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Le CERN, source d'innovation dans le secteur médical

Interview de Jean-Marie LE GOFF

<< Il y a de forts développements à prévoir dans le domaine de la santé avec d’une part tout ce qui touche à l’instrumentation médicale (imagerie) et d’autre part, ce qui touche à la thérapie et à l’utilisation d’isotopes (thérapie hadronique) >>.

Fondé en 1954 pour contrebalancer l’hégémonie américaine, le Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) est devenu un exemple éclatant de collaboration internationale comptant 20 états membres. Aujourd’hui, il est le plus grand laboratoire de physique des particules du monde. Incontestablement, il contribue au rayonnement international et à l‘excellence scientifique de la région. Jean-Marie Le Goff, physicien et directeur du bureau des transferts technologiques du CERN, nous explique dans quelle mesure cette énorme machine est source d’innovations dans le secteur médical.

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Date : 26/09/2007

Quel est le poids du CERN dans la communauté scientifique de Genève ?

Schématiquement, le CERN aujourd’hui, c’est plus de 11 000 personnes de plus de 150 pays. Il y a 1200 jeunes scientifiques (étudiants techniques, post-doc, attachés scientifiques, de projet) et 8 800 scientifiques qui viennent d’instituts extérieurs et qui participent directement aux expériences du CERN ou travaillent sur des projets en collaboration avec le CERN. Le CERN met en effet à leur disposition ses installations pour qu’ils effectuent leurs recherches. Et il y a enfin des collaborations sur des projets réunissant plusieurs centaines de scientifiques en provenance d’instituts de recherche et dans lesquelles le CERN est partie prenante. Ces instituts proviennent des 20 Etats membres mais aussi des USA, de la Russie, du Japon, de la Chine, du Canada, d’Israël,  de la Turquie sans oublier l’Inde, le Pakistan et le Mexique.

 

Quand on parle de transferts technologiques au CERN, de quoi parle-t-on précisément ?

En général, les scientifiques qui travaillent ici intègrent une équipe du CERN et acquierent des compétences et des savoir-faire qui peuvent soit rester au CERN, soit aller dans un institut, soit aller vers l’industrie. Il y a un pourcentage important de doctorants (environ 50%) travaillant au CERN qui se dirigent vers l’industrie. Bien que très important, c’est un schéma de transfert de compétences qui est difficile à tracer. S’agissant des filières techniques, le plus grand nombre vont vers l’industrie (cela correspond à un stage de fin d’étude d’ingénieur), les autres continuent leur formation vers une thèse.
Quels sont les objectifs poursuivis par le CERN aujourd’hui ?

L’objectif du CERN  est de pousser la connaissance du monde scientifique plus loin avec des questions fondamentales telles que : quelle est l’origine de la masse ? Qu’est-ce que l’énergie sombre ? La matière sombre ? Ce sont des questions qui peuvent sembler lointaines dans la vie de tous les jours mais qui sont néanmoins clés !

 

Et comment des questions aussi larges peuvent-elles déboucher sur des applications technologiques ?

Les objectifs à atteindre et les moyens déployés pour répondre à ces questions fondamentales sont une source incroyable d’innovations et nécessitent de pousser les technologies connues et fournies par l’industrie au-delà des limites classiques. Pour pousser la recherche fondamentale toujours plus loin, nous avons besoin de technologies toujours plus pointues qui peu à peu se diffusent dans l’industrie et la société. Recherche fondamentale et transferts technologiques sont effectivement deux aspects très différents mais qui sont en fait interdépendants. Mais dans tous les cas, le moteur reste la recherche fondamentale. Tous nos efforts sont uniquement tournés vers la réalisation de l’objectif scientifique. Contrairement à des instituts comme l’Ecole Polytechnique de Lausanne ou le LETI de Grenoble (Laboratoire d’Electronique et de Technologies de l’Information), nous n’avons pas la possibilité de dédier une partie de nos compétences au développement des prototypes de produits dont nous connaîssons au départ l’application. En revanche, le fait est que nous évoluons dans une société de plus en plus technologique et dont les besoins s’imposent de plus en plus comme des contraintes pour nous. De fait, nous devons sans cesse creuser l’adéquation entre recherche, technologie et demande sociétale, notamment en donnant de la visibilité aux technologies que nous développons.

 

Comment faites-vous alors pour que l’impact de vos innovations soit bien compris ?

Nous présentons régulièrement les technologies dans lesquelles nous pensons qu’il y a un potentiel, mais la plupart du temps c’est plutôt la start-up qui a une idée et découvre que nous disposons de la réponse à une partie de son problème. Une difficulté est qu’il est difficile pour une entreprise de connaître ce dont dispose le CERN en matière de technologies. Ce sont donc souvent des personnes qui ont déjà eu une expérience au CERN et qui le connaissent qui viennent nous voir. Il y a des start-ups qui ont été spécifiquement constituées dans le cadre de ces transferts, comme par exemple dans le cadre de la tomographie (rayon X) où c’est une start-up norvégienne qui a été constituée pour le développement d’une puce qui est maintenant en cours de validation par un industriel. Et je pourrais vous citer plein d’autres exemples !

 

Et dans la santé, quels sont les domaines d’application des recherches du CERN ?

Il y a de forts développements à prévoir dans le domaine de la santé avec d’une part tout ce qui touche à l’instrumentation médicale (imagerie) et d’autre part, ce qui touche à la thérapie et à l’utilisation d’isotopes (thérapie hadronique). Aujourd’hui dans la médecine, on utilise des accélérateurs pour produire des isotopes à durée de vie très courte. Par exemple, le fluor 18, utilisé comme marqueur radioactif du FDG (Fluoro-désoxyglucose), sert de traceur pour l’imagerie médicale de type TEP (Tomographie à Emission de Positons). La première machine avait été testée à l’hôpital cantonal de Genève et est aujourd’hui commercialisée par General Electric, Siemens et Philips. Elle permet de diagnostiquer une tumeur par exemple.

Vous parlez de l’hôpital cantonal de Genève, est-ce à dire que beaucoup de ces transferts technologiques ont lieu dans la région ?

De par notre structure et notre financement, nous sommes obligés de servir tous les Etats membres du CERN de la façon la plus équitable possible. Dans le domaine des transferts technologiques, nous ne sommes pas liés directement à des règles précises comme c’est le cas en ce qui concerne les achats (qui obligent à faire pour le mieux en fonction de chaque Etat qui finance) mais plutôt liés aux initiatives et à la qualité de ces initiatives d’où qu’elles viennent. Ceci dit, beaucoup de transferts en provenance du CERN partent de manière inéluctable aux USA. Le CERN se bat tous les jours pour éviter cela. La FDA (Food & Drug Administration) joue un rôle très important et une machine approuvée par la FDA aura un succès garanti. Un industriel ne se lancera pas dans la commercialisation d’une machine sans l’approbation de la FDA.

 

Les transferts technologiques issus du CERN laissent donc augurer des technologies médicales de demain ?

C’est sûr. Nous avons dans les cartons des technologies qui auront certainement un impact important sur les prochaines machines d’imagerie médicale. Il est alors du ressort des industriels d’évaluer l’opportunité et la pertinence de cet impact et de mesurer le risque industriel. Par exemple, aujourd’hui dans l’imagerie, les doses sont telles qu’il n’est pas possible de faire des mammographies régulièrement au risque d’infliger au patient des effets secondaires graves. Or avec des outils plus perfectionnés, nous allons pouvoir réduire les doses et donc permettre de réaliser plus souvent des contrôles qui rendront la prévention plus efficace. Par contre, le véritable impact industriel de ce progrès scientifique va dépendre de la compréhension qu’en auront les médecins et les industriels et du crédit qu’ils lui accorderont. Il y a aujourd’hui une tension de la demande entre le besoin de diagnostics de plus en plus fins qui nécessitent des doses de plus en plus élevées et des diagnostics de plus en plus précoces qui nécessitent des doses plus fines car régulières. Avec des innovations de rupture, le risque est qu’il n’y ait aucun élément de comparaison et que le message médical soit mal compris.

 

Comment expliquez-vous la méconnaissance du potentiel du CERN ?

Je pense que la grande industrie le connaît. D’ailleurs une étude montre que, s’agissant de l’ancien accélérateur, pour 1€ investi par le CERN dans la fourniture de matériel, l’industrie a généré 3,5€ dans d’autres domaines. Par contre, il est vrai que les petites entreprises n’ont pas accès ou ne se donnent pas les moyens d’accéder aux technologies du CERN.

 

Le CERN a-t-il quelque chose à voir avec le développement actuel des biotechnologies dans la région lémanique ?

Il est très difficile d’évaluer l’impact du CERN au plan local. En ce qui concerne les biotechnologies, il est évident que ce sont en premier lieu les Hôpitaux Universitaires de Genève, de Lausanne et l’EPFL qui sont au centre des développements actuels des biotechnologies. Les médicaments et la biologie n’appartiennent pas à nos domaines de compétences ! En revanche, de façon indirecte, nous sommes quand même un acteur à travers l’invention de technologies qui déboucheront sur de nouveaux outils d’instrumentation ! Pour dire les choses autrement, une entreprise comme Novartis par exemple n’est pas intéressée de travailler directement avec le CERN parce que ses besoins ne sont pas traduisibles dans des technologies dont le CERN dispose. En revanche, les partenaires intermédiaires, capables de comprendre les besoins de Novartis et qui peuvent les traduire dans des perspectives technologiques auxquelles nous pouvons répondre deviennent des interlocuteurs importants du CERN. Par ailleurs, à l’avenir, le secteur des biotechnologies connaîtra un besoin croissant d’électronique photo-sensible et très rapide. Nous allons vers une instrumentation biotech de plus en plus pointue. Mais pour l’instant, le secteur des biotechnologies n’est pas encore aussi bien organisé que le secteur des technologies médicales.

 

Y a-t-il une relation proche entre le CERN et l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) basé à Grenoble ?

Les applications entre le CERN et l’ESRF sont très différentes ! A la différence du CERN, l’ESRF produit des radiations synchrotrons. Nous, c’est du sub-proton (et pas seulement), nous sommes dans l’infiniment petit. Il arrive que l’ESRF ait des besoins complémentaires aux nôtres. Le LETI est plus pour nous un demandeur, il pilote des projets qui présentent d’énormes possibilités de spin-off et peut rencontrer une problématique à laquelle nous pouvons participer mais dans l’autre sens beaucoup moins. Contrairement au CERN, le LETI génère de l’innovation qui est directement au service de l’industrie.