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L'Agence de la Solidarité Numérique à Lyon

Interview de Louise LASSONDE

<< Contrairement à Genève, les organisations de solidarité internationale lyonnaises sont beaucoup plus en lien avec la stratégie de rayonnement international de la ville >>.

Entretien avec Louise Lassonde, secrétaire exécutive de l’Agence de Solidarité Numérique.

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Date : 30/08/2006

D’où est venue l’idée de créer une Agence de la Solidarité Numérique ?
Elle est née d’un processus, le Sommet Mondial de la Société d’Information, qui est un processus étatique mais dont l’originalité a été son ouverture à la société civile et aux acteurs privés. Ce Sommet a donc inauguré un cadre nouveau de dialogue parce qu’il associait des acteurs nouveaux. Et c’est dans ce nouveau cadre d’action que Lyon a pris l’initiative d’organiser le 1er sommet des collectivités locales qui a fédéré des collectivités locales impliquées dans le numérique.
Le président Wade disait qu’il n’y a pas de mécanismes de financement adaptés à l’économie de la connaissance. En effet, tous les mécanismes existants sont destinés en priorité aux Etats et non à des petites structures d’une part  et les fonds concédés ne sont pas rapidement décaissables d’autre part. Lyon a été sensible à cette question et a accordé une tribune au président sénégalais lors du forum. Cette idée s’est vue concrétisée par la suite par la création du Fonds de Solidarité Numérique qui a été validée lors du Sommet Mondial de la Société de l’Information dans la phase de Tunis. Lyon s’est alors proposée d’accueillir l’Agence. 

Depuis quelques années, on voit s’amplifier le débat sur la « fracture numérique », sur les inégalités d’accès à l’économie de la connaissance. En quoi l’Agence de Solidarité Numérique constitue-t-elle une réponse à ces nouveaux défis ?
Il y a une dizaine d’années, on avait d’un côté les affaires et de l’autre la solidarité. Dans le contexte actuel de mondialisation, tout est en train d’être maillé : les entreprises sont obligées de trouver une formule nouvelle pour conquérir les marchés et quand ces marchés ne sont pas solvables, elles entreprennent des actions de solidarité. C’est un peu dans cette logique que s’est créée l’Agence. Elle a pour mission fondamentale d’adapter les outils TIC aux populations qui n’y ont pas accès aujourd’hui et d’en garantir l’assimilation. L’Agence de Solidarité Numérique va être le catalyseur de bons projets financés par le Fonds. Elle est donc une sorte de « Go Between » entre ceux qui ont une expertise et ceux qui sont porteurs de projets. Et nous avons pour rôle aussi d’orienter les industriels ( et leur R&D ) vers des produits répondant aux besoins de ces marchés potentiels. C’est un rôle de catalyseur de la R&D.

C’est quand même très différent des actions de solidarité internationale traditionnelles !En quoi le secteur du numérique ouvre-t-il de nouveaux horizons en matière de solidarité ?
C’est un secteur en évolution extrêmement rapide qui nécessite beaucoup de créativité mais dont les débouchés sont quasi illimités.
Dans les jeux vidéo par exemple, le plus grand marché est dans les pays en développement. En effet, c’est un outil puissant de transmission d’information, de formation, qui peut servir aux analphabètes. Et c’est un potentiel que l’on ne soupçonnait pas ! Pourtant, dans les pays d’Afrique, la communication passe essentiellement par l’image et le son.
Dans le domaine de la santé, alors que l’OMS Lyon est en train d’établir le règlement sanitaire mondial qui sera le code de conduite que devront suivre les pouvoirs publics pour éviter les épidémies, les TIC sont un outil indispensable et de plus en plus efficace pour assurer la veille, anticiper et prévenir les épidémies.
Il y a également des outils qui voient le jour dans les pays développés dont l’application dans les pays en développement est trop souvent sous-estimée comme par exemple le projet de l’IFREMMONT qui est un outil performant de prévention à distance des catastrophes.
Et il y a comme cela tout un tas d’innovations et d’idées qui émergent dans le secteur du numérique qui gagnent à être valorisées et qui trouvent d’autres champs d’application notamment auprès des populations défavorisées. Nous devons être le diffuseur de ce genre d’innovations. Je dirais que nous sommes un incubateur et un diffuseur au sens de « mettre en relation les gens » !

Et comment allez-vous vous y prendre pour ce rôle de mise en relation ?
Nous devons travailler avec tous les milieux ( entreprises, université, politiques, société civile ). Il est en effet nécessaire qu’il y ait un portage politique fort d’un côté, l’expertise du privé et la R&D des milieux académiques de l’autre. On s’est donné pour tâche de réunir systématiquement tous ces acteurs là même si ce n’est pas facile ! On veut de la transversalité et pas de logique sectorielle ! Nous avons commencé à Lyon à nous faire connaître en organisant différentes réunions d’information pour sensibiliser les porteurs de projet locaux. L’objectif de ces réunions est d’identifier et déterminer ce qu’il convient le mieux pour accompagner l’expertise locale. Et nous allons faire de même dans les principales villes de France.Comment l’Agence va-t-elle subsister financièrement ?
L’Agence ne fonctionne pas sur la base de subventions mais de prestations de services : nous n’avons pas de projet propre comme peut l’avoir une association, nous avons une expertise et nous construisons, autour de cette expertise, une capacité à rendre des services. Nos clients sont donc les pouvoirs publics ( Etat, collectivités locales ), les entreprises et la société civile.
Et puis, nous fonctionnerons également selon le principe de Genève : celui-ci introduit une clause nouvelle sur les marchés publics relatifs aux technologies de l’information selon laquelle l’entreprise qui a remporté le marché doit rétrocéder 1% du marché au FSN. C’est un principe révolutionnaire ! Le fonds ne fonctionne donc pas uniquement à travers le don mais à travers les mécanismes du marché lui-même, ce qui le différencie des autres fonds. Par ce biais, nous misons sur l’extension du marché du numérique. Nous pensons que les entreprises contributrices y gagnent puisque l’action de l’Agence leur ouvre de nouveaux marchés.

Et comment ce champ d’action mondial de l’Agence se conjugue-t-il avec son ancrage à Lyon ?
L’Agence aura un triple ancrage : local tout d’abord, d’où l’importance pour nous d’identifier les acteurs lyonnais du numérique et les porteurs de projets locaux ( c’est la principale vocation du forum de septembre à ), européen ensuite et enfin dans les pays du Sud qui sont bien sûr parties prenantes. Le vice-président de l’Agence est le représentant de « International Federation of Internet Processing » qui est une organisation mondiale de plus de 35000 professionnels du traitement de l’information, ce qui justifie bien sûr le rayonnement international de l’Agence.

Quelles sont les relations entre le FSN et l’Agence ?
Ce sont bien deux entités autonomes : le fonds a un statut de fondation de droit suisse, l’Agence est une association loi 1901. Chacune a un conseil d’administration avec mandats distincts. Mais bien sûr elles coopèrent, l’Agence est mandatée par le Fonds pour instruire les dossiers. Mais le Fonds n’est pas notre seul partenaire, nous avons également le gouvernement français qui nous a désigné comme son interlocuteur principal sur toutes les questions de solidarité numérique. Nous montons également un partenariat avec Microsoft dans le cadre d’un appui aux PME d’Afrique de l’Ouest pour les aider à utiliser les TIC pour créer des emplois et pas seulement dans le numérique !

L’Agence est le fruit d’une coopération entre Genève et Lyon. Ces deux villes, proches géographiquement, manifestent par là même leur volonté de s’affirmer davantage sur la scène internationale.Vous qui êtes à la fois à Lyon et à Genève, quel est votre point de vue sur le fonctionnement à l’international des deux villes ?
Genève est le siège du plus grand nombre d’organisations internationales au monde ( plus que New-York ! ). Mais cette « Genève Internationale » n’a pas beaucoup de relations avec la Genève « locale » politique,  ou ce sont avant tout des relations protocolaires. De fait, l’expertise genevoise ne passe pas dans l’international. Contrairement à Genève, les organisations de solidarité internationale lyonnaises sont beaucoup plus en lien avec la stratégie de rayonnement international de la ville. Ceci tient notamment aux fonctionnements administratifs et politiques des deux villes qui sont bien différents. 
Il y a une volonté politique de la part de Genève et de Lyon de coopérer sur des dossiers ayant une visibilité politique. Et c’est effectivement sous le signe de cette coopération que Lyon et Genève ont organisé le sommet des collectivités locales et fait en sorte qu’il ait une répercussion à l’ONU. Mais au quotidien, les réalités institutionnelles sont tellement différentes qu’il est difficile de mailler les activités et les projets des deux villes. Mais est-ce vraiment utile ? La mobilisation politique, telle qu’elle s’est exprimée au Sommet ne suffit-elle pas ?L’ancrage de la « Genève Internationale » à Genève  n’est-il pas tout de même important au regard de la pléthore d’ONG qui gravitent autour ?
Oui c’est vrai, elles sont nombreuses, mais ce sont, pour la plupart des ONG internationales dans lesquelles les gens parlent anglais et n’ont pas de lien avec la population genevoise ! Plus de 60% de la population à Genève est étrangère. Ces 60% de gens ont une activité professionnelle qui n’est pas ancrée dans le tissu économique genevois et c’est sur quoi les responsables politiques genevois n’ont pas prise ! Alors qu’à Lyon, ce tissu là fait parti de ce qui peu être exploité à l’international ! Les organisations à Genève ont toutes un statut diplomatique ou particulier qui fait que la ville peut difficilement se les approprier. C’est une barrière à laquelle il faut ajouter celle de la langue ( Genève en grande majorité francophone )

De quels atouts Lyon peut-elle se prévaloir dans le champ de la solidarité internationale ?
Quantitativement il y a beaucoup plus d’acteurs à l’international à Lyon ( et en Rhône-Alpes en particulier ) que dans n’importe quelle ville française, c’est-à-dire des personnes qui, dans le cadre de leurs activités, ont développé des relations avec d’autres pays du monde.
Sur le plan qualitatif, Lyon a également une large palette d’activités qui touchent à l’international et une masse critique dans bien des domaines : économique, associatif et politique. Elle peut se prévaloir de pouvoir jouer sur ces trois tableaux. A Genève, ce n’est pas le cas : ce sont deux entités qui cohabitent mais qui ne sont pas en relations.

De ce point de vue, comment envisagez-vous les relations de l’Agence avec les acteurs lyonnais de la solidarité internationale ?
Elles sont bien sûr invitées au forum pour prendre connaissance, et discuter de l’offre d’expertise et des problèmes qu’elles rencontrent notamment sur la place lyonnaise.
Nous avons des relations avec Resacoop qui a tout de suite vu la complémentarité de nos mandats : nous avons un peu le même rôle que Resacoop à la différence que nous sommes spécialisés dans domaine du numérique et avons une activité à l’international.