D'une part, il y a cette prise en compte d'un monde qui est paralysé, mais de façon très inégale. Nous nous sommes arrêtés, mais nous sommes extrêmement aidés par des pouvoirs publics, nationaux ou locaux. Personne en France ne peut dire qu'il n'y a pas eu de soutien de la culture, ou d'ailleurs de l’activité en général. En Russie, en Afrique, au Chili, ce n'est pas le cas du tout. Ceux qui vivent ou tentent de vivre de leur art, comment font-ils ? Ils n’ont pas d'indemnités, pas accès à des soins gratuits. Les artistes n'ont évidemment pas eu la possibilité de jouer, et donc de montrer ce qu’ils faisaient. Ils n’ont pas pu répéter ensemble sur un plateau, ils ont répété par Zoom, en restant chacun dans leur appartement.
Dans ce cas-là, parler de l'international, c'est prendre en compte les difficultés tellement plus fortes de nos confrères, qui sont dans des pays où tout est plus difficile, économiquement, sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan politique. Sens Interdits s'est toujours positionné sur cet aspect d’ouverture, d’observation du monde, sur le fait que l’on ne donne pas de leçons, mais que l’on regarde, que l’on confronte, parce que nous avons autant à apprendre des autres, qu'ils ont à vérifier auprès de nous pour savoir si, par hasard, ce que nous faisons ne serait pas, peut-être, utile pour comprendre mieux la situation chez eux. Bref, on est dans l'échange.
On se heurte alors évidemment aux arguments qui ne vont pas manquer d'arriver : « Est-ce que c'est bien le moment de faire venir des artistes de l’autre bout du monde, dans ce contexte écologique ? À un moment où la planète brûle, est-ce que c’est bien la peine de nous parler du problème de l'exil ? » Tout le monde connaît cette question, oui, d'accord, mais peut-être pas assez profondément. Ce qui est important, c'est de voir la façon dont, nous, nous tentons de nous protéger, ou du moins comment opèrent les organismes qui sont chargés de le faire en notre nom. Peut-être ne sommes-nous pas tout à fait d'accord si nous voyons vraiment ce qui se passe.
Nous avons des spectacles qui parlent de cela. Il est absolument important de voir le cheminement de ce qui arrive, et les difficultés concrètes : comment je m'insère dans un pays qui ne veut pas de moi, comment je perds mon identité, comment j'essaie de la retrouver, qu'est-ce que je serai par rapport à mes enfants qui, eux, auront obligation de devenir ce que l'on doit être si l'on veut être reconnu et toléré dans un pays, etc. Tout cela, on le sait, c'est déjà traité, d'accord, mais là c'est traité de façon différente, avec des formes théâtrales différentes, avec des regards différents, dans des langues différentes qui atténuent ou exacerbent certaines choses. C'est cette confrontation-là qui nourrit et rend crédibles, utiles et indispensables, non pas des discours, mais certains angles que l'on ne voit pas. Je crois que les esprits des jeunes gens ne peuvent être formés que si on leur montre la diversité des points de vue. Cela, j’y crois vraiment. C'est une obligation qui devrait être tous les jours dans le système éducatif.