Blandine Melay, service Énergie Climat du Grand Lyon : « Le climat a déjà changé chez nous. On pointe de l’anxiété chez les habitants »
Interview de Blandine Melay
Responsable du service Énergie Climat à la Métropole de Lyon
< Retour au sommaire du dossier
Article
Malou :
Alors que nous sommes encore confinés, le printemps 2020 constitue pour moi une période de consolidation de la méthodologie d’enquête, et de formalisation des outils. Dans ce contexte de crise sanitaire, les prises de contact en amont de l’été se font malheureusement à distance, mais je ne désespère pas de pouvoir réaliser quand même le terrain. Je décide même d’emménager à Saint-Priest, accueillie par une famille pour les trois mois de l’été.
C’est dans cette période à la fois éprouvante et stimulante que je reçois un mail d’Angela. Elle a entendu parler de mes travaux par sa responsable de service et par ma tutrice de thèse. Angela, qui achève une formation en audiovisuel, souhaite mettre ses nouvelles compétences au service de la collectivité et des sujets qui l'animent. Elle me propose ainsi que nous collaborions pour réaliser un film documentaire en lien avec mon sujet de recherche.
Cette perspective m’inspire pour deux raisons : l’apport d’un point de vue extérieur sur une enquête de terrain habituellement très solitaire, et la découverte d’une nouvelle forme de restitution. J'utilise déjà le dessin pour rendre compte du travail de recherche, et l'idée d'un film documentaire m'attire énormément. Ce projet audiovisuel et la présence d’Angela à mes côtés sont des facteurs qui faciliteront, j’en suis sûre, les passerelles entre la thèse et l’action publique, enjeu essentiel d’une thèse Cifre.
Angela :
Pour notre premier jour de travail ensemble, Malou me propose de faire le tour de la ville. J'arrive par la gare TER quasiment déserte. Saint-Priest est la commune la plus à l’est de l’agglomération, une transition entre zones urbaines et rurales, qui offre une grande diversité d’atmosphères.
C'est jour de marché, le centre-ville est très vivant. Je découvre ensuite le château de Saint-Priest, qui domine un jardin à la française extrêmement bien entretenu. Après le château, Saint-Priest Village nous attend, avec ses petites ruelles et ses commerces de quartier.
Nous poursuivons notre promenade vers le parc du Fort, où une petite forêt nous permet de faire une pause à l'ombre des arbres. De là, nous finissons par rejoindre Bel Air, grand secteur d'habitat social en barres et en tours des années 1960. Je suis saisie par l’immensité des espaces et leur faible densité au sol.
Je prends conscience de l’ampleur du territoire que nous voulons couvrir, et de la diversité́ des problématiques soulevées par le sujet de la thèse de Malou.
Malou :
Sur le terrain, nous avons rencontré un accueil très chaleureux de la part des associations locales. Nous sommes accueillies par l’équipe de la MJC Jean Cocteau, où nous nous ressourçons et échangeons sur l’avancée du projet audiovisuel.
Après 15 jours à arpenter la commune, à observer certains lieux, à provoquer des rencontres formelles ou informelles, Angela me propose que nous « resserrions » le sujet du film - on parle encore de film à ce moment-là̀ - sur les pratiques des habitants, chez eux, en périodes de fortes chaleurs.
Chaque logement est un espace qui structure la vie quotidienne. Il propose de nombreuses possibilités de récit sur le rapport à la chaleur, des ressentis jusqu’aux comportements pour s’en prémunir. D’ailleurs, en cette période de sortie de confinement, le « chez soi » reste particulièrement investi.
Angela :
En activant mes réseaux professionnels et amicaux, je rencontre une série d'habitants de Saint-Priest. Je m'appuie sur ces premiers contacts pour en obtenir d'autres, de manière à être toujours introduite par quelqu'un, ce qui met en confiance celles et ceux qui m'ouvrent leur porte. Je réalise une série d'entretiens libres dans différents logements, et perçois ainsi la ville depuis un nouveau point de vue : les fenêtres des gens.
Peu à peu, j'amène auprès de mes interlocuteurs l'idée de participer à un film documentaire. J'obtiens l'accord sans réserve de deux des trois personnes que je sollicite. Un couple de personnes âgées, que j'ai trouvé exemplaire dans sa lutte contre la chaleur, émet toutefois des réserves quant à l’usage de la caméra. Il souhaite rester anonyme. Je propose alors une formule qui répond aussi à notre envie avec Malou d'utiliser ses compétences en dessin : il s’agira d'un projet « audio-dessiné ».
Nous enregistrerons les voix, et Malou dessinera les illustrations. Tout le monde est partant pour cette formule. Quand nous présentons cette idée à la Métropole, nos interlocuteurs nous donnent carte blanche, tant sur le fond que sur la forme.
Malou :
Après de longues discussions, nous décidons d'être toutes deux présentes lors des sessions d’enregistrement. Je tiens la perche du micro, tandis qu’Angela mène les entretiens, tout en veillant à la qualité du son. Nous profitons de notre présence chez les habitants pour faire les photos qui vont servir de base à mes dessins. Le cadrage se fait en collaboration avec eux.
Certaines prises de vues sont mises en scène. Ainsi, Nicole se prend au jeu de recomposer le décor de son quotidien matinal : le petit-déjeuner, les fenêtres ouvertes pour laisser passer l’air frais du matin… Christelle et Orlando reconstituent le déjeuner dans la cuisine, avec les volets fermés pour s’abriter du soleil.
Ces mises en place sont également un prétexte pour relancer la discussion avec les habitants sur leur confort, l’été dans leur logement. Au fur et à mesure de ces conversations informelles, les propos s’étayent et se consolident.
Angela :
Une fois les enregistrements réalisés, nous prenons le temps de les écouter ensemble et commençons à nous mettre d'accord sur des premiers choix de montage. C'est ce qu'on appelle le dérushage. Je pars ensuite en montage audio, tandis que Malou se charge de l'élaboration des dessins.
Pour mettre les habitants au cœur de notre projet, nous le structurons autour des trois témoignages, plutôt qu’à partir de thématiques telles que les petits gestes, les petits ou gros travaux, etc. Nous privilégions ainsi l’immersion dans les univers de chacun, et faisons le pari que ces grandes lignes directrices seront comprises. Un temps, nous hésitons à insérer des cartons pour expliquer le sens de chaque partie, mais nous choisissons finalement de faire confiance au spectateur.
Au niveau du dessin, l’enjeu est de trouver une cohérence entre l’image et la parole, en évitant les répétitions, sauf sur certains points sur lesquels nous souhaitons vraiment insister. Je demande à Malou de mettre en avant les jeux de lumière, et d'insister sur ce paradoxe : en été, on vit dans le noir.
Malou :
Au terme de ce long parcours, nous souhaitons partager notre travail. Nous réunissons un groupe composé de six collègues de la Métropole. Ces premiers retours sont positifs : « On se replonge dans l’été, dans la canicule grâce au rythme de la parole habitante et des dessins fixes. On a l’impression d’être avec eux ».
À cet intérêt pour notre approche immersive s’ajoute celui pour la qualité des données restituées : « Le podcast incarne les données plus factuelles, que l’on ne peut avoir avec les approches barométriques », ou « Ces récits, que l’on n’a pas l’habitude de voir à la Métropole, nous extraient des grandes analyses ».
Par contre, la durée de 16 minutes les questionne : « C’est un support très long par rapport aux formats que l’on a l’habitude de voir à la Métropole », « Quelle place lui donner dans le cadre de nos instances ? ».
Nous souhaitons respecter notre parti pris, qui était de permettre à l’auditeur de prendre le temps d’entendre toute la subtilité d’une parole et d’un vécu. Mais nous voulons aussi prendre en compte les remarques du groupe. Nous réalisons donc une nouvelle version plus courte, dont la conclusion est enrichie d’éléments qui invitent à la discussion. Ce support de moins de 10 minutes vise ainsi par exemple à introduire une réunion, ou un débat entre différents acteurs.
Angela :
Nous présentons notre projet dans un atelier interservices qui réunit, dans le cadre de la thèse, des professionnels issus de champs d’action transversaux : aménagement du territoire, santé, environnement, habitat/logement, cohésion sociale…
Ce moment permet à chacun de mettre à distance les débats d'experts, pour prêter l’oreille à des récits concrets, qui traduisent mieux que nous les difficultés dues à la chaleur, et l’importance d'agir vite pour éviter la généralisation des climatisations individuelles, problématiques en matière de respect de l’environnement.
Cette expérience donne lieu ensuite à plusieurs autres présentations, dans différents services : Développement durable, Prospective, Communication. Le podcast est également transmis auprès de notre vice-président en charge de l'énergie et du climat. Nous recevons partout un accueil très enthousiaste, qui nourrit la réflexion de la Métropole sur ce sujet, ainsi que sur la place de la parole des habitants dans l'institution.
Malou :
Au sein de la Métropole, depuis le début du nouveau mandat, la question du changement climatique avait déjà pris une nouvelle dimension, plus transversale, et plus profondément inscrite dans les démarches opérationnelles. Une réorganisation a conduit à la création d’une Délégation de la Transition Environnementale et Énergétique. Le Plan Climat fait maintenant partie de l’ancienne Mission Énergie, nommée désormais Service Énergie Climat.
Alors que je continue de collaborer avec ces équipes, ces convergences m’amènent à travailler de nouveau avec Angela, qui s’est vue doter de nouvelles missions liées aux fortes chaleurs. Ce thème est abordé à un niveau d’abord technique, mais avec aussi une approche plus sensible, par le biais notamment de la médiation culturelle.
Finalement, à bas bruit, les témoignages de Lotfi, Nicole, Roger, Christelle et Orlando ont fait bouger quelques lignes. Plutôt que présenter l’habituel PowerPoint synthétisant mes données de recherches, j’ai pu, grâce au savoir-faire d’Angela et à la bienveillance des personnes rencontrées, m’aventurer moi aussi sur le terrain a priori plus délicat d’une certaine médiation. Cela ne remet évidemment pas en cause l’intérêt que je porte aux enseignements plus académiques, bien au contraire. Cela les reconnecte juste, dans mon travail, à leur vocation première : mieux comprendre ce que vivent les habitants, pour mieux le prendre en compte dans une réflexion tournée vers l’avenir.
Interview de Blandine Melay
Responsable du service Énergie Climat à la Métropole de Lyon
Article
Fortes chaleurs : Rejoignez sur leur banc Monique, Claudia, Édith et Alexa, habitantes du quartier Bel-Air à Saint-Priest.
Article
Fortes chaleurs : découvrez le témoignage sensible d’Anissa, 24 ans, habitante de Saint-Priest, qui redoute chaque été la « surchauffe » !
Article
Fortes chaleurs : Quand sciences humaines et création audiovisuelle s’unissent pour nous raconter « un été à Saint-Priest ».
Article
Synthèse des résultats de l’étude sur les fortes chaleurs pilotée en 2020 par les services Usages et Expérimentation et Énergie Climat de la Métropole de Lyon.
Interview de Pascal Goubier
Directeur adjoint du service Patrimoine végétal de la Métropole de Lyon
Étude
Attitudes et comportements en matière d’éco-rénovation en copropriétés - Extraits de l'étude marketing plateforme éco-rénovation de la Métropole de Lyon.
Article
À quoi sert ce nouvel outil de mesure et de projection, et quelles perspectives ouvre sa mise en œuvre ?
Article
À quoi l’Union européenne et ses États membres doivent-ils se préparer ?
À quels basculements devons-nous nous préparer ?
Article
Quel réseau d’acteurs engagés dans la lutte contre le changement climatique ?
Article
14 définitions pour comprendre le rôle des territoires dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Interview de Lucie Vacher
VP de la Métropole de Lyon Enfance, Famille et Jeunesse
Interview de Marie Mazzoni
Chargée de projets / Délégation Solidarités Habitat et Éducation, Pôle Personnes Âgées et Personnes Handicapées – Autonomie - Unité Projets Études et Coordination