Comment qualifier l’actuelle situation du logement en France et plus particulièrement dans notre agglomération ?
La situation du logement est tendue, c’est une évidence dont on ne mesure pourtant pas suffisamment la gravité. Le logement est un élément fondamental dans la vie des gens, mais aussi pour la vie collective et la qualité du vivre ensemble. Le logement est également au cœur des enjeux de mixité qui passe inévitablement par une diversité d’offres, publiques et privées. Cependant, notre défaut commun, aux élus et aux techniciens des collectivités locales et de l’Etat est de réfléchir à la question du logement à travers la focale trop exclusive du logement social. Or si celui-ci est d’une importance non négligeable, il faut se dire qu’il ne concerne que 20% de la population alors que les problèmes de logement concernent plutôt 80% de la population !
On raisonne trop souvent sur de vieux schémas de pensée qui consistent à séparer ce qui relève du privé et du public, le logement privé et le logement subventionné. Or, les deux sont non seulement profondément liés, mais indissociables. De plus, le logement privé peut également bénéficier d’aides publiques. Et dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, l’enjeu est certes de poursuivre la construction et la réhabilitation du logement social, mais aussi et surtout de se poser la question de comment agir pour loger tous les Grands Lyonnais, et notamment comment produire du logement abordable pour les ménages à revenus intermédiaires. Fatalement cet enjeu dépasse le logement social. Nous ne répondrons pas aux enjeux du logement en conduisant une politique centrée exclusivement sur l’habitat social même si celle-ci est particulièrement nécessaire et ambitieuse au Grand Lyon en termes de production et de mixité.
Comment définissez-vous le logement abordable ?
Le logement abordable est envisagé comme une solution pour réguler la hausse des prix de l’immobilier. Entre 2005 et 2011, les prix moyens ont augmenté de 28% dans le Grand Lyon passant de 2 800 €/m2 à 3 600 €/m2. Construire à un prix abordable, c’est construire un logement compris entre 2 800 €/m2 et 3 400 €/m2 selon le territoire concerné. L’objectif d’une offre abordable de logements privés en accession à la propriété est de permettre aux couples établis et aux ménages de la petite classe moyenne de trouver une solution qui leur corresponde. L’agglomération lyonnaise va devoir accueillir 150 000 nouveaux ménages d’ici 2030, qui pour 82% d’entre eux seront sous le plafond HLM. Aussi, les demandes déjà nombreuses, tant dans le logement social qu’en matière d’accession sociale à la propriété ou d’accès à un logement abordable, vont encore s’accroître avec le développement de l’agglomération. Car, certes, celui-ci produit de la richesse, de la valeur ajoutée et participe pleinement à l’enrichissement du territoire, mais il n’a pas forcément d’impact sur le niveau de revenu des salariés. Le revenu médian n’évolue pas dans le bon sens et l’on assiste à une massification de la petite classe moyenne. Et le taux d’effort pour le logement des revenus médians se détériore. L’effet d’entrainement est positif, mais la capacité à bien résoudre l’équation revenus / logement est de plus en plus difficile. D’où, l’importance de travailler sur une offre de logements abordables.
Aujourd’hui, tous les indicateurs sont au rouge, et il est fort probable que les ventes se réduisent. Or, il est dans l’intérêt des promoteurs et de la collectivité de maintenir un taux important de production de logements. La construction de logements abordables n’a pas de visée sociale à première vue, mais elle peut constituer un pacte entre la collectivité et les promoteurs pour maintenir un volume de construction. D’autant plus que la capacité à construire dans le Grand Lyon est énorme, un volume de plus de 50 000 logements d’ici 2020 est envisageable. Cette capacité est particulièrement intéressante pour la promotion immobilière. C’est donc avec les promoteurs que nous ouvrons ensemble cet important chantier sur le logement abordable dans le Grand Lyon. L’idée est de travailler à l’échelle des différents territoires de l’agglomération, d’établir une cartographie précise du logement et des dynamiques de développement de chaque secteur. Puis, en fonction des priorités, de définir des combinaisons possibles selon les territoires pour arriver à une production conséquente de logements en dessous de l’actuel prix moyen du marché.
Comment atteindre cet objectif notamment en situation de crise ?
Pour parvenir à cet objectif, différents leviers sont à activer et à croiser en fonction des différentes situations. Je pense à la TVA à 5.5%, désormais à 7%, appliquée dans certains territoires, au PSLA (Prêt Social Location Accession) qui permet à des ménages sous plafonds de ressources d’accéder à la propriété. Certes celui-ci n’est encore qu’un substitut théorique du PASS Foncier, dispositif qui a connu un vrai succès et qui s’est révélé être un véritable soutien des classes moyennes dans l’accès au logement, mais qui a été abandonné du fait de son coût élevé en terme de défiscalisation. Le PSLA, en tous cas dans l’agglomération lyonnaise, a pour le moment du mal à prendre la relève, d’une part parce que les montages sont compliqués et d’autre part parce que nous avons changé d’opérateur et que les bailleurs sociaux sont moins rodés à l’accession que les promoteurs dont c’est le métier.
Nous pourrions également imaginer une constructibilité supérieure aux règles du PLU en vigueur en contrepartie d’une production de logements abordables, développer les outils de maitrise foncière, ou encore moduler la taxe d’aménagement selon les secteurs et ceci dans le cadre de la révision générale du PLU-H (Plan Local d’Urbanisme – et de l’Habitat)
Nous connaissons ces leviers, il convient aujourd’hui de les mettre au service de cet objectif à partir d’une connaissance fine des territoires et de façon dynamique, en étudiant l’intérêt de les conjuguer, ou pas, selon les réalités locales.
Comment évaluez-vous les premiers effets du dispositif des SMS - Secteurs de Mixité Sociale ?
Le dispositif des SMS est une réelle progression qui a permis d’accroitre l’offre de logement social et de soutenir la production globale de logements dans les villes qui se sont engagées et en tout premier lieu à Lyon où il se révèle particulièrement intéressant également en termes de mixité. Cependant, ce dispositif ne concerne encore que 25 communes du Grand Lyon. De plus, l’objectif des SMS est aussi, d’une certaine façon et à moyen terme, de « calmer » les prix du foncier. Par ailleurs, la construction du dispositif a enfermé les SMS dans la logique d’imposer à la promotion privée un nombre de logements à dédier au secteur social.
Pour ma part j’aurais préféré que le dispositif soit plus large et plus variable ou adaptable selon les territoires. Peut-être qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer les SMS dans les quartiers qui concentrent déjà un nombre important de logements sociaux. Peut-être que dans ces contextes, c’est un autre produit qu’il faut proposer, par exemple de l’accession ou du loyer privé abordables. Les SMS devraient être un outil de mixité globale sur toutes les gammes de produits, pas seulement une solution pour imposer du logement social. La promotion est favorable à ce type de dispositif qui permet de garantir un volume de vente, même si les promoteurs estiment souvent le prix de vente aux bailleurs sociaux trop bas. Il environne les 2 300 euros/m2 en centre ville. Il me semble que dans le cadre de la révision générale du PLU-H nous pourrions réfléchir à une formulation plus incitative et globale des différents segments de logements nécessaires à la mixité, une formulation plus adaptée à la diversité des réalités de nos territoires.
N’est-ce pas aussi le rôle des bailleurs sociaux que de proposer du logement abordable en location, mais également en accession ?
Les bailleurs sociaux ont effectivement une obligation de vente d’une partie de leur parc chaque année et de produire toutes les gammes de logement sociaux. Cette diversité de produits demandée aux bailleurs sociaux trouve tout son intérêt dans le cadre des opérations de renouvellement urbain. Elle est plus critiquable ailleurs. Ce n’est pas au seul logement social de faire vivre la mixité. D’ailleurs il n’en n’a pas les moyens, il n’est qu’un marqueur, certes indispensable.
Le logement social a pris une importance considérable il y a quarante ans lorsqu’il a été décidé la construction des grands ensembles. Cette position s’est confirmée lorsqu’il a fallu réparer les effets de la gestion de la concentration des immigrés par les bailleurs sociaux. Aujourd’hui, on ne leur demande plus de construire de grands ensembles, mais du logement social de quartier, d’intervenir de façon dispersée, de se noyer dans la ville. En dehors des grands quartiers d’habitat social, leur vocation dans l’avenir est clairement de loger, non plus les immigrés, mais les plus modestes (ce sont peut-être les mêmes). Le logement social ne logera pas tous les petits salaires. Leur vocation est effectivement de loger les plus modestes, d’aider ceux qui se sont retrouvés en situation de fragilité dans le secteur privé.
Dans leurs relations avec l’Etat ou les collectivités, les organismes HLM fonctionnent encore comme dans les années 1980 et ont tendance à s’enfermer sur eux mêmes. C’est un univers souvent de demi vérités où l’angoisse du changement de paradigmes crée des « mezzo discours » et de fausses unanimités dans un secteur en train de diverger entre ses différentes composantes. Ces propos ne se veulent pas accusateurs, mais révélateurs d’une certaine faiblesse pour préparer l’avenir, plutôt que regretter un passé qui ne reviendra pas. Par ailleurs, il y a des contradictions d’action : par exemple, le Grand Lyon attribue des aides de fonctionnement à des bailleurs sociaux qui dans le même temps sont taxés par l’Etat en raisons de critères d’insuffisances. Nous sommes un peu dans le flou si nous finançons en quelque sorte « l’amende » de l’Etat ! En tous les cas, il y a, au minimum, contradiction d’analyse. De plus, il n’est pas toujours facile d’apprécier la santé économique de ceux ci, la réalité des capacités en fonds propres de chaque organisme où l’on constate des évolutions très différentes. Face à cette diversité des situations, le Grand Lyon n’a pas encore réellement tous les moyens d’interprétation et d’analyse, car la montée en charge de sa compétence logement est récente et que nous manquons encore d’expérience, voire de moyens, pour juger de tout cela. La Cour régionale des comptes s’intéresse à cette nouvelle donne et nous incite, ainsi que nos partenaires, à progresser dans ce sens. In fine, je crois que le milieu du logement social devra assumer une stratégie d’interdépendance sur de nombreux sujets avec de nouveaux partenaires, de nouveaux montages financiers, de nouveaux métiers s’il ne veut pas disparaître. La collectivité ne pourra plus indéfiniment augmenter sa participation et l’Etat a déjà quasiment mis fin aux aides à la pierre. Pour se développer, les bailleurs sociaux devront apprendre à trouver de nouvelles ressources, à vendre et à s’engager dans des activités nouvelles, voire faire aussi de la promotion.
Dans cette perspective, on pourrait par exemple imaginer un dispositif de SMS inversés où le bailleur social réaliserait 80% de logements sociaux et 20% en promotion pour boucler son opération.
Cette évolution sera un passage obligé car l’aide publique sera moins importante tandis que leur vocation, dans les enjeux de mixité territoriale, générationnelle, de revenu, leur dédiera « de facto » la part très sociale qui ne cessera de croître ! C’est le défi paradoxal qui ne trouvera pas sa solution dans l’ancien système. Nous sommes tous confrontés et, à dire vrai, déjà engagés dans ces évolutions incontournables.
Le parc privé a-t-il encore une vocation sociale ?
Le plus grand nombre de ménages, parmi les plus démunis, ne résident effectivement pas dans le parc social, mais dans des logements privés. A Lyon, en 1990, la moitié du parc locatif privé était au même niveau que le logement social. Vingt ans plus tard, moins de 6% des logements privés sont comparables aux logements sociaux. La vocation sociale du parc privé s’étiole dans les villes, à l’exemple de Lyon, où la situation du logement est assez tendue. Or, outre l’aspect financier qui permet à des familles en situation économique difficile de trouver un logement, cette offre correspond aussi aux attentes de certaines personnes qui pourraient prétendre au logement HLM intermédiaire mais qui ne veulent pas vivre dans le logement social. Je pense à un bailleur Lyonnais qui, au sein de son fichier de demandeurs, ne trouvait aucune personne intéressée pour emménager dans un parc de logements PLS et qui s’est mis à recevoir de nombreuses demandes une fois l’offre parue sur le site de l’annonceur « Le bon coin » sans l’étiquette « logement social ».
Par ailleurs, la réflexion en cours sur l’encadrement des loyers, une fois écartée l'idée d'un simple blocage, est une excellente chose. En effet, une telle mesure peut être intéressante et utile si d'une part elle limite une dérive insoutenable des loyers, mais également si elle s'attache a rechercher un rendement "raisonnable" pour les nombreux propriétaires bailleurs français qui ainsi sécurisent un placement, un investissement.
Vous plaidez pour une approche plus globale et transversale du logement au sein du Grand Lyon : pourquoi ?
Le Grand Lyon a tout intérêt à réfléchir de façon transversale. Tout d’abord l’effet mobilisateur en interne est tout à fait positif. Cela permet également d’élargir le champ de la réflexion et de favoriser des croisements de logiques. Par exemple, que la Direction du foncier participe à la politique du logement me semble assez indispensable. Cependant cette évidence n’était pas partagée, et c’est assez logique compte tenu de l’histoire du Grand Lyon. La communauté urbaine s’est construite sur un objectif de mutualisation de services urbains, pas sur des logiques de politiques sociales ou sociétales comme l’est une politique du logement. Pour bâtir une politique du logement à l’échelle de l’agglomération, il ne suffit pas d’avoir une délégation des aides à la pierre. L’augmentation de la production de logements est un indicateur de la prise de compétence, mais une politique du logement ne se réduit pas à la production de logements.
Il faut aujourd’hui faire entrer dans la culture du Grand Lyon le logement comme une réelle compétence. Cette approche plus large doit se traduire par une volonté de massifier les moyens dans les services et de différencier la Politique de la Ville et celle de l’habitat. Les enjeux sont en effet différents et méritent chacun d’être traités comme des politiques à part entière. Les idées progressent, mais le Grand Lyon n’a pas encore fait sa révolution culturelle et mesuré que le logement va nécessairement prendre de l’ampleur en termes de services et de moyens et de fait, prendre une plus grande part dans le budget communautaire, ce qui, à budget constant, imposera un réexamen des priorités non sans conséquences sur d’autres lignes d’investissement.
Dans les années qui viennent, outre la question des lignes budgétaires, cette prise de compétence va également générer de nouveaux modes de faire et notamment un travail en transversalité où un ensemble de directions, pas seulement celle de l’habitat, mais aussi par exemple celle du foncier, de la planification urbaine ou des finances, devront mobiliser leurs compétences pour créer de nouveaux outils, en termes fiscal ou d’aménagement, pour assurer pleinement cette nouvelle compétence. Par exemple, la Direction de l’économie n’est aujourd’hui pas assez mobilisée sur la question du logement. Or, le logement est une condition du développement économique et pas seulement un résultat. Lorsqu’une entreprise envisage de s’installer ou de se développer, elle va s’interroger sur les possibilités de logement de ses salariés. Selon une étude du CREDOC commanditée par le Medef début 2012, les problèmes de logement des salariés affecteraient 40% des entreprises et 25% de ces dernières seraient prêtes à collaborer avec les pouvoirs publics pour améliorer la situation.
Ces révélations marquent l’attachement des entreprises aux conditions de logement de leurs salariés, et la nécessité pour la Direction de l’économie du Grand Lyon d’entendre ces questions et de travailler sur des réponses.
Quels sont les objectifs prioritaires de la politique du logement du Grand Lyon ?
Nos politiques sont attachées à une certaine vision commune de l’agglomération héritée des années 1980. En effet, les crises des banlieues de cette époque ont conduit à une prise de conscience de la nécessité d’intervenir pour requalifier et désenclaver les grands ensembles d’habitat social à l’exemple de La Duchère, des Minguettes ou des quartiers de Vaulx-en-Velin.
Dans le domaine du logement, elles ont conduit à une volonté de rééquilibrage Est/Ouest du logement social. Il ne fallait plus concentrer le logement social, mais le répartir dans l’ensemble de l’agglomération et donc véritablement le densifier à l’Ouest où il n’existait pratiquement pas. L’intervention publique dans les quartiers d’habitat social a été particulièrement importante et a d’ores et déjà transformé ces quartiers, notamment sur le plan de la mixité résidentielle. Nous produisons aujourd’hui effectivement du logement social à l’Ouest et ainsi réalisons le rééquilibrage souhaité, mais l’agglomération et les emplois se développent beaucoup plus à l’Est. De plus, ce développement s’étend au-delà de l’agglomération lyonnaise telle qu’elle est administrée par le Grand Lyon. Et, c’est bien à l’échelle du Grand Est qu’il faut anticiper ou du moins accompagner ces évolutions en offrant une réelle offre diversifiée de logements, et par exemple, en se préoccupant du devenir de Bourgoin. Lorsque que l’on vote un avis positif sur le SCOT Nord Isère, on devrait plutôt donner un avis réservé pour se laisser le temps d’appréhender les enjeux du logement à l’échelle de la métropole. De même, le Sud Ouest de l’agglomération est une zone importante de développement qui, là encore, dépasse les actuelles frontières de l’agglomération. Force est de constater que l’équation logement/emploi commence à faire émerger des contradictions d’intention. Elle redessine la géographie des territoires et ce à l’échelle du bassin de vie, qui désormais, est celle de la métropole. Nous ne sommes plus dans un contexte d’étalement urbain qui pouvait s’envisager à l’échelle de l’agglomération, mais dans celui d’une métropole urbaine multipolaire, puisque c’est le schéma que nous avons choisi. La politique de l’habitat ne doit donc pas s’envisager sur la base d’une centralité qui rayonne, mais en fonction de la diversité et des équilibres de développement des territoires à l’échelle du pôle métropolitain et dans une logique de multipolarité. Dans une telle perspective, la question de la mobilité est fondamentale et l’équation logement/emploi, déterminante.
Quelle est l’incidence d’une approche métropolitaine sur la question du logement ?
Du point de vue du logement, le territoire métropolitain abrite des zones qui sont tendues à l’exemple de Lyon, et d’autres qui ne le sont pas ou moins, à l’exemple de Saint-Etienne. Raisonner à l’échelle de la métropole permet de transcender la question des zones tendues et de positionner la réflexion autour de trois enjeux de territoire. L’enjeu pour le centre, zone particulièrement tendue, est de maintenir un accès au logement pour les classes moyennes et populaires. L’enjeu pour la première couronne est de maintenir des séquences de prix, de densifier et de diversifier l’offre de logements en cohérence avec la vocation des territoires qu’ils s’affirment comme zones vertes, bleues et de loisirs, ou économiques. Et l’enjeu pour les zones non tendues à l’exemple de Bourgoin ou de Saint-Etienne est d’apporter, par le logement, une nouvelle dynamique. Dans ces secteurs, le logement abordable existe déjà. On produit aujourd’hui dans ces secteurs du logement à 2 500 €/m2. Si le projet politique du pôle métropolitain permet de faciles conditions de déplacement entre les différents territoires qu’il abrite, alors il est possible d’envisager une densification dans les zones non tendues. En contrepartie, il sera possible, lorsque les prix du logement augmenteront, de demander le maintien d’une offre abordable. Le développement économique et social de la métropole dépendra de la manière dont on va mener une offre diversifiée de prix du logement avec une vue du projet politique de territoire. La multipolarité fait que la ville des courtes distances, est en fait la ville des courtes durées de déplacement.
De votre point de vue, faut-il que la métropole fonctionne à travers une mise en réseau des agglomérations du territoire organisées autour de projets communs où à travers la création d’une nouvelle institution ?
La dynamique de projets est intéressante, mais elle a des limites. En effet le partenariat pour conduire des projets communs est positif et peut se révéler très constructif. Cependant, les grandes politiques, y compris dans le domaine des déplacements, demandent de la durée. Ce n’est pas une dynamique de projet qui peut répondre à un rééquilibrage des territoires qui nécessite vingt ans d’efforts continus. Pour asseoir et garantir d’importantes politiques, il est nécessaire de s’appuyer sur une institution.
La Région peut-elle jouer le rôle de garant institutionnel des politiques mises en œuvre à l’échelle de la métropole ?
La Région est peut-être sur une échelle trop large. La dimension métropolitaine, si elle sait bien décliner son soubassement théorique de développement multipolaire avec de bonnes conditions de mobilité, permet d’envisager un partenariat d’acteurs sur un espace suffisant. La Région pourrait peut-être avoir un rôle sur la réservation foncière. Mais l’essentiel, pour qu’une métropole fonctionne, c’est sa capacité à offrir des distances rapides et économiques. Je le redis, la ville d’aujourd’hui doit être celle des courtes distances, des courtes durées. Un pôle métropolitain c’est avant tout des villes reliées entre elles. Pas seulement des banlieues autour d’une ville centre. La compétence des transports et des déplacements est fondamentale.
L’offre diversifiée de logements que vous appelez de vos vœux ne s’envisage-t-elle pas dans une lecture dynamique des évolutions résidentielles des ménages ?
Dans la ville, les logements en rez-de-chaussée ou premier étage sont moins chers que ceux du cinquième ou sixième étage. Ainsi, ordinairement dans la vie et dans la ville, des fonctionnements de bon sens s’appliquent, et le réel n’est pas forcément mauvais. Il a besoin d’être mis en forme dans les gammes et les séquences de la musique que l’on se chante.
Le logement abordable est un prix qui correspond à la classe moyenne qui transpire un peu. Ce n’est pas un premier prix. Il ne s’adresse pas à des primo accédants ou aux plus démunis. Le logement doit être pensé dans une dynamique, en termes de changement et d’évolution, d’itinéraire, de parcours. Je ne suis pas choqué que la promotion ne s’adresse pas spécialement aux primo accédants. On achète d’abord une voiture d’occasion avant de s’en offrir une neuve !
Comment alors agir pour favoriser l’accession dans le parc ancien privé ?
En France, le parc ancien représente un énorme enjeu, mais nous sommes désarmés pour répondre. On ne sait pas trop bien faire. Nous n’avons pas assez développé d’outils. Nous sommes empêtrés dans les « dossiers » de l’ANAH, peu lisibles et si compliqués que le petit propriétaire a du mal à les utiliser. Personne ne pense que c’est une délégation du Grand Lyon. Les aides de l’ANAH sont toutefois précieuses pour soutenir des copropriétés dégradées. Le Plan Climat va nous permettre d’agir, probablement d’autres dispositifs aussi. Mais, le problème est d’abord de refonder sur le plan national l’importance du parc existant et de se poser les bonnes questions : quel rôle doit-il jouer ? Comment l’orienter ? Et avec quelles aides ? Quelles règles partagées et négociées avec les propriétaires ?
Une totale remise à plat de la réglementation, des grands mécanismes du financement et de la fiscalité de la propriété immobilière me paraît nécessaire car la défiscalisation est souvent le redressement de ce que l’on a trop taxé ou réglementé.
Quels sont les axes à retenir pour redéfinir les grands mécanismes du financement du logement ?
La réflexion doit s’envisager à partir des souhaits et des stratégies des personnes. La première caractéristique du parc privé est d’être un investissement soit pour l’habiter, soit pour le louer. Souvent malheureusement, nous n’allons pas plus loin que ce constat d’évidence et nous ne connaissons pas suffisamment les raisons profondes des ces investissements : est-ce dans un souci de transmission de patrimoine ? Est-ce pour se garantir un revenu complémentaire ? Est-ce pour la spéculation permise aujourd’hui ?
En France, nous avons développé des incitations plutôt en relation avec la valeur du patrimoine, et pas suffisamment avec la valeur locative.
Cela ne sous entend pas pour autant que je sois partisan, ou pas, de la suppression de dispositifs tel que celui de la loi Scellier. La question n’est d’ailleurs pas à poser en ces termes, mais plutôt dans la manière de faire, d’être attentif aux effets des décisions prises, de voir ce qu’elles produisent. Il ne faudrait pas minimiser les risques d’une baisse de la production et d’une probable rétention foncière.
Quoi qu’il en soit, nous nous sommes probablement trop concentrés en France sur ce mode d’investissement dans le logement. Nous aurions pu penser à un système financier d’investissement immobilier maitrisé.
Dans d’autres pays, il existe une collecte de l’épargne populaire pour le logement privé, du logement qui n’est pas très social, mais dont le loyer n’est pas trop élevé, maîtrisé. Nous devons réfléchir aux dispositifs à mettre en place pour à la fois mieux utiliser l’épargne au profit du logement social, mais aussi du logement privé, et permettre à l’investissement immobilier d’être aussi bien garanti qu’un livret d’épargne.
A ce propos, et c’est tout le paradoxe de l’immobilier aux Etats Unis ou en Espagne, on souhaite le retour d’investisseurs institutionnels à l’exemple des compagnies d’assurance, et dans un même temps, on déplore les fonds de pension des retraités américains. Je ne suis pas complètement certain que les uns soient plus vertueux que les autres. Il me semble que nous devrions plutôt nous demander comment encadrer l’investissement institutionnel en général. L’investissement sécurisé ainsi permis participerait pleinement à la relance de l’investissement dans la pierre, un investissement moins rentable à court terme mais plus durable, un investissement de père de famille, un investissement, de mon point de vue, à privilégier sur l’investissement financier, « liquide ».
Les outils dont nous disposons aujourd’hui vous semblent obsolètes ?
Il me semble surtout utile de revisiter les mécanismes et outils existants pour mieux les conjuguer et jouer sur un clavier plus large et harmonieux.
Je pense au viager par exemple dont il faudrait assouplir les règles et obtenir un droit d’usage sur la longue durée moins cher. La loi devrait évoluer en ce sens.
Je pense aussi au droit d’usage qui, redéfini, permettrait de dynamiser l’offre de logements à des prix raisonnables. À Lyon, nous profitons d’une exploitation de bonnes pratiques avec la propriété foncière, d’une riche expérience du droit d’usage qui se décline sous la forme de baux emphytéotiques ou de démembrements temporaires de propriété. Par exemple, un bail emphytéotique entre une collectivité et un bailleur social permet à celui-ci de réaliser un projet sans avoir à soutenir tout le coût du foncier et au Grand Lyon de maitriser le foncier à long terme et de ne pas s’appauvrir.
La mise en place d’un usufruit social, du type du dispositif PERLE qui permet à un bailleur social d’utiliser momentanément un bien avant que le propriétaire en retrouve l’usage, est aussi une piste intéressante à développer. Ces outils supposent un rapport à la propriété renouvelé.
Il serait également intéressant de permettre aux locataires qui le souhaitent de placer leur argent dans l’immobilier à travers un fonds participatif. Ainsi, l’usager capitaliserait en même temps qu’il est locataire.
Dans l’objectif de revisiter les outils existants, ne faudrait-il pas également redynamiser le conventionnement ?
Au Grand Lyon, nous expérimentons actuellement un dispositif d’aide au conventionnement sans travaux qui se conjugue avec des avantages fiscaux. Le père Devert et Habitat et Humanisme proposent un dispositif similaire, une forme de conventionnement dans une dynamique « plus militante », sans aide financière renforcée du Grand Lyon. Le conventionnement est réellement un outil à redynamiser, il ne doit pas décevoir et doit être accompagné d’une ferme sécurisation des risques locatifs.
La collectivité a-t-elle suffisamment de moyens pour assurer une réelle maitrise foncière ?
L’enjeu du foncier est essentiel. Je pense qu’effectivement la collectivité devrait renforcer ses capacités d’intervention. Elle devrait notamment bénéficier d’une possibilité de participation dans une société pour agir au moment des mutations et maitriser le devenir des fonciers bâtis ou pas. Une plus grande maitrise du foncier permettrait également d’atténuer les prix de construction qui n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. D’ailleurs, outre le foncier et dans certaines situations, un allégement des contraintes réglementaires de construction, qui impactent aussi lourdement les coûts, permettrait de soutenir la réalisation de projets pour une accession abordable. Le « bon » logement n’est pas celui de la somme de toutes les normes, mais du respect de normes appliquées aux besoins.
Pensez-vous à d’autres axes de réflexion à développer ?
Ils sont nombreux et probablement infinis. La question du logement est complexe. Je proposerais bien aussi celui de l’auto promotion. Nous constatons, notamment avec le vieillissement de la population, que des gens préfèrent à la maison de retraite se mettre ensemble pour réaliser un projet collectif de logement qui leur permettra de vieillir dans de bonnes conditions matérielles, mais aussi sociales. La collectivité n’a pas à soutenir financièrement de telles initiatives, mais elle pourrait inciter leur développement en facilitant par exemple les démarches, en guidant les personnes dans l’élaboration de leurs projets, ou encore en fléchant des fonciers plus particuliers, voire plus difficiles.
C’est en s’interrogeant sur les outils fonciers, réglementaires et fiscaux pour améliorer l’intervention de la collectivité sans nécessiter la mobilisation de nouvelles capacités financières que nous progresserons pour améliorer les mécanismes du financement du logement dans un objectif de mixité, de solidarité et d’égal accès au logement pour tous.