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Le système du compagnonage

Interview de Julien ROUSSINET

<< Chez les Compagnons, on ne peut pas envisager de s’épanouir à travers son activité si on garde pour soi ce que l’on a appris. La transmission est ainsi une véritable philosophie de vie >>.

Interview du Compagnon Julien Roussinet – Mécanicien-outilleur et Prévôt de la Maison de Lyon Nérard.

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Date : 22/03/2006

Pouvez-nous tout d’abord nous rappeler en quelques mots ce qu’est le compagnonnage ?

Les Compagnons du Devoir constituent une association qui est issue du regroupement de corporations composées d’hommes de métier. Elle se mobilise pour le devenir des jeunes et des métiers. 
Nous proposons d’une part une formation initiale professionnelle qualifiante pour les jeunes sans qualification parmi un ensemble composé de 25 métiers. Tous les jeunes peuvent nous rejoindre, à condition néanmoins qu’ils maîtrisent les bases du langage, de l’écrit, de l’arithmétique, et qu’ils soient motivés par notre projet. La formation, assurée par les Compagnons, se déroule pendant 6 semaines en entreprise et 2 semaines au centre de formation. Les jeunes sont ainsi tous salariés d’entreprise. Dans ce cadre, nous prenons en compte l’évolution des métiers, tant dans les techniques puisque nous formons les jeunes aux techniques les plus en pointe, que dans la demande du monde professionnel, puisque nous soutenons l’orientation des jeunes dans les filières où il existe une vraie demande. 
D’autre part, nous proposons, pour les jeunes déjà qualifiés (BEP, CAP), un perfectionnement dans le but de favoriser leur épanouissement personnel et professionnel. C’est là l’objet du Tour de France.
Le projet du compagnonnage va bien au-delà de la formation à un métier. Le travail n’est en effet pas considéré comme une fin en soi mais comme un moyen de se découvrir et de s’épanouir. Nous sommes très attachés à la formation à un métier, c’est-à-dire à des savoir-faire, mais aussi à des valeurs, des savoir-être. 
La Maison est le lieu de vie des jeunes qui souhaitent devenir Compagnons. Elle prend une place toute particulière dans leur formation.

 

Lorsque l’on dit « Compagnon », on pense souvent à y associer le terme de « transmission ». Pourquoi a-t-on tendance à faire cette association ? Quels sont les principes soutenus par les Compagnons sur cette question de la transmission ?

On fait cette association à juste titre parce que le compagnonnage est intimement lié, dans son idéologie et ses fondements, à la question de la transmission. En effet, dès lors que l’on devient Compagnon, on s’engage à transmettre ce que l’on a appris durant son apprentissage, à la fois sur le plan des techniques professionnelles, mais aussi sur le plan culturel et humain avec la transmission de valeurs. Le principe est simple : lorsque l’on est Compagnon, on a bénéficié d’un enseignement, on a appris tout un ensemble de choses au niveau professionnel, relationnel et culturel, que l’on se doit de partager ensuite avec les plus jeunes. Chez les Compagnons, on ne peut pas envisager s’épanouir à travers son activité si on garde pour soi ce que l’on a appris. La transmission est ainsi une véritable philosophie de vie.

 

Concrètement, comment s’organise cette transmission des Compagnons vers les plus jeunes ? Comment les Compagnons s’y prennent-ils pour transmettre ?

Les formes de la retransmission sont très variées et dépendent beaucoup du Compagnon qui souhaite retransmettre. La plupart du temps, le Compagnon s’engage à transmettre pendant une durée de deux ans ce qu’il a appris. Il peut alors le faire en tant que formateur d’un groupe d’apprentis, en tant que Prévôt qui s’occupe d’une Maison où vivent les futurs Compagnons, etc. En plus de ce temps accordé de manière très formelle à la transmission, celle-ci est aussi une ligne de conduite que l’on garde sa vie durant. Dès lors, des anciens Compagnons convient des plus jeunes à dîner chez eux le soir, à visiter les toits de Fourvière qui relèvent de techniques de fabrication bien spécifiques, à passer un week-end ensemble autour d’un ouvrage commun, etc. C’est aussi toute cette variété de propositions qui fait la richesse de notre action.

 

Plus précisément, qu’est-ce que les Compagnons cherchent vraiment à transmettre aux plus jeunes ? Quels sont les savoir-faire, les savoir-être et les valeurs qu’ils souhaitent transmettre ?

Concernant les savoir-faire, il s’agit de toutes les techniques professionnelles propres à un métier en particulier, des plus anciennes aux plus modernes, qui permettront aux futurs compagnons d’être excellents dans l’exercice de leur métier. A cet égard, le Tour de France leur permet de découvrir, d’apprendre et de maîtriser les techniques spécifiques à chaque région de France, d’Europe voire d’au-delà, et d’avoir une perception large de leur métier. Concernant les valeurs et les savoir-être, ils constituent, au même titre que les savoir-faire, une priorité pour les Compagnons. Le projet du Compagnonnage va en effet bien au-delà de la maîtrise de techniques professionnelles. C’est véritablement un projet de vie au sein duquel les valeurs prennent une place centrale. Parmi elles, nous sommes particulièrement attachés à l’engagement, au courage, à la persévérance, la curiosité, l’entraide, la fraternité. Pour les savoir-être, nous proposons aux jeunes d’acquérir de l’autonomie, de la maturité, de se responsabiliser, de développer leur esprit d’initiative, de participer à la vie collective, de faire preuve d’ouverture culturelle, etc. Voici quelques exemples à travers lesquels les jeunes acquièrent ces savoir-être. Dans le cadre de la vie collective au sein de la Maison, les jeunes participent aux tâches de la vie en collectivité. Il n’y a pas de sonnerie qui annonce le début des cours et les jeunes doivent s’y rendre par eux-mêmes et à l’heure : on estime qu’ils sont responsables de leur formation et qu’ils doivent à ce titre être attentifs à arriver à l’heure. Un autre exemple : au-delà des apprentissages professionnels, le Tour de France constitue pour les jeunes une expérience très enrichissante sur le plan de l’ouverture culturelle et de l’ouverture aux autres, de la prise d’autonomie et de la responsabilisation de soi.  On entend parler aujourd’hui de « la crise des valeurs », de la difficulté qu’éprouvent les adultes pour transmettre leurs valeurs aux jeunes générations.

 

Il semblerait que le modèle du compagnonnage y réussisse. Qu’est-ce qui, d’après vous, explique ce succès ?

Tout d’abord, nous fonctionnons sur le principe du volontariat. Les jeunes qui viennent faire leur apprentissage chez les Compagnons connaissent le projet, l’acceptent ainsi que nos règles de fonctionnement et ils sont partants pour y participer. Ils sont donc de fait beaucoup plus réceptifs à ce qu’on leur propose. Pour ceux qui s’aperçoivent que le compagnonnage ne leur correspond pas vraiment, c’est plus difficile, mais ils ont aussi le choix de s’orienter vers d’autres voies pour leur formation, qui leur seraient plus adaptées.
Le deuxième élément qui favorise la transmission réside dans le fait que le formateur se place dans une position non seulement de formateur, mais aussi d’apprenant. En effet, les formateurs sont responsables de la formation d’un groupe d’apprentis, mais ils sont aussi en situation de travail en entreprise où ils poursuivent leurs acquisitions. Ceci les place, de la même manière que les apprentis, en situation d’apprenant. Cette proximité entre les uns et les autres, et l’idée selon laquelle on se situe dans un mouvement d’échanges perpétuels, conditionnent très certainement le regard que portent les jeunes sur le formateur, et facilitent sans doute le passage de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être.
Une autre caractéristique est aussi très importante par rapport aux autres systèmes de formation, c’est le fait que nous vivons ensemble, de manière collective, dans une maison, un peu comme une famille. L’intensité de la vie collective, la force des échanges qui se déroulent entre nous, et aussi avec les Anciens, l’effet du groupe où tout le monde partage un sens commun et va de l’avant, favorisent bien entendu le fait que les jeunes apprentis intègrent les valeurs et les savoir-être du compagnonnage. En tant que Prévôt par exemple, je suis présent dans la Maison vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour les écouter et apporter mon soutien et mes conseils aux jeunes qui me sollicitent. Le tout forme un cadre sécurisant et cohérent dans lequel les jeunes peuvent se retrouver.
Enfin, la mobilité et la rencontre, qui constituent aussi les fondements du compagnonnage, distinguent notre projet de beaucoup d’autres. Le fait de pouvoir se déplacer en France, en Europe et dans le monde dans un cadre organisé, de rencontrer des techniques, des populations et des cultures différentes, d’entendre ou de parler des langues étrangères (etc.) est une grande opportunité pour un jeune et répond sans doute à une forte envie chez bon nombre d’entre eux. La mobilité, la rencontre, le voyage dans ce cadre constituent un moyen irremplaçable de permettre la transmission des savoir-faire, des savoir-être et des valeurs qui sont les nôtres.
C’est cet ensemble de choses qui, je crois, fait que nous parvenons à transmettre ce à quoi nous croyons aux plus jeunes.