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Solidarité et création de richesse

Interview de David KIMELFELD

Vice-président du Grand Lyon chargé du développement économique

<< La solidarité c'est faire en sorte que l'action économique que l'on mène bénéficie à l'ensemble de nos concitoyens sur le territoire du Grand Lyon >>.

Propos recueillis le 8 février 2013 par Cédric Polère

David Kimelfeld est vice-président du Grand Lyon chargé du développement économique, par ailleurs maire du 4ème arrondissement et premier secrétaire fédéral du PS du Rhône. Dans le cadre de la réflexion Vision Solidaire du Grand Lyon, nous l’interrogeons sur le lien entre la politique de développement économique menée par le Grand Lyon et la solidarité.

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Date : 08/02/2013

On peut avoir le sentiment que depuis une quinzaine d’années, l’économie lyonnaise a tenu bon dans la mondialisation. Comment la politique de développement du Grand Lyon a-t-elle contribué à ce résultat ?

Si les politiques menées par le Grand Lyon contribuent au succès ou en
out cas à la bonne tenue de cette collectivité, c’est effectivement que dès le mandat de Raymond Barre, il y a été très clairement indiqué que le développement économique devait être un pilier fort du développement de l’agglomération. Cette politique s’est intensifiée avec l’arrivée de Gérard Collomb comme président du Grand Lyon avec l’idée qu’elle devait être un bon partenariat entre les collectivités et les acteurs du développement économique que sont les entreprises, les universités, etc. Très rapidement le Grand Lyon a mis en œuvre des moyens financiers et des ressources humaines pour accompagner et dans bon nombre de cas être le moteur du développement économique sur son territoire. Cela a donné des résultats manifestes à travers la démarche Grand Lyon l’Esprit d’Entreprise. Ce bon résultat dont vous parlez est dû à cette gouvernance originale qui existe assez peu dans les autres agglomérations de France, et associe étroitement les collectivités dont le Grand Lyon, les représentants des entreprises (MEDEF, CGPME), les chambres consulaires (la Chambre de commerce et d’industrie, la Chambre des métiers) et les universités à travers le PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur). Cette gouvernance a permis d’obtenir des résultats. La candidature lyonnaise aux pôles de compétitivité s’est ainsi faite de manière partenariale. Si le Grand Lyon est souvent le moteur, fournit l’ingénierie, et parfois les finances, il n’est pas isolé. Au bout du compte nous sommes sortis avec cinq pôles de compétitivité labélisés par l’État sur le territoire du Grand Lyon, ce qui a été un succès important. Au-delà du nombre, nous avons pu identifier une politique de filières. Lyonbiopôle autour des sciences du vivant, de la pharmacie, du médicament s’appuie sur un tissu industriel qu’il a renforcé ; Axelera dans la chimie et la chimie environnementale… Chacun des cinq pôles produit de tels résultats. Ensuite ces politiques des filières se combinent avec des projets urbains et d’aménagement du territoire.

 

Quel est le rapport entre le soutien à des filières économiques et des projets urbains ?

Si nous avons aujourd’hui un projet directeur pour la Vallée de la Chimie par exemple, c’est bien parce que le pôle de compétitivité Axelera a permis d’envoyer des signaux forts aux industriels qui ont continué à investir sur le territoire du Grand Lyon. La même logique est à l’œuvre avec Lyonbiopôle qui contribue au développement du quartier de Gerland. Nous voyons bien que le développement économique va de pair avec le développement urbain.

 

Si cette gouvernance partenariale n’existait pas, qu’est-ce qui changerait ?

D’abord l’entreprise a besoin d’une certaine stabilité territoriale et politique. Une gouvernance partenariale est une des conditions d’un fonctionnement apaisé et de son efficacité. Dans d’autres grandes agglomérations, le président de la Chambre de commerce ne parle pas au maire, qui lui même ne parle pas au président de la Communauté d’agglomération, qui lui-même arrive difficilement à discuter avec le président de la Région. Pas génial pour bâtir des projets ou mettre en route une synergie sur un territoire ! Le fait d’avoir à Lyon un consensus et un dialogue permanent autour du développement économique entre les principaux acteurs, entre le président Grand Lyon, celui de la Chambre de commerce et d’industrie, de la CGPME, du PRES est un signal extrêmement fort envoyé aux entreprises du territoire, mais aussi à d’autres territoires en France et à l’international. Cela a un impact sur le territoire et c’est ce qui fait une partie de son attractivité.

 

Quels sont les principaux acquis de la politique de développement économique menée par le Grand Lyon depuis une dizaine d’années ?

C’est d’avoir notamment à travers les pôles de compétitivité maintenu les filières industrielles dont je vous ai parlé. Le deuxième succès est le développement d’entreprises : le Grand Lyon est le territoire numéro deux après l’Ile-de-France et Paris en matière de création d’entreprises, ce qui est aussi une réponse en termes d’emplois.

 

Est-ce que votre délégation est concernée par la thématique de la solidarité ?

La solidarité c’est faire en sorte que l’action économique que l’on mène bénéficie à l’ensemble de nos concitoyens sur le territoire du Grand Lyon ; c’est faire en sorte que la bataille pour sauvegarder et développer l’emploi soit la plus efficace possible. Quand nous parlons des politiques de développement économique du Grand Lyon, il nous arrive parfois qu’emportés par notre élan, nous oublions les hommes et les femmes qui composent ce développement et pour lesquels nous agissons. Si l’on se fie aux discours du Grand Lyon, on pourrait penser que cette politique a pour finalité de faire figurer Lyon dans un classement mondial et européen des grandes métropoles. C’est faux, nous la menons avant tout pour l’emploi et pour qu’il y ait de l’activité dans cette agglomération, parce que tout se décline à partir de là : dans une agglomération où il n’y a plus d’emploi, plus d’investissement, on peut toujours parler des transports, du logement social, mais on ne peut plus rien faire. L’emploi est à mon avis la première solidarité. Et, ce n’est pas un hasard, c’est la préoccupation numéro un des Français.

 

Faire de l’emploi l’objectif premier de la politique de développement économique du Grand Lyon, est-ce que cela implique une réorientation de cette politique et des ses outils ?

Non, ce n’est pas une réorientation, je pense qu’il faut surtout insister davantage sur la finalité de cette action : certes nous recherchons la création de richesses, mais la création de richesses au profit de l’emploi. La gouvernance économique partenariale dont je parle se traduit aussi par une mise en condition des partenaires privés, en matière de logement par exemple. Les professionnels de l’immobilier avec lesquels il faut travailler le font plutôt en confiance dans notre agglomération.

 

Quand vous parlez de développer l’emploi, cela veut-il dire développer tous les types d’emploi, donc l’économie de proximité et pas seulement les grandes filières industrielles ou de haute technologie ?

Il ne faudrait pas se méprendre. Certes les pôles de compétitivité, c’est avant tout des projets de recherche et développement. Quand on évoque la R&D, on évoque des chercheurs, donc évidemment des emplois hautement qualifiés. Mais l’objectif ultime de ces projets est de fabriquer des vrais produits, et non pas d’en rester à des concepts en suspension. Lyonbiopôle ce n’est pas seulement une dizaine de savants qui se réunissent dans une salle pour inventer le médicament de demain. L’ambition des pôles et des plateformes technologiques de R&D, je pense surtout à Lyonbiopôle et Axelera, c’est de maintenir des filières industrielles sur notre territoire ; qui dit filières dit production, manutention, conditionnement, transport, et tout ce qui tourne autour, et par conséquent de multiples sous-traitants, de multiples services, de multiples emplois, du technicien de laboratoire au magasinier... On recherche l’excellence, mais l’excellence n’est pas seulement celle des chercheurs. Bref, tous les types d’emplois peuvent bénéficier de la politique des pôles de compétitivité.

Ensuite derrière ces emplois, il y a des gens qui logent quelque part, où il doivent pouvoir trouver des services, des commerces de proximité, etc. Donc l’économie résidentielle ou de proximité a toute sa place et je suis convaincu qu’il faut la développer. Le Grand Lyon le fait en lien étroit avec les communes et la Région. Le développement des entreprises impose de la même façon de développer des services aux entreprises.

 

Dans certaines parties de l’agglomération, le chômage des jeunes atteint 40%, dans d’autres, 10% : est-ce la Communauté urbaine a les moyens de diminuer des taux de chômage  ?

Je crois que la Communauté urbaine peut contribuer à offrir des perspectives nouvelles, mais elle ne peut à elle seule régler ce problème. Elle y contribue quand elle mène une politique de développement fort des transports en commun et favorise ainsi la mobilité des jeunes et moins jeunes pour accéder à l’emploi. Aujourd’hui, l’accessibilité à Vaulx-en-Velin est sans commune mesure avec ce qu’elle était 10 ans en arrière. Cela ouvre des perspectives de pouvoir se déplacer facilement. Bien sûr, ce n’est bien pas le seul obstacle à l’accès à l’emploi.

 

Le Grand Lyon entend être dans le peloton de tête des métropoles européennes. Il s’inscrit clairement dans une compétition entre territoires, effectivement féroce dans le contexte de la globalisation. Quelle est la finalité de cette compétition ?

Pour qu’un territoire soit solidaire, il faut créer un minimum de richesse, c’est ma conviction, parce que se répartir la pauvreté cela ne mène pas bien loin … En clair, pour que s’exerce une solidarité, il faut que le territoire soit le plus compétitif possible, mais compétitif encore une fois pour avoir des entreprises, y compris des services publics, et donc de l’emploi. Cette compétitivité se traduit par des moyens que nous pouvons investir dans notre agglomération. En un mot, faire du développement économique c’est faire avec l’objectif d’être au plus près de nos concitoyens parce que c’est à travers la création de richesse qu’on arrive à développer de l’emploi, mais aussi du logement et de la mixité sociale, mais aussi des lignes de transport fortes et de la mobilité, mais aussi des lieux culturels rayonnants. C’est l’ensemble de ce panel qui constitue le bien être de nos concitoyens. La solidarité ne peut donc s’exercer, je le crois profondément, que dans un territoire attractif. De ce fait je ne vois pas de contradiction entre la solidarité et l’attractivité. Après, il y a un débat qui est lié au projet d’Eurométropole.

 

Quels sont les termes de ce débat sur l’Eurométropole ?

Certains pensent que la solidarité entre territoires est une illusion car la métropole qui va se construire concentrera les richesses au détriment d’autres territoires qui n’auront rien et que certains appellent, j’ai entendu cette expression, « le Rhône résiduel ». Je n’ai pas cette vision parce que je suis persuadé que la solidarité entre territoires va s’exercer. Quand on observe les déplacements sur le territoire métropolitain, on voit bien qu’une grosse majorité des Viennois par exemple entrent tous les jours dans l’agglomération pour y travailler, ce qui impose de mettre en place des lignes de transport efficaces. C’est bien parce qu’on aura une métropole attractive que nous aurons les moyens de développer ce type de solidarité qui profite à tous les territoires.

 

Un territoire bien maillé, cela ne veut pas dire que la richesse se redistribue… Y aurait-il d’autres conditions à remplir pour que la richesse produite par la métropole « ruisselle » et profite à tous ?

La première chose qui ruisselle c’est quand même l’emploi ! Le phénomène de concentration des activités autour des métropoles s’observe partout en Europe, on peut le regretter mais c’est un fait. Si nous n’avons pas une métropole forte, nous aurons des territoires autour sans emploi, sans activité ; s’il n’y a pas les bonnes connexions, les gens ne pourront pas aller et venir, profiter de l’emploi et de l’ensemble des infrastructures, dont l’accès aux grandes infrastructures culturelles. Dans la construction du pôle métropolitain, la thématique qui revient de la manière la plus forte est celle des transports et de la mobilité, c’est le sujet numéro un.

 

Qu’est-ce que les territoires alentours peuvent apporter au Grand Lyon ?

Dans les discussions sur l’Eurométropole, on redécouvre l’importance de préserver les terrains agricoles les plus fertiles et d’avoir une production de qualité qui bénéficie à la population de proximité. C’est aussi une facette de la solidarité territoriale, c’est aussi une forme de ruissellement ! Prenons l’exemple de l’aéroport de Saint-Exupéry dont la situation est un peu particulière (l’aéroport ne sera pas dans la métropole). Dans ce secteur, les collectivités sont tentées de lâcher leur foncier pour y installer des activités industrielles et logistiques au mépris des terres agricoles les plus fertiles, afin de mettre leurs territoires en compétition avec la métropole. Avec la gouvernance autour de Saint-Exupéry, Lyon est en situation de demander à ce que l’on y maintienne des terres agricoles. Le ruissellement est ici possible parce que les habitants de la métropole ont des besoins alimentaires. C’est aussi une question d’équilibre et de développement durable.

 

Est-ce que le Grand Lyon c’est seulement de la solidarité dite territoriale, donc une solidarité entre les 58 communes membres ?

Le Grand Lyon c’est bien évidemment des communes solidaires les unes des autres. Ce qui s’est passé à Vaulx-en-Velin est un bel exemple de ce que veut dire la solidarité territoriale. Cette commune, seule, isolée n’aurait sans doute pas connu sa mutation. C’est bien parce que des solidarités à tous les niveaux se sont exercées qu’on en arrive à ce résultat renversant d’aujourd’hui. Pour celui qui accède au Carré de Soie en 15 minutes en métro depuis la place de la Comédie à Lyon, ça paraît simple, évident, mais il y a 20 ans un tel projet suscitait de fortes résistances parce que des lyonnais et des lyonnaises pensaient qu’avec un métro ou un tramway jusqu’à Vénissieux ou Vaulx-en-Velin, toutes les populations de ces communes allaient envahir le centre de Lyon. Aujourd’hui j’entends de moins en moins ces discours. Cette solidarité s’est exercée entre communes, entre populations, entre entreprises pour faire sauter un certain nombre de verrous. Vaulx-en-Velin est un bel exemple de politique réussie et de solidarité, parce que plein de dispositifs ont produit leur effet, politique de la ville, recherche de mixité dans la population, zone franche, transport, etc.

 

Est-ce qu’à Lyon l’économie sociale et solidaire se porte bien ?

L’économie sociale et solidaire s’inscrit très clairement dans une économie de marché, mais la grosse différence avec l’économie traditionnelle tient à une autre façon d’entreprendre, à une autre façon d’aborder l’entreprise où la solidarité entre salariés s’exerce à plein à travers la gouvernance et le profil capitalistique des entreprises. C’est un bel exemple de dynamique économique avec un souci de solidarité, de responsabilité sociale, même s’il ne faut pas tomber dans les généralités. J’ai souhaité qu’au Grand Lyon nous organisions un dialogue entre ces acteurs économiques, on l’a appelé les Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire, nous en sommes à la deuxième édition. La Région Rhône-Alpes est en pointe là-dessus, elle s’y est intéressée bien avant le Grand Lyon

 

Il a été annoncé récemment que le Grand Lyon prendra dans un avenir proche les compétences du département du Rhône sur son périmètre. Est-ce que cela se traduira par une politique de développement économique plus soucieuse des problématiques de solidarité ?

Le projet d’Eurométropole est une chance assez exceptionnelle pour la collectivité. Parce que nous maitriserons la chaine d’action le plus longtemps possible en matière de développement économique, d’insertion, d’emploi, de logement, nous aurons une vision et une action plus globales à l’égard de nos concitoyens ; les compétences exercées nous permettront de ne plus saucissonner nos missions, d’être plus efficaces, d’avoir plus de cohérence dans l’action. Aujourd’hui le Grand Lyon a un bout de compétence sur le logement social mais il n’a pas la compétence de l’insertion ni celle de la solidarité. Le Grand Lyon travaille pour rendre la ville plus accessible aux personnes handicapées, mais le Conseil général dépense un million d’euros par jour ouvrable sur le handicap, ce qui est considérable. L’étape suivante, c’est d’aller plus loin et d’être plus efficace en matière de solidarité parce que nous aurons à disposition à la fois les compétences sociales et de développement économique. C’est l’objectif de la réforme territoriale. Nous aurons une force nouvelle y compris en matière de compétitivité, parce que nous aurons la capacité d’offrir aux entreprises de notre territoire des lieux d’accueil avec des bassins d’emploi dont les gens serons mieux formés, parce qu’ils pourront mieux développer leurs compétences.