Veille M3/Collapsologie : Avec « Les Terrestres », accepter la fin « d’un » monde et construire le suivant
Veille M3/Collapsologie : Avec « Les Terrestres », accepter la fin « d’un » monde et construire le suivant
Article
Dans la bande dessinée « Les Terrestres », l’ancien responsable politique Noël Mamère et l’illustratrice libanaise Raphaëlle Macaron partent à la rencontre de celles et ceux qui ont fait « du combat pour la planète un mode de vie ».
Au fil de ce road-trip, nous suivons le cheminement intellectuel de cette jeune citadine qui découvre tout juste la notion d’effondrement au contact de personnages aux points de vue très divers. L’occasion pour nous de nous intéresser à la pluralité des expériences de la collapsologie, notamment dans un contexte urbain.
C’était le “monde d’avant ”, quand la question de l’effondrement se diffusait à bas bruit. Certains avaient décidé de changer de vie pour mieux se préparer au “monde d’après” : suivant ceux de ma génération des années 1968 qui avaient choisi le “retour à la terre”, ils passaient pour des marginaux, sympathiques pour les uns, subversifs pour les autres, comme l’a démontré la longue bataille de Notre-Dame-des-Landes. Ils n’entraient pas dans le décor, jusqu’à ce que le Covid-19 provoque cet ébranlement inouï de notre civilisation et souligne sa vulnérabilité. En quelques heures à peine, ces marginaux des éco-lieux sont apparus comme les plus heureux du monde, protégés dans leurs communautés campagnardes, ne dépendant de personne d’autre qu’eux-mêmes pour subvenir à leurs besoins. Ils sont devenus le modèle de tant de citadins qui se sont précipités à la campagne dans une sorte de reflexe survivaliste révélateur du malaise ambiant et de la peur de l’effondrement.
Ces quelques lignes introduisent Les Terrestres, l’ouvrage saisissant de Noël Mamère (ancien maire écologiste de Bègles et candidat à l’élection présidentielle de 2002) et Raphaëlle Macaron (illustratrice libanaise) paru en septembre 2020. Cette bande dessinée retrace cinq reportages menés par ce duo insolite auprès de celles et ceux qui ont fait le choix d’adopter des modes de vie dits « alternatifs ». De Langouet aux 100 noms de Notre-Dame-des-Landes, une question en fil rouge : « Quel rôle a joué l’effondrement dans votre décision ? ». Tous ne sont pas convaincus par cette notion, et nourrissent la réflexion de Raphaëlle de points de vue nuancés.
Ce livre retrace également l’apprivoisement mutuel des deux auteurs, d’origines et de générations différentes, qui réagissent de manière distincte aux discours sur un effondrement prochain. Pour Raphaëlle Macaron, qui découvre tout juste la collapsologie, la retenue laisse place à « l’éco-anxiété », cette angoisse contemporaine aux frontières du désespoir. Mais petit à petit, sa vision se nuance sous l’influence de ses parents, Libanais ayant connu la guerre, et de Noël, pour qui il ne s’agit pas de la fin du monde, mais seulement d’un monde, un changement nécessaire qu’il nous faudra accompagner.
Sceptique, résigné, résilient : quel collapsonaute êtes-vous ?
On rencontre régulièrement le terme de « collapsonaute » pour désigner celles et ceux qui souscrivent à la thèse d’un effondrement prochain notre civilisation, et agissent en conséquence. Depuis 2018, l’Observatoire des vécus du collapse (OBVECO) mène des études en France afin de comprendre les impacts psychologiques et comportementaux des discours les plus alarmistes.
Leur rapport d’étude 2020 propose quatre profils types, associés à leur part des sondés, qui, même s’ils ne semblent pas exhaustifs (notamment du fait de leur ethnocentrisme), sont éclairants :
Les profils actifs ont en commun la mise en action, et ils semblent souvent réduits à des figures caricaturales : communautés autogérées adeptes de la permaculture d’un côté, survivalistes collectionneurs de boîtes de conserve, d’armes et de stages de survie de l’autre. L’optimiste actif apparaît souvent dans notre imaginaire comme ce jeune citadin diplômé, bénéficiant de ressources socio-culturelles et économiques importantes, et qui fait le choix de migrer à la campagne pour mener une vie plus proche de ses idéaux.
On retrouve plus ou moins ce profil tout au long des reportages dessinés, ces personnes regrettant une militance trop limitée en ville, et exprimant la volonté de se libérer d’un système trop verrouillé pour mieux se préparer aux bouleversements à venir. Pour la plupart, cela passe par le renoncement à leur vie antérieure : urbaine et confortable, mais caractérisée par la dépendance aux systèmes énergétique, alimentaire et politique.
Ces positions interrogent Raphaëlle sur son propre mode de vie : elle prend conscience de ce qu’implique sa condition de citadine, et de son incapacité à subvenir elle-même à ses besoins. Malgré cette réflexion, les deux reporters s’avouent leur refus de changer leur quotidien pour ces modes de vie alternatifs.
Vulnérabilité face à l’effondrement : vers un exode urbain massif ?
Si la ville a longtemps été un lieu de refuge, elle semble de nos jours faire figure de repoussoir pour un nombre croissant de nos contemporains.
Un exode urbain aurait même lieu depuis quelques années, comme l’illustre la baisse de la population parisienne de ces dernières années (54 000 de moins en cinq ans). Outre l’attirance pour la maison individuelle et la recherche d’une meilleure qualité de vie, ce reflux peut s’interpréter à travers le prisme d’une inquiétude quant au risque d’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle.
L’accès à la terre, qui permet l’autonomie alimentaire et énergétique, ainsi que la reconnexion à la nature, apparaissent comme les critères déterminants de ce choix. Malgré le risque d’étalement et d’augmentation incontrôlé des zones dites « rurbaines », les éco-lieux fleurissent, installés dans des zones choisies selon une combinaison de critères associant climat, présence de réseaux de permaculteurs, éloignement de zones Seveso, qualité des ressources en eau, accès au numérique, etc.
L’espace urbain apparaît en effet comme particulièrement vulnérable. Ses grandes fragilités tiennent à l’artificialisation des sols, la densité de population, ou encore la dépendance aux réseaux de transports de marchandise et de communication. Les mégalopoles se sont étendues de manière tentaculaire, grâce aux carburants bon marché qui permettent l’acheminement des marchandises extérieures et le déplacement des personnes. Si l’on admet la perspective du pic pétrolier et la nécessaire baisse de notre consommation énergétique, le visage de nos villes pourrait alors radicalement changer.
La capitale et ses alentours sont ainsi profondément métamorphosés : hausse des coûts énergétiques, fin de la voiture individuelle, baisse de la population (les zones agricoles deviennent les nouveaux bassins d’emploi), recomposition des échelons de gouvernance avec des biorégions solidaires, autoroutes cyclables, embarcations à voile et à rames, chemins de fers, reboisement, désartificialisation des sols, retour des moulins à eau, à vent et de la traction animale, permaculture, économie circulaire, reruralisation des banlieues et agriculture urbaine… Finalement, on sort de ce rapport plutôt séduit par les bouleversements annoncés !
Comment agir dès aujourd’hui ?
Ce futur désirable constitué de biorégions solidaires permet d’une part de penser la résilience de nos modes de vies, et d’autre part de s’extraire de la dichotomie ville/campagne pour imaginer une complémentarité entre différents types d’espaces. Les villes ont besoin de territoires ruraux car l’autosuffisance alimentaire urbaine est a priori utopique, et ces derniers ont besoin de la concentration d’infrastructures des villes (accès au soin et à la culture).
Dans l’agglomération lyonnaise, où les espaces agricoles occupent près de 26 000 ha et 36 % de la surface du territoire, villes et campagnes seront donc peut-être amenées à tisser des liens plus importants, à concevoir de nouvelles manières de se loger, se nourrir, se déplacer et produire son énergie, s’appuyant sur des savoir-faire et produits locaux, tels les légumes anciens et les usages des fleuves.
Mais ce rapport de l’Institut Momentum s’appuie sur une méthode backcasting, c’est à dire qu’elle définit un objectif de ville engageante, puis étudie les choix à mettre en œuvre pour y parvenir. Ce n’est donc qu’un scénario parmi d’autres, dont certains sont bien moins optimistes. Selon certains chercheurs, la tendance actuelle globale serait d’ailleurs davantage à une résistance des villes riches, caractérisée par une fracture sociale toujours plus importante entre des mondes hermétiques (élites économiques qui s’assurent des ilots d’opulence/bidonvilles abandonnés des pouvoirs publics). Si cette ville désagrégée peut sembler lointaine, les stratégies survivalistes sont pourtant déjà bien investies par certains milliardaires par exemple. Pour le philosophe Bruno Latour, ces comportements révèlent une tendance sombre, le renoncement de certains à un monde commun.
Finalement, c’est de nos jours que ces modes de vie du futur se dessinent. Mais alors, si les pouvoirs publics tardent à se saisir des réformes d’envergure à mener, et si je ne peux/ne veux pas m’offrir un refuge paysan autosuffisant ou un bunker de luxe, que faire ?
Pour beaucoup, le salut passera par les connexions humaines, la création et l’entretien de réseaux d’entraide qui permettent de monter des initiatives, engager résolument la transition vers de nouveaux modes de vie et favoriser la résilience face aux chocs à venir par une culture de la coopération et du bien commun. Pour y parvenir, les actions citoyennes sont déjà nombreuses sur le territoire grand-lyonnais : Amaps, grainothèques, jardins, poulaillers ou composteurs partagés, épiceries sociales et solidaires, ressourceries, ateliers d’autoréparation…
Vous pouvez retrouver une grande partie de ces initiatives, ou même en lancer une grâce à la carte collaborative ou le guide « Agir à Lyon et ses alentours » de l’association Anciela, qui œuvre à faire converger les énergies du territoire vers une société plus écologique et solidaire.
Les luttes sociales sont également à considérer, comme le souligne Noël Mamère à propos des révoltes populaires qui marquent le Liban depuis 2019 : le réveil des peuples marque le début de toute transition majeure. Ainsi, même si les menaces auxquelles nous sommes confrontés ne s’effaceront pas seulement à coup de gestes individuels, les témoignages collectés dans Les Terrestres nous rappelle qu’une partie de la solution devra forcément venir « d’en bas ».
Noël MAMÈRE et Raphaëlle MACARON, Les Terrestres, Éditions du Faubourg 2020
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