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L'Histoire du métro lyonnais

Interview de René WALDMANN

<< À Lyon, ça a été l’enthousiasme pour le métro à grand gabarit ! >>.

Entretien avec René Waldmann, ancien directeur de la SEMALY.

Préambule : 40 ans du Grand Lyon, un récit à partager.
Après avoir été créée comme une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.
Il fréquente le lycée du Parc puis part à Paris rejoindre l’école Polytechnique et l’Ecole nationale des ponts et chaussées. Sa carrière commence en 1955, à Rabat au Maroc, à la direction de l’urbanisme et de l’habitat. Il rentre à Lyon, en 1957 et prend le poste « d’ingénieur d’arrondissement à la division des transports au service ordinaire des Ponts et Chaussées ». Il entame alors ses premières réflexions sur le métro lyonnais. Il devient directeur de la SEMALY de sa création en 1967 à 1990. Il a donc été l’acteur central dans la création des 4 lignes du métro lyonnais.

Réalisée par :

Date : 12/12/2007

Dans votre parcours professionnel, qu’est ce qui vous a amené à vous occuper du projet du métro lyonnais ?

Quand je suis arrivé en 1957 à l’arrondissement transports, je n’avais dans mes fonctions qu’un rôle de contrôle des transports en commun, un contrôle comptable et technique (sécurité et réglementation) pour le compte de l’État et aussi ce qu’on appelait la surveillance : les collectivités locales propriétaires du réseau (la ville de Lyon et le département du Rhône) voulaient avoir de la part des Ponts et Chaussées un œil sur l’économie du réseau. C’était normal, car elles encaissaient les bénéfices ou subissaient le déficit. A la libération, le réseau des transports en communs lyonnais était surchargé, faisait des bénéfices qui étaient distribués à raison de 50% au département et 50% à la ville de Lyon…et ça s’est gâté progressivement au fur et à mesure du développement de l’automobile…La communauté urbaine s’est substituée à la ville de Lyon en 1969 pour faire partie du syndicat des transports en communs (STCRL), qui est devenu le SYTRAL.

A Lyon, le programme de rénovation touchait à sa fin - il consistait à remplacer par des trolleybus et autobus – les tramways qui avaient cessé de plaire et dont les rails et les lignes aériennes gênaient les voitures ! – Pour moi c’était logique de commencer à parler du métro, c’était l’étape suivante !

Très rapidement, dès 1960, deux ou trois ans après mon arrivée, j’ai commencé les études de trafics inter-secteurs dans l’agglomération pour voir s’il y avait le débit correspondant à un métro, j’ai questionné mes collègues du génie civil pour voir si c’était faisable à Lyon ….J’ai commencé tout seul, dans le scepticisme amusé de mes patrons. Mais ils me laissaient « la bride sur le cou » et j’ai publié en 1963 un petit ouvrage « Les transports de personnes dans l’agglomération lyonnaise » dans lequel j’esquissais les possibilités de faire un métro. Ce rapport est resté très discret. Au fur et à mesure, je me suis aperçu que cette idée était partagée également par les Marseillais.

 

Quelle était l’implication du pouvoir politique local ?

C’est Pradel qui a ensuite porté l’idée de métro à Lyon, après une mémorable séance de la Jeune Chambre Économique et de L’Union des Comités d’Intérêt Local (CIL) au cours de laquelle a été démontré la nécessité d’un métro à Lyon et sa faisabilité technique par un exposé de Guy Sanglerat, ingénieur de génie civil membre de la Jeune Chambre. Il avait fait des études sur la possibilité de faire des travaux dans un milieu aquifère, comme à Lyon. A cette époque on voyait partout des parois moulées forées au ras des immeubles pour faire des parkings, des soutènements, etc. L’idée était donc lancée !
Le lobbying local a fonctionné, même si le maire s’en méfiait : il n’était pas tellement pour les CIL, pour lui ça doublait un peu les structures traditionnelles, les élus d’arrondissements….mais comme il était très malin, il sentait quand le projet était porteur ou pas, pour se l’approprier ensuite ! 

A la demande du STCRL qui m’avait donné des crédits, j’ai rédigé en 1965 une étude préliminaire du métro. Cette étude m’a pris beaucoup de temps. Au cours d’une visite à Lyon du ministre des Transports, Edgar Pisani , le Préfet Max Moulins m’a reçu à 18h dans son bureau pour que je lui commente cette étude. Le ministre m’a félicité et m’a dit, « C’est ça qu’il faut faire ! Lier transports et urbanisme….Bravo ! » Après cela, j’étais sûr du coup, l’idée était partie : il y avait le lobbying local, l’appui de Pradel, et du ministre, que vouliez vous de plus  !

J’étais toujours à la DDE mais de nouveaux crédits ne venant pas…j’ai failli quitter mon poste et partir à Paris lorsqu’en 1967, deux ans plus tard, j’ai eu l’assurance qu’il y aurait des crédits en 1968 pour faire de vraies études d’avant-projet d’un métro. A ce moment là, j’ai décidé de quitter ma carrière dans l’administration pour me mettre en service détaché. C’était l’époque des SEM, montées par la SCET dans la région sous la direction de Georges Valiron, comme la SERL à Lyon. On a mis sur pied sur leur modèle une société d’études du métro qui s’appela la SEMALY (Société d’économie mixte du métropolitain de l’agglomération lyonnaise).

 

En France, ce genre d’équipement n’existant qu’à Paris, cela vous a-t-il incité à étudier d’autres métros étrangers ?

Oui, en premier lieu, le métro de Milan qui date je crois de 1960. Milan était jumelée avec Lyon et inévitablement, on faisait des comparaisons entre les deux villes. Je suis allé visiter ce métro à l’occasion d’un congrès. Le métro de Milan devient une référence, puis celui de Francfort, autre ville jumelée. Je me suis tout de suite attaché à voir ce que faisaient nos voisins, car la seule référence en France était la RATP, que je connaissais déjà bien. En effet, il se trouvait qu’au Maroc (ndlr : le précédent poste de Mr. Waldmann) où je m’occupais d’urbanisme et d’habitat, il y avait Henri Bochet qui s’occupait des routes et Jacques Deschamps qui s’occupait de l’hydraulique. Ces trois Ingénieurs des Ponts travaillaient dans le même immeuble et se connaissaient bien. Quelques années plus tard, on est tous revenus en métropole, Bochet à Marseille, Deschamps à Paris et moi à Lyon ! Tous les trois impliqués dans les métros !

On se voyait beaucoup dans les années 60. Les Marseillais étaient très axés sur la collaboration avec la RATP, ça se comprenait parce que Deschamps et Bochet étaient très amis, l’un était parrain des enfants de l’autre…Naturellement Deschamps a dit à Bochet : « Avec la SOFRETU, notre bureau d’ingénierie de la RATP, on a fait Mexico, Montréal, le Chili, etc. On vous fera les études du métro de Marseille  »
Bochet, alors directeur des services techniques municipaux, a dit OK ! Moi j’avais un petit peu l’esprit lyonnais qui ne voit pas toujours Paris comme référence, et j’aimais bien voir ce qui se passait à côté !

 

Vous auriez très bien pu donner les études à la SOFRETU…pour des raisons économiques par exemple ?

Ah non, pas du tout, moi je voulais rester à Lyon pour ça ! Quand je vous ai dit que les décisions ont tardé après 1965, il y a eu un fait majeur : quand j’ai appris qu’il y avait des crédits, j’ai dis à Paul Funel, le DDE : « je reste à Lyon et on va monter la société ad hoc! ». Dès ce moment là, c’était décidé, je restais purement lyonnais et je n’avais pas du tout envie de confier les études à la SOFRETU parce que je n’aurais été qu’un correspondant ! Je voulais monter l’affaire à ma guise, avec mes collaborateurs. Le premier qui a commencé à s’intéresser au métro à l’extérieur de l’administration a été René Gimbert, l’architecte qui faisait son diplôme dessus. Il était volubile et enthousiaste !

 

Les prévisions généreuses, les 50.000 m² de surfaces commerciales dans les espaces souterrains du métro paraissent incroyables aujourd’hui étant donné le développement de l’agglomération ?

Oui, l’idée de base était qu’on voulait rentabiliser les souterrains, on voulait développer la vie souterraine dont on vantait les charmes ! Mais c’était une sorte de mode que Pradel ne voulait pas.

 

Et les 50 000 m², c’était en prévision d’une ville bien plus importante cf. le SDAU ?

Oui, on avait un peu la folie des grandeurs, on extrapolait des courbes….

 

Parlez-nous de la SEMALY en tant que structure : vous partez d’une expérience dans les services de l’Etat, comment étiez vous organisé ? Est ce que vous avez repris un schéma d’administration ?

Pas du tout, je me suis calqué sur la composition des sociétés d’économie mixte. François Bloch Lainé (directeur de la Caisse des Dépôts) prêtait énormément à la ville de Lyon et avait des relations privilégiées avec Pradel. C’est l’une des raisons de la multiplication des SEM dans la région Rhône Alpes. C’est donc la SCET avec François Parfait qui a donné son accord avec le Maire. Selon l’usage, la SCET assurera la gestion du personnel, la comptabilité, etc. mais pas la technique. La SEMALY fut d’abord une société de personnes représentant la ville de Lyon, le département et le STCRL. Il y avait aussi la SNCF, la Caisse des Dépôts, la SCET et la Chambre de Commerce. La société de personnes s’est ensuite transformée en société d’économie mixte, en gardant le même sigle.

 

Pour élaborer le projet, on part de l’idée qu’il faut regarder ce qui se passe ailleurs tout en analysant les spécificités du site lyonnais et on remet en cause le choix des rails en référence aux travaux de la RATP ?

Oui, exactement…on avait tout de même un contrat avec la SOFRETU de la RATP, mais beaucoup plus limité que celui de Marseille. Nous allions à des réunions communes, Lyon – Marseille – Paris. J’ai tout de suite vu que dans l’équipe d’ingénierie qui composait la SOFRETU, il y avait la vieille garde et les jeunes loups. La vieille garde, c’était « on fait comme ça », la règle d’or à la RATP, c’est « tout ce qui est nouveau ne marche pas » et puis les jeunes qui étaient recrutés récemment nous disaient par derrière, « on vous conseille ci, cela » …Les patrons disaient « oui, d’accord mais dans quelques temps, pour l’instant, il faut copier ce qu’on a, c’est sûr, ça marche». Il s’est trouvé qu’au début on ne savait pas qu’il y aurait un concours ! et ça c’est capital. L’Etat ne voulait pas s’engager car il trouvait que nous avions des idées trop précises…

 

Les débats ont notamment porté sur le type de matériel roulant : sur rail ou bien sur pneus ?

Oui. Personnellement, j’ai beaucoup poussé pour le pneu, car cela présentait beaucoup d’avantages : un peu plus d’énergie consommée, c’est vrai, mais peu de bruits et vibrations… Comme on savait déjà que le métro de Lyon serait très superficiel, il était évident que ce serait un gros avantage. La RATP était à 100% pour parce qu’elle disait « c’est ce qu’on vend à l’étranger, on est les seuls, ça rapporte beaucoup… »

 

Le caractère superficiel de l’emplacement du métro n’était pas négociable à l’époque dans la Presqu’île ?

Non : aujourd’hui, je vous dirai que ce n’est pas nécessaire de défoncer la rue Victor Hugo ! On plongerait avec un tunnelier à 15 m de profondeur dans le gravier et on ferait le tube tranquillement avec des puits au droit des stations mais, à l’époque, on ne savait pas faire ça !

 

Le choix du confort, des 2,9 m de large, il y a quand même un certain « luxe» dans la conception du métro ?

Ah oui, ça c’est une petite touche personnelle ! La largeur, j’y tenais absolument alors que les Marseillais pas du tout. Ça se comprend un petit peu parce que pour eux, ils avaient fait leurs études avec un tunnelier d’un certain diamètre et se disaient : « ce n’est pas possible d’élargir un tunnel, ça n’existe pas ou alors c’est une fortune ! » Or, ils avaient fait des tronçons d’essai sur le tracé de leur première ligne donc ils étaient limités, ils ne pouvaient pas aller plus loin que 2,5  m de largeur, gabarit recommandé par la RATP.

La situation était différente à Lyon : nous allions faire des tranchées dans toutes les rues. Si on écartait un petit peu plus les parois, le coût supplémentaire d’une dalle un peu plus large et plus épaisse était négligeable. Les tranchées ont donc été creusées le plus large possible tout en étant compatibles avec la largeur des rues. La largeur maximum était imposée par la rue Victor Hugo et le cours Vitton dans sa partie étroite, c’est-à-dire 8 mètres entre façades. Si toutefois on adoptait un matériel qui n’aurait pas cette largeur, les canalisations souterraines de toute nature pourraient passer dans le sur-espace.

En utilisant toute la largeur disponible, on peut faire comme le RER, c’est-à-dire un métro où il y aura beaucoup de places assises pour favoriser le confort, on ne sera pas en quart de fesses comme dans le métro parisien. Ici, la largeur ne coûte rien ! A Lyon ça a été l’enthousiasme pour le grand gabarit !

Le projet a été fait sur ces bases là, mais on a eu une douche froide quand Albin Chalendon, ministre de l’Equipement a dit : « L’État va donner le feu vert, mais: il faut lancer un concours, non seulement national mais international, parce que vous êtes trop axés sur votre projet et il y a sans doute mieux à faire  ! »

 

Le concours concernait quelle partie du projet ?

Tout ! Le système, le matériel, le tracé ! N’importe quoi pouvait être proposé, même des tapis volants ! Il y avait simplement des objectifs imposés de desserte. Les maires de Lyon et de Villeurbanne étaient dans la SEMALY : c’était donc en priorité une ligne qui devait relier les mairies de Lyon et de Villeurbanne en empruntant le sillon où il y avait plus de trafic, la ligne de trolleybus 7, puis une desserte de la Part-Dieu…

 

Et la liaison directe Part-Dieu - Presqu’île dont on parle depuis qu’elle n’existe pas ?

Ah oui…Pradel se rendait bien compte que la Part Dieu c’était son œuvre et qu’il fallait y aller. Il aurait voulu avoir à la fois l’Hôtel de Ville, la Part Dieu, Villeurbanne : ça faisait une ligne en zigzag, c’était infaisable ! Le projet en H (le projet de tracé imaginé par la SEMALY) aurait ménagé une partie dans la Presqu’île puis se baladait à la Croix Rousse et à Vaise. Il y avait aux Cordeliers un passage en direction de la Part Dieu et en direction de Villeurbanne. Mon idée, fortement combattue par la RATP, c’était que dans un tube, on pouvait faire passer plusieurs lignes, avec des aiguillages. Un peu comme Stuttgart, qui a un réseau avec des troncs communs et des branches périphériques. Ceci a l’avantage de faciliter les correspondances avec le même quai à des fréquences plus fortes. « Horreur ! » Pour la RATP, c’était un sacrilège : « il faut des lignes indépendantes ! » et ne jamais faire de fourche… alors a fortiori réaliser deux lignes qui se mélangeaient sur un tronc commun ! C’était impensable pour eux !

 

Les objectifs du concours international auraient pu remettre en cause la cohérence du réseau ?

Oui, mais il y avait des conditions imposées : desservir la Presqu’île, Villeurbanne et la Part Dieu…

 

Quels sont les protagonistes qui ont concouru pour le métro ?

Un groupe de travail a épluché toutes les propositions. Jean Frébault a été chargé pour l’Etat de faire le rapport final, le rapport du jury de concours. Il a fait une analyse multicritère, sa spécialité, intégrant la sécurité, la fiabilité, le confort, l’aptitude à évoluer, etc.
On n’a pas eu de « tapis volant », le coussin d’air était pourtant à la mode, mais on a eu des propositions de mini-métro, dans un petit tube comme à Glasgow. Les projets autres que les métros classiques ont été très vite balayés, on a vu que ça ne collait pas…Et les entrepreneurs ne sont pas fous : ils savaient bien que par derrière, c’était bien les collectivités qui feraient ce qu’elles voulaient. Il n’est donc resté jusque au bout que des projets de métro qui avaient un gabarit normal : 2,6 m pour Schneider, 2,9 m pour la CGE, et puis un
« minitube » proposé par les Grands Travaux de Marseille qui survécut aux éliminatoires. L’Etat nous a reproché de ne pas avoir poussé ce dernier projet. On s’est contenté de leur donner un prix. 1er : CGE, 2nd Schneider qui n’avait plus aucune chance et 3e : un prix rémunéré pour le minimétro de GTM.

Le groupe CGE avait dans son giron la totalité des spécialités pour faire un métro : les courants faibles, le matériel, la voie, le génie civil. Ils pouvaient faire un groupe unique d’entreprises. Marseille avait opté pour Schneider, qui n’avait pas d’entreprise de génie civil intégrée au groupe. Il n’en reste pas moins qu’il y avait deux groupes qui dominaient en France, l’un eut Lyon et l’autre Marseille !

 

La CGE l’emporte et à partir de là, vous allez travaillez avec eux…

Oui. Ils vont créer un bureau d’études organisé à la manière de la SEMALY qui pilotait l’ensemble, réglant le planning et les arbitrages internes au groupe.

 

Quelles sont vos relations dès 1965 avec l’atelier d’urbanisme municipal de Charles Delfante ? Etant donné qu’un métro est considéré comme structurant pour l’urbanisme…Vous étiez autonome mais en relation ?

Delfante avait succédé à Maillet qui n’avait pas bien plu à Pradel. Delfante a tout le temps été mon interlocuteur, donc nous étions en étroite collaboration même si on n’était pas d’accord sur tout ! On se voyait très souvent, il savait très bien qu’il y avait des données sur lesquelles on pouvait jouer et d’autres pour lesquelles ce n’était pas la peine d’insister, le coup étant parti !

 

Dans le SDAU, le métro n’est pas détaillé, il ne démontre pas les conséquences de cette infrastructure, il souhaite le changement dû au métro, c’est tout !

Oui. Ceux qui étaient les plus proches de l’interface avec l’urbanisme, c’était quand même la SERL qui construisait beaucoup et avait des secteurs de rénovation. C’est la SERL qui nous a beaucoup poussé au tracé de la ligne B, l’antenne qui devait s’embrancher de la ligne A jusqu’à la Part Dieu. Il se trouvait que la SERL avait toute une zone à rénover entre les rues Servient et Bonnel et ils nous ont demandé – et Pradel était d’accord – de faire passer le métro entre deux rues et non pas dans une rue, parce qu’ils voulaient faire table rase des immeubles. Le métro étant d’utilité publique, nous pouvions acheter et démolir les bâtiments vétustes, avec expropriation si nécessaire, ce qu’ils ne pouvaient pas faire.

Le tracé n’ayant été fixé que très tard, ce qui a donné le La, c’est la station Part Dieu. Elle n’est pas neutre, on l’a réalisée à un endroit où elle devait servir de soubassement à la tour du Crédit Lyonnais (on a fait des renforcements spéciaux). La station elle-même n’était pas prévue directement pour une gare, c’est ça qui a fait qu’il y a eu des plaintes par la suite : « la station est très loin de la gare ! » La gare SNCF était alors prévue aux Brotteaux, on a donc fait en sorte que le quai de la station communique par un passage souterrain directement avec les quais de la gare des Brotteaux. C’est pour ça qu’on a fait une station si belle aux Brotteaux, qui ne sert à rien, ou du moins qui est très peu fréquentée !

 

N’y a t il pas un pas un paradoxe entre, d’un côté une volonté de métro ambitieux, moderne, associé à des plans d’urbanisme désireux de structurer la croissance urbaine et de l’autre, la réalisation d’un réseau de métro qui tarde à se développer, dans une urbanisation moins massive que prévue mais assez délitée ?

Oui ; c’est toujours le leitmotiv : « le métro à Lyon n’a pas de caractère structurant, il a un caractère d’accompagnement » : j’ai toujours entendu ça ! Pour moi le métro c’est un RER qui devait desservir deux axes de développement privilégiées prévus au SDAU qui étaient l’axe Décines-Meyzieu et l’axe Vénissieux-Corbas. Mais les directives d’urbanisme du SDAU ont été très vite mises à mal de deux côtés : au niveau local, le maire de Décines était totalement opposé à l’axe Décines-Meyzieu, donc il n’y aura pas de prolongement sur cet axe prioritaire ! Et au niveau national, parce que ça gênait la construction des villes nouvelles. Là, on peut dire que l’État et les pouvoirs locaux s’opposaient nettement !

 

Le métro lyonnais ressemble à un petit RER …qui ne va pas assez loin ?!
Oui exactement ! C’était ce que l’on voulait ! Nous, les urbanistes du SDAU, de l’OREAM ne voulions pas que le métro reste intra muros !

 

Si le métro allait trop loin à l’Est, par rapport à l’Isle-d’Abeau, ça risquait de faire une urbanisation en « tache d’huile » ?

Ce n’est pas ça, ça risquait de nuire au développement de L’Isle-d’Abeau puisqu’on aurait eu des développements plus importants à Décines et à Meyzieu !
 

C’est donc un discours un peu schizophrène de l’Etat qui veut structurer le développement de l’agglomération lyonnaise puis 10 ans après crée l’Isle d’Abeau et remet en question l’organisation de la première ?

Oui, je crois que c’est Pisani qui « a foutu tout cul par dessus tête », d’abord le déplacement de l’aéroport, de Bron (où on avait fait beaucoup d’investissements) à Satolas, la remise en cause de l’axe Décines-Meyzieu et le développement de l’Isle-d’Abeau, renvoyant les urbanistes lyonnais à un développement plus mesuré !

 

A partir de quand sentez-vous que le métro devient une affaire davantage lyono-lyonnaise ?

La conception du métro en tant qu’élément d’un RER est restée jusqu’au bout, j’y tenais absolument car je me disais, un jour ou l’autre, le maire de Décines changera d’avis. D’ailleurs, c’est en train de venir tout doucement, sous une autre forme, avec le tram ! Le développement est inéluctable, on a fait un petit prolongement à La Soie, ce qui fait démarrer pas mal le trafic. Il y a aussi la circulation à gauche, comme les trains, comme le RER et non pas à droite comme à Marseille. On m’a posé 25 fois la question : « Pourquoi est ce que vous roulez à gauche ? » Parce que plus tard, ça ira un jour ou l’autre sur les trains de banlieue où toute la signalisation, l’interconnexion est basée à gauche….

 

L’interconnexion est donc plus facile avec ce système ?

Oui, il n’y a qu’un seul inconvénient, c’est qu’il est sur pneus.

 

Il ne peut pas se déplacer en surface également ?

Oh, on peut tout imaginer, ce n’est pas impossible. Simplement c’est pluscompliqué pour les appareils d’aiguillage et les passages à niveau…

 

Avez vous des éléments de fierté apportés aux éléments de génie civiles ou de circulation sur la ligne A?

Il y en a un de mon cru ! Je l’ai appris en visitant le métro de San Francisco, c’est qu’il fallait se méfier énormément des systèmes de pilotage automatique de trains ! Dès 1969, j’ai emmené la SEMALY et les gens du métro de Marseille pour faire un voyage d’études commun avec la RATP en Amérique du Nord. Je voulais voir le métro de San Francisco. On a vu un métro ultramoderne avec un pilotage automatique… qui ne fonctionnait pas ! Les wagons restaient bloqués. Le chef d’exploitation m’a dit « si vous voulez avoir la paix, faites un système en dehors des courants faibles, c’est-à-dire un système à courant fort, classique : nous quand un train veut partir, on ne sait pas s’il n’y en a pas un sous la baie donc, on téléphone pour savoir si la voie est libre ! » Voilà le pilotage automatique à l’époque !
La CGA, compagnie générale d’automatisme, filiale de la CGE nous a proposé dès le début un système de pilotage automatique. Il fallait un conducteur mais c’était un système avec un canton mobile qui permet au conducteur de se relâcher…Moi j’ai dit : « ça ne marchera pas, je veux qu’il y ait un petit feu entre les rails, qui, lui sera actionné par un courant électrique classique, et qui ne s’allumera au vert que quand le train qui est devant aura quitté la station ! » Vous le voyez toujours ce feu ! Au début, ça a été considéré comme ridicule mais c’est ça qui a permis la mise en route du métro. Le train quitte la station, c’est un feu violet qui s’allume, il ne repasse au vert que lorsqu’il a franchi la station suivante, sinon, il est violet ! C’était peut-être ridicule mais ça a permis l’ouverture en temps voulu…parce qu’au début, il ne marchait pas du tout, le pilotage automatique, les machinistes ont conduit manuellement !

 

Est ce que vous étiez encore aux commandes quand la SEMALY a commencé à réfléchir à d’autres travaux en dehors de Lyon ? Pourquoi cette prospection sur d’autres sites ?

Oui, on a commencé par Nantes. Malgré le succès, on sentait bien qu’il n’y aurait pas éternellement du travail à Lyon donc on s’est intéressé au tramway à Nantes en liaison avec la SOFRETU et ensuite Grenoble, Strasbourg et là on était vraiment en concurrence avec la SOFRETU. A Strasbourg, les gens de la RATP se sont fait piquer le marché, d’où un minidrame ! On devait en effet se partager le marché : la RATP prenait la signalisation courant faible et la SEMALY faisait le génie civil mais au dernier moment, nous avons fait un rabais et on a emporté tout le morceau ! La RATP nous en a voulu ! A l’étranger, je crois que ça a commencé par le métro de Canton…Je tire mon chapeau à Hervé Chaine (directeur de la SEMALY, aujourd’hui EGIS-Rail, ndlr) pour le développement de l’entreprise. Je l’ai recruté très tôt, dès 1972. Quand il est arrivé à la SEMALY, comme moi des années auparavant, il a eu un peu envie de prendre de l’air, et comme il avait le gros avantage d’être trilingue anglais, espagnol, français, ça a facilité beaucoup de choses.

 

La décentralisation et la montée en régime de la communauté urbaine et du SYTRAL par rapport aux réflexions sur le réseau…est ce que les décisions ont été davantage concertés ?

Il y a eu un gros virage en 1981, avec la loi sur les collectivités locales, la décentralisation petit à petit….
Au début, à la SEMALY, c’est dans mon bureau qu’on décachetait les enveloppes des appels d’offres ! On avait la maîtrise d’ouvrage déléguée, c’est-à-dire que c’est moi qui avait le carnet de chèques, les marchés étaient signés par le président au delà d’un certain montant mais pas du tout par le SYTRAL qui nous envoyait les fonds que nous gérions nous même ! Ce qui est une aberration, j’aurai pu en mettre dans ma poche ! Ça peut toujours se déceler mais ce n’est pas normal d’avoir les pouvoirs intégrés, ça ne se fait pas ! Il y a d’un côté ceux qui sont les maîtres d’ouvrage, qui donnent les grandes directives, les grandes options, qui ont le financement et d’un autre côté le bureau d’études, qui s’entoure de spécialistes techniques…

 

Et là, vous étiez un peu les deux ?

Oui, sans aucun doute ! Dans « La grande traboule  », je le dis ! Les décisions étaient les mêmes ! Les réunions du SYTRAL se passaient jusqu’en 1981 à la Préfecture avec le Préfet président et le Maire à sa droite et à la SEMALY c’était le Maire président et le représentant de la Préfecture à sa droite ! Mais c’était les mêmes sujets qui étaient abordés ! En 1981, le préfet Olivier Philip a été prié par Gaston Deferre, ministre de l’intérieur, de se mettre sur la touche. Il est parti au mois d’août ou septembre 1981 et à ce moment là, le SYTRAL a voulu récupérer la maîtrise d’ouvrage déléguée, c’est à dire pouvoir effectuer le choix des entreprises.
Bernard Perrot a été le premier directeur du SYTRAL. Il a été très actif et a fait en sorte que la SEMALY ait moins de pouvoirs et que les enveloppes des marchés soient décachetés au SYTRAL et non plus à la SEMALY. A partir de là, ça a été le virage. Il a été remplacé par Jean Frébault.