Vous êtes ici :

L'Université populaire de Lyon

Interview de Françoise BRESSAT

<< Dans le cadre des cours que nous proposons, nous avons fait le choix d’accorder la même place à l’intervention de l’enseignant qu’au débat entre lui et le public >>.

Les Universités populaires sont créées à la fin du XIXe siècle suite notamment à l’affaire Dreyfus qui avait révélé « la misère intellectuelle du peuple », « l’œuvre urgente d’éducation ». Les Universités populaires se donnent dès lors comme objectifs de transmettre des connaissances, mais aussi de former des esprits libres. Qu'en est-il de celle de Lyon ?
Entretien avec Françoise Bressat, Fondatrice de l’Université populaire de Lyon.
Propos recueillis par Valérie Pugin.

Tag(s) :

Date : 12/06/2007

Comment situez-vous l’Université populaire de Lyon par rapport à ces objectifs fondateurs ? En quoi est-t-elle dans la continuité ? En quoi propose-t-elle aussi une vision renouvelée de l’éducation populaire ?

Certes, comme les Universités populaires du XXe, l’Université populaire de Lyon offre des opportunités d’apprendre à tous, sans condition de niveau, de diplôme ou de formation, d’âge, d’origine professionnelle. 

Pour autant, nous ne nous situons plus du tout dans cette démarche en faveur des ouvriers qui consistait à aider le peuple, à l’ouvrir, à le faire accéder à la connaissance. Nous ne sommes plus dans un mouvement descendant d’une classe savante vers une autre classe ignorante. Nous sommes plutôt dans un rapport transversal entre des chercheurs qui ont envie de partager leurs connaissances et des gens qui ont envie d’apprendre certaines choses.
Je me suis d’ailleurs lancée dans l’élaboration de ce projet non pour défendre des objectifs éducatifs précis envers un public précis, mais parce que j’avais moi- même envie de pouvoir assister à des cours de bon niveau. Et cela s’avérait difficile à faire dans le cadre de ce qui existait déjà du fait des modalités de l’offre qui n’étaient pas toujours adaptées pour quelqu’un qui travaille. Je me suis donc dit que mon souhait pouvait répondre à une demande partagée par d’autres.
L’objectif visé au départ était donc surtout de pouvoir permettre à tous ceux qui le souhaitent l’accès à une formation intellectuelle de qualité, accessible tout au long de la vie.

 

Si l’on observe le succès rapidement rencontré par l’Université populaire, votre initiative est certainement venue répondre à des attentes partagées par un certain public. Qui sont les personnes qui fréquentent les cours proposés par l’Université populaire ? Et comment expliquez-vous cet engouement ?

Il est vrai qu’aujourd’hui, nous accueillons un nombre significatif de personnes puisque les cours proposés sur la semaine accueillent en moyenne 200 auditeurs durant toute l’année. Parmi eux, il y a beaucoup de militants, impliqués dans des associations, des syndicats, des comités d’entreprise, des partis politiques. Ce sont pour une grande partie des gens qui sont actifs dans leur société, qui veulent apprendre et qui ont des choses à dire. Il y a autant de femmes que d’hommes. La moyenne d’âge est d’environ 40 ans. Il s’agit plutôt d’un public issu de classes moyennes. Il est vrai qu’aujourd’hui, nous rencontrons des difficultés pour atteindre un public plus en difficulté et qui a moins de facilité à se diriger vers ce type d’activité. Mais nous sommes une association composée de bénévoles, avec des moyens de communication limités, et nous ne possédons pas toujours des outils qui permettraient d’aller efficacement vers ce public. De ce point de vue, je crois beaucoup au travail de relais qui pourrait être fait entre le public qui participe et celui qui ne vient pas, mais il est à développer aujourd’hui.

Du côté des enseignants bénévoles qui assurent les cours, on a également une demande conséquente de professeurs très motivés qui veulent venir à l’Université populaire. Ils y trouvent un espace d’enseignement différent d’ailleurs, où ils ne sont pas soumis à un programme, où ils sont en contact avec un public particulièrement curieux et motivé, où il y a une volonté réciproque d’échanges.
Je pense que cet engouement s’explique par le fait que l’on offre à travers l’Université populaire un espace particulier, un espace libre de partage de la connaissance, un espace de gratuité absolue. Par rapport à l’institution traditionnelle de diffusion des savoirs, nous ne soumettons pas le public qui vient pour apprendre à l’évaluation ou à la notation et nous ne lui proposons pas non plus l’obtention d’un diplôme particulier. Ceux qui viennent sont donc là uniquement pour le plaisir d’apprendre, ce qui change tout par rapport aux pratiques habituelles. Nous n’avons pas non plus un objectif d’insertion professionnelle immédiat. Bien entendu, si le fait d’avoir suivi des cours à l’Université populaire peut servir à certains à trouver un travail, c’est très bien, mais ce n’est pas l’objectif de départ.
Dans notre société où la plupart des actions que l’on mène doivent être rapidement rentables, ce type d’espace où l’on agit volontairement pour le plaisir est de plus en plus rare. Et je crois que c’est cela qui intéresse les gens qui viennent à l’Université populaire, en plus, bien entendu, de l’enrichissement de leurs connaissances.

 

Les cours proposés à l’Université populaire s’organisent de la manière suivante : une heure d’intervention par l’enseignant et une heure de débat avec le public. Pourquoi avoir fait ce choix ? Et que cela produit-il chez le public comme chez les enseignants ?

En effet, dans le cadre des cours que nous proposons, nous avons fait le choix d’accorder la même place à l’intervention de l’enseignant qu’au débat entre l’intervenant et le public. Cela, d’ailleurs, ne faisait pas toujours l’unanimité au départ puisque certains auraient souhaité avoir plutôt deux heures de cours, sur le modèle académique. 
Nous nous sommes positionnés de ce point de vue dès le départ sur le modèle proposé par l’Université populaire de Caen montée par Michel Onfray. Cette heure de débat a pour vocation de permettre un usage critique des savoirs et de favoriser l’interactivité et la pratique du dialogue comme moyen d’accéder au contenu. 
De fait, ça marche aujourd’hui très bien ! C’est même devenu un moment fondamental, incontournable. Les intervenants changent de posture par rapport à ce qu’ils font d’habitude. Ils se réjouissent d’ailleurs de cette heure de discussion avec le public qu’ils ne trouvent nulle part ailleurs. Et le public participe vraiment. Avec le temps, les uns et les autres ont appris à se connaître. Chacun s’est rendu compte que la parole était bien reçue, et donc a progressivement osé s’exprimer. On assiste parfois à de grands moments de débat, de confrontations constructives ! Et nous pouvons ressentir le plaisir que les uns et les autres éprouvent à débattre. Bien sûr, il y a des gens qui ne parlent pas, et nous ne les forçons, bien entendu, pas à le faire. Mais en tout cas, l’enseignant et le public sont ici dans une posture d’égalité les uns par rapport aux autres. On ne se situe pas dans un rapport vertical du savant vers l’apprenant, où l’apprenant n’aurait qu’à recevoir le savoir sans mot dire. 

Certains nous disent qu’ils se sentent maintenant beaucoup plus à l’aise pour parler, que ce soit à l’Université ou ailleurs. L’une des personnes qui assiste aux cours m’a d’ailleurs récemment dit que le fait de venir à l’Université populaire lui avait permis de prendre confiance en elle et d’être plus à l’aise aux entretiens d’embauche qu’elle était en train de passer !
Enfin, en ce moment, nous réfléchissons aussi sur d’autres moyens qui favoriseraient encore cette prise de parole et cette interactivité. Nous allons par exemple ouvrir un nouveau lieu pluriculturel de formation, dans le quartier de Perrache, qui permettra d’accueillir de plus petits groupes dans un univers convivial et plus chaleureux. Des ateliers philosophiques d’une vingtaine de personnes ainsi que des cours de poésie, des performances pourront se tenir dans ce cadre adapté. Nous envisageons aussi de mettre en place une formule dialogique où deux intervenants s’affronteront par la parole sur un sujet donné, ce qui permettra de renforcer encore le débat et la construction de la pensée critique.

 

Pour l’année 2006-2007, l’Université populaire de Lyon a choisi, parmi les deux thèmes d’étude proposés, le thème suivant : « la démocratie et le populaire ». Pourquoi ce choix ? Plus largement, en quoi ce que propose l’Université populaire s’inscrit-il dans un projet démocratique ?

Nous avons choisi ce thème parce qu’il nous semblait à la fois important aujourd’hui, et souvent abordé avec peu de précision dans les termes. Nous avons notamment abordé la question d’Internet, et nous avons questionné, avec l’informaticien et le philosophe Dominique Maniez, les usages que l’on peut en faire aujourd’hui souvent automatiques et plus du tout soumis à notre esprit critique. Pourquoi par exemple utilisons-nous Google plusieurs fois par jour, et quelles en sont les conséquences ? Comment les lycéens usent aujourd’hui du copier /coller sur Internet, et quels problèmes cela pose-t-il ? Voici quelques-unes des questions que nous nous sommes posées et qui ont beaucoup intéressé le public présent.

Je pense que l’Université populaire se situe dans un projet démocratique au sens où elle permet au public qui y vient de prendre en main sa connaissance. Certains font un déplacement long pour venir, prennent sur leur temps personnel au moins deux heures par semaine, complètent le cours par des lectures, s’investissent vraiment pour ce moment d’apprentissage et d’échanges. Ils sont donc pleinement acteurs de leur connaissance, ce qui est pour moi un acte citoyen fort dans une société où nous sommes confrontés en permanence aux médias, et notamment à la télévision. Ces personnes qui viennent à l’Université populaire subissent moins l’information, et en cela, ils ne peuvent être que meilleurs citoyens.

 

Selon vous, quels sont les grands enjeux auxquels notre démocratie est aujourd’hui confrontée et auxquels elle doit répondre ?

La rentabilité, le profit, l’utilitarisme sont aujourd’hui devenus des déterminants essentiels de la plupart des activités menées. Et il me semble que cela laisse peu de place pour autre chose, alors que c’est certainement ailleurs que l’on peut trouver son épanouissement, son bien-être – dans la connaissance par exemple. De fait, il y a de plus en plus de gens qui sont en difficulté, qui vivent des contraintes matérielles fortes, qui vivent parfois au jour le jour, et qui sont progressivement dépossédés de tout leur pouvoir. Ils n’ont plus de place dans la société du travail, ils vivent parfois des situations familiales difficiles, alors que peut-il rester comme disponibilité pour la connaissance ? 

Je pense d’ailleurs qu’il y a de ce point de vue une fracture croissante entre la base et l’élite. En proposant cet espace de connaissance, en permettant à tous l’accès à des savoirs de qualité, on essaye de créer des liens, des échanges entre tous les publics. On essaye de résister. Il me semble vraiment que l’un des enjeux démocratiques est aujourd’hui de recréer des liens entre les gens qui ont tendance à vivre en vase clos les uns à côté des autres. De ce point de vue, il ne me semble d’ailleurs pas opportun par exemple de diriger rapidement des jeunes en difficulté par rapport à leur scolarité dans des filières professionnelles ou d’apprentissage en négligeant de leur apprendre les fondamentaux qui nous unissent en tant que membres d’une même société.
Les échanges, les rencontres, la diffusion d’un savoir de qualité accessible à tous, c’est en tout cas ce que nous visons à l’Université populaire.