlent à la forêt tropicale native. Des chercheurs y viennent du monde entier étudier les écosystèmes forestiers et une infinité de sujets liés à la conservation de la biodiversité.Le XTBG, haut lieu touristique, a été récemment remembré afin de répondre à l’afflux des visiteurs et aux besoins de son centre de recherche fondé en 1959. Il fut décidé de bâtir un nouveau centre scientifique : une « Plate-forme de bioénergie et biologie de la conservation » de premier plan pour le sud-est asiatique. Le professeur Chen Jin, directeur du XTBG-CAS, allait me confier, à titre de Designer en chef, tout le plan directeur et la conception des édifices, l’exécution des plans techniques incombant à l’Institut de Design du Yunnan.

 

Concept « éco-culturel » : une vision du « Green Building - Bâtir Vert » - GBBV

Le concept d’« éco-culture » induit la prise en compte simultanée de la problématique écologique au sens premier du terme et celle du mode de vie des populations locales, de leur expérience en matière de protection durable de l’environnement et d’adaptation au climat. Nous avions réaffirmé ce concept « éco-culturel » lors du congrès « Cultures et Biodiversité » qui se tint au Yunnan en l’an 2000, réunissant institutions chinoises et grandes agences internationales de conservation de la nature. Cet évènement souligna l’importance de la diversité culturelle des populations pour le maintien de la biodiversité et le poids des savoirs fondamentaux qu’ont su développer pendant des siècles les peuples autochtones.

N’en va-t-il pas de même en architecture et urbanisme ? La tendance à l’application de solutions standardisées dites « écologiques » ou « green » en tout lieu et par tout pays, même si elles sont théoriquement efficaces, n’était-elle pas questionnable voire déraisonnable ? Il fallut une vision courageuse du directeur du XTBG pour que soit prise en compte l’architecture locale dans la conception de ce nouveau centre scientifique qui se voulait moderne et fonctionnel. De plus, une autre demande avait été formulée : comment retrouver l’« âme » de ce lieu singulier et incarner la devise de l’institution « Sens des Responsabilités et Réalités; Sincérité et Harmonie » ? Vaste programme… Il nous fallut rechercher des solutions à la fois simples, économiques, écologiques, fonctionnelles et conviviales : techniques de construction conventionnelles exécutables par des entreprises locales, éclairage naturel privilégié et transparence interne en minimisant les murs pleins, optimisation de la protection contre le rayonnement solaire, climatisation permettant la ventilation croisée, végétation formant partie intégrante du projet, non-usage de bois tropical imputrescible, parquets en bambou, récupération des eaux pluviales pour réservoirs anti-incendie, chauffe-eau solaires, réduction maximum des voies d’accès, minimisation des aires asphaltées, transport piétonnier ou par navettes électriques. Chaque phase du projet donna lieu à des débats longs et passionnés avec les cadres, chercheurs et techniciens de l’institution ; un réel processus participatif se mit en place et se poursuivit pendant la supervision du chantier.

 

Le projet du nouveau Centre de recherche

Les bâtiments du Centre de recherche devaient se situer sur un terrain étroit surplombant le fleuve Luosuo. Je les regroupai en deux pôles. Le premier ensemble rassemblait autour de deux grands bassins-fontaines un bâtiment administratif et de recherche, un auditorium avec sa cafétéria et une grande bibliothèque. Le second pôle se développait en oblique du premier en pleine forêt tropicale humide que nous avions décidé de conserver. Trois grandes unités de 54 laboratoires allaient y prendre place. Je conçus également un agréable restaurant ouvert sur le fleuve pour le personnel et les visiteurs. Un complexe résidentiel devait offrir une vingtaine de villas pour les cadres et experts étrangers. Environ 28 000 m2 de construction furent ainsi réalisés sur 12 ha de terrain aménagé avec routes et infrastructures pour un investissement global d’une dizaine de millions d’euros. Ce qui reste très économique pour un tel projet.

 

Conception éco-culturelle et bioclimatisme

Grâce à l’étude préliminaire de terrain, nous avons pu repérer les éléments « constructifs » des habitations locales utiles à notre projet. L’habitat traditionnel des Dai est extroverti, ouvert sur la nature, profitant d’amples espaces intérieurs-extérieurs bien ombrés ; il invite à la convivialité. M’en inspirant, je multipliai les larges balcons terrasses et les auvents profonds même en étage. Par de hautes baies vitrées pliantes, les salles de réunions, la cafétéria, la bibliothèque, le restaurant et les villas pourraient s’ouvrir totalement sur l’extérieur tout en restant à l’abri du soleil et des pluies grâce à des galeries latérales et à des profonds dépassés de toiture. Le dehors et le dedans, paysage et architecture devaient se fondre organiquement. J’accordai une grande importance à l’orientation des bâtiments. Les données climatologiques précises nous étaient fournies par la station météorologique du XTBG. J’inventai une sorte de « compas climatologique » empirique, qui facilitait sur tous les plans le repérage des secteurs potentiellement chauds à protéger et des espaces naturellement frais à privilégier. L’agencement des ouvertures des pièces en vis-à-vis et la disposition transversale des vastes salles de laboratoire, ouvrantes sur leurs côtés opposés, facilitèrent une ventilation croisée naturelle. Le matin, il était agréable de pouvoir ouvrir librement fenêtres et baies, afin de laisser circuler l’air frais. Ce que permettait aussi, et ce n’est pas courant, l’auditorium équipé d’un balcon intérieur sur son pourtour avec fenêtres coulissantes et système de persiennes automatisées (illumination et ventilation naturelles). En complément du système d’air conditionné, des ventilateurs plafonniers furent installés dans chaque pièce et chaque laboratoire.

 

Vécu et lieu au coeur de l’« éco-culture »

L’homme et ses accommodations pragmatiques se retrouvent au coeur du système bioclimatique et non pas une machinerie contraignante aussi sophistiquée et performante soit-elle idéalisée. À l’usage, les chercheurs utilisent de préférence les ventilateurs en laissant grandes ouvertes les portes et fenêtres. Plaisir de ne pas être confinés, de profiter des larges balcons-galeries et de la forêt native… Quand la température extérieure devient insupportable, ils optimisent d’eux-mêmes l’air conditionné en conjonction avec les ventilateurs tant pour un meilleur confort que pour baisser la puissance de refroidissement. Les galeries ombrantes qui flanquent chaque édifice sont reliées par une « garden gallery » qui permet, les jours de pluie, de se rendre à l’abri d’une extrémité à l’autre du centre de recherche. Aucun détail ne fut gratuit ; convivialité et fonctionnalité se répondent comme imaginées. Même les jaillissements des deux fontaines en corolles inversées avaient un but supplémentaire : programmées, elles annoncent les heures d’embauche et les moments tant attendus des repas — clepsydres géantes de l’espace-temps. Avoir conservé la forêt native et construit « autour » d’elle, non seulement participa au bioclimatisme recherché mais conférait au complexe scientifique une sorte de « vécu » très particulier : dès son achèvement, son architecture éco-culturelle semblait appartenir au lieu depuis toujours…

L’année de son inauguration, le projet reçut le   Prix d’excellence 2011 des projets d’investissement national chinois » décerné par la Commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC). Il est le premier centre de recherche scientifique de l’Académie des sciences de Chine à avoir reçu cette haute distinction