Regards croisés sur les sciences participatives : l’exemple de l’observatoire des papillons des jardins
Étude
Les sciences citoyennes, plutôt "sciences" ou plutôt "citoyennes" ?
Interview de Benoît FONTAINE
<< J'appelle ça de la science citoyenne ou de la science participative, et parfois les spécialistes de ces questions hurlent en m'entendant dire cela >>.
L’observation citoyenne de l’environnement s’est beaucoup développée au cours des dernières décennies. Dans le domaine de la biodiversité, le mouvement s’est particulièrement épanoui dès la fin des années 1980, avec l’émergence des premiers programmes de sciences participatives. Le principe, qui consiste à mobiliser des volontaires afin de fournir des données d’observation aux scientifiques, a d’abord impliqué des spécialistes et des passionnés. Puis, à partir du milieu des années 2000, le processus s’est démocratisé afin de permettre la participation d’un public beaucoup plus large. Né en 2006, l’Observatoire des papillons des jardins mobilise aujourd’hui plus de 2000 citoyens bénévoles. Il est le plus ancien programme national de science citoyenne en matière de biodiversité en France. Véronique Brondeau, chargée de l’animation du programme au sein de l’ONG Noé Conservation, et Benoît Fontaine, chargé du volet scientifique du programme au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, nous livrent chacun leur point de vue sur cette expérience.
Benoît Fontaine, on parle de « sciences citoyennes », « sciences participatives » ou encore « collaboratives » : quel est le terme que vous utilisez pour définir l’Observatoire de la Biodiversité des jardins ?
Nous utilisons un peu indifféremment tous ces termes. Il y a eu énormément de littérature sur le sujet, avec des gens qui s’empoignent pour savoir si c’est de la science citoyenne, de la science participative ou autre chose. Mais pour le coup, ce sont davantage des questions de sciences sociales, et ce n’est pas tout à fait mon domaine. Ma façon de voir la chose est assez simple : nous avons un programme de recherche et nous voulons répondre à des questions de recherche pour lesquelles une des solutions consiste à faire appel à des observateurs volontaires qui vont collecter des données, en suivant un protocole qu’on leur propose. Et la force de ce dispositif réside dans le nombre de personnes qui vont participer. Il n’y a d’ailleurs pas forcément besoin de milliers de personnes. Selon la question posée, quelques centaines de personnes suffisent. Mais dans tous les cas, on n’aurait pas les moyens de faire ces observations nous-mêmes. Evidemment, lorsqu’il s’agit d’observer des papillons communs à l’échelle nationale, au Muséum nous ne pouvons pas faire les observations nous même ! Nous avons donc besoin d’observateurs. Et la solution que nous avons choisi consiste à faire appel à des volontaires.
Après, beaucoup de gens ont réfléchi à comment devraient s’appeler ces types de sciences. Il y a une gradation dans les sciences faisant appel à des volontaires. Avec, en gros, le cas où les citoyens participent mais sont juste des thermomètres qui servent à mesurer quelque chose ; ils sont exclus de tout le processus scientifique de formulation des questions de recherche, de conception des protocoles, et en aval d’analyse des données et de publication des résultats. A l’autre bout du spectre, vous avez le cas où les citoyens sont impliqués dans toutes les étapes, de la conception des questions de recherche jusqu’à la diffusion des résultats. Nous nous situons plutôt dans le premier cas, c’est à dire que nos observateurs sont principalement là pour fournir des données. Evidemment, on ne peut pas les considérer juste comme des thermomètres. Nous sommes donc à l’écoute de leurs questions. On leur restitue les résultats, on essaie parfois des les associer en amont… Par exemple, nous avons construit un programme de science expérimental pour lequel nous les avons consulté afin de savoir à quelles questions ils voudraient répondre, et nous avons construit le programme en fonction de ces questions. Mais généralement, la construction des protocoles, l’analyse et la publication des résultats, c’est nous qui le faisons.
Donc voilà : j’appelle ça de la science citoyenne ou de la science participative, et parfois les spécialistes de ces questions hurlent en m’entendant dire cela. Mais bon : ce n’est pas tellement cet aspect là qui m’intéresse.
Lorsqu’il est apparu au milieu des années 2000, quel était la particularité de l’OBJ par rapport aux autres démarches de Vigie Nature ?
C’était la première fois qu’on faisait un programme de sciences participatives grand public en France, à grande échelle, lié à la biodiversité. C’était vraiment pionnier. Il y avait déjà des programmes de sciences participatives, c’est à dire faisant appel à des volontaires, mais c’étaient des spécialistes d’un groupe : par exemple des bagueurs d’oiseaux qui collectent des données de façon bénévole et qui envoient leurs données au Muséum. Mais bon, là ce sont des ultra spécialistes qui sont formés au baguage d’oiseaux.
La plus value consistait donc à impliquer des non spécialistes…
La différence consiste effectivement ici à faire appel au grand public, ce qui présente des avantages et des inconvénients. L’ inconvénient, c’est que les gens en question ne sont pas des spécialistes, donc on ne peut pas leur demander la même chose qu’à des gens qui connaissent bien les papillons, par exemple. Souvent ils n’ont pas de culture scientifique, et suivre un protocole n’est pas quelques chose d’évident. On est donc obligé de concevoir des protocoles qui sont adaptés à ce public, qui ne soient pas trop contraignants, qui ne demandent pas des compétences de naturalistes, etc. Mais l’énorme avantage, c’est qu’on touche beaucoup plus de gens, et du coup on collecte énormément de données.
Vous vous êtes inspiré, à l’époque, d’exemples à l’étranger ?
Oui, les pionniers pour ça, ce sont les anglo-saxons – en particulier les anglais qui ont des programmes sur les suivis de papillons depuis les années 1970. Il y a aussi des initiatives aux Etats-Unis et ailleurs en Europe. On n’est pas les seuls à faire ça. Mais cela dit, quand je vais présenter notre programme de suivi de papillons des jardins dans les conférences de chercheurs, en général le gens des autres pays sont assez admiratifs. Parce que ce qu’on a fait est assez exemplaire : mobiliser autant de gens, collecter autant de données, permettant de répondre à des questions pas évidentes… Par exemple, l’impact des pesticides utilisés par les jardiniers amateurs dans leurs jardins, c’est une question très difficile parce que, avec des méthodes traditionnelles, on peut aller dans un jardin mesurer l’impact des pesticides sur tel ou tel élément de la biodiversité. On peut le faire dans deux ou trois jardins, mais pas plus. Il n’y a que les propriétaires des jardins qui peuvent accéder aux jardins privés. Les chercheurs ne peuvent pas y accéder dans toute la France. Là, on a accès à ce qui se passe dans les jardins, en termes d’utilisation de pesticides et de biodiversité, et on peut relier les deux. Mis à part la science participative, il n’y a pas d’autres moyens de le faire.
En deux mots, quelle est la particularité du programme français, par rapport aux autres ?
Nous nous sommes inspirés de programmes qui existaient, mais la première particularité de ce programme c’est qu’il est réalisé dans un pays latin, ce qui n’est pas évident. Les latins n’ont pas la fibre naturaliste comme les anglo-saxons. Et puis ce qui existait déjà sur des oiseaux ou des papillons, en général, cela consistait en un découpage qui se faisait une fois par an. Aux Etats-Unis, par exemple, il y a un programme qui s’appelle le Christmas Bird Count. C’est un programme grand public qui fonctionne depuis longtemps. Mais nous on ne fait pas ça juste une fois par an : c’est vraiment pendant toute la saison, de mars à octobre.
Après dix ans, quel est aujourd’hui votre regard sur la dynamique des sciences citoyennes en France ?
Il y a eu un effet de nouveauté au début, qui a fait que ça a démarré en fanfare. Et là, on a plus de mal à recruter de nouveaux observateurs qu’au début, pour deux raisons sans doute : d’une part parce que les gens les plus motivés ont déjà été captés ; et d’autre par parce que, comme on fait appel au grand public, on est très dépendants du fait qu’on parle de nos programmes, qu’ils soient connus. Si le grand public ne sait pas que ça existe, évidemment, il ne va pas participer. Et donc, on a besoin de la presse – et des médias en général. Or les médias en ont beaucoup parlé au début, mais maintenant c’est du réchauffé. Ils en parlent moins, donc on touche moins de gens. Alors on essaie d’autres supports, des réseaux sociaux ou autres… mais on n’a pas encore trouvé la recette miracle pour augmenter le nombre de participants.
Est-ce que la multiplication des programmes n’explique pas aussi une certaine dispersion du public ?
C’est en effet une question qu’on se pose. Mais ce n’est pas évident. Il y a des gens qui participent à plusieurs programmes, on le voit au sein de l’OBJ. Il y a des gens qui ne font que les papillons, d’autres qui font papillons et bourdons, d’autres ne font que les escargots… S’ils sont motivés par un programme, ce n’est pas parce qu’on va leur proposer un autre programme qu’ils vont abandonner le premier. Soit ils font le deuxième, soit ils ne le font pas, on ne fait qu’augmenter l’offre. C’est un peu comme un supermarché où il y a 15 sortes de yaourts, les gens ne vont pas manger moins de yaourts parce qu’il y en a 15 sortes. Ils vont peut-être se disperser, mais comme globalement l’offre de science participative en matière de biodiversité est principalement chez nous (ndr : au Muséum), on sait qu’ils ne partent pas ailleurs faire autre chose.
Quels sont les facteurs de réussite, alors ?
Il faut que les observateurs en tirent quelque chose. C’est très important. On essaie d’y travailler. Un autre facteur très important, difficile à obtenir, c’est une dynamique de groupe parmi les observateurs afin qu’ils s’approprient l’observatoire, avec l’impression de faire partie d’une communauté. Quand on obtient ça, alors c’est parti : ça marche !
On a un exemple de ce style avec l’un de nos observatoires qui s’appelle Spipoll. Là, les gens qui fournissent des données ne sont pas des entomologistes, ce sont plutôt des photographes. Mais ils sont complètement pris par le programme : ils font des rencontres Spipoll, des apéros Spipoll, ils sont vraiment à fond dedans. Il y a tout un buzz autour du site web où les gens commentent les photos, modifient les identifications qui sont faites, etc. Il y a tout une communauté qui vit autour de ce programme. C’est sans doute lié au support photo.
Ce sont donc plutôt des photographes ?
C’est une communauté de spipolliens, de gens qui font de la photo d’insectes. Leur entrée dans ce programme, c’est probablement plus la photo, en effet.
Est-ce que, dans ce cas, il peut y avoir une relative autonomisation du réseau ? L’animation est directement prise en charge par la communauté ?
Dans ce cas-là, oui. Il y a une animation, mais de nombreuses activités se font sans intervention de l’animateur. Il y a toujours un animateur afin de surveiller que tout se passe bien, qui répond à des questions, etc. Mais finalement, le programme fonctionne en partie sans lui.
Parmi les facteurs de mobilisation, la dimension emblématique de l’objet d’observation semble également primordiale, non ?
Oui, c’est le premier critère de sélection des programmes. C’est la première chose qu’on prend en compte avant de lancer ce genre de programme. Il y aurait sûrement des choses passionnantes à faire sur les araignées ou sur les cloportes, mais on n’essaie même pas. C’est évident que pour le grand public, il faut avoir des groupes suffisamment sympathiques aux yeux des gens pour qu’ils aient envie de faire des choses avec.
Est-ce qu’une clé du succès n’est pas aussi le difficile équilibre à trouver dans le protocole, qui doit être à la fois précis mais pas trop rédhibitoire ?
On essaie de trouver un bon équilibre, en effet. Je ne sais pas si on y parvient. Je ne sais pas si le fait qu’on ait plus de mal à recruter des observateurs est lié à cet équilibre. Mais il faut surtout que les gens en tirent quelque chose, et ce qu’ils en tirent c’est notamment d’apprendre, de progresser. Et puis de notre côté, nous sommes est obligés d’avoir quelque chose d’un peu standardisé, c’est très important. Ça ne veut pas forcément dire un protocole très lourd, mais il faut que les données soient comparables, d’un endroit à l’autre ou d’un moment à l’autre. C’est quelque chose de très important pour nous en termes de cahier des charges.
Justement, parlons du protocole. En quelques mots, comment fonctionne-t-il ? Que demandez-vous aux participants ?
Nous leur demandons d’abord de localiser et décrire leur jardin, en termes de présence ou absence de certains éléments : pelouses, haies, graviers, plantes, etc. Et puis ils nous donnent une estimation assez grossière de leur utilisation de pesticides. Nous leur demandons pour plusieurs classes de pesticides s’ils les utilisent jamais, parfois ou souvent. On obtient ainsi un ensemble d’éléments qui nous permettent de savoir à quoi ressemble le jardin. Ensuite, une fois par mois, ils vont noter le nombre maximal de papillons qu’ils ont vu dans un groupe de 28 espèces ou groupes d’espèces, que nous avons choisi parce qu’ils sont présents dans toute la France, faciles à reconnaître, et relativement communs – en tout cas ce sont des papillons qu’on a des chances de trouver dans un jardin. Pour chacun de ces groupes, à la fin du mois, les observateurs vont nous dire s’ils en ont vu ensemble 2, 4, 5… Si par exemple un jour ils ont vu 2 machaons, le lendemain 3 et le surlendemain 4, alors à la fin du mois ils vont en signaler 4. On ne fait pas la somme.
Ensuite, ce sont les observateurs qui saisissent les données ?
Oui. Ce sont eux qui saisissent.
Une fois collectées, comment utilisez-vous les données ? Vous les traitez tous les mois ?
Non, pas tous les mois. On fait un bilan en fin d’année. On regarde les tendances pluriannuelles des différentes espèces et groupes d’espèces, pour voir si les effectifs ont monté ou sont descendus. Nous faisons également des analyses plus ponctuelles sur telle ou telle caractéristique du paysage des jardins sur les papillons, par exemple. A terme, l’idée est d’avoir des données qui permettent de répondre à des enjeux de recherche ; donc, quand un chercheur qui travaille sur un sujet est disponible, il peut venir travailler sur ces données recueillies sur plusieurs années.
Donc vous recueillez les données, vous en faites un traitement, et vous les mettez aussi à disposition d’autres chercheurs ?
Oui, les données sont à disposition des chercheurs, c’est le but. Et nous aussi on travaille dessus, évidemment.
A propos de ce travail récurrent, justement : comment faites-vous ? Vous avez une multitude d’observations très hétérogènes, est-ce que cela suppose des redressements statistiques, par exemple ?
La fiabilité des analyses que l’on peut faire repose sur la loi des grands nombres. Nous avons vraiment des millions de données, donc s’il y a des erreurs dans un sens ou dans un autre, on fait l’hypothèse qu’elles sont gommées. Et cette hypothèse est corroborée par le fait que, lorsqu’on regarde les données que l’on connaît déjà, cela correspond exactement à ce à quoi on s’attend. Par exemple, le rythme d’émergence des papillons, la phénologie (le fait que certains papillons ne soient présents qu’au printemps, d’autres en été ; le fait que certains ne vont avoir qu’une seule génération par an, d’autres plusieurs générations, plusieurs pics…) tout cela, ce sont des choses qui sont connues par les entomologues. Et quand on regarde les données, on voit exactement ce à quoi on s’attend. Cela valide la qualité des données. Nous calculons également les tendances pluriannuelles, pour voir si telle espèce est plutôt en accroissement ou en déclin, ou s’il y a de bonnes années ou de mauvaises années. On obtient des graphs qui montrent année après année un indice d’abondance. Et quand on compare les graphs obtenus avec l’OPJ et ceux obtenus avec le STERF, qui est un suivi des papillons réalisé par des spécialistes, c’est très similaire. Ce n’est pas exactement pareil, mais c’est très similaire. Tout ça pour dire que ces données ne permettent pas de répondre à tout, mais nous sommes très confiants quant à leur fiabilité.
Evidemment, on doit tenir compte de certains biais. Par exemple, la répartition des jardins suit de très près la carte de la population humaine en France. Autrement dit, on a beaucoup de jardins suivis dans les zones peuplées, et très peu de jardins dans la Creuse et en Corse, ce qui n’est pas surprenant. Quand on fait des statistiques en utilisant ces données, on tient compte de ces effets. Par exemple on tient compte de l’auto-corrélation spatiale, c’est à dire le fait que les jardins proches vont délivrer des messages proches, parce qu’ils ont des conditions climatiques et d’urbanisation similaires. On essaie de tenir compte autant que possible de ces biais.
A ce propos, un aspect de la démarche concerne la sensibilisation des participants, afin qu’ils favorisent la biodiversité dans leurs jardins. Mais est-ce que cela ne peut pas créer un biais d’observation, puisque les jardins observés sont plus « accueillants » que la moyenne ?
Oui, c’est une question que nous avons déjà appréhendée. On a du mal à le mesurer, mais c’est sûr que les gens qui participent à ces programmes, en moyenne, ce sont des gens plus sensibles aux questions d’environnement. On a sans doute un échantillon qui est un peu biaisé vers le haut. On le voit d’autant plus que, quand on pose les questions sur l’utilisation des pesticides, on a seulement 1 à 5% des gens qui disent en utiliser souvent, ce qui n’est sans doute pas représentatif de la réalité. Il n’y a pas de raisons qu’ils mentent. Mais si on prenait un échantillon représentatif de toute la population, je pense qu’on n’aurait pas la même proportion.
C’est une déformation que vous n’arrivez pas à intégrer, du coup…
En fait, on manque de points de comparaison, puisque, par définition, on n’a pas d’information concernant les gens qui ne veulent pas participer…
Est-ce que, parmi les données transmises, toutes sont utilisables ? Est-ce que vous avez des déchets ?
Oui, il y a une petite part de déchet. Il y a des choses qui sont évidentes à filtrer. Par exemple, on fait des filtres sur les nombres de papillons groupés ; c’est à dire que si quelqu’un nous dit qu’il a vu 90 papillons dans son jardin, on se doute que c’est un peu bizarre… surtout si dans les jardins proches on en compte 4 ou 5. Ça, on arrive assez facilement à le filtrer. On a aussi quelques filtres sur les périodes d’apparition des espèces. Par exemple un papillon comme l’aurores, s’il est signalé en septembre, on sait que c’est faux. Mais ces problèmes ne sont pas tellement gênants, compte tenu du nombre de participants, parce que ce qui nous intéresse ce n’est pas de savoir s’il y a des aurores en septembre ou pas (on le sait déjà) ; ce qui nous intéresse c’est de faire des comparaisons dans le temps et dans l’espace. Savoir s’il y a plus de papillons cette année que l’année dernière, et s’il y en a moins à la campagne, etc. Et il n’y a pas de raisons pour que le taux d’erreur change d’une année sur l’autre. Si les données disent qu’il y a plus de papillons, il y a des erreurs de toutes les façons : donc cela traduit bien une réalité. Ce qui nous intéresse, c’est vraiment de comparer des séries de données qui ont été collectées de la même façon (donc avec les mêmes erreurs, sans doute) en suivant le même protocole. On est vraiment dans le relatif, pas dans l’absolu. Si on veut faire de l’absolu, c’est à dire faire une carte de présence de telle espèce, ou connaître sa phénologie, alors l’OPJ ne convient pas.
Est-ce qu’il y a un échantillon minimum d’observateurs pour pouvoir continuer l’expérience ? Un seuil au-dessous duquel il ne faudrait pas descendre ?
Oui. Là nous avons à peu près à 2000 participants en 2013, ce qui est déjà énorme. On pourrait donc en avoir moins, même si évidemment on cherche à en avoir plus ! Après, tout dépend des questions que l’on se pose. On a fait une manipulation sur les oiseaux à la mangeoire : on a eu 100 participants et c’était suffisant pour répondre à la question qu’on se posait. Maintenant, plus on aura de participants et plus on sera contents. On essaie donc de motiver les gens pour avoir le plus de participants possible, parce que la fiabilité de nos données réside en partie dans le nombre.
Est-ce que cela signifie que, plus il y a de participants, moins on peut être regardant sur la qualité des données recueillies ?
Oui, tout à fait. Alors bon, il faut quand même un minimum de qualité des données. Mais s’il y a beaucoup de participants et beaucoup de données, on peut se permettre d’avoir une petite marge d’erreur, parce que globalement on peut se dire que ça va être gommé : il y aura autant d’erreurs positives que négatives. Si on a très peu de données, cela peut se voir davantage… Nous, on essaie d’optimiser les paramètres : avoir plus de données, de meilleure qualité et plus représentatives. Et pour l’instant, on y arrive assez bien.
Précisément, dites-nous en plus sur la validité scientifique des données produites. Parce que, vu de l’extérieur, on peut s’interroger sur la valeur scientifique de ces données…
Tous ces programmes visent à mesurer l’état de santé de la biodiversité, et comprendre quels sont les paramètres environnementaux qui influencent ces espèces communes. Nous essayons donc de mesurer l’impact de l’urbanisation, de l’agriculture, du paysage, du réchauffement climatique, etc. C’est vraiment pour cela qu’ils sont conçus, ces observatoires.
Avez-vous des résultats inattendus, des surprises ?
On commence à comprendre avec ces données que ce qui se passe dans le jardin est très déterminant dans l’observation – c’est à dire les papillons qui vont vivre dans le jardin. Et ce, même si l’environnement extérieur est très peu accueillant. C’est à dire que, même si on est au cœur de la ville, si on a une façon de jardiner respectueuse de la culture des papillons, cela va marcher : on va avoir un effet positif sur les papillons. Ils vont pouvoir vivre dans le jardin. C’était assez inattendu, d’autant que les papillons qui vont le plus bénéficier des bonnes pratiques sont ceux qui vont le plus souffrir de la dégradation de l’environnement à grande échelle, notamment de l’urbanisation. Un papillon qui va vraiment avoir du mal à pénétrer dans les villes, si on fait les choses bien dans le jardin, dans une certaine mesure il va pouvoir supporter l’effet de la ville. C’est un message important à diffuser auprès des jardiniers : ce que vous faites dans votre jardin a de l’effet ! Même si vous êtes dans un environnement peu accueillant. Certes, vous n’aurez jamais autant de papillons que si vous êtes en pleine campagne, mais vous pouvez quand même avoir un effet.
Est-ce qu’il peut arriver que certaines questions scientifiques émergent suite à ces programmes, donnant lieu à d’autres études complémentaires ?
Je n’ai pas d’exemple en tête, mais pourquoi pas…
Ces résultats scientifiques sont-ils valorisés auprès du public, notamment auprès des participants ?
Oui, bien sûr. C’est très important.
A travers quels médias ? le site Internet ?
Oui, il y a le site, mais il y a aussi les bulletins d’information. Mais là, c’est vraiment Noé qui est en charge de cela : ils diffusent une lettre d’information. Sachant que ce n’est pas toujours facile : le temps de la recherche est toujours beaucoup plus lent que celui de l’info mensuelle. On est donc parfois plus dans l’anecdote. Mais c’est important de cultiver ce lien… même si ce n’est pas la partie la plus facile.
Pour terminer, une question plus générale : On a parfois l’impression que le volet sensibilisation des participants est au moins aussi important que le volet scientifique… quel est selon vous l’objectif prioritaire ?
La première raison d’être de ces programmes, c’est de faire de la recherche. S’ils ne permettaient pas de collecter des données pour répondre à des questions de recherche, ces programmes n’existeraient pas. Après, si cela permet de faire de la sensibilisation, c’est très bien. En tant que citoyen, en tant que personne sensible aux questions environnementales, je suis très content que cela permette la sensibilisation. Mais le but premier, ce n’est pas ça.
Après, la vision de Noé est un peu différente : leur « fond de commerce » c’est l’éducation à l’environnement, donc pour eux c’est important. Ils le voient sous cet angle.
C’est aussi important pour vous d’avoir une animation qui permet de mobiliser des gens et obtenir plus de données…
Oui, bien sûr. Mais c’est plus un outil qu’une fin en soi. Enfin, c’est comme cela que je le vois… D’ailleurs, il y a certains programmes que nous avons lancé et que nous avons laissé tomber parce que, au niveau scientifique, on ne récoltait rien d’exploitable. Donc on a abandonné, parce que c’est vraiment le plus important pour nous.
Au-delà justement du volet sensibilisation, quel peut-être à votre avis l’intérêt pour une collectivité de s’engager dans une telle démarche ?
Au Muséum, il y a des programmes de suivi qui sont dédiés aux gestionnaires de l’espace – que ce soient les gestionnaires d’espaces verts ou des agriculteurs – et dans ce cas le but est de collecter des données, de comprendre l’impact des pratiques sur la biodiversité. Mais cela permet aussi de développer des outils de visualisation de l’impact qui permettent alors aux personnes en charge de ces espaces de savoir comment la biodiversité se situe dans le paysage national. Ce qui permet éventuellement d’orienter les modes de gestion. Mais l’OPJ n’est pas fait pour ça.
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