Probablement, même si l’eau est très sale. En réalité, il y a tout un tas d’idées fausses qui circulent quant à l’innovation. L’une des plus répandue et sur laquelle on se heurte immédiatement lorsque l’on propose de réformer la propriété intellectuelle, tient au fait que l’innovation serait généralement le fruit d’entrepreneurs individuels dont la survie économique serait liée à l’existence des droits de propriété intellectuelle. C’est une représentation erronée ! De nombreuses études tendent à démontrer que la quasi-totalité des inventions majeures est le fait de très grandes sociétés. La figure de l’entrepreneur individuel qui inventerait Apple ou son équivalent dans son garage, c’est un mythe entretenu par quelques singularités dont la rareté n’est plus contestée ! Pour les petits entrepreneurs, la propriété intellectuelle, telle qu’elle existe actuellement, n’est donc pas souvent une protection. Elle les met à la merci des grands acteurs et des Patent Trolls qui, eux, ont les moyens d’utiliser la PI comme une arme. Elle les empêche de pénétrer les marchés.
Et il faut également resituer les choses dans leur contexte historique. Lorsque la PI a été instituée, à l’époque des premières conventions européennes, on était dans une société industrielle : innover c’était inventer une nouvelle machine, cela prenait beaucoup de temps et nécessitait des investissements conséquents. Avec le développement des nouvelles technologies, la nature de nombreuses innovations a changé, on est dans un écosystème de start-ups et les cycles d’innovations sont très courts – 6 mois à 3 ans maximum. Dans ce contexte, donner un droit de propriété de 20 ans équivaut à bloquer non seulement les entreprises qui pourraient être tentées de travailler sur la première génération de produits mais aussi sur toutes les générations suivantes. C’est là où c’est vraiment problématique et, à mon avis, c’est ce qui justifie d’adapter la durée des brevets au moins à chaque secteur. Par exemple, réduire la protection conférée par la PI à 3 ans dans les nouvelles technologies, où les cycles d’investissements sont très courts, où la porter à 25 ans dans l’industrie pharmaceutique – où effectivement le développement d’un nouveau médicament prend des années et nécessite des investissements très importants, ne me semble pas aberrant.
Il y a différentes façons d’évaluer ce que pourrait être la durée optimale par industrie. C’est une question qui est très débattue aux Etats-Unis, mais qui ne l’est pour l’instant pas du tout en France, où la durée de 20 ans, fixée par l’article 33 de l’Accord sur les ADPIC de l’Organisation Mondiale du Commerce, reste la référence absolue. Mais en réalité, l’accord de l’OMC prévoit que les pays puissent demander des dérogations, si elles sont justifiées. À ma connaissance il n’y a jamais eu de telle demande de dérogation, probablement parce que la durée des brevets est un sujet qui est à la fois peu documenté et très sensible.