IA : L’intelligence artificielle, peut-on dompter l’inconnu ?
L'impact de l’IA dépasse largement le périmètre de l’innovation technologique et prend désormais part à des choix politiques, sans que les citoyens aient leur mot à dire...
Interview de Rachel Maguire
<< nous avons proposé le principe d'un avenir dans lequel les gens s'associent à des machines pour améliorer les conditions de la vie quotidienne, en tirant parti de ces forces mutuelles riches en possibilités >>.
Rachel Maguire est directrice de recherche à l'Institute for the Future, à Palo Alto (Californie). Bien que ses travaux se focalisent sur les enjeux de politiques en matière de soins et de santé, son travail prospectif déborde de ce cadre en abordant les questions technologiques, démographiques et économiques de la société actuelle.
Elle décrit ici les implications de l'IA dans ce secteur, en prenant des exemples concrets d'innovations pertinentes.
Vous avez récemment travaillé sur la notion de "human-machine partnerships", qu'est-ce que ce terme recouvre de votre point de vue ?
Ce terme, titre d'un rapport que nous avons produit il y a deux ans[1], concernait l'évolution des interactions humains-machines, en écho aux discours sur l'évolution du monde du travail. Des chercheurs et des analystes tels que Brynjolfsson, McAfee [2] et Frey [3] décrivaient la façon dont les technologies numériques pourraient remplacer des catégories d'emplois humains, et les débats dans les médias abordaient de plus en plus la question du chômage technologique. Nous estimions que ces sujets étaient (et sont toujours) importants, mais nous pensions aussi qu'il y avait beaucoup plus à dire sur l'avenir du travail. Nous voulions explorer l'évolution des relations entre les humains et les technologies, en particulier grâce aux techniques de l'IA, et anticiper ce que cela pourrait signifier pour nos façons de travailler.
L'hypothèse principale dans notre travail est que les capacités sophistiquées des technologies émergentes d'aujourd'hui vont autoriser, et stimuler, un nouveau palier de collaboration homme-machine, et donc une forme de codépendance entre les deux. Nous avons utilisé ce terme de "partenariat" pour souligner l'idée de capacités spécifiques des machines et des humains, qui pourraient être complémentaires et combinables. Et nous avons proposé le principe d'un avenir dans lequel les gens s'associent à des machines pour améliorer les conditions de la vie quotidienne, en tirant parti de ces forces mutuelles riches en possibilités.
Plus spécifiquement, ces partenariats humain-machine ont le potentiel de permettre aux gens de trouver de l'information et d'agir en fonction de celle-ci sans interférence émotionnelle ou de préjugés externes, tout en exerçant leur jugement humain le cas échéant. Si nous apprenons à "faire équipe" avec des technologies intégrées aux outils d'apprentissage-machine, nous pouvons imaginer un avenir dans lequel cette collaboration aider à fournir les ressources et les savoirs dont nous avons besoin pour gérer notre vie quotidienne.
Sur la base de votre étude, quels genres de "nouveaux partenariats humain-machine" pourraient émerger grâce aux techniques d'IA ? Au-delà de ce discours général, quels exemples illustrent ces collaborations ?
Pour prendre un domaine précis, il y a actuellement beaucoup d'expérimentations intéressantes en IA dans le secteur des ressources humaines (RH), notamment autour du recrutement, et de la rétention de talents. Passons en revue quelques exemples actuels. La start-up Eightfold et sa plateforme Enterprise Talent Intelligence Platform est un cas intéressant, elle vise à améliorer la capacité de gestion de talents humains, à évaluer des compétences et des connaissances apparemment sans rapport, ainsi que des traits de personnalité et des intérêts pour déterminer si un individu est un bon candidat pour un poste vacant. Dans le même domaine, Knack est une autre jeune entreprise qui combine les jeux vidéo, les sciences du comportement et l'intelligence artificielle, pour découvrir des compétences et des capacités inconnues de l'individu et de l'employeur. Leur équipe de neuroscientifiques, de spécialistes du Big Data et d'autres spécialistes du comportement humain ont mis au point un jeu qui sert à découvrir des compétences et des capacités. Au fur et à mesure que les gens jouent, les techniques d'apprentissage automatique analysent les données générées par les joueurs pour analyser le comportement en arrière-plan. Les informations tirées de cette analyse peuvent ensuite aider les gens à trouver les emplois qui leur conviennent. Un autre cas actuel est WaitSuite, qui a été développé par des chercheurs du laboratoire d'informatique et d'intelligence artificielle du MIT. C'est un logiciel directement intégré dans les tâches existantes afin que les utilisateurs puissent apprendre toutes sortes de contenus, par exemple en attendant qu'un message WhatsApp apparaisse, sans avoir à quitter la plate-forme. Nous faisons l'hypothèse que de plus en plus de personnes s'efforceront d'apprendre pendant les périodes creuses de leur quotidien.
Qu'est-ce que cette ère de la collaboration humain-machine basée sur l'IA pourrait entrainer dans le domaine de la santé ?
Au-delà du secteur RH, la santé est un domaine dans lequel les gens peuvent tirer parti de ces nouveaux partenariats. De nouvelles collaborations et co-dépendances peuvent remodeler la façon dont les gens cherchent à améliorer leur santé et leur bien-être. Prenons quelques exemples de projets qui illustrent ces nouvelles possibilités.
Propeller Health est un excellent cas d'un nouveau partenariat homme-machine. Leur produit est un outil numérique conçu pour mesurer les symptômes d'insuffisance respiratoire, les facteurs déclencheurs et l'utilisation de l'inhalateur afin de réduire les crises et d'améliorer l'efficacité général du dispositif; puisque le logiciel analyse les données collectées et ajuste la manière de recourir à l'inhalateur. Une autre entreprise pertinente qui aide les patients est Doc.ai. Cette start-up construit un système de dialogue médical et des agents conversationnels intelligents pour aider les utilisateurs à comprendre leurs résultats sanguins et leurs rapports d'analyse génomique. Renforcer les liens entre les gens et les fournisseurs de soins est également une piste prometteuse grâce aux techniques d'IA : Heal est un service d'appel à domicile sur demande qui aide les patients à sélectionner et à demander à un médecin certifié de venir vous voir à la maison. De même, CrowdMed s'appuie sur le crowdsourcing et l'IA pour aider à identifier les paramètres de santé et les principales approches thérapeutiques à adopter pour telle ou telle pathologie. Les gens affichent leurs symptômes sur un problème de santé non traité et les participants, qu'ils appellent "détectives médicaux", s'efforcent de le résoudre en fonction de leur formation professionnelle et/ou de leur expérience personnelle.
Malgré de nombreuses approches prometteuses pour améliorer la santé, un certain nombre de défis demeurent. En premier lieu, les données médicales sont souvent des renseignements très personnels, donc la sécurisation et la protection des informations collectées sont primordiales. De plus, il y a le risque que les données générées par les outils numériques ne contribuent qu'à la surabondance d'informations déjà ressenties par les individus et les organisations. Il est essentiel de trouver des moyens plus simples de combiner les flux de données entre eux et de les relier aux expériences vécues dans le monde réel par les individus et les populations. C'est un problème que la recherche en médecine clinique et la santé publique commencent à aborder, en formant les gens à cet effet, mais c'est une compétence encore en devenir.
Pour continuer sur les difficultés, quelles limites des techniques d'IA avez-vous identifiées dans ces nouveaux partenariats humain-machines ?
Si l'on revient sur l'utilisation du machine learning dans le secteur des RH – par exemple pour améliorer le processus de mise en relation des personnes avec l'emploi le plus pertinent – on constate que c'est une opportunité relativement nouvelle. Bien que ce genre de système semble positif et pertinent pour promouvoir une embauche plus inclusive, il y a un certain nombre de risques à prendre en considération. Tout d'abord, nous devons remettre en question l'hypothèse selon laquelle les responsables RH savent qui constitue un employé idéal. Il se peut que de nombreuses organisations ne sachent pas vraiment quel type de personne et quels types de compétences sont vraiment nécessaires dans leur contexte. Pour produire des modèles robustes et de grande taille, il y aurait besoin de plus de données non seulement sur les embauches potentielles, mais aussi sur la performance des personnes embauchées dans le passé. Ces données, généralement, amélioreront les systèmes d'apprentissage machine et aideront à mettre au jour les préjugés et les pratiques d'embauche invisibles des organisations, mais elles sont difficiles à obtenir. Une autre limite claire et problématique dans ce domaine concerne le biais algorithmique et l'automatisation des inégalités dues à l'utilisation de jeux de données incomplets, inexacts ou biaisés pour informer les machines. Si ces limites concernent le secteur des RH, on les retrouve également dans d'autres domaines tels que celui de la santé.
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