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Créer une start-up technologique

Interview de Guillaume Chelius

Portrait de Guillaume Chelius - HIKOB
PDG d'HIKOB

<< Je pense aussi que la question de l’international se pose différemment selon que l’on est en btob ou en btoc >>.

La Métropole de Lyon conduit une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuie notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre.

Guillaume Chelius (PDG) a travaillé dix ans en tant que chercheur à l’INRIA sur les réseaux de capteurs sans fil et basse consommation avant de se lancer dans le projet Hikob en juillet 2011. Il s’agit d’une start-up technologique qui opère sur le marché des objets connectés et la collecte de données liées à l’exploitation d’infrastructures industrielles et urbaines. Elle illustre le cas d’une spin-off de laboratoire (INRIA) et le parcours d’un chercheur-entrepreneur, Guillaume Chelius, dans la création d’entreprise. Hikob témoigne également du processus d’incubation et de sortie du laboratoire propre à ce profil d’entrepreneur, et des enjeux de passage à l’échelle spécifiques à un produit technologique vendu en btob.

Date : 14/02/2018

Que propose Hikob et quels sont les applicatifs ?

A l’aide de notre technologie de capteurs et de transfert de données, une multitude d’applications est possible, préfigurant la ville et plus généralement les infrastructures de demain. Par exemple, nos systèmes HIKOB INSTANT permettent de détecter des véhicules basés sur des capteurs sans fil, miniatures. Ces systèmes sont de nature à révolutionner le stationnement ou la gestion du trafic en ville : les capteurs HIKOB détectent la présence des véhicules stationnés sur les places de parking, mesurent la durée de stationnement et restituent l’information aux horodateurs afin de déterminer si ces véhicules sont en dépassement de durée ou non. Notre offre SENTINEL s’adresse quant à elle à ceux qui exploitent des infrastructures ou des actifs industriels en leur donnant accès aux données nécessaires pour optimiser leur exploitation et leur maintenance, prévenir des détériorations ou des anomalies et ainsi faire durer davantage ces actifs.

Nos solutions apportent des réponses efficaces au challenge de monitorer et réguler en temps réel une infrastructure, un trafic routier de plus en plus dense, de fluidifier la circulation et le stationnement au cœur des villes, mais permettent aussi de développer de nouveaux services aux usagers. Nous avons en revanche rapidement écarté l’option de se positionner sur l’habitat où on peut difficilement faire face aux acteurs en place (Schneider, Legrand, Somfy, etc.).

Comment voyez-vous 2018 ?

Nous recherchons notamment des ingénieurs extrêmement compétents et pointus en électronique embarquée pour nourrir notre R&D, ainsi que des technico-commerciaux qui vont jouer un rôle clé dans la conquête des marchés.

Nous tablons sur un même niveau de croissance en 2018 avec la poursuite de l’internationalisation. Nous sommes à un moment crucial de notre développement où nous avons désormais besoin de nous déployer à l’international pour espérer maintenir le niveau de croissance que nous visons. Le recrutement reste un enjeu fort pour nous à l’avenir, car c’est un facteur majeur d’accélération d’une entreprise ou au contraire de difficultés… Nous recherchons notamment des ingénieurs extrêmement compétents et pointus en électronique embarquée pour nourrir notre R&D, ainsi que des technico-commerciaux qui vont jouer un rôle clé dans la conquête des marchés.  Ces derniers sont souvent difficiles à fidéliser, nous avons beaucoup de turn over sur ce type de fonction.

Vous avez levé près de 1,8 millions d’euros cumulés jusqu’en 2017 (auprès d’IT translation qui regroupe notamment l’INRIA et la BPI, INSAValor, KREAXI ou encore Alpes Capital Innovation ou des fonds du Crédit Agricole). Quel impact ces levées de fonds ont-elles eu sur Hikob ?

Ça m’a amené à changer mon rapport personnel à Hikob

Si ces montants peuvent paraître importants, ils ne le sont pas en regard de la réalité du projet. Nous faisons face à des enjeux de développement matériel, d’industrialisation de certification et de développement commercial sur des marchés dont les cycles de vente et les délais de pénétration de nouvelles technologies sont longs… ! Au-delà du montant, une levée de fonds a un impact important sur la conduite du projet. Dès lors qu’il y a des investisseurs qui entrent au capital, on ne peut pas se permettre de stabiliser le business et de devenir une PME : la levée de fonds est un modèle de financement spécifique aux start-up qui met celles-ci dans une obligation de croissance, voire d’hypercroissance. C’est loin d’être anodin pour l’entrepreneur. Ça m’a amené à changer mon rapport personnel à Hikob. J’étais jusqu’alors dans un rapport empathique avec l’entreprise, où la dynamique entrepreneuriale tend à se confondre avec la dynamique personnelle. Mais aujourd’hui les enjeux de l’entreprise me dépassent et ne sont plus forcément les miens. Ça donne lieu à une forme de dépossession, même si ça n’est pas forcément à regret, car cette évolution fait partie de la vie de l’entreprise.

Est-ce que le déploiement international est aujourd’hui un objectif pour vous ?

la recherche à tout prix du développement international peut être une erreur si elle n’est pas construite. Elle doit être associée à une réflexion sur les marchés ciblés, sur les ressources qu’il est possible d’y dédier, ainsi que sur la culture d’entreprise car les différences de cultures et la complexité de communication ne sont pas négligeables. Il faut s’y préparer.

Nous réalisons 10% de notre chiffre d’affaires à l’étranger aujourd’hui. Le déploiement à l’international est donc un réel levier de croissance et un objectif. Néanmoins, la recherche à tout prix du développement international peut être une erreur si elle n’est pas construite. Elle doit être associée à une réflexion sur les marchés ciblés, sur les ressources qu’il est possible d’y dédier, ainsi que sur la culture d’entreprise car les différences de cultures et la complexité de communication ne sont pas négligeables. Il faut s’y préparer. Par exemple, des opportunités nous ont conduites à travailler dans certains pays dont nous nous sommes finalement retirés car nous n’étions pas prêts. Il peut être très difficile de refuser des opportunités, alors que ça serait parfois nécessaire ; il faut que le timing soit bon et que des ressources soient disponibles.

Je pense aussi que la question de l’international se pose différemment selon que l’on est en BtoB ou en BtoC. En btoc, l’atteinte d’un volume de marché suffisant est plus difficile si l’on se restreint à un marché national ; on ne peut bien souvent exister que si on est positionné à l’international, notamment lorsqu’on vend un produit. En btob, il peut y avoir d’autres leviers de croissance, comme des partenariats commerciaux. Il peut s’agir davantage de contracter avec quelques gros clients sur une logique de marché national dans un premier temps puis qui emmèneront Hikob à l’international ensuite. Il y a également la question des tailles de marché. Pour nous par exemple, le marché national et européen est déjà conséquent.

Comment s’est passée la recherche de locaux pour Hikob ?

Pendant que j’étais chargé de recherche à l’INRIA, j’étais hébergé à l’INSA à travers une convention d’hébergement. A la création d’Hikob, je n’ai pas opté pour m’installer dans une pépinière d’entreprises car les conditions d’hébergement étaient très correctes ici. Nous gardons également un pied à Meylan pour nous maintenir dans l’écosystème grenoblois qui est très riche dans notre secteur. La commutation entre nos deux unités est par conséquent un enjeu important.

Quand est-ce que le coût de revient devient un enjeu pour vous ?

Au départ, le prix n’est pas l’enjeu. Ce qui importe, c’est que le produit fonctionne. Cependant la question d’un prix atteignable se pose assez vite et elle évolue dès lors que nous entrons dans une logique de volume. Il faut alors être capable de réinterroger son réseau de sous-traitants et de mettre ces derniers en concurrence.

Vous parlez d’une période charnière où vous allez progressivement monter en charge dans la production de vos solutions. Quels sont les enjeux pour vous sur le plan industriel ?

La montée en charge pose cependant la question du contrôle de la qualité.

Nous sortons actuellement entre 5000 et 10 000 pièces par an. Nous travaillons avec des sous-traitants locaux, car cela ne fait pas de sens de produire nous-même. L’innovation ne réside pas dans le capteur lui-même mais dans le dispositif logiciel qui va les faire fonctionner. Les composants même des capteurs sont assez standards ; les sous-traitants en maitrisent parfaitement la production. Nous avons du choix dans la Région : on trouve par exemple des professionnels de l’électronique à Valence et de la plasturgie à Oyonnax.

La montée en charge pose cependant la question du contrôle de la qualité. Sur des petites séries, nous pouvons encore vérifier la qualité produit par produit. Mais dès lors que l’on passe à la grande série, il devient impossible de tester en interne. La relation avec les sous-traitants évolue donc. Nous avons décidé de travailler avec des sous-traitants locaux parce que la proximité est pour nous un gage de réactivité d’une part et de qualité dans la collaboration d’autre part.

Quelle valeur attribuez-vous aux concours et prix de start-up ?

Typiquement, le concours de Bref Rhône-Alpes nous a permis d’acquérir de la notoriété dans l’écosystème rhônalpin et donc d’accélérer des mises en relation et la recherche d’éventuels partenaires.

Ils ont selon les cas un intérêt financier et/ou de notoriété. En tant que start-up il est important d’évaluer le bénéfice du concours au regard de l’effort consenti. Il y a une stratégie à adopter dans la sélection des concours pour ne pas se perdre et maximiser leur impact sur le développement de l’entreprise. Typiquement, le concours de Bref Rhône-Alpes nous a permis d’acquérir de la notoriété dans l’écosystème rhônalpin et donc d’accélérer des mises en relation et la recherche d’éventuels partenaires. La mise en visibilité de son projet auprès d’acteurs locaux (Métropole, pôles de compétitivité, Région, etc.) est importante, elle permet de créer de la confiance mutuelle et peut faciliter la suite de l’aventure (lors de demande de financement auprès de ces acteurs par exemple). D’autres concours, parfois trop généralistes, ont peu d’impacts opérationnels. Par ailleurs, beaucoup de subventions sont perceptibles à condition d’avoir l’équivalent en fonds propres, ce que qui n’est pas toujours le cas. Les levées de fonds sont alors utiles pour constituer des fonds propres ; elles permettent ensuite un effet de levier pour débloquer des prêts bancaires ou des fonds publics.

Quelles sont les rentrées d’argent qui vous ont permis de vivre pendant cette période ?

L’INRIA m’a gardé pendant 6 mois en tant que salarié, puis nous avons, dès 2012, dégagé suffisamment de chiffre d’affaires, notamment via des prestations de services, pour se rémunérer. Nous avons également fait deux premières levées de fonds auprès de nos proches puis de fonds d’amorçage et touché des subventions via des concours. Le plus important a été le concours i-LAB organisé par le Ministère de la recherche qui nous a permis de recevoir 215 000 euros. Celui-ci a été déterminant dans le lancement d’Hikob.

A quel moment avez-vous commencé à commercialiser vos solutions ?

Nous avons commencé à vendre très vite sur la base de prototypes fonctionnels.

Nous avons commencé à vendre très vite sur la base de prototypes fonctionnels. Le prototype est fondamental pour mettre véritablement le prospect en position d’acheter. Il faut lui mettre le produit dans les mains, même s’il doit encore évoluer, pour évaluer sa propension à acheter. C’est beaucoup plus fiable que les intentions d’achat exprimées suite à une présentation powerpoint ou papier ! Nous avons donc développé une approche de marketing stratégique, très proche du « lean start-up », qui encourage à interagir rapidement avec le client pour faire la preuve de son concept. Ce mode de faire pose toutefois des questions puisqu’on propose une solution sur laquelle nous n’avons pas encore beaucoup de recul. Il faut alors s’assurer que le client est ouvert à cette démarche qui comprend une part de prise de risque, et qu’il est prêt à accepter un processus d’amélioration du produit. Le « lean start-up » appliqué au monde industriel rencontre également des limites : le prototypage est plus exigeant en termes de temps (ex : délais de conception et de production) et de coût (ex : cout de prototypage) que dans le monde numérique, ce qui fait que l’on ne peut pas itérer aussi rapidement et souvent avec le marché.

De quelles autres formes d’accompagnement avez-vous bénéficié ?

Après la période de maturation du projet, nous sommes entrés en incubation chez Pulsalys (ex Crealys). Cette période d’incubation a duré un an. A partir de là, l’accompagnement était beaucoup plus cadré et m’a permis de construire concrètement le projet entrepreneurial.

Globalement nous avons plutôt été très bien accompagnés durant notre parcours ; nous sommes également en relation avec Imaginove, Novacité, le Réseau Entreprendre ainsi que la French Tech.

Comment votre projet de créer une entreprise a-t-il été reçu par votre laboratoire, l’INRIA ? Quelles relations aviez-vous alors avec celui-ci ?

Ce n’est pas tant la cellule de valorisation de l’INRIA que le fonds d’investissement issu de l’INRIA (IT TRANSLATION) qui m’a mis le pied à l’étrier. Il nous a permis d’amorcer une démarche de maturation du projet qui, avec la période d’incubation, a duré à peu près un an et demi. J’étais salarié à temps plein de l’INRIA pendant cette période mais deux jours par semaine étaient libérés pour que je puisse me consacrer à mon projet. L’institut de recherche m’a également facilité l’accès à une formation à l’EM Lyon.

Peu avant la création de l’entreprise, est venu le temps de la négociation autour du transfert technologique. Cela concernait un brevet et du patrimoine de code. Ce fut un moment assez complexe où la position de l’INRIA a oscillé entre le versement de royalties et la prise de participation dans la société. En tant que porteur du projet d’entreprise, je ne pouvais pas accepter un versement de royalties trop important. Ce fut donc un moment d’âpres négociations. J’étais dans une position délicate en étant à la fois à l’origine du brevet côté institut et porteur de l’aventure entrepreneuriale côté société… Finalement, nous sommes tombés d’accord sur le modèle des royalties jusqu’à un certain plafond.

Vous êtes chercheur d’origine. Comment avez basculé vers l’entrepreneuriat ?

En effet j’ai fait Normal Sup, avec un enseignement très spécialisé, et j’ai été par la suite recruté par l’INRIA comme chercheur. Au fil de mes travaux sur les réseaux de capteurs, j’ai pris conscience de l’intérêt industriel de certains résultats de recherche. D’objet de recherche, les réseaux de capteurs sont progressivement devenus des outils de recherche au service d’autres professionnels (éthologues, biomécaniciens, acteurs du secteur médical, etc.) avec qui j’ai collaboré. Cela m’a fait prendre conscience de leur valeur et de leur potentiel industriel et commercial. En même temps, j’arrivais au bout d’un cycle de recherche et j’avais envie de me lancer dans une nouvelle dynamique, de dépasser la recherche pure pour aller vers une traduction plus opérationnelle de mes travaux. Avec deux autres collègues chercheurs, nous avons donc décidé de franchir le pas ensemble. A plusieurs, on peut partager des ressources et une vision commune, je ne suis pas sûr que je me serais lancé tout seul.

Vous êtes caractéristique des start-up technologiques qui consacrent énormément de moyens à la R&D. Après 7 ans d’existence, quelle place occupe aujourd’hui cette R&D dans votre allocation des ressources en interne ?

Elle a été conséquente jusqu’à peu, mais diminue depuis fin 2016. Nous basculons en effet d’un enjeu de conception de produits à un enjeu d’industrialisation et de consolidation d’un business, ce qui fait que nous allouons de plus en plus de ressources au marketing, à l’action commerciale, aux achats et à d’autres fonctions support. C’est une mutation de culture importante pour l’entreprise.

Est-ce que Hikob est une start-up d’après vous ?

Notre innovation repose essentiellement sur la dimension logicielle des solutions que nous proposons, laquelle permet de faire fonctionner des réseaux de capteurs d’une façon nouvelle et efficace, notamment à l’aide de protocoles radio innovants. Cette innovation nous permet entre autres de communiquer des volumes de données conséquents et offre une réponse nouvelle au défi de la ville ou des infrastructures intelligentes. Nous avons par ailleurs déjà 7 ans d’âge, nous connaissons une croissance de 25%, ce qui n’est pas de l’hypercroissance. Nous atteignons peut-être cette année un point de bascule qui nous dira si nous nous frottons à un effet de seuil en termes de croissance.

Pour vous, qu’est-ce qu’une « start-up » ?

Cela recouvre selon moi plusieurs réalités. Derrière la notion de start-up, il y a souvent une innovation technologique qui permet de redéfinir ou d’améliorer un produit ou un service. Cela peut recouvrir aussi une innovation de business model qui reconfigure la façon de travailler avec un écosystème. Il y a aussi une notion d’âge et de croissance derrière ce terme : soit la start-up qualifie simplement une entreprise naissante, soit elle qualifie une entreprise en très forte croissante.