Vous êtes ici :

La recherche fondamentale lyonnaise et Grenoble

Interview de Roger SARRAZIN

<< En santé, la spécificité grenobloise c'est la transversalité et l'imbrication des disciplines >>.

Entretien avec le Pr Roger Sarrazin, Professeur d’anatomie et de chirurgie (de Grenoble) en retraite, doyen de la faculté de médecine de Grenoble de 1980 à juillet 1986.

La recherche fondamentale lyonnaise se trouve-t-elle à Grenoble ? Faut-il regrouper les différentes universités sous la même bannière ? Quelles sont les relations entre recherche et industrie ? 

Tag(s) :

Date : 08/10/2007

Quelle est pour vous la spécificité grenobloise à la source de ses réalisations dans le domaine de la santé ?

La transversalité et l’imbrication des disciplines ! Dès les années soixante et la création de la Faculté de Médecine, des médecins et des étudiants mènent un second cursus, scientifique, tandis que des ingénieurs réalisent leur thèse avec des médecins des internes ou des étudiants du monde hospitalier. Les scientifiques ont proposé leur collaboration aux médecins, les médecins sollicité l’aide des chercheurs et ont constitué des équipes dans lesquelles chacun va apprendre à admettre la culture de l’autre et partager un langage commun. Ces collaborations naissent vraiment de la volonté de personnes désireuse de travailler ensemble. C’est une histoire d’hommes avant tout, relayée ensuite par les institutions. Ces rencontres ont donné naissance à de grandes réalisations, comme le premier prototype de scanner « corps entier » ou encore le Dostam, précurseur du dossier médical résumé et informatisé…Ces collaborations étroites sont toujours d’actualité.

 

Lyon n’avait pas cette culture de l’interdisciplinarité ?

Non. La faiblesse de Lyon est de n’avoir pas su mixer les disciplines. Par exemple, lors de l’introduction de l’informatique dans le cursus médical, Lyon a pris du retard et n’a pas anticipé les potentialités ouvertes en gestion de la santé. A Grenoble, j’avais remplacé depuis 2 ans déjà, l’enseignement de mathématiques par celui de l’informatique et recruté  un jeune médecin-mathématicien extraordinaire, Jacques Demongeot qui a lancé les prémisses de la robotique et de l’utilisation de l’informatique pour la reconnaissance de formes. De la même manière, le cyclotron, installé à Lyon, n’a pas été utilisé comme il l’aurait été à Grenoble où nous avions l’ambition de coupler son utilisation avec les mathématiques. Notre objectif était de développer l’automatisation de la radiochimie pour les examens fonctionnels, comme cela se pratique maintenant à l’étranger. Il n’y a pas assez de décloisonnement et certains comportements sont encore trop conservateurs, voire dominateurs. Le pêché lyonnais, ce sont les chapelles !

 

Si je vous dis que la recherche fondamentale lyonnaise se trouve à Grenoble, qu’en pensez-vous ?

Bien sûr ! La biologie humaine et végétale, le laboratoire national de champs intenses, etc, c’est Grenoble ! Grenoble a eu la chance d’avoir quelques moteurs extraordinaires comme Louis Néel ou des visionnaires comme Jean Valois qui a placé Grenoble au premier plan tant en France qu’à l’étranger en matière d’informatique hospitalière. Des personnages qui étaient des vrais bulldozers : ils décidaient quelque chose et  le réalisaient. Demander des financements, trouver des équipes… rien ne leur résistait !

 

Quels sont les atouts lyonnais ?

Lyon est renommée pour sa conduite de la clinique, notamment en cardiologie et en neurologie, pour ses compétences en immunologie... Ce sont des domaines phares qui portent encore la notoriété et le dynamisme lyonnais. Pour moi, l’université lyonnaise fut la plus grande faculté de médecine de France mais, à mon grand regret, elle a perdu beaucoup de puissance en se morcelant.

 

Le regroupement des différentes universités sous une bannière unique sera donc plutôt bénéfique ?

Non, c’est plus complexe que ça. Je suis inquiet sur le devenir de l’université. On manque d’idéal et le niveau baisse. On n’avance pas par peur de se heurter à d’autres et la préoccupation essentielle est d’être visible, d’être dans le Top ten des classements internationaux ! Mais est-ce qu’on sait ce qui se passe à Shanghai et ailleurs ? Les universités classées sont-elles réellement plus visibles1? Les modes de publicité sont sans doute différents. Il suffit de regarder le nombre d’étudiants étrangers accueillis pour s’apercevoir qu’on est visible . Les universités se sont lancées dans une tentative de réaliser une seule et unique université. Comment cela peut-il fonctionner ? Actuellement, les 3/4 de l’université ignorent déjà le quart restant, qu’en sera-t-il demain ? Cette unification risque de ressusciter les vieilles rivalités entre universités et écoles d’ingénieurs. Inversement, des laboratoires qui marchent bien et deviennent importants sont coupés en deux, leurs équipes dispersées et leur potentiel avec !

 

Pensez-vous que les rapports entre monde académique et monde industriel vont s’amplifier ?

C’est une tendance inéluctable surtout en matière d’automatisation ou de standardisation des procédés et des produits. Actuellement, c’est plus un processus d’échanges que d’imbrication. Je pense que trop de  choses sont passées à l’industrie et vont échapper aux chercheurs à l’avenir. Ce sera sans doute le cas pour les nanotechnologies au profit des industries et des institutions. Il faudra se caler sur la recherche fondamentale et confier le développement à l’industrie. 

1 - Note du rédacteur : Les établissements d'enseignement supérieur grenoblois accueillent plus de 9 000 étudiants étrangers chaque année, soit 14% de la population totale étudiante.