Portrait-Robot
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Quand la métropole lyonnaise met en scène son intelligence et son énergie dans l'univers des robots !
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Interview de Bruno Bonnell
<< La robotique est un vrai secteur de développement et d'opportunités >>.
Spécialiste du monde numérique (jeux vidéos, Internet) et de la robotique, l’entrepreneur lyonnais Bruno Bonnell dirige depuis 2006 le leader de la robotique de service en France, Robopolis, installé à Villeurbanne. Ce passionné de technologies est convaincu que les robots vont radicalement transformer notre vie quotidienne dans les 20 prochaines années et marquer ainsi « une nouvelle étape pour l’humanité ».
Dans Viva la robolution, Bruno Bonnell écrit, avec une grande clarté et beaucoup de conviction, le manifeste de la révolution robotique. De la robot-ambiguïté à la robot-opportunité, Bruno Bonnell revient dans cet entretien sur les idées forces de cette robolution annoncée.
Vous avez créé Infogrames en 1983, devenue 2e scie mondiale de jeux vidéos avec le rachat d’Atari. En 1995, vous avez créé Infonie, la 1ère plate-forme internet en France puis Game one, la 1ère TV internet. Aujourd’hui, vous présidez Robopolis. Des jeux vidéos à la robotique en passant par Internet… Quel regard portez-vous sur ce parcours ; est-ce un cheminement cohérent ?
C’est très cohérent ! Ce cheminement vient d’une passion historique que j’ai pour la technologie, et de la croyance fondamentale que la technologie permet de résoudre pas mal de problèmes sociétaux. J’ai aussi une réelle passion pour cette nouvelle dimension qu’ont pris les médias, et maintenant les objets, qui est l’interactivité et l’intelligence. Jusqu’aux jeux vidéo, en gros, les médias étaient des médias d’impression. A partir du moment où on a commencé à inclure de l’interactivité, ils sont devenus des médias d’expression. A l’instar d’un instrument de musique par exemple, une console vidéo permet de véritablement exprimer des choses qui sont à l’intérieur de soi. Ce basculement média d’impression / média d’expression a eu des déclinaisons sous forme de jeux vidéos, de réseaux internet et aujourd’hui il va vers beaucoup plus de dimensions si l’on prend en compte que tous les objets qui nous entourent vont acquérir une forme d’intelligence, sans exception. C’est donc le cheminement totalement logique d’une intelligence apportée d’abord aux médias, puis maintenant aux objets.
Vous rappelez dans votre livre que le terme « robot » date des années 20, que c’est un rêve d’écrivain caressé par Karel Capek, Isaac Asimov, etc. On annonce donc les robots depuis bien plus longtemps que des innovations technologiques plus inattendues qui, en dix ans, ont révolutionné notre quotidien : ordinateurs, Internet, téléphonie mobile… Comment expliquez-vous ce décalage ?
Il est assez simple. Le rêve de robot est basé sur le rêve de l’androïde, du clone décérébré de l’homme, il date même d’avant : du Golem ! C’est un peu un fantasme légendaire d’avoir une espèce d’esclave décérébré qui, à côté de nous, exécuterait les tâches pénibles. Alors que la réalité du robot, c’est quelque chose de beaucoup plus pragmatique et simple. Un robot est composé de capteurs qui sont capables de comprendre un environnement - ça peut être des capteurs visuels, des capteurs sonores sous forme d’un micro par exemple ou des capteurs de distance avec des infrarouges -, d’analyser et de travailler ces données, comme un ordinateur, et d’agir sur l’environnement à travers des actionneurs. C’est ça, un robot : cette trilogie « capteur, processeur, actionneur ». Ça n’a rien à voir avec l’androïde ou l’humanoïde qui ne sont qu’une branche dans la grande famille des robots. Je crois que là réside l’ambiguïté : on a utilisé le mot robot pour désigner en fait des clones mécaniques de l’être humain. Alors que la réalité des robots, c’est que ce sont une grande variété de machines rendues intelligentes qui vont nous entourer demain.
Vous annoncez « la robolution », terme très fort puisqu’il est formé à partir du mot « révolution ». Va-t-on vraiment au devant de transformations et de ruptures radicales avec la robotique ?
A l’avènement des machines industrielles, mues par la vapeur puis l’électricité, au milieu du 19e siècle, on a utilisé le terme de révolution industrielle. Avec le recul de l’histoire, on a constaté que ça avait tellement transformé la société, qu’il s’agissait d’une révolution industrielle totale. Ici, j’anticipe sur cette révolution apportée par la robotique : cette intelligence accordée aux machines va effectivement transformer tout notre corps social.
Le transport urbain a déjà commencé sa « robolution » puisque les métros et les trams automatiques existent déjà. Demain les voitures automatiques existeront. Des voitures robotiques, sans volant ni pédale, seront capables de vous emmener à une destination, tandis qu’à l’intérieur vous serez un peu comme dans une diligence du bon vieux temps, vous pourrez dormir en toute sécurité. Imaginez que la voiture d’aujourd’hui, avec ce qu’elle occupe dans notre espace social, devienne un cube avec des canapés à l’intérieur qui nous emmène sur une certaine distance, c’est une véritable révolution sociale ! En plus, quand on imagine que ça tournera 24h sur 24, 7 jours sur 7 pour améliorer les flux et les transits dans la ville, on est vraiment dans une révolution au niveau des transports.
Autre exemple : le secteur médical. Aujourd’hui, une visite chez le médecin en France dure à peu près 12 minutes dont la moitié sont consacrées à des gestes techniques ou administratifs. On pourrait très bien imaginer qu’il y ait un robot assistant au médecin qui fasse non pas un pré-diagnostic mais qui tire des conclusions à partir d’un certain nombre de données prises sur le patient : la tension, la pression artérielle, une goutte de sang, que sais-je ? Il pourrait gérer au passage l’administratif. Du coup, les dix minutes que le patient va passer avec le médecin vont être des minutes humaines, de conclusion, de discours, de dialogue. Ça va être, encore une fois, une autre forme de « robolution ».
C’est pour cela que je pense que quand on commencera à utiliser des machines intelligentes comme partenaires de vie, ça va changer notre structure sociale.
Il existe beaucoup de visions fantasmatiques voire démoniaques de robots perçus comme des esclaves mécaniques ou des rivaux de l’homme. Vous avez une vision plus optimiste et rationnelle. Quelle est votre définition du robot ; en quoi est-il fondamentalement différent de l’homme et ne peut pas rivaliser avec lui ?
D’abord un robot ne pense pas, il calcule et il déduit, ce qui n’a rien à voir. L’homme a une caractéristique : il pense par analogie, par métaphore, par intuition ; il va faire des associations. On peut le simuler avec des programmes informatiques compliqués, on ne peut pas le reproduire. Ce que peut faire l’homme avec son imagination, sa capacité de rêver, le robot est juste incapable de le faire. Il est capable d’avoir une référence de base de données et de s’y référer sans arrêt. La 2e donnée est qu’il faudrait qu’il ait une notion du bien et du mal et une peur de mourir comme dans 2001 l’Odyssée de l’espace par exemple, pour arriver à exprimer une espèce de sentiment primaire.
Ma conviction personnelle, c’est qu’on a un supplément d’âme ; la vie ne se réduit pas à une chaîne ADN et à des mécanismes chimiques. On peut avoir envie, dans les fantasmes de l’alchimie classique ou de n’importe quelle religion, d’avoir ce pouvoir de mettre un doigt sur le robot et qu’il prenne vie, à la façon de Frankenstein. Mais ce n’est pas notre sujet du tout. Et puis le robot n’est pas unique : on sera entouré de robots. C’est une évolution des objets qui nous entourent pour améliorer la condition humaine.
Pourquoi tant de robots persistent-ils à avoir une forme humanoïde ?
On a toujours tendance, face à la nouveauté, à vouloir la raccrocher à quelque chose de familier. Une machine intelligente doit donc ressembler à des hommes. On pense qu’on va l’accepter plus facilement. Pourtant tout le monde adore R2D2 dans La Guerre des étoiles, et c’est une grosse boîte de conserve !
La plus grosse disruption, c’est le robot aspirateur. Il n’a pas de manche, pas de sac, il ne fonctionne pas sur les mêmes principes aérodynamiques qu’un aspirateur classique. C’est une galette qui se promène toute seule, qui passe sous les lits, se débrouille, rentre à sa base, etc. Ça c’est une vraie rupture, car on a réinventé la manière de faire l’aspiration.
C’est pour ça que les robots qui vont envahir notre vie personnelle n’auront vraisemblablement pas, avant longtemps, une forme humanoïde. Je pense que ce sont des designs originaux répondant à des questions fonctionnelles, comme le robot aspirateur, qui seront les gagnants.
Vous estimez que la « robolution » va faire naître de nouveaux rapports aux objets. En leur confiant l’exécution de tâches complexes, comme la garde d’enfants, ou le transport de personnes, on leur fera « confiance ». Pourtant, confier la garde de ses enfants à un robot peut paraître pour l’heure totalement impensable !
Ça vous paraît impensable parce que vous êtes dans votre époque. Mais je vais vous donner deux exemples pour vous montrer que c’est fou. Quand vous montez dans un taxi, vous avez une probabilité non négligeable que le gars soit bourré, sous cannabis, dans un état de nervosité extrême, voire carrément fou. Cette probabilité n’est pas négligeable, et pourtant vous montez dans un taxi. Quand vous appelez une baby-sitter de dépannage, vous avez également une probabilité non négligeable que la jeune fille vide votre cave à vin, invite son petit ami, et qu’en fait vos enfants ne soient pas gardés.
Si c’est une machine, qui a, elle, une très forte probabilité de ne pas se tromper, elle peut remplir sa mission extrêmement correctement. Moins vite que l’homme aujourd’hui, mais plus rigoureusement. Si vous confier la garde de votre bébé qui dort à une machine équipée d’un monitoring, elle pourra vous avertir si votre bébé vomit, s’il a une régurgitation ou fait une tachycardie. Alors que la baby sitter qui regarde la télé dans le salon ne s’en rendra même pas compte.
Vous touchez là une question fondamentale. Je vous prédis que demain, vous ferez confiance aux objets. Cette intelligence apportée aux machines va de plus en plus vous rassurer. Vous faites déjà confiance aujourd’hui à votre métro automatique pour s’arrêter à la bonne station, ouvrir la bonne porte et de ne pas vous écraser en la refermant. Cela, vous le faites déjà. Progressivement, dans votre vie, vous ferez confiance à ces objets intelligents.
L’introduction de robots dans l’intimité de la vie courante des humains est déjà largement acceptée en Asie. Cette acceptation relève-t-elle d’un phénomène culturel propre à l’Asie ?
Le rapport à l’objet est complètement différent en Asie et en occident. Les religions, soit le confucianisme, soit l’animisme, font qu’on accepte l’idée que les objets aient une âme, soient remplis d’une énergie particulière. Nous, on considère qu’il n’y a que l’être humain qui a cette capacité d’humanité et cette âme intérieure alors que les objets sont des choses du monde physique. Dans la culture chinoise, japonaise ou coréenne, une stèle sacrée est véritablement sacrée. Elle a un caractère charnel. Chez nous, elle est juste symbolique.
De là à parler aux objets ! Ça peut paraître un peu ridicule, non ?
Détrompez-vous ! On a vendu 100 000 robots aspirateurs rumba® en France. Et bien 100% des gens qui en ont lui donnent un nom. Ça commence comme ça, parler à un objet : lui donner un nom. Mon beau-père, à qui j’ai offert un robot-tondeuse, l’appelle Joséphine. Il vient la voir travailler et lui dit : « Joséphine, t’as bien bossé ». Et il n’est pas ridicule, car il le dit d’une façon assez spontanée !
Vous rapportez que l’assistance aux personnes âgées par la robotique est un véritable enjeu stratégique national au Japon. Vous dites que des robots assurant le transport de la personne âgée, effectuant des piqûres ou dispensant des soins seront sur le marché d’ici 2011…
Il y a des expériences actuellement menées dans les hôpitaux. Du matériel est testé pour être mis à disposition, dès l’année prochaine, dans des centres de soins du type maisons de retraite. Et on basculera à domicile assez rapidement : ce n’est qu’une question de coût. On a vu, on voit, des robots qui transportent des personnes du lit à la chaise, dans des conditions de confort et de sécurité absolues. En tout cas pas pire qu’avec un être humain qui fait le geste, voire beaucoup mieux !
Vous expliquez que le marché de la robotique est totalement dominé par les asiatiques tandis que l’Amérique est à la traîne. Vous avez pourtant envie de pousser un « cocorobot ! » La France a-t-elle vraiment des motifs de fierté dans le domaine de la robotique ?
Les pays qui dominent aujourd’hui la robotique, sont le Japon et la Corée. L’Amérique est à la traîne parce que l’Amérique a fait rimer presqu’exclusivement innovation avec Internet. Ça a vraiment mis une chape de plomb sur tout autre type d’innovations. Ceci dit, il ne faut pas sous-estimer les Américains : ils ont un marché intérieur important et peuvent réagir très vite. Par contre, en Europe, on est très organisé et on a de très très bons labos de recherche en robotique. Ce qu’on ne sait pas faire aujourd’hui, c’est faire passer ces travaux de recherche et cette sophistication à une phase industrielle. En France, plus d’une soixantaine de labos travaillent sur la robotique. Ils sont reconnus dans le monde entier comme étant des labos d’élite, mais ils ne passent pas le cap de l’industrialisation. C’est pour ça qu’il faut nous réveiller ! La robotique est un vrai secteur de développement et d’opportunité. Il serait intéressant qu’on l’exploite mieux qu’on a exploité d’autres secteurs comme l’Internet par exemple. On avait les meilleurs du monde avec le minitel, on avait toutes les statistiques de consommation, toutes les analyses pour prévoir ce qui allait marcher sur Internet, comme les e-bay et compagnie, et on a tout raté. Aujourd’hui, on revient bien sûr, mais Google, E-bay ou Skype, ne sont pas français, et j’en passe et des meilleurs.
Rhône-Alpes et l’agglomération lyonnaise ont-ils des atouts pour peser dans le domaine de la robotique ?
Je pense clairement que Rhône-Alpes est un berceau naturel pour une activité robotique à 20 ans. Je ne le dis pas parce que c’est ma région, mais parce que j’ai essayé d’analyser objectivement les choses. Dans les 20 prochaines années, il peut vraiment y avoir une grosse activité robotique en Rhône-Alpes, comme il y a eu une grosse activité dans le logiciel. Car autant je n’ai pas cru à la convergence des médias, autant je crois énormément à la convergence des industries au sein de la robotique.
Or en Rhône-Alpes, nous avons de la plasturgie (dans la plaine de l’Ain et en Haute-Savoie), des nano-technologies (à Grenoble), de la mécanique à Saint-Etienne, des logiciels et un bassin universitaire lourd entre Lyon et Grenoble. On a donc au sein de la région tous les composants essentiels de la réussite d’une industrie robotique. Et même si nous sommes à l’ère de l’Internet, de la communication vidéo ou par téléconférence, le fait que cette énergie soit rapprochée doit favoriser les échanges entre les entreprises. Dans la Silicone valley par exemple, au moment de l’explosion des ordinateurs et de l’Internet, la concentration des savoir-faire a donné un vrai poids économique.
Dans ce cadre-là, le syndicat de la robotique service i-robot que je préside a décidé d’installer en mars 2011 le premier salon de la robotique de service à Lyon, un peu en symbole, en point d’ancrage. J’espère qu’à ce salon, ne viendront pas seulement des spécialistes de la robotique. Ça n’a aucun intérêt qu’ils se parlent entre eux. J’espère au contraire que toutes les industries autour verront dans la robotique, une solution de diversification, une solution de croissance, une réinvention de certains métiers, pour justement se positionner. C’est ça le message de la robolution !
Un exemple : les robots vont utiliser des matériaux différents, un robot qui va nettoyer les vitres va avoir besoin de tissus particuliers qui simplifieront sa tâche. Ça veut dire que les gens qui travaillent sur les tissus peuvent se trouver là une application robotique de leur métier. On peut imaginer que des robots vont utiliser des formes de design particulières, qui vont avoir besoin de plastiques particuliers pour des raisons de résistance et de sécurité. Et bien les gens qui font du plastique vont pouvoir réfléchir à ça. C’est cette opportunité, cette robot-opportunité qui sera présentée à ce salon. D’ailleurs, il s’appelle volontairement « inno-robot » pour ne pas dire que ce n’est qu’un salon de la robotique. C’est aussi un salon de l’innovation à travers de la robotique.
L’implication des collectivités publiques vous paraît-elle souhaitable ?
Dans les applications robotiques de service prioritaires, je pense notamment aux transports et à l’éducation, il est fondamental que les collectivités locales participent activement. A l’origine des révolutions, il y a souvent un phénomène initial qui commence à l’école. Il n’y aurait pas le génie logiciel français d’aujourd’hui s’il n’y avait pas eu, il y a trente ans le plan « informatique pour tous ». Moi je plaide pour un plan robotique à l’école car je pense que les enfants d’aujourd’hui sont les personnes qui feront confiance aux robots dans 20 ans.
Il existe d’ores et déjà toute une gamme de robots : le robot aspirateur Roomba, le robot tondeuse à gazon, le robot Yuki-Taro pour dégager la neige, le Slugbot robot avaleur de limaces. Quelles innovations sont encore à venir ?
Je pense que la robotique va générer des dizaines voire des centaines de start-up qui vont venir avec des idées complètement farfelues. On nous propose des robots pour faire des trucs en tous genres. L’autre jour j’étais en séance plénière avec des étudiants à l’EM Lyon et on a inventé un robot lit. Un robot qui va sentir comment vous dormez et réagir par rapport à ça. Il peut se déplacer pour vous faire rouler dans l’autre sens, étudier votre cycle de sommeil pour vous réveiller au bon moment, changer la température du matelas pour éviter la transpiration, éliminer des acariens s’il en détecte ou lancer des huiles essentielles pour vous délassez…
Je suis incapable de dire quel sera le prochain succès de la robotique, à quoi il ressemblera. Mais je sais qu’il y a trois segments de la robotique qui sont en train d’exploser : le domestique, l’éducation, et le médical et l’assistance. Mais ira-t-on plutôt vers une simple assistance surveillance ou plutôt vers une assistance très médicalisée avec distribution de médicaments, injections, etc. ? Je ne peux pas vous le dire.
Toyota Motor a pour devise : « un robot dans chaque foyer ». Dans quel délai cette prévision pourrait-elle être effective ?
On y sera très vite, dans quelques années. Je vous dis même mieux : dans dix ans, il y aura plusieurs robots dans chaque foyer. Et puis il y a une autre phase, issue d’une réflexion sur les économies d’énergie et les soucis de sécurité, etc. qui est celle de la maison-robot. La maison sera dotée d’un ensemble de capteurs et d’un central d’analyses qui va réguler automatiquement la température, faire des économies d’énergies, etc. Cette notion de maison-robot deviendra courante dans les 20 prochaines années.
A quoi ressemblera une ville à l’ère de la robotique ?
La ville elle-même devient un robot géant. Et laissons tomber le mythe d’Orwell et de Big Brother ! Tous ces yeux et toutes ces oreilles qu’on met dans la ville, ne sont pas voués à la seule obsession sécuritaire. On peut aussi avoir une obsession de mieux–être et de meilleure gestion des flux et déplacements urbains.
La ville robot est une évolution naturelle du schéma urbain qui devient de plus en plus complexe. Dans des villes comme Séoul avec 23 millions d’habitants, comme Tokyo avec une agglomération de 61 millions de personnes, c’est normal qu’on soit un petit peu dépassé !
Le traitement des déchets par exemple, sera forcément automatisé. Les camions poubelle, c’est une aberration de la ville moderne ! On n’a pas changé de format de camions poubelle depuis le Moyen-Age. Avant, c’était des chariots dans lesquels on déversait les poubelles. Depuis la guerre, on a modernisé le système avec des camions poubelles et des sacs en plastique pour que ça sente moins mauvais. Mais fondamentalement le schéma est resté le même : je prends la poubelle chez moi, je la descends dans la rue et des camions passent pour les ramasser et bloquent la circulation. C’est juste une aberration !
Toute révolution est génératrice de tensions bouleversant l’ordre social. En remplaçant de très nombreux emplois, la robotique risque de poser un grave problème socio-économique. Comment l’anticiper ?
D’abord on a déjà vécu cette situation, il n’y a pas si longtemps, avec l’informatique. L’informatique a probablement été responsable de la perte d’emploi d’un million de personnes. Est-ce que ça a été pour le bien ou pour le mal de la société ? Du point de vue individuel, pour celui qui perd son emploi, c’est sûr que ce n’est pas terrible… Mais du point de vue de la société, c’est une source d’optimisation. Avec l’informatique, on a amélioré le flux d’informations et donc le confort de la société. Alors c’est sûr : si on s’en tient là, c’est terrible, on fait une génération sacrifiée. Mais si on réfléchit dès maintenant à comment on va utiliser ce personnel disponible pour arrêter qu’il fasse des tâches mécanisées qui sont inutiles, qui occupent un quart de cerveau et qui le frustrent, pour les emmener vers d’autres types de tâches, d’accompagnement, de conseil, d’information etc., on remplit notre devoir. Qui dit « robotisation » dit forcément « plan de réintégration et de formation ».
Autre enjeu : est-ce qu’on va importer ces robots ou les fabriquer ? Si on se contente de les importer, le déficit va s’aggraver. Mais si on se prépare à les fabriquer et même les exporter - et on a les capacités en Rhône- Alpes de le faire -, alors là on change de braquet ! Un exemple : à Sochaux, quand Peugeot a mis en place ses robots industriels dans les années 70, l’entreprise a eu un solde d’emplois positifs car elle a fait le choix de les fabriquer. Le nombre d’emplois pour créer les robots et les maintenir, était supérieur au nombre d’emplois perdus parce qu’on peignait les voitures. En plus, quand un ouvrier peignait une voiture dans les années 60, à la peinture au plomb avec un pistolet, il ne passait pas 55-60 ans sans être vraiment malade. La robotisation a donc finalement eu un effet bingo : elle a soulagé des tâches pénibles, et elle a créé de l’emploi. C’est ce principe-là qu’il faut adopter. Ça ne va pas, une fois de plus, sans une réflexion sur la formation et l’intégration des personnels.
Est-ce le sens de votre appel à un plan robotique national ?
J’appelle à un plan robotique national pour symboliser l’idée qu’il faut pas simplement que ce soit des entrepreneurs comme moi qui disent « on va y aller », et qui cherchent à convaincre quelques investisseurs qui de toute façon seront dubitatifs parce qu’ils se diront que c’est trop tôt. Il faut qu’il y ait la puissance publique, nationale ou locale, qui affirme que c’est un secteur dans lequel il faut aller.
Les Coréens ont dit : « nous voulons être sur le tremplin des nations exportatrices de robots dans 30 ans ». Ils avaient affiché la même volonté sur les écrans plats – et on a vu le succès de Samsung et LG – et sur les networks - et c’est la nation la plus networkée au monde en terme de haut débit. « Nous voulons être présents dans le secteur de la robotique » : cette affirmation-là, ce serait déjà un changement de mentalité. On n’arrêterait de voguer au gré des opportunités. Je pense que si on avait dit au moment de la transition du minitel à l’Internet que nous voulions être un acteur important de l’Internet dans le monde de demain, ça aurait peut-être changé les choses. On ne se serait sans doute pas contenté de subir la vague.
Vous expliquez que les robots ne se contenteront plus de rester des compléments pour l’homme, mais viseront à l’assister, l’amplifier, l’augmenter. Vous êtes très optimiste. Mais cet homme augmenté, le sera-t-il forcément en mieux ? Sera-t-il encore plus humain ou toujours plus matérialiste ?
Ce que je sais, c’est que c’est le sens de l’histoire de l’homme. Après l’outil pour améliorer sa dextérité, la machine pour améliorer sa force, vient le robot pour l’assister grâce à son intelligence, dans un autre stade de l’évolution. Je suis sûr que c’est le sens de l’histoire. Mais je sais qu’existeront des effets pervers et qu’il faudra qu’on légifère. Une vraie question sur robotique et éthique va se poser. Un exemple : aux Etats-Unis, on observe déjà des gens qui veulent volontairement modifier leur corps et se cyborgiser. Ils veulent se faire ajouter un bras artificiel, ou des capacités auditives augmentées.
Il s’agit donc véritablement d’une destruction du biologique et d’un remplacement par du mécanique. Ce sont des gens qui n’en ont absolument pas besoin mais qui ont le fantasme du cyborg. Ils vont plus loin que le tatouage et le piercing, vers le cyber-humain. Il y aura toujours des effets pervers. Ce sera une vraie question de savoir si on autorise ou pas dans l’avenir la chirurgie esthétique des robots. Va-t-on accepter l’idée qu’au lieu de mes dents, je veux une mâchoire en acier parce que je trouve ça cool ? C’est toute l’ambiguïté. Vous aurez forcément une frange de la population qui cherchera à être augmentée dans une direction un peu perverse. Et puis vous aurez la grande majorité de la population qui comprendra qu’effectivement, en déléguant une partie de son intelligence à des machines, on se libère du temps de cerveau pour faire autre chose. Et notamment pour retrouver ses racines humaines. En tout cas c’est mon pari à moi !
A lire : Bruno Bonnel, Viva la robolution, Une nouvelle étape pour l’humanité, éditions JC Lattès. Une version électronique est également sortie sur i-pad, i-phone et web.
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