Le théâtre a toujours existé, partout. C’est déjà le débat en puissance. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment il prend forme, dans quel but. On a un exemple très concret que certains Lyonnais ont pu suivre, dont je viens de parler.
En 2010, dans la Cordillère des Andes, je vais voir ce que l’on me présente comme un spectacle mapuche, un peuple indigène premier habitant d’un vaste territoire à cheval sur le Chili et l’Argentine. Et là, je découvre une jeune femme qui met en scène huit actrices amateurs. Elles sont très impressionnées, mais elles sont aussi impressionnantes. Elles sont là pour témoigner de l’existence d’une culture, de la fierté d’une langue, et des injustices auxquelles elles ont été confrontées. C’est très maladroit, mais c’est la première fois visiblement que ce peuple utilise le théâtre pour défendre sa culture. Ça m’intéresse et je les fais venir. Ceux qui les ont vues - c’était au TNG, à Vaise - me croisent dans la rue et me demandent encore « Comment vont les Mapuches ? ». C’était inoubliable ! C’était un spectacle très maladroit, mais ça frappait juste. Ces formes-là sont indispensables à découvrir.
Cette femme, Paula González Seguel, a maintenant presque 40 ans, et pendant 10 ans, elle a fait évoluer son théâtre, le KIMVN Teatro. Elle a réuni des ethnologues, des psychanalystes, des photographes, des vidéastes, des romanciers, et elle est devenue l’épicentre de la défense des droits des peuples premiers du Mexique jusqu’à la Terre de Feu. Son projet théâtral était largement dépassé, pour devenir social et politique.
Au fond, le théâtre est très politique. C’est ce que j’ai voulu dire d’ailleurs en créant Sens interdits, pour revenir à ce qu’a dû être cet art à sa création.
De quoi parle-t-on ? Un type vivant qui parle aux autres. Dès la préhistoire, on peut s’amuser à imaginer qu’il y en a un qui monte sur un rocher, dans la grotte et qui se met à dire « Demain, nous irons chasser, nous prendrons telle arme, etc. ». Ça, c’est un politique.
Si par contre, le lendemain, il y a en a un autre qui monte sur le rocher et qui dit « Vous vous rappelez hier, quand on a attrapé la girafe, et comment pendant ce temps-là, il se passait des choses graves de l’autre côté... », ça c’est un poète, et c’est du théâtre.
Il y aura toujours besoin d’être ensemble pour entendre quelqu’un de vivant qui pose une des réalités du monde sur le plateau. Et on la regarde, et on en débat, ou pas, en tout cas on repart avec des questions. Ça a toujours existé, et ça continuera. Il ne peut pas en être autrement.