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La villa Gillet dans le paysage lyonnais

Interview de GUY WALTER

<< L’institution n’académise pas l’art et la pensée, elle garantit au contraire l’existence d’un lieu public pour le débat >>.

Guy Walter,  Directeur de la Villa Gillet et des Subsistances, parle ici des origines et de l’orientation de la Villa Gillet, de la spécificité des débats organisés, du soutien des collectivités locales et son rôle sur la paysage lyonnais.

Propos recueillis pour le Cahiers Millénaire3 , n° 17 (1999), pp 34-35.

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Date : 15/02/1999

Pourriez-vous nous rappeler brièvement les origines et les orientations de travail de la Villa Gillet ?

La Villa Gillet a été créée à l’initiative du Conseil Régional Rhône-Alpes en 1988, sous l’impulsion de Jacques Oudot, alors vice-président chargé de la culture. Nous avons depuis la création une mission transdisciplinaire, relative aux savoirs contemporains sous toutes leurs formes. Nous traitons de littérature, de sciences humaines, d’art. L’idée est d’accepter la pensée contemporaine dans sa complexité, tout en organisant l’ouverture au public. L’hyper-spécialisation des sciences demande des lieux où l’on puisse passer d’un territoire à l’autre, par exemple, pour qu’un biologiste rencontre un juriste, qui lui-même va discuter avec un architecte, qui se frottera à un metteur en scène, tout cela sous l’œil participatif du public.

 

Comment concevez-vous votre travail ?

Mon rôle de directeur consiste à lire, réfléchir et essayer de deviner ce qui émerge. Si l'on veut éviter nominalisme, mondanité et effets de mode, le travail institutionnel dans le domaine de la pensée repose sur engagement de soi. C’est une forme de militantisme intellectuel. Je crois sincèrement que les idées jouent un rôle important dans la vie de la Cité, dans la construction de notre identité. C’est pour cela que je fais mon travail avec opiniâtreté. J’essaie de mettre au jour les grandes questions qui traversent aujourd’hui l’espace public. C’est sur elles que je m’appuie pour construire la programmation de la Villa.

 

Quelles sont les spécificités des débats qui y sont organisés ?

Nous cherchons à organiser une approche théorique et sensible des savoirs contemporains pour faire de la Villa Gillet un lieu de découverte. Il s’agit de saisir les tendances nouvelles de la pensée. Nous n’avons pas une approche patrimoniale mais culturelle des savoirs. Et nous ne sommes en rien un lieu de “doxa” ou d’autorité, mais un lieu d’échanges. A la Villa Gillet, les gens qui viennent parler s’engagent en leur nom. Ils prennent des risques et s’aventurent. La parole y est ouverte, contestable : nous conférons d’emblée au public une capacité critique. Nombreux sont ceux qui y ont redécouvert ou découvert leur aptitude au débat. Je crois qu’il faut savoir s’inscrire dans la durée du débat. Il y a un temps spécifique à la parole qui n’est pas celui de la lecture par exemple. La Villa Gillet s’accorde à ce temps là.

 

Y-a-t-il selon vous un nouveau secteur d’intervention qui se dessine autour de la vie intellectuelle, comme on a vu celui de la vie culturelle se former depuis les années 1960-70 ?

La Villa Gillet a certainement joué un rôle précurseur. En effet, on voit fleurir avec des fortunes et des ambitions diverses une multitude de forums. Cela va des cafés philosophiques à des manifestations organisées par des quartiers ou des villes. Il y a un lieu commun politique qui consiste à dire que le débat est fondamental pour la démocratie, sans que ce discours ne soit pourtant suivi d’effets.
Toutefois, j’ai l’impression que l’on commence à inscrire la pensée au cœur de la Cité. Mais ce sont souvent des activités festivalières ; or je crois au travail dans la continuité. La tendance à mettre en spectacle le débat, à le retraiter dans un objectif de communication politique est parfois trop grande. La Villa Gillet est un lieu de résistance à la marchandisation des idées.

 

Quel peut être l’intérêt des collectivités locales à vous soutenir ?

Si l’on est soucieux du lien, convaincu que la vie politique se fait dans l’échange, que le rapport à l’autre est le garant de la démocratie, qu’il faut réfléchir et penser nos formes de vie, alors il est nécessaire de s’intéresser à des expériences comme les nôtres. La vie intellectuelle apparaît toujours dangereuse au pouvoir politique. La vraie pugnace. C’est d’ailleurs pour cela que les pouvoirs totalitaires la combattent.
Mais je crois que l’existence de la Villa Gillet témoigne d’un choix politique qui fait sens : celui d’accorder cette place, cette liberté de parole-là, dans la Cité. Nous avons toujours eu une liberté de programmation totale. Une collectivité locale qui se dote d’une institution comme la nôtre fait preuve de courage et d’authenticité. Nous voulons faire de la parole un acte. La communauté des hommes ne se fait que sur un agir commun. La Villa Gillet est tout simplement un lieu d’expression et de formation de cet agir commun, un lieu de liberté en d’autres termes. On a trop tendance à penser que les idées relèvent de l’intimité, or elles ont besoin d’une institution. L’institution n’académise pas l’art et la pensée, elle garantit au contraire l’existence d’un lieu public pour le débat.

 

Quel changement la Villa Gillet a-t-elle apporté au paysage lyonnais ?

Je ne suis pas lyonnais, mais lorsque je suis arrivé, on m’a mis en garde sur l’esprit de cette ville, qui serait réactionnaire, hostile aux idées. Bon. Cela m’intéresse peu de savoir si c’est vrai. Ce que je peux dire, c’est que j’y ai trouvé de vraies énergies. Les responsables politiques eux-mêmes se font une idée surannée, un peu académique de leur ville, dont les habitants sont beaucoup plus libres qu’ils ne le pensent. En plus de dix années d’existence, nous avons pu faire la preuve de notre légitimité. Et on constate aujourd’hui de la part des collectivités locales un mouvement de réappropriation de notre travail, au meilleur sens du terme.
Cela leur a simplement pris un peu de temps pour mesurer l’importance et le rayonnement de la Villa Gillet.