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La recherche en virologie dans la région Rhône-Alpes

Interview de Emmanuel DROUET

<< Si l’on considère tous les aspects au niveau de la région Rhône-Alpes, on se rend compte qu’il existe très peu de sites équivalents au monde pour étudier la virologie >>.

Interview d’Emmanuel Drouet, pharmacien, professeur en virologie, Directeur adjoint du Laboratoire de Virologie structurale et moléculaire, Université Joseph Fourier, Grenoble 1.

L'interview fait le point sur la recherche en virologie dans la région Rhône-Alpes. Quel est le rôle de chacun des acteurs, quelle est la part de Lyon, quelles sont les initiatives et quelle est la part de la génomique dans ce domaine ?
Il apparaît qu' il existe très peu de site équivalent au monde pour étudier la virologie.

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Date : 28/02/2005

Pouvez-vous définir ce qu’est la recherche en virologie et quel est son intérêt ?

La recherche en virologie constitue actuellement une nécessité à plusieurs titres. On peut citer l’émergence ou la ré-émergence de maladies infectieuses virales posant des problèmes de santé publique, la nécessité d’amélioration des connaissances en pathogenèse virale notamment les rapports existant entre la persistance des virus dans l’organisme et l’apparition de certains cancers ou de maladies chroniques, le besoin de développer des méthodologies diagnostiques innovantes adaptées à la détection des virus pathogènes et de leurs mutations dans l’organisme et dans l’environnement, ou encore la nécessité de découvrir de nouvelles stratégies antivirales et vaccinales pour améliorer l’arsenal thérapeutique qui reste actuellement limité.

 

Cette année, l’actualité régionale en virologie sera marquée par l’inauguration d’un Institut de Virologie Moléculaire et Structurale, à Grenoble. Pouvez-vous m’en dire plus ?

L’Institut de Virologie Moléculaire et Structurale (IVMS) sera inauguré à l’automne 2005 et accueillera une trentaine de chercheurs de l’actuel laboratoire de virologie moléculaire et structurale qui est une structure mixte UJF-CNRS, actuellement localisé sur deux sites ; le CHU de Grenoble et l’EMBL (Grenoble outstation). Cette initiative s’inscrit au sein d’un projet européen en biologie structurale intégrée (CISB). Celui-ci est soutenu dans le cadre du 6 ème PCRD et se fixe pour objectif l’étude structurale de macromolécules (protéines) ou de complexes macroméculaires choisis pour leur intérêt biomédical. Un bâtiment en cours de construction est dédié pour moitié à l’IVMS et pour l’autre moitié au Partenariat de Biologie Structurale (PSB), collaboration entre l’Institut de Biologie Structurale (IBS), l’Institut Laue Langevin (ILL), l’Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron (ESRF) et le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire, antenne grenobloise de l’EMBL. C’est une mise en commun de moyens pour créer des plates-formes automatisées « haut débit » de clonage, production, cristallisation de macromolécules biologiques et de complexes macromoléculaires. Cela représente un fort potentiel de développement. La création de cet institut est un message fort de la région en faveur du développement du secteur infectio-immunologie en Rhône-Alpes. En effet, l’Institut a été financé pour un peu plus des deux tiers par la région Rhône-Alpes et l’Etat à part égale, le conseil général de l’Isère assurant le reste. L’IVMS est le pari de l’interdisciplinarité : des virologues assureront l’interface entre des biochimistes, des physiciens, des pharmaciens, des médecins voire des mathématiciens. Il agira également de manière concertée avec les laboratoires de recherche en virologie situés à Lyon et en Europe et cherchera à développer des collaborations avec les structures cliniques hospitalo-universitaires, les industries du diagnostic et les industries pharmaceutiques.

 

Comment s’articule la recherche en virologie dans la région Rhône-Alpes ?

En étant un peu schématique, en Rhône-Alpes, la virologie se développera sur deux pôles : le pôle lyonnais reconnu pour sa grande tradition médicale et ses domaines d’excellence que sont la génétique moléculaire et l’immunologie. Les virus y sont étudiés principalement sous leur aspect fonctionnel (pathogénèse, vaccinologie, infectiologie). Le pôle grenoblois dont le développement doit beaucoup à l’installation des grands instruments explorant la structure de la matière condensée (réacteurs de neutrons de l’ILL et synchrotron européen ESRF). L’étude de la structure des virus et de leurs composants y est d’autant plus facile que les principaux laboratoires d’investigation sont tous localisés sur le site du Polygone Scientifique. A Lyon, une politique de site a aussi fortement joué pour le développement du pôle de Gerland où sont regroupés le CERVI (dont le laboratoire de haute sécurité Jean Mérieux), l’ENS et l’Université Claude Bernard. Ces deux villes se sont identifiées de manière différente pour être complémentaires. Les raisons historiques ont été évoquées, mais dans le cas de Grenoble, on ne saurait insister sur l’importance stratégique des grands instruments comme le Synchrotron européen. Ce magnifique instrument permet à tous les biologistes et en particulier aux virologues de « résoudre » des structures. Par exemple, l’étude de la struc ture d’une enzyme virale passera par la « résolution » de sa structure tridimensionnelle. De manière schématique, le processus de résolution est le suivant : on réalise un cristal à partir d’une protéine soluble hautement purifiée, on soumet ce cristal au rayonnement synchrotron (rayons X de très grande énergie) pour étudier son pouvoir de diffraction qui sera par la suite analysé. Cela demande donc la présence de très puissants outils mathématiques d’analyse des données. Il faut souligner que d’autres méthodes d’études structurales existent, comme la RMN (résonance magnétique nucléaire), qui permet des connaissances supplémentaires sur les structures macromoléculaires. Une expertise dans ces approches existe aussi bien à Lyon qu’à Grenoble.

 

Quelles sont les formes de collaboration avec Lyon ?

Notre laboratoire comprend quatre équipes qui travaillent notamment sur les virus pathogènes chez l’homme. On peut citer le virus de la grippe, le virus de la rougeole, ou bien encore le virus de la rage, de l’Herpès et enfin sur le virus de l’hépatite C. D’autres virus, comme l’adénovirus, sont étudiés pour leurs facultés de vectoriser des gènes, et donc d’être utilisés comme médicament. C’est un des paradoxes de la médecine moléculaire moderne ! Plusieurs équipes travaillent sur ces thématiques à Lyon et collaborent avec nous. Elles sont reconnues pour leur compétence (laboratoires du CERVI, de l’ENS, de l’INSERM) et connaissent parfaitement certaines fonctions originales de protéines produites par les virus (protéines douées de pouvoir oncogène ou impliqués dans des étapes stratégiques du cycle viral : entrée virale, activation de transcription, assemblage,…). Ces fonctions, lorsqu’elles sont finement analysées servent de base à une étude structurale ciblée pour des applications médicales ou pharmaceutiques (ex. définition d’une nouvelle cible thérapeutique). Dans l’ensemble, les collaborations fonctionnent très bien car nous somme dans des champs disciplinaires respectivement bien établis. Par ailleurs, dans le cadre du projet Lyon Biopôle, Grenoble est impliqué par deux de ses spécialités, les nanotechnologies et la biologie structurale qui ont des applications non seulement en thérapeutique mais aussi en vaccinologie et en diagnostic biomédical.

 

La proximité territoriale entre les différents acteurs est-elle pour vous un atout fort de la région ?

Comme je l’ai évoqué avant, pour analyser une structure tridimensionnelle, il faut obtenir un cristal qui puisse diffracter les rayons X de très grande énergie, puis analyser les résultats obtenus. Tout cela nécessite des savoir-faire précis et des infrastructures très spécifiques. Un bon exemple est celui de l’analyse des cristaux pour la résolution des structures 3D. Beaucoup de laboratoires académiques et de compagnies industrielles sous-traitent cette activité à l’ESRF, et en pratique envoient leurs cristaux pour qu’ils soient analysés dans le synchrotron. Dans l’ensemble, les technologies d’analyse structurale sont complexes et onéreuses, et il est plus intéressant pour un scientifique qui se pose ce type de problèmes de collaborer avec les laboratoires ou plates-formes qui ont cette expertise. Pour toutes raisons, le fait de pouvoir disposer de grands instruments d’analyse à proximité est, pour nous un avantage énorme. Sur le site grenoblois et en particulier sur le polygone scientifique de Grenoble, un savoir-faire exceptionnel est concentré et, ici plus qu’ailleurs on prend conscience de l’importance de la force de la technologie par rapport à la connaissance pure. Face à un problème biologique, un chercheur si brillant soit-il, sera à un moment donné pénalisé par rapport à celui qui, à niveaux de connaissance égal, dispose des hautes technologies. C’est sur cette analyse que repose la création de l’Institut de Virologie Moléculaire et Structurale : réunir une bonne dose de matière grise avec des technologies de pointe ! Si l’on regarde tous aspects au niveau de la région Rhône-Alpes, on se rend compte qu’il existe très peu de sites équivalents au monde pour étudier la virologie. Vues de Grenoble, deux conditions sont réunies: associer à la fois un synchrotron, des plates-formes « hautdébit » (clonage, expression, cristallisation, détermination des structures) et un Institut dédié à la virologie structurale, réussir des collaborations pertinentes entre deux cités situées à une centaine de kilomètres l’une de l’autre.

 

A quel besoin répond cette initiative ? Quelles sont les attentes ?

Avec l’ère de la génomique, des progrès considérables ont été faits pour la cartographie du génome humain grâce aux outils du séquençage. Puis est venue l’époque de la postgénomique ; c’est celle que nous vivons actuellement. La protéomique qui est l’étude du protéome y constitue l’élément le plus passionnant : le protéome est l’ensemble des protéines constituant un compartiment cellulaire, une cellule, un tissu ou un organisme vivant entier, un agent pathogène. Les connaissances à ce niveau sont beaucoup plus fragmentées et plus ténues que les connaissances des gènes. Si on sait que tous les virus, pour leur réplication et leur survie, interagissent avec un très grand nombre de protéines cellulaires de l’hôte, on mesure l’importance des approches de protéomique. Non seulement, l’analyse structurale a des objectifs en recherche fondamentale, mais celle-ci peut conduire vers des applications majeures en thérapeutique, car elle permet le développement accéléré de nouvelles molécules antivirales, en particulier des molécules qui vont inhiber les enzymes codées par le virus et qui sont nécessaires pour la survie du virus. Le parfait exemple d’application thérapeutique de ce type de recherche est celui de la trithérapie du VIH, qui repose actuellement sur 3 molécules inhibant deux enzymes majeures du virus du SIDA. Nous ne sommes qu’au début de « l’ère de la structure », mais l’automatisation des manipulations à «haut-débit » (avec des quantités d’échantillons 10 à 100 fois moins importantes qu’avant) permettra de faire plusieurs milliers d’expérience par semaine en vue d’étudier une cinquantaine de protéines par mois. On entre dans un type d’approche expérimentale miniaturisée, qui pourra être soit ciblée soit systématique.

 

L’analyse des gènes dans un but thérapeutique est considérée par certains comme un échec de la pharmacie rationnelle, qu’en pensez-vous ?

Nous nous situons, comme je vous l’ai dit, à niveau plus complexe et à la fois plus instructif que le gène. Dans la recherche de molécules actives, la connaissance de la structure atomique d’une cible thérapeutique (enzyme, complexe macromoléculaire) permet de diminuer le côté aléatoire du criblage, de diminuer le nombre de molécules à cribler et par conséquent le coût et les délais. Une autre possibilité consiste à étudier la structure atomique de la cible en complexe avec la molécule (parfois il suffit de tremper les cristaux de la cible dans la solution de molécule). Ceci permet de voir la localisation de la molécule sur la surface de la cible et de prédire des modifications chimiques susceptibles d'améliorer son accommodation et son activité. Ce type d’approche est une rupture considérable par rapport aux approches empiriques ou aléatoires. Il est vrai que la plupart des grandes découvertes thérapeutiques ont été le fruit du hasard comme ce fut le cas pour la pénicilline. L’approche rationnelle dans le cadre du « drug design »via l’étude des structures 3D ou via la RMN est donc une voie d’avenir.