Le CERN, source d'innovation dans le secteur médical
Interview de Jean-Marie LE GOFF
Physicien au CERN
Interview de Bertrand Lépine
<< Nous ne proposons pas une innovation de rupture chez Fab’entech comme certaines autres Biotech de la région. Nous sommes plus dans l’industrialisation d’un procédé historique et robuste au service de nouvelles pathologies >>.
Fab’entech a été créée en 2009. La start-up est spécialisée dans la production d’immunothérapies d’urgence en développant des anticorps polyclonaux spécifiques en particulier contre Ebola, H5N1, et aussi contre d’autres virus émergents, contre des intoxications médicamenteuses, contre un agent à risque de bioterrorisme, et enfin des anticorps polyclonaux dirigés contre certaines maladies infectieuses nosocomiales. C’est Bertrand Lépine, son Président, médecin et ancien cadre dirigeant de Sanofi Pasteur, qui a créé Fab’entech en s’appuyant sur une licence du procédé de purification de Sanofi Pasteur. Aujourd’hui, forte d’une quinzaine de collaborateurs, Fab’entech prévoit de lancer son premier antidote en 2020, suivi par un second en 2022, tout en étant prêt à répondre aux besoins qui pourraient se révéler en cas de nouvelles épidémie de virus émergents.
Fab’entech est un bel exemple d’entrepreneuriat développé au côté de grands groupes industriels et d’équipes académiques sur l’agglomération lyonnaise, comme au sein du LyonBiopole qui a porté son projet dès sa création. A travers son entreprise, Bertrand Lépine perpétue en partie l’esprit de la famille Mérieux en développant et en concevant un outil industriel au service de situations sanitaires d’urgence dans les pays en développement exposés en priorité à ces risques de maladies infectieuses émergentes. L’avantage concurrentiel de Fab’entech réside dans sa capacité à produire rapidement des solutions thérapeutiques pour répondre à des maladies infectieuses émergentes mais également de pouvoir mettre sur le marché des produits beaucoup plus rapidement qu’un médicament classique. L’outil industriel est donc au cœur du développement de l’entreprise qui confirme aujourd’hui son ancrage dans la métropole grâce à un écosystème favorable.
Qu’est-ce que pour vous une start-up ?
Une start-up est, selon moi, une organisation en phase de confrontation de son modèle d’affaires avec le marché. Ce temps est plus ou moins long et très variable selon le secteur. Par exemple, dans certaines activités comme les services sur internet ou les jeux vidéo, une start-up sera principalement caractérisée par sa jeunesse et sa vitesse de croissance. Selon moi, au-delà de 5 ans, des entreprises de ce type peuvent plus difficilement être considérées comme des start-up. En revanche, dans les biotechnologies, ce principe ne tient pas. Le chiffre d’affaires arrive beaucoup plus tard car le temps de R&D est beaucoup plus long.
Qu’est-ce qui vous distingue d’une biotech ?
Les biotechs fonctionnent habituellement grâce à la vente de licences des produits qu’elles ont développées avant les phases de développement clinique. Elles se développent souvent avec le soutien de crédits publics ou privés puis commercialisent leurs licences ou sont parfois rachetées par les Big pharmas. Dans notre cas, nous ne sommes pas uniquement dans ce modèle car nous allons plus loin dans le développement jusqu’à l’obtention des autorisations de mise sur le marché pour des produits que nous développons et nous assurons également leur production nous-mêmes.
Est-ce que Fab’entech a trouvé son modèle économique ?
Nous ne dégageons pas encore de chiffre d’affaires mais notre développement a été fortement soutenu par les financements publics et privés au cours de ces dernières années. La difficulté de notre premier modèle dirigé vers les maladies émergentes est que nous sommes très exposés à l’incertitude des marchés publics dont les commandes sont très conjoncturelles et directement liées à l’actualité épidémiologique. Il est ainsi très difficile pour une société privée de porter les risques financiers et techniques pour répondre aux enjeux de santé publique incertains. Si l’on prend l’exemple d’Ebola, nous sommes allés assez loin dans le développement du produit à la demande de l’OMS et de la communauté internationale en 2014 et 2015, en pleine crise épidémiologique. Mais la demande de produit thérapeutique a disparu presque instantanément avec la décroissance de l’épidémie Ebola fin 2015. La difficulté est ainsi de réaliser des investissements en R&D très significatifs, en grande partie sur fonds privés, sans aucune garantie d’achat des produits que vous avez développés par la suite. Le financement de la R&D et l’achat des produits destinés à répondre à des enjeux de santé publique sont dissociés et répondent à des instances politiques différentes, ce qui peut paraître illogique pour un besoin de santé publique. A ce titre, le modèle américain, en particulier celui mis en place avec le BARDA, l’Autorité responsable de la recherche et développement avancés dans le domaine biomédical aux Etats-Unis, après les évènements, s’assure au contraire de la continuité entre le financement de la R&D et la garantie apportée à l’état de pouvoir disposer d’un stock de produits de précaution et de capacités industrielles suffisantes pour pouvoir réagir sans délais en cas de besoin. L’idéal au stade de notre entreprise serait que des contrats d’achat de produits prennent naturellement le relais des aides publiques dont nous avons pu bénéficier jusqu’alors pour nos travaux de R&D et sans lesquelles les produits n’auraient bien entendu pas pu être développés... Cela implique certes d’anticiper les épidémies, mais aussi de profiter des périodes d’accalmie entre deux crises épidémiologiques pour se préparer et développer les produits qui viendront constituer des stocks de précaution en cas de nouvelle menace, ce qu’on est capacité de faire.
C’est ainsi que, conscients de ces fragilités, nous avons orienté récemment notre stratégie sur des maladies récurrentes et non plus seulement émergentes, comme les antidotes qui vont cibler certaines toxines comme les intoxications médicamenteuses ou certaines toxines à risque d’usage bioterroriste. Nous recherchons en parallèle des industriels qui pourront en assurer le cofinancement et la commercialisation sur les marchés internationaux. Nous tendons ainsi à nous rapprocher en quelque sorte du modèle biotech à ceci près que nous continuerons d’assurer la production de nos produits qui seront commercialisés par des laboratoires pharmaceutiques. Notre objectif serait de pouvoir maintenir ces deux activités : la recherche sur les épidémies dans un contexte financier un peu moins incertain, et une activité sur des produits récurrents, comme les antidotes, pour assurer la pérennité financière de l’entreprise et son développement sur le long terme.
Où en êtes-vous dans le développement de votre outil de production ?
La maitrise de la production est pour nous essentielle, c’est la clé de notre métier. Nous sommes une société industrielle, et il est donc essentiel pour nous de maitriser notre production. C’est ainsi que nous investissons dans notre propre outil de production. Nous avons d’abord mis en place un laboratoire pilote qui n’est pas encore aux normes GMP (Good Manufacturing Practices, certification internationale attestant du respect des bonnes pratiques de fabrication), mais cela est suffisant pour faire des lots précliniques. Nous visons un passage à la fabrication plus industrielle aux normes GMP pour usage humain : pour cela nous projetons en effet d’installer des modules de production, opérationnels et qualifiés pour nos activités, d’une surface totale de 500 à 600 m2. Il s’agit d’un outil de production modulaire de plus en plus classiquement utilisé par les industriels pharmaceutiques du fait de leur très grande qualité. Ce type d’installation modulaire, combiné à l’utilisation d’équipements à usage unique, présente l’avantage d’une plus grande flexibilité particulièrement bien adaptée à nos besoins de travailler rapidement sur différents produits, tout en respectant bien entendu les normes de production internationales les plus strictes, européennes ou américaines par exemple. Nous faisons ici appel aux savoir-faire d’autres sociétés partenaires qui développent des offres de qualité dans ce domaine.
Notre enjeu en matière de production porte au final sur notre capacité à rassembler les savoir-faire, à maitriser l’environnement de production, les process qualité qui s’imposent, et à y déployer les bons équipements pour garantir la qualité optimale de produits à usage humain.
De quelle innovation Fab’entech est-elle porteuse ?
Nous ne proposons pas une innovation de rupture chez Fab’entech comme certaines autres Biotech de la région. Nous sommes plus dans l’industrialisation d’un procédé historique et robuste au service de nouvelles pathologies. Notre innovation réside essentiellement dans l’utilisation de ce procédé reconnu pour la production d’anticorps polyclonaux, qui sont eux innovants et qui répondent à des besoins médicaux non satisfaits, en capitalisant sur notre savoir-faire de développement, de production, et bien entendu la maîtrise constante de la qualité.
Avez-vous déposé des brevets ?
Non, nous n’avons pas déposé de brevets concernant le procédé de production qui, à l’image d’une recette, ne se brevette pas à proprement parler, mais est plus protégé par le maintien du secret autour du « tour de main », du « savoir-faire » de production ! Le dépôt d’un brevet nécessite de décrire et donc de rendre public le procédé de fabrication, ce qui constitue un risque plus important venant de nos concurrents alors qu’un savoir-faire maîtrisé par des équipes professionnelles est largement plus déterminant pour protéger notre compétitivité. Un peu comme en cuisine, si vous me permettez ce raccourci, c’est la mise en œuvre, encore une fois le « tour de main », transmis entre experts qui compte davantage que la description littérale de la recette !
Avez-vous bénéficié de cet écosystème local d’accompagnement des start-up au début de Fab’entech ?
Oui sans aucun doute. Je me suis rapidement aperçu que sur les premières années de vie de l’entreprise, on est particulièrement bien accompagné localement dans notre domaine : il y a un nombre et une richesse d’interlocuteurs impressionnants sur cette phase d’amorçage : la Métropole, la BPI, Lyonbiopôle… On est chouchouté ! Ces acteurs sont très performants dans l’animation de réseaux, ils nous ont permis de rencontrer d’autres biotech et nous ont aidés à comprendre l’écosystème, à décoder son fonctionnement.
Vous avez bénéficié de financements publics et de levées des fonds à plusieurs reprises. Ces modes de financements ont-ils eu un effet levier important ?
Oui, tout à fait, ils ont en fait été essentiels au développement de l’entreprise dès ses premiers jours. Nous avons eu la chance de bénéficier d’environ 11 millions d’euros au global d’aides publiques, complétées par 7 millions d’euros d’investissements privés cette fois. La BPI au niveau régional comme national, a toujours été, dès les premiers pas de l’entreprise, un partenaire sans faille et un financeur de premier plan pour nous. La Métropole et la Commission Européenne ont aussi contribué financièrement à nos projets. Les investisseurs privés se sont également mobilisés : c’est ainsi qu’en 2014, nous avons levé 5 millions d’euros auprès de spécialistes du capital-risque (Auriga Partners, R2V, Rhône-Alpes Création, Sigma Gestion) qui sont venus renforcer les premiers investisseurs qui nous avaient rejoint auparavant dès 2011. La France offre probablement l’un des dispositifs de financement public de la R&D parmi les plus performants dans le monde, ce qui rend notre pays très attractif dans ce domaine de la recherche où les équipes sont de plus particulièrement bien formées et performantes. Ces financements peuvent ainsi prendre la forme des Fonds Uniques Interministériels ou du crédit impôt recherche, dispositif que nous envient de nombreux pays. Il faut le dire, nous sommes accompagnés de façon extraordinaire sur ces temps de R&D en France. En revanche, c’est au moment de passer à la phase de développement ou de commercialisation qu’il est plus difficile de trouver des soutiens pour financer le développement qui prend ainsi beaucoup d’énergie et de temps car les sources se tarissent et l’incertitude s’accroit à l’approche de la fameuse « vallée de la mort », bien connue des entreprises de biotechnologie au moment de passer de la phase de R&D à la phase de commercialisation !
Vous adressez un marché mondial. Quelle est votre stratégie à l’international ?
Nous avions une filiale à Singapour mise en place pour nos essais cliniques contre le virus de la grippe H5N1, mais que nous avons désormais fermée. Nous ne sommes plus présents à l’étranger juridiquement. Ce qui ne veut pas dire que nous ne travaillons pas avec les pays étrangers. Bien au contraire, l’essentiel de notre activité est tournée vers l’international : C’est ainsi que sur Ebola, nous avons beaucoup travaillé avec les Etats-Unis. Le P4 en Australie est aussi un partenaire privilégié, comme le sont bien d’autres encore comme au Canada ou ailleurs en Europe ! Nous ne prévoyons pas de nous installer à court terme l’étranger mais de renforcer notre réseau de partenariats, à la fois scientifiques, politiques et également commerciaux. En revanche, concernant la production, elle devrait rester ancrée dans la région pour pouvoir bien s’appuyer sur les équipes en place et leur savoir-faire, le respect de la qualité, qui sont au cœur de notre organisation, pour respecter des normes internationales de production très strictes.
Quand pensez-vous générer du chiffre d’affaires ?
Nous devrions générer du chiffre d’affaires en 2020, le temps de disposer de notre unité de production à échelle industrielle.
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