Tenue à Paris durant le mois de décembre 2015, la 21ème Conférence des Parties sur le changement climatique s’est terminée avec la signature d’un accord qu’une partie de la presse et certains spécialistes se sont empressés de qualifier d’historique [i]. Très vite, pourtant, des voix discordantes se sont fait entendre, mettant en avant les limites et les contradictions d’un accord que les plus pessimistes comparent déjà à une véritable mascarade [ii]. Alors : triomphe sans précédent… ou échec cuisant ? C’est plus certainement entre ces deux extrêmes qu’il faut situer le bilan de la COP 21. Un résultat mitigé que le Guardian résume en deux phrases : « En comparaison de ce qu’il aurait pu être, l’accord est un miracle. En comparaison de ce qu’il aurait dû être, c’est un désastre [iii] ».
De Rio à Paris, en passant par Kyoto et Copenhague : rappel du contexte
Pour comprendre les raisons d’une telle divergence de points de vue, il faut se souvenir du contexte dans lequel s’inscrivait cette 21ème conférence des parties. Signée par plus de 180 chefs d’Etat et de Gouvernement réunis en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio, la Convention cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques invitait alors les pays à tout mettre en œuvre afin de « stabiliser les concentrations de GES dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique [iv] ». Ratifiée deux ans plus tard, la convention est alors entrée dans sa phase opérationnelle sous la forme d’un cycle de négociations engageant les parties signataires à se réunir chaque année afin de s’entendre sur les moyens permettant d’atteindre l’objectif de la Convention.
Dans un contexte marqué par une forte réticence de la part des pays du Sud, la première Conférence des parties (COP1) aboutit en 1995 à une forme de consensus : dans un premier temps, seuls les pays les plus industrialisés devraient se fixer des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Un principe qui se traduisit deux ans plus tard à Kyoto, lors de la COP3, par la signature d’un protocole dans lequel les pays industrialisés s’engagèrent à baisser leurs émissions de GES d’environ 5% à l’horizon 2012 (par rapport à 1990). Dans l’esprit de la plupart des observateurs, il était clair que le protocole de Kyoto n’était qu’une première étape qui, inévitablement, devrait être prolongée afin de répondre à certaines questions laissées en suspens pour « l’après 2012 ». A cette date, chacun avait en tête qu’il faudrait alors :
- renouveler les objectifs des pays les plus industrialisés pour les inscrire dans une perspective de réduction beaucoup plus drastique de leurs émissions ;
- faire entrer dans le nouveau protocole tous les pays du Monde, incluant en particulier les pays émergents et nouvellement industrialisés, et ce notamment afin d’éviter les « transferts de carbone » des pays du Nord (soumis à objectifs) vers les pays du Sud (hors protocole) ;
- s’entendre sur la mise en place d’un organisme international chargé de faire respecter les objectifs et, idéalement, de rendre ceux-ci contraignants.
Tel était donc l’agenda de la COP15, organisée en 2009 à Copenhague. Malheureusement, comme chacun s’en souvient, Copenhague fut un échec retentissant. Des trois défis susmentionnés, aucun ne fut relevé. Et de l’accord rédigé in-extremis à Copenhague, on ne retint au final que deux éléments : la création d’un « fonds vert » visant à aider les pays du Sud à faire face au défi du changement climatique ; et le choix laissé à chaque Etat de fixer ses propres objectifs volontaires, qui pourraient devenir juridiquement contraignants à partir de 2015… c’est à dire au moment de la COP21.
Le verre à moitié plein de la COP21…
Pour compléter les éléments de contextualisation de la COP21, il faut enfin ajouter que la situation géopolitique à la veille de la conférence n’était guère favorable : en l’absence d’une organisation mondiale de l’environnement, il s’agissait à Paris de trouver un consensus incluant les Etats-Unis (dont le congrès à majorité républicaine est largement climato-sceptique), l’Inde (dirigée par un gouvernement pro-industrie et très peu sensible aux enjeux climatiques), les pays pétroliers (hostiles à toute régulation) et les pays les plus vulnérables (réclamant des engagements de la part des pays riches, notamment sous formes de compensations et d’aides financières). Compte-tenu de ce contexte pour le moins hostile, on comprend mieux pourquoi l’Accord de Paris est considéré par certains comme un succès.
Une mobilisation internationale relancée
Avant tout, il faut reconnaître que la première vertu de la COP21 est d’être parvenue à un accord entre l’ensemble des parties, ce qui permet de réunir l’ensemble des nations dans un processus de négociation visant explicitement la réduction des émissions des GES – ce qui n’était pas gagné après l’échec de Copenhague qui avait fait craindre l’enlisement définitif des négociations. Des objectif globaux ambitieux… et inattendus – Le second point positif concerne précisément la réactualisation des objectifs, puisque l’Accord de Paris vise à contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. » L’accord réaffirme donc l’objectif de 2°C déjà acté au cours des précédentes COP mais, sous la pression des pays les plus vulnérables, il considère celui-ci comme un plafond et préconise de viser plutôt 1,5°C de réchauffement. Mieux encore, pour y parvenir, l’Accord de Paris se fixe en point de mire un « plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, (…) et à opérer des réductions rapidement (…) de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle. [v]» Dit autrement, il s’agit d’atteindre au niveau mondial la neutralité carbone dans le courant de la seconde moitié du 21ème siècle.
Des objectifs chiffrés par pays régulièrement réactualisés à la hausse
Ces objectifs globaux supposent des engagements nationaux en matière de réduction des émissions de GES. C’est évidemment là que les choses deviennent en général plus difficiles. Or, pour la première fois, la quasi totalité des pays ont produit à l’occasion de la COP21 leurs engagements – les fameuses INDC : Intended Nationally Determined Contributions. Surtout, l’accord prévoit que ces contributions feront l’objet non seulement d’un suivi (avec l’obligation pour les Etats de rendre compte de leurs avancées) mais aussi d’une réactualisation quinquennale des engagements afin de les rendre progressivement compatibles avec les objectifs mondiaux cités plus haut. Tous les cinq ans à partir de 2020, les Etats devront donc réactualiser à la hausse leurs engagements, tandis que les scientifiques du GIEC produiront régulièrement des modélisations pour estimer l’impact des efforts proposés par les Etats.
Des objectifs financiers confortés
L’accord de Paris conforte également l’engagement de Copenhague en matière de transferts de fonds des pays riches vers les pays pauvres, afin d’aider ceux-ci à financer à la fois leurs efforts en matière d’adaptation au changement climatique et de maîtrise de leurs émissions. Il considère les 100 milliards US$ annuels promis à l’horizon 2020 non seulement comme un objectif, mais comme une valeur plancher.
Une porte ouverte pour la société civile
Enfin, le processus d’ouverture à la société civile s’amplifie avec le renforcement du Plan d’Action Lima-Paris, une initiative qui vise à favoriser les échanges d’expériences et de bonnes pratiques parmi les acteurs de la société civile afin de montrer les multiples facettes concrètes de la transition post-carbone. Cette dynamique s’appuie notamment sur la plateforme Nazca qui, sous l’égide des Nations-Unies, recense les engagements pris par plusieurs milliers d’organisations à travers le Monde [vi] . Une manière d’avouer que les Nations ne joueront peut-être pas le rôle de moteur qu’on aurait pu attendre d’elles ?
…et le verre à moitié vide
Ce dernier point souligne à quel point l’Accord de Paris est ambigu. Ambitieux sur les objectifs de long terme, il est pourtant beaucoup plus timide à court terme… ce qui amène de nombreux observateurs à penser que la pression devra être continue pour que les nations se montrent à la hauteur.
Des engagements encore loin du compte
Car c’est un fait indéniable : le décalage entre les objectifs globaux et les engagements des Etats est abyssal. Pour Sylvestre Huet, les négociateurs ont oublié la réalité scientifique : en l’état actuel des connaissances, et du fait de l’inertie du système climatique, « même un hara-kiri général ne permet pas de respecter les 1,5°C.[vii] » Pire encore, les négociateurs se sont entendu sur cet objectif inatteignable alors même qu’ils avaient déjà remis leurs engagements, en sachant pertinemment que ces derniers mettaient la planète sur une trajectoire de 3°C environ… et ce alors même que l’agenda des négociations ne prévoit pas d’obligation de renouveau des contributions avant 2025. Une véritable schizophrénie que les ONG et les scientifiques n’ont pas manqué de dénoncer.
Des engagements non contraignants
Les raisons de s’inquiéter sont d’autant plus grandes que, non seulement les engagements nationaux pris à Paris ne sont pas à la hauteur des objectifs, mais pire encore : ils sont souvent flous et, surtout, non contraignants ! La polémique entretenue par les médias autour du « shall » et du « should » de l’article 4 de l’Accord de Paris résume à merveille la situation : il était hors de question pour les Etats-Unis de s’engager, même sur un objectif très vague de tendance à la baisse des émissions. Le conditionnel reste donc de mise pour ce qui concerne les engagements en matière d’émissions de GES. Comme le notent Christian Losson et ses collègues, « c’est la traduction de l’accord dans la législation domestique de chaque Etat, dès 2016, qui donnera vraiment le niveau de contrainte. Il entrera en vigueur en 2020 [viii] ». Ce qui est certain, c’est qu’en l’absence d’organisation mondiale chargée de faire respecter ces engagements, aucune sanction internationale n’est envisagée.
Des secteurs oubliés
Autre motif d’insatisfaction : les émissions de gaz à effet de serre des secteurs de l’aviation et du transport aérien sont tout bonnement passées à la trappe. Représentant pourtant 8% des émissions mondiales, avec un taux de croissance impressionnant, ces deux secteurs pourraient représenter 39% des émissions globales d’ici 2050 !
Pas un mot sur les énergies fossiles
Plus cynique encore, l’absence des énergies fossiles dans l’accord ne laisse rien présager de bon. Représentant près des deux tiers des émissions de GES mondiales et plus de 80% de l’énergie consommée dans le Monde, les énergies fossiles devraient quasiment disparaître du paysage énergétique au cours des prochaines décennies. Car pour parvenir à l’objectif de 2°C, on estime en effet qu’il faudra laisser environ 80% des réserves de pétrole, de gaz et de charbon là où elles sont : sous terre ! On comprend que les pays pétroliers et les multinationales des énergies fossiles refusent d’envisager l’avenir ainsi.
Mais comme le souligne là encore Sylvestre Huet, il en va malheureusement de même de la part de la majorité des gouvernants – et sans doute des citoyens – du reste du monde, qui restent largement obnubilés par une croissance économique dont le meilleur carburant a toujours été l’énergie fossile : « Croire qu'il s'agit là d'un problème de faiblesse des gouvernements vis à vis des industriels relève de la fausse piste » écrit ainsi le journaliste de Libération. Car « les différences essentielles entre les niveaux de vie des Européens et des Sénégalais (…) correspondent à des écarts de consommations énergétiques [ix] ». Se passer des énergies fossiles sera donc compliqué. Preuve en est qu’aux lendemains de la signature de l’Accord de Paris, la plupart des journaux s’enthousiasmaient de voir le prix du litre de gasoil passer à nouveau sous la barre symbolique d’un euro… tandis que la presse régionale sautait sur l’occasion pour indiquer à ses lecteurs où trouver les stations d’essence les moins chères [x].
Qui remplira le reste du verre ?
Le verre de la COP 21 est donc à moitié plein. Et les dispositions sont prises pour laisser la possibilité aux Etats de remplir le reste du verre... s’ils le veulent bien. Mais qui les forcera à le faire ? Pour les associations environnementales, cela ne fait pas de doute : puisque l’idée d’une organisation mondiale de l’environnement semble définitivement abandonnée, ce sera à la société civile de faire pression sur les gouvernants en montrant la voie. Pour Greenpeace, par exemple, « la conclusion de ces deux semaines onusiennes est claire : les décideurs ne provoqueront pas le changement, ils suivront les changements provoqués par la société [xi] ».Très présentes à Paris, les villes et les régions auront sans doute un rôle majeur à jouer dans ce processus. Car c’est à leur échelle que la démonstration d’un changement est souvent la plus concrète et la plus convaincante. Signe encourageant, plus de 2400 villes et régions – parmi lesquelles la Métropole de Lyon – ont déjà inscrit leurs engagements sur la plateforme Nazca. Souvent plus ambitieux et plus volontaires que leurs gouvernements nationaux, les représentants des autorités locales l’ont dit sans équivoque à Paris : en matière de politiques climatiques, « les nations doivent écouter ce que les villes leurs disent [xii] ».
[i] Grandjean A., 2015. « Climat : 2015, l’année d’un tournant et d’un accord historiques », sur le blog d’Alain Grandjean.
URL : https://alaingrandjean.fr/2015/12/13/climat-2015-lannee-dun-tournant-dun-accord-historiques/
[ii] Alternatiba, 2015. « 20000 personnes décrètent l’état d’urgence climatique », sur le site d’Alternatiba.
URL : http://sendy.alternatiba.eu/w/Y8Q2alaOzb0ZCRll892OmLvA/bIeutsh8muRY6o2wzA16wQ/edWWfr6dpYn892kmcLDx8bjw
[iii] Cité par Greenpeace, 2015. « L’avenir en demi-teinte », sur le site de Greenpeace France.
URL : http://energie-climat.greenpeace.fr/lavenir-en-demi-teinte
[iv] Nations Unies, 1992. Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques, UN, New-York.
URL : http://unfccc.int/resource/docs/convkp/convfr.pdf
[v] Nations Unies, 2015. Conférence des Parties, 21ème session, Adoption de l’Accord de Paris, UN, Paris.
URL : http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09r01f.pdf
[vi] URL : http://climateaction.unfccc.int
[vii] Huet S., 2015. « Cop21 : que vaut l’accord de Paris ? » sur le blog de Sylvestre Huet.
URL : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2015/12/cop-21-que-vaut-laccord-de-paris-.html
[viii] Losson C., Hanne I., Schaub C., 2015. « Accord de Paris : un cap de bonne espérance », in Libération, 13 décembre 2015.
URL : http://www.liberation.fr/planete/2015/12/13/accord-de-paris-un-cap-de-bonne-esperance_1420485
[ix] Huet S., 2015. Op. cit.
[x] A titre d’exemples :
http://www.20minutes.fr/nantes/1752759-20151217-nantes-litre-gasoil-moins-euro-90-centimes-generalise
https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/carburant-le-prix-du-gasoil-sous-la-barre-de-1-euro-1449850191
[xi] Greenpeace, 2015. Op. cit.
[xii] Moreau A., 2015. « COP21 : Les nations doivent écouter ce que leurs disent les villes », propos recueillis par Anna Moreau et mis en ligne sous forme vidéo sur le site du Monde.
URL : http://www.lemonde.fr/cop21/video/2015/12/04/cop21-les-nations-doivent-ecouter-ce-que-les-villes-leur-disent_4824988_4527432.html