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Un projet d'intégration des immigrés âgés à La Haye

Interview de Rosemary SAMADHAN

<< Je crois que les valeurs de chacun des groupes apportent de la richesse à une société en général >>.

Rosemary Samadhan est directrice de l’association Troisième âge «Groepswonen door ouderen» de La Haye). Cette sociation a été créée pour les femmes âgées vivant en communauté  afin que celles-ci puissent décider de la façon dont elles veulent passer le temps de la vie qui leur reste. 24 projets de vie ont ainsi été créés  dont 10 spécifiquement  pour les immigrés.

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire3, n°28.

Réalisée par :

Date : 15/11/2002

Pouvez-vous expliquer le rôle de votre association ?
L’association pour les personnes âgées "Groepswonen door ouderen" vivant en communauté a été fondée par un groupe de femmes (âgées). Les principaux objectifs de la création de cette association étaient de permettre à ses membres, des personnes âgées sans exclusive, d’avoir le choix sur la manière de passer le temps de vie qu’il leur reste. Les aspects essentiels étant l'indépendance , l’ auto–détermination , la liberté de se gérer eux -mêmes aussi longtemps que possible et le développement personnel. Vivre dans une communauté ne signifie pas que l’on sacrifie son indépendance personnelle. L’âge limite minimum pour être membre est 50 ans mais il n’y a pas de limite d’âge supérieur. Chaque projet de communauté est conçu pour avoir une "salle commune" pour les réunions de groupe et les activités, un lieu confortable et chaleureux où les résidents peuvent se rencontrer et échanger. J’appelle cette salle commune le "cœur" de la communauté. La politique de l’association, au moment de former les groupes est de n’avoir pas plus de 30 résidents par communauté (couples ou célibataires). Les appartements ont 2 , 3 ou 4 chambres. L’association n’agit pas comme une agence immobilière ou de location. Le processus de formation d ’ u n groupe commence en choisissant une fois et demi le nombre de résidents, comme s’il y avait des appartements disponibles dans le projet. Ainsi, bien que quelqu’un ait rejoint le groupe et participe au processus de développement, pour faire partie de celui-ci, il n’est pas sûr d’être peut-être choisi pour vivre dans la communauté.
Dans les dernières étapes du développement du projet, le groupe final est sélectionné par un vote auquel l’ensemble des membres prend part. Ainsi, chaque membre choisit effectivement ses co-résidents. Ce processus de sélection par un vote est unique dans l’univers des résidences. Il s’applique à chaque groupe, qu’ils soient autochtones ou émigrés. Les groupes ont tendance à se former autour de points communs, âge, culture, origine ethnique ou compatibilité sociale. Cette procédure de vote peaufine davantage le système de sélection. La Ville de La Haye encourage vivement et soutient cette philosophie.

 

Pourquoi votre association a-t-elle été créée ?
Les personnes âgées elles-mêmes, ainsi que les élus locaux, savent bien qu’en vieillissant, il devient de plus en plus important pour le bien être des individus de vivre dans un environnement composé de personnes avec un même parcours culturel et, dans le cas des émigrés, de la même langue . Cependant , malheureusement, il est vrai que la plupart des émigrés de cette classe d’âge sont sérieusement handicapés par la barrière de la langue. Ceci est typiquement vrai pour les émigrés venant du Maroc, de Turquie et de Chine. Bien que ces groupes soient arrivés en Hollande il y a 30 ans, leur travail et l’environnement social les ont empêchés de se familiariser avec la langue néerlandaise. I l s ont été cantonnés dans les travaux manuels lourds, salissants et peu rémunérés et ont été rejetés par la main d’œuvre néerlandaise.
Ces emplois ne requéraient pas de leur part qu’ils parlent couramment néerlandais . Comprendre les instructions de base était suffisant. Par exemple, la plupart des Chinois gravitaient autour des cuisines de restaurant où il n’était pas nécessaire de parler néerlandais et où par conséquent , on ne les encourageait, ni leur donnait l’opportunité d’apprendre la langue. Le gouvernement néerlandais a fermé les yeux sur cette situation. Les émigrés turcs et marocains étaient obligés de lutter pour survivre, vivant dans des quartiers surpeuplés, après de longues heures de travail manuel pénible. La nostalgie, le mal du pays et la peine d’être loin de sa famille et de l’amour des siens, s’ajoute au spectre d’un groupe de personnes exploitées. Il n’était pas utile pour eux de parler couramment néerlandais pour exercer leur travail, et la politique consistait à dire qu’ils étaient là seulement pour travailler pendant un certain temps et plus tard ils retourneraient "chez eux". Malheureusement, cela ne s’est pas passé ainsi . Le gouvernement néerlandais a soudain décidé de permettre aux familles des travailleurs d’émigrer également. À présent ce ne sont pas seulement les travailleurs qui ne sont pas intégrés à la société néerlandaise, mais cela s’est accru par l’ensemble de la communauté des femmes et des enfants, des parents ou des proches. En 1987, j’ai soulevé ce problème des émigrés âgés sur la scène politique et notre projet put démarrer pour les ressortissants âgés du Surinam à La Haye. Cinq ans plus tard, en 1992 les premières personnes âgées vivant en communauté et issues de l’émigration devinrent une réalité. Il y a eu de nombreux autres projets réalisés depuis.

 

Quels sont les résultats ?
Actuellement le GDO (Groepswonen door ouderen) a créé 24 projets de vie en communauté pour personnes âgées, dans diverses localités de La Haye. 14 pour des personnes âgées autochtones et 10 pour émigrés. Les 10 projets pour émigrés se composent de :
> 2 pour des Hindous du Surinam , au total 60 appartements,
> 2 pour des Javanais du Surinam, au total 50 appartements
> 1 pour des originaires des Antilles/Aruba, au total 28 appartements,
> 3 pour des Chinois, au total 80 appartements,
> 1 pour des Créoles du Surinam , au total 30 appartements
> 1 pour des Turcs, au total 24 appartements
Je lance également un projet pour des Marocains âgés, avec 33 appartements. Nous espérons démarrer la construction cette année et l’achever l’année prochaine. Il existe également 10 projets pour des autochtones et des émigrés âgés pour un futur proche. Toutes ces réalisations ont été rendues possibles grâce à la politique positive et encourageante de la Ville de La Haye. Le GDO a la tâche de développer deux projets par an. Les résultats indiquent que l’ensemble de ces projets ont été développés à partir de l’origine ethnique. C’était nécessaire afin de répondre aux besoins spécifiques de ces groupes. Il s’agit là des personnes les plus âgées et des émigrés de première génération. Nombre d’entre eux, par exemple les personnes originaires du Surinam, arrivèrent ici au milieu ou dans la dernière moitié de leur vie. Leur vie professionnelle ici a été courte et par conséquent avec peu ou pas d’économies personnelles ou de pension de retraite, ayant ainsi besoin d’aides des services sociaux de l’État. Ce déficit financier a nécessité de notre part de créer l’ensemble de ces projets sur une base de loyer subventionné (à l’exception d’un seul).

 

Qu ’entendez-vous par “intégration ”?
Certains de ces émigrés âgés sont arrivés ici tard au cours de leur vie, ayant quitté leur pays d’origine pour venir rejoindre leurs enfants et petits enfants. C’est toujours un immense bouleversement, parfois traumatisant. Néanmoins, à leur façon et en faisant de leur mieux, ils essayent de s’intégrer, d’apprendre la langue, manger la nourriture et les légumes néerlandais, même si en général ils essayent avant tout de survivre. Mais dans tous les cas,le fait persiste qu’en vieillissant et en abordant les dernières étapes de la vie, notre manière de penser nous ramène à notre passé et à nos origines.
Nous recherchons la sécurité de ce à quoi nous sommes habitués. Il est à regretter, du point de vue de l’intégration, que la culture, le passé et les origines des émigrés âgés, sont un monde à part de la culture et de la société des personnes âgées autochtones. Essayer de mêler ces cultures distinctes dans une seule communauté, c’est un peu comme essayer de mélanger l’eau et l’huile : chaque élément se maintient séparé avec ses caractéristiques propres.
Les personnes âgées autochtones peuvent évoquer la première ou la seconde guerre mondiale et l’hiver de famine, tandis que les émigrés âgés peuvent parler de la suppression et de la discrimination dans les anciennes colonies hollandaises. En dépit de ce type de problèmes, les émigrés âgés vivent déjà dans des communautés, et ouvrent les portes de leur " salle commune " aux personnes âgées autochtones , d'autres communautés. Ils sont invités à des activités sociales et à participer à des repas ethniques. Mais on peut déplorer que cela reste à sens unique. S’il n’existe pas de réciprocité ou de désir de s’apprécier et de se comprendre les uns les autres, le mélange ne prendra pas. Il est prévisible que la seconde, voire même l a troisième génération d’immigrés aura moins de problèmes d’assimilation, pas seulement parce qu’ils seront nés, auront grandi et auront été formés aux Pays-Bas. Mais aussi parce qu’ils ne souffriront pas d’un passé qui les enracine dans un pays étranger ou dans une culture qui les submerge, au lieu de s’adapter à la culture et au style de vie local. Les normes et les valeurs (s’il y en a) ne leur sont pas étrangères. J’ai la chance d’appartenir à cette deuxième génération d’immigrés et ma vie personnelle et professionnelle m’ont permis d’être en contact avec de nombreuses cultures et peuples d’origines ethniques différentes. Je crois que les valeurs de chacun des groupes apportent de la richesse à une société en général. Mais sans le respect et l’honnêteté cela ne se fera pas sans heurts. Mon plus grand enjeu est de développer et de réaliser une communauté de personnes âgées multiculturelle et ethnique, où la devise serait le respect d’autrui et de ses normes et valeurs culturelles. Ce souhait se réalisera probablement avec la "génération baby-boom", qui est née et qui a grandi aux Pays-Bas et qui fait déjà partie de cette société, avec sa culture, ses normes et ses valeurs. J’espère que ce vœu se fera des deux côtés, pour donner à l’intégrations on véritable sens.