Les Maisons du Rhône. Récit de la territorialisation des services départementaux
Étude
Les maisons du Rhône, installées au plus proche des habitants, vont constituer l’antenne de proximité et le guichet unique pour tous les services du département
Interview de Élisabeth Thiéblemont
Au terme d’un trimestre passé à réfléchir aux enjeux prospectifs de la gestion de l’eau, la Veille M3 conclue son périple printanier avec Élisabeth Thiéblemont, prospectiviste au sein d’Eau de Paris, l’opérateur public en charge de la production et de la distribution de l’eau dans la capitale.
Spécificités des services publics dans la gestion d’un bien commun, échanges citoyens avec les usagers, émergence de nouvelles représentations symboliques : autant de sujets abordés dans cet entretien, qui nous rappelle à quel point le partage de l’eau pourrait bien être la grande question de ce siècle.
Quelle place occupe la prospective au sein de l’organisation d’Eau de Paris ?
Elle prend différentes dimensions. La plus classique et ancienne est une prospective que je qualifie de « métiers ». À partir du moment où, dans un processus industriel, vous mettez en place des plans d'investissement à 25-30 ans, vous devez obligatoirement intégrer des évolutions de court terme et anticiper les changements qui se profilent à moyen et long termes. À ce titre, les équipes « métiers » font de la prospective, s’appuyant sur des compétences internes ou des bureaux d’études tels que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). À Eau de Paris, nos experts réfléchissent par exemple à un nouveau schéma directeur des eaux souterraines à horizon 2030, qui tiendrait compte des impacts du changement climatique sur la qualité et la quantité des ressources, des polluants émergents, de l’évolution des normes de qualité et du développement de nouveaux procédés. Le but est d’anticiper l’évolution de nos modes d’exploitation ou de nos usines de traitement.
L'enjeu en revanche aujourd'hui est d’introduire les sciences sociales et humaines dans nos réflexions, ce que d’aucuns appellent la prospective comportementale ou sociétale, pour intégrer beaucoup plus en amont les conséquences des changements prévisibles des sociétés dans les choix d'investissements technologiques. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) y a d’ailleurs procédé pour la première fois en 2019. Elle a intégré des critères qualitatifs et comportementaux dans ses travaux de prospective pour penser le futur, non pas uniquement en termes technologiques, mais en introduisant dans le raisonnement les comportements comme modes de régulation différents. Il y a dix ans, ces sujets de transitions énergétique et écologique relevaient du débat d’expert. Aujourd’hui, le facteur comportemental et les modes de vie sont un déterminant à prendre en compte.
J’essaie d'introduire cette approche-là à Eau de Paris notamment à travers les « Ateliers des Métamorphoses », espace de réflexion et de connaissance lié à l’eau et aux transformations territoriales.
Comment conciliez-vous vos impératifs industriels avec une démarche de service public ?
C'est une vraie question, qui a toujours été présente à Eau de Paris. Toute entreprise cherche à construire son corps social en donnant du sens aux missions de ses salariés, en se dotant d’une vision, de valeurs, d’orientations stratégiques et de plans d’actions pour asseoir le projet collectif, en misant sur l’excellence opérationnelle, la R&D et l’innovation pour assurer sa pérennité. Eau de Paris n’échappe pas à celle réalité entrepreneuriale. Benjamin Gestin, directeur général, a lancé un nouveau projet d’entreprise 2021-2026 ambitieux qui s’appuie sur deux modalités et leviers de transformation majeurs : la transition écologique et solidaire car nous visons la contribution à la neutralité carbone à 2030 et la transition numérique. Mais nous le faisons avec une dimension particulière, propre à notre raison d’être : celle d’assurer la continuité du service public de l’eau auprès des usagers parisiens, en toutes circonstances, 24h/24, en délivrant une eau de qualité et en prenant en compte les enjeux écologiques et sociaux de nos territoires d’intervention.
Vous me direz que les entreprises privées qui assurent une délégation de service public tiennent le même discours. Non, être une entreprise publique locale nous différencie et nous engage sur les finalités, sur les valeurs, sur les modalités d’exercice de cette activité. Notre secteur d’activité, notre mission et notre ancrage local produisent du sens : on le mesure chaque jour au sein des équipes, et ce besoin de sens devient un critère de choix pour la jeunesse en quête de travail. L’efficience d’une entreprise publique a pour finalité l’intérêt général et non la rémunération court-termiste d’un actionnaire. Eau de Paris vise non pas la satisfaction client, mais la satisfaction de tous les usagers et clients, dans un souci d'égalité, en tant que principe républicain, et de solidarité et de partage.
Cette dernière dimension est structurante pour les territoires qui vont concentrer tous les enjeux du siècle à venir : adaptation au changement climatique, production d’énergies renouvelables, alimentation locale, accès à l’eau dans un contexte de disponibilités différentes de la ressource, flux migratoires, relocalisation d’activités stratégiques, parfois énergivores… Autant de sujets qui concernent directement ou indirectement le secteur de l’eau et qui vont nécessiter des changements de postures et de comportements. C’est pourquoi s’inscrire sur le temps long et non dans une logique de marché, connaitre finement ses territoires de présence constituent des atouts essentiels pour assurer la mission d’intérêt général local. On est ainsi bien plus qu’un opérateur technique. On est un acteur majeur du « bien-être » territorial, qui relie tous les acteurs concernés (agriculteurs, industriels, collectivités, citoyens).
À quelles attentes correspondent cette envie croissante et ce mouvement de retour en régie publique ?
En France, on assiste à un triple phénomène, a priori contradictoire.
Côté citoyens, le rapport aux institutions publiques et politiques est devenu un rapport de défiance, que Nuit debout, les Gilets jaunes et la crise de la Covid-19 ont profondément accéléré. Ces événements ont favorisé la prise de conscience d’une déconnexion entre le « central » et le « terrain ». La nature n’aimant pas le vide, le citoyen se raccroche à ce qu’il connaît le mieux : sa famille, ses amis, son environnement de proximité, ses associations, sa ville, son territoire, son quartier. Ces points d’ancrage vont être de plus en plus investis d’une charge émotionnelle. En ce sens, un service public local tel que l’eau peut devenir un sujet d’intérêt pour les citoyens.
Cependant, l’eau, il faut le reconnaître, est absente des débats et loin des préoccupations actuelles des citoyens, sauf lorsqu’il y a un incident technique, un risque majeur, un événement hors norme ou une pollution industrielle. Mais là alors on rentre dans une communication de crise qui ne suffit pas à créer une relation de confiance durable. D’un point de vue « marketing », l’eau est un produit convenience, disponible, peu coûteux et souvent invisible. Monsieur Lévêque le dit – vous le citez bien dans votre article sur l’artificialisation du milieu naturel -, on a urbanisé, donc on a perdu, on a rendu invisibles des espaces naturels qui avaient des fonctions écologiques très importantes. En fait, l’eau n’est plus pensée comme objet de culture, ou comme un patrimoine commun de proximité. Il le sera en revanche demain !
Pourquoi ? Parce que la préoccupation environnementale monte dans les consciences, notamment chez les jeunes générations. Parce que l’eau va devenir l’enjeu du siècle dans un contexte de lutte contre les pollutions de toute nature et surtout de changement climatique. L’eau est responsable de quasiment 75 % de l’effet de serre par les nuages et la vapeur d’eau (contribution naturelle au réchauffement climatique). Tout ce qui va toucher la ressource va devenir une question prioritaire, voire existentielle L’hydrologue Emma Haziza nous alerte ce point, notamment aux Ateliers des Métamorphoses : sans eau, pas d’énergie (ou peu), pas d’alimentation. À l’heure où les tectoniques des plaques géopolitiques se recomposent, le sujet n’est pas anodin.
Si l’on voit émerger dans la société une conscience de l’importance de la ressource, le phénomène reste encore balbutiant, mais porteur. Le retour en gestion publique de l’eau relève plutôt à mon sens aujourd’hui d’une conscience politique des enjeux liés à la ressource. Aux responsables territoriaux de s’emparer de cette opportunité qui s’offre alors à eux, pour créer les conditions de faire de l’eau un « objet politique ancré dans une réalité territoriale historique et ne pas le mettre hors sol » comme le dit si bien la chercheuse en sciences politiques Virginie Tournay. Pour cela, il faut sortir d’une vision exclusivement technique de l’eau, construire un nouvel imaginaire autour de ce bien essentiel.
Le soutien des usagers à un passage de l’eau en régie ne serait donc pas selon vous le signe d'une confiance renouvelée au secteur public, mais plutôt la preuve d’une volonté de reprendre place dans le processus décisionnel ?
Cela procède probablement en effet d’un sentiment de participer à une œuvre commune qui touche à la santé, la qualité et le confort de vie. Ce qui se joue ici entre les institutions publiques, les citoyens et l’eau est le rétablissement d’un rapport de confiance pour faire société, avec un « acteur non humain comme l’eau » (je cite le sociologue Bruno Latour), mais un acteur patrimonial.
Au fil du temps, le rapport des citoyens et des responsables locaux à l’eau s’est distancié. Du fait de l’artificialisation des espaces comme évoqué à l’instant mais surtout de la technicisation de cette activité. Le monde de l’eau s’est complexifié : ce sont des normes de potabilité et environnementales de plus en plus exigeantes, des techniques de traitement sophistiquées, des conduites de transport et de distribution à rénover, des chantiers de modernisation par le numérique, auxquels se rajoutent les enjeux numériques, sanitaires, climatiques, ou encore géopolitiques.
En France, le service public de l’eau est si performant qu’il en est devenu dans le même temps invisible, alors qu’il est essentiel. La crise de la Covid-19 a révélé cet étrange paradoxe. On oublie presque que derrière cette performance se cachent des réalités humaines, des agents du service public compétents, des métiers traditionnels et modernes (des data scientists par exemple), des clients, usagers, riverains aux besoins différents, des parties prenantes publiques, agricoles, industrielles associatives …
Le retour en gestion publique de l’eau est une occasion parfaite de repenser la vie démocratique locale et la conscience du collectif. Les responsables territoriaux disposent à cette fin d’une panoplie de moyens dont les démarches de gouvernance ouverte ou citoyenne. Ces dernières passent par des budgets participatifs, des consultations publiques, des ateliers de projection créatifs, des opérations de co-développement, comme vous le faites d'ailleurs au Grand Lyon pour sensibiliser les populations à des sujets sensibles, dont l’eau, et avec la décision de passer en gestion publique en janvier 2023. Ces actions invitent les citoyens, usagers, riverains à réfléchir ensemble sur des enjeux locaux. Ce mouvement amorcé en France dans les années 2000, qui a pris son essor vers 2014, est aujourd’hui une lame de fond.
Ce retour du politique dans la gestion de l'eau passe par une forme de « perméabilité » entre une institution, une entreprise publique comme Eau de Paris et la société civile. Comment ce dialogue se met en œuvre à votre niveau ?
À Paris, l’invisibilité de l’eau potable est une réalité. On combine plusieurs difficultés. Nos sites de production se situent historiquement (depuis le 19e siècle) à l'extérieur du périphérique, alors que notre mission principale est de distribuer de l’eau potable dans Paris intra-muros. L’habitat parisien est collectif à 95 %. La facture d'eau n'est pas adressée aux locataires, mais aux syndics de copropriété, qui eux-mêmes confient la gestion du contrat eau à des gestionnaires d’immeubles. Les bureaux de ces derniers sont rarement à Paris. La plupart des locataires n’ont aucune idée des mètres cubes qu’ils consomment et du prix de l’eau. À ce sujet, la consommation de l’eau est télé-relevée depuis plus de 30 ans à Paris : les usagers parisiens ne voient pas de releveurs de compteurs d’eau depuis longtemps, alors qu’ils en ont vu jusqu’à récemment pour les compteurs d’électricité ou de gaz. Depuis 2001, depuis les attentats du World Trade Center, les visites des sites d’eau ont été interdites au public, du fait du plan Vigipirate renforcé. Il y a une déconnexion totale entre le service de l’eau, les métiers, les installations que cela recouvre et l'usage de l’eau.
Alors comment fait-on ? La pédagogie d’abord. En 2014, dans le cadre d’une étude prospective lancée auprès de nos partenaires visant à projeter le service public de l’eau à 2025, j’ai découvert combien la pédagogie sur l’eau relevait à leurs yeux de notre mission d’intérêt général. Tant mieux, Eau de Paris comprend au sein du service de la communication une petite équipe pédagogie qui fait un travail remarquable dans les écoles avec les élèves de CM1 et CM2.
Depuis des années, on investit dans la modernisation, le développement et la valorisation du parc des fontaines publiques. Paris dispose de 1 200 fontaines et points d’eau dans des parcs et jardins. On fête d’ailleurs cette année les 150 ans de la fontaine Wallace, dont le design, les quatre cariatides (symbolisant la bonté, la simplicité, la sobriété et la charité) et la couleur « vert » de Paris (imposée depuis Napoléon III pour être en harmonie avec d’autres objets du paysage urbain : bancs, kiosques à journaux, colonnes Morris) sont identifiables dans le monde entier.
Mais les Parisiens sont encore trop frileux à consommer l’eau aux fontaines publiques, dont la qualité est pourtant la même que celle du robinet. Alors Eau de Paris s’est associée avec la fondation Surfrider et l’entreprise Gobi pour lancer une Action Tank autour du pari de l’eau zéro déchet plastique. En France la consommation d’eau en bouteille plastique s’élève chaque année à 8,7 milliards de litres d’eau. Quand on sait que l’eau du robinet est jusqu’à 300 fois moins chère que l’eau en bouteille en plastique, ce comportement est une aberration écologique, économique et sociale. L’idée de l’opération « Je choisis l’eau de Paris » est de permettre aux Parisiens de remplir gratuitement leur gourde auprès d’un réseau de partenaires lors de leurs déambulations : commerçants de proximité, bars, restaurants, entreprises, etc.
Autre point, Eau de Paris s'est créée avec l'idée d'une gouvernance ouverte à la société civile, en intégrant des représentants des usagers de l'eau. Aujourd'hui, nous poussons plus loin la démarche en lançant en 2023 le premier budget participatif de l'eau. Une consultation citoyenne y sera probablement associée.
Enfin, Eau de Paris fait partie de France Eau Publique (FEP), le réseau des structures (collectivités et opérateurs publics) qui ont repris en main la gestion de l’eau et de l’assainissement. Le Grand Lyon et la régie de Lyon en sont adhérents d’ailleurs. Ce réseau, qu’Eau de Paris a contribué à fonder en 2012, comprenait 10 partenaires il y a 10 ans. Il en compte plus de 100 aujourd'hui, soit 15 millions d’habitants concernés par la gestion publique. En 2021, le colloque annuel de FEP portait sur les imaginaires de l'eau. Pour accompagner la transformation, il faut faire récit. Quels sont les imaginaires de l'eau qu'il convient de véhiculer pour que l'on retrouve cette idée de bien commun ? C'est là où les sciences humaines et sociales sont fondamentales.
Cette question préoccupe tous les acteurs de la réorientation écologique. Alors que tous les arguments rationnels paraissent déjà posés, il semble encore manquer à cette transition une dimension sensible indispensable à une réelle prise de conscience. Quelles pistes peut-on suivre selon vous ?
Le récit comme transmission de ce qui était, de ce qui est et de ce qui sera est très important. Anne-Caroline Prévot, directrice de recherche au CNRS et biologiste de la conservation au Museum national d’histoire naturelle, considère que cette absence de récit est à la base de « l’amnésie générationnelle environnementale » : un oubli progressif de l’histoire environnementale de notre pays qui explique notre incapacité à réagir, alors que les effets du changement climatique se manifestent chaque jour davantage. Pourquoi réagir si on ne sait pas comment c’était avant et comment sera demain ? Christian Clot, explorateur et chercheur en capacités d’adaptation en situation extrême, lui, évoque la nécessité de développer des expériences sensorielles : parler des enjeux de la forêt quand on n’a jamais été dans une forêt est inutile selon lui.
En ce sens, il faut que les territoires s’emparent de l’eau, non pas comme sujet technique mais comme sujet sensible de représentation symbolique, qui fait société. Pour moi, s'il y a un « emblème » de l'eau, c'est la fontaine : celle de l’espace publique ou celle du restaurateur ou commerçant qui offre la possibilité de se rafraîchir et de s’hydrater gratuitement. La fontaine connecte et sert différents usagers. Je pense qu'il y a quelque chose à travailler autour de ce symbole, en termes de culture populaire ou de la façon de penser le commun. On a perdu jusqu’à la poésie de la sémantique en technicisant les noms des métiers : les fontainiers ! Quel incroyable imaginaire véhiculait ce terme.
À Eau de Paris, les thèmes des « Ateliers des Métamorphoses » se situent dans un temps lointain, souvent à la périphérie des métiers des équipes, de celui de nos partenaires. On cherche à inviter le public à penser autrement, à ouvrir ses imaginaires, procéder par analogies. D’ailleurs à chaque fois, chacun peut y trouver des enseignements, des idées, des projections qui se rapportent à son univers, à celui de l’eau ou d’Eau de Paris.
On parle de transition écologique, mais c’est une transition culturelle et comportementale qu'il faut mener. On le fait de multiples façons à Eau de Paris, y compris avec les Ateliers des Métamorphoses en introduisant des sciences sociales dans les façons de penser, en invitant des sociologues, des chercheurs, des penseurs, des explorateurs, des chefs d'entreprise, des sciences-fictionnistes, pour croiser des regards qui vont parler de l’eau « autrement ». La fiction est d’ailleurs une piste que nous suivons. En 2019, on a imaginé une aquafiction avec Usbek & Rica, Le procès de l‘eau. On a poursuivi l’exercice en interne en créant des ateliers d’écriture qui ont donné lieu à la création de huit « aquafictions maison ». On ambitionne de lancer un chantier de design-fiction.
Même si la participation des citoyens est régulièrement sollicitée, la multiplication des usages de l’eau implique d’autres acteurs. La gouvernance ouverte intègre-t-elle cette dimension ? Sur quelles premières expériences peut-on s’appuyer pour imaginer ce renouveau ?
Vous avez raison, la multiplication des usages de l’eau, dans un contexte de raréfaction de la ressource et de disponibilités différentes de l’eau, sera l’enjeu de demain : un enjeu de partage. Vous en faîtes directement référence dans votre article Entre conflits et coopérations, l’eau comme bien commun ?, et indirectement dans De l’eau dans le numérique ? L’empreinte hydrique méconnue d’un secteur perçu à tort comme immatériel. Aux acteurs classiques de l’eau (les collectivités, les citoyens, les agriculteurs), d’autres acteurs aux activités « aquavores » vont entrer dans la danse à la faveur des transitions énergétique, numérique, alimentaire et industrielle. L’eau, qui est déjà au carrefour de nombreuses politiques publiques, va devenir vecteur d’animation et de développement territorial : sans eau pas d'alimentation, pas ou peu d'énergie, pas d'accès à un logement confortable, pas de confort urbain, pas de numérique, ni de réindustrialisation. Ces partages de la ressource vont nécessiter des arbitrages politiques et une gouvernance repensée au niveau du grand cycle de l’eau. Il n’est pas anodin qu’il y ait plus en plus de colloques et de débats sur l’eau comme facteur d’aménagement du territoire et enjeu de partage.
S’agissant de la gouvernance, le challenge est de taille pour éviter les rivalités entre usagers et le risque de financiarisation. Cela doit passer par une gestion collective fondée sur des analyses partagées. En France, la loi 2006 sur l’eau, dite loi Lema, a créé un dispositif original, les Organismes Uniques de Gestion Collective (OUGC), pour l’eau destinée à l’irrigation. L’idée était de penser de nouvelles modalités de partage entre préleveurs en créant une sorte de coopérative qui gère des ratios d’eau définis par l’État. Un bilan de ce dispositif a été publié en 2020 qui ne cache pas les difficultés de ce mode de gestion collective, et les résistances de certains agriculteurs, mais reconnaît que c’est une forme de gouvernance à poursuivre, en lien avec les Commissions locales de l’eau. Cette approche par ratio devra-t-elle s’étendre à d’autres acteurs dans le contexte de stress hydrique ? La question reste posée. On est au début d’une gouvernance à réinventer qui devra tenir compte des spécificités territoriales.
De notre côté, à Eau de Paris, on cherche aussi à agir sur les prises de conscience et les comportements. On l’a déjà évoqué s’agissant des citoyens. Avec les agriculteurs, notre approche est fondée sur le développement d’une démarche préventive, pour éviter les pollutions et le recours systématique au tout technologique pour les traiter. La course à la technologie conduira à une surenchère du prix de l’eau. En tant que service public, nous visons le juste prix.
Eau de Paris a développé par exemple, il y a plus de vingt ans maintenant, une politique de protection de la ressource qui s’appuie sur un partenariat avec les agriculteurs qui a pour but de les accompagner dans l’adoption de pratiques agricoles vertueuses. Cette politique a pris un tournant majeur en février 2020, quand l’Union européenne a accepté un projet que nous lui soumettions avec l’agence de l’eau Seine Normandie et le soutien des ministères de l’agriculture de de l’écologie de rémunérer les agriculteurs pour service environnemental rendu en contrepartie d’une conversion à l’agriculture biologique. En aval, on aide les agriculteurs à trouver des débouchés locaux à leur production agricole biologique, notamment dans les cantines scolaires de la Ville de Paris. On intervient ainsi sur les enjeux d’alimentation durable et de circuit court. Tout est en interdépendance, traiter l’eau en silo n’est plus possible maintenant.
Avec ces interdépendances en série, la question de l’eau n’est-elle pas à elle seule une porte d’entrée vers l’ensemble des problématiques prospectives liées à la transition écologique ?
L'eau, c’est en effet bien plus que de l'eau, c’est un carrefour. Grâce à l’ingénierie hydraulique et publique, on est capable d’innerver les territoires et d'être l'animateur essentiel d’une politique de développement territorial. Le rafraîchissement urbain va nécessiter de repenser l’eau dans la ville. La réindustrialisation intègrera une ambition en matière de qualité d'environnement. Il va falloir proposer à des industriels une capacité importante en énergie et en eau pour leurs data centers.
Je pense d’ailleurs qu'il y a une synergie à trouver entre les opérateurs locaux d'énergie et les opérateurs locaux d'eau, parce que l'on a un savoir-faire dans la gestion locale d'un service public. Mais si nous voulons vraiment faire un saut, si nous voulons vraiment arriver à une économie qui « respecte » l’eau, il nous faudra changer en profondeur les systèmes d’organisation, de production et de consommation. Il va falloir une vision territoriale, du courage entrepreneurial et travailler en amont sur la pédagogie, les imaginaires, faire comprendre, faire récit, essayer d'expliquer le pourquoi, pour modifier les comportements et décider ensemble du comment.
Je crois qu’à ce titre, il nous faut préparer les futurs acteurs de demain, la jeunesse, la « génération Z ». À leur sujet, les experts en sciences politiques parlent de « bascule », tant leurs représentations de la société, de la politique, du monde du travail divergent de celles de leurs aînés. Cette génération est celle de Greta Thunberg, et porte une sensibilité particulière à l'environnement. Il faut saisir cette chance, essayer de comprendre ses représentations, parce que l'eau, c'est une question de représentation, et voir comment on peut la mobiliser sur cet enjeu de bien commun. Quelque part, c’est revenir au principe même de l’écologie, qui est de comprendre les conséquences de nos actions pour les générations futures.
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