Vous êtes ici :

Une culture de la solidarité et de l'équité

Interview de Olivier BRACHET

Olivier Brachet
Vice-Président du Grand Lyon délégué au logement

<< On lutte sans cesse pour déranger les tendances à l'entre soi, au repli, à la discrimination, aux inégalités, parce que, par dynamique, la ville est ségrégative. La ville supporte mal les effets d'incohérence et c'est peut-être ça la cohésion sociale, la tentative de réduire ou de limiter les effets d'incohérence >>.

Propos recueillis par Catherine Panassier, le 30 janvier 2013 dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire »

Dans cet entretien, Olivier Brachet, Vice-Président du Grand Lyon délégué au logement, expose sa vision de la solidarité à Lyon et au sein de la Communauté urbaine. Il présente comment il a pu conduire une politique solidaire dans le cadre de sa délégation ainsi que les résultats obtenus. Il précise selon lui quels sont les grands enjeux pour demain en matière de politique du logement et plus largement pour le Grand Lyon, notamment dans sa métamorphose en métropole européenne.

Tag(s) :

Date : 30/01/2013

Que signifie pour vous le mot solidarité ?

La solidarité est une valeur active dont on fait l’hypothèse qu’elle est acceptée par tous. A Lyon, elle a une résonance particulière. Il y a historiquement dans notre ville une vraie attention aux problèmes sociaux qui a fait apprendre l’attention aux autres, et qui peut s’appeler charité ou autrement. Lyon est une ville laborieuse et attentive aux autres. Pour que la production puisse bien se faire, il a fallu prendre en compte la question du partage et celle du prix chez les canuts. Plus tard, la question des banlieues a créé de la solidarité. Du fait de l’interdépendance des communes, le besoin de prendre en compte cette question s’est imposé à tous et a évité des tendances qui auraient pu apparaitre de repli et d’enfermement de certaines communes à priori non concernées. Si la plupart des communes ont joué le jeu, c’est aussi parce qu’elles avaient conscience qu’elles risquaient d’être affectées par ces problèmes.

La solidarité est née de l’intérêt pour la nécessité plus que de l’envie !
Quand la solidarité est nécessaire, il n’y a plus besoin d’envie pour la mouvoir, il suffit d’un esprit raisonnable, il n’est plus nécessaire d’être généreux.

Et ce qui caractérise Lyon, c’est le consensus, et ce pour de nombreuses raisons historiques qui restent bien vivaces. Je dirais même que la solidarité lyonnaise ne s’appelle pas solidarité, mais consensus. Tout le monde sait qu’il y a besoin de logements sociaux, mais si l’on en fabrique beaucoup, c’est parce qu’il y a consensus. Tant que l’on votera à l’unanimité en Conseil de communauté la production de logement, le consensus perdurera.

Le consensus produit des effets solidaires plus importants que de s’accorder sur la solidarité. Il est plus efficace. Il permet de transcender les partis politiques et les territoires et aujourd’hui, il est favorisé par la réduction de l’influence des idéologies.

A Lyon, la solidarité est un mot qui a une déclinaison assez active. Lyon est une ville du faire, pas des discours. A Lyon, la solidarité est un sujet de colloque ou d’église !
En 1956 au moment des événements de Budapest, Lyon a accueilli de nombreux réfugiés sans avoir besoin de faire de grands débats. Et l’on n’en garde pas la mémoire. On pourrait citer bien d’autres exemples qui illustrent cette habitude historique quasi naturelle d’accueil ou d’attention à l’autre qui caractérise ainsi la ville.

Si dans de nombreux endroits la solidarité s’écrit en alexandrin, à Lyon, ce serait plutôt en prose !

Bien sûr, tout cela ne veut pas dire que Lyon échappe aux grandes lois des divisions sociales, mais cette caractéristique historique a probablement réparé quelques fautes extrêmes.

 

En particulier la dimension morale de la solidarité comme « élan vers autrui », le sentiment d’être ou non semblable, de participer à un projet commun… a-t-elle une place au Grand Lyon ?

Je crois qu’au Grand Lyon, dans la culture technique à l’origine de sa création, il y a l’idée de servir et de servir tout le monde. Cette culture de l’équité est plus technique que morale, mais est-ce si différent in fine ? De cette attention à servir tout le monde, se pose inévitablement la question du prix à payer qui se doit également d’être équitable.

 

On parle de « périmètre de solidarité » pour définir une communauté urbaine, comment l’entendez-vous ?

Le Grand Lyon est une superstructure qui permet d’aller plus loin dans la recherche de l’équité qu’une commune qui est focalisée sur les problèmes de terrain. L’agglomération est à une bonne hauteur pour traduire des politiques de solidarité ; elle transcende les territoires, les particularismes, les spécificités. L’agglomération est solidaire par intégration.

Demain, avec la métropolisation, le Grand Lyon va révolutionner sa vision du terrain et donc du social. Jusqu’à maintenant, il sait qu’il fait des choses qui ont des effets sociaux, demain, il y aura des situations sociales qui auront des effets sur le Grand Lyon, et c’est tout à fait nouveau. Quelque part, avec la métropolisation, le Grand Lyon a rendez-vous dans la rue.

 

Comment avez-vous mis en œuvre la solidarité dans les politiques de votre délégation ?

Ce qui est fondateur de solidarité dans la construction d’une politique de l’habitat et du logement du Grand Lyon, c’est le diagnostic partagé par tous : il faut produire du logement et en produire de partout car les besoins sont supérieurs à l’offre existante. L’origine de ce diagnostic partagé est pour beaucoup dans le renouvellement urbain des quartiers qui a fondé de bonnes pratiques, brassé les gens et fait tomber les frontières. Tout le monde concoure à l’objectif de répartition spatiale et aux résultats recherchés : produire plus. La multiplication par trois du nombre de logements produits en quelques années est un indicateur évident du partage de diagnostic des besoins et de l’entrainement solidaire. La création des SMS (Secteur de Mixité Sociale), dans les communes de l’agglomération qui n’avaient pas 20% de logements sociaux et qui consiste à réserver pour du logement social 20 à 25% des logements dans tous programmes neufs, est un bel exemple de réponse au diagnostic partagé. En quelques semaines on a modifié le PLU, Plan Local d’Urbanisme, pour créer les SMS sans que cela ne génère de grands débats. En quelques semaines aussi, les promoteurs ont bien géré la production de logements sociaux et de logements privés dans un même programme. Formellement, c’est presque passé inaperçu. Un mode de fonctionnement très lyonnais, une culture du faire accompagnée d’une certaine discrétion. Beaucoup de choses se font que l’on ne vend pas en termes marketing. En ce sens, on est en déficit de communication. Une forme d’empirisme local, une vertu plus fondatrice que l’altérité.

 

Quels sont les résultats les plus tangibles des politiques communautaires en matière de production de logements et de rééquilibrage Est/Ouest depuis ces quinze dernières années ?

On a pris des engagements, et des engagements plus que forts, et on les a tenus. Que ce soit en termes d’augmentation de la production ou de rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest. Et tout le monde a tenu sa parole à l’exception d’une ou deux communes à qui on ne peut même pas vraiment faire de reproches. Dans l’agglomération, il n’y a pas de commune qui s’exclue de la dynamique, qui s’isole et qui préférerait payer l’amende et ne pas faire.
Cela peut également s’expliquer par la sensibilité locale à la question des personnes sans abri porté par le milieu marchand lyonnais. Historiquement, les grands familles bourgeoises de la soierie notamment mais pas seulement, ont développé une attention aux pauvres. L’Hôtel Dieu ou NDSA - Notre Dame des Sans Abri en sont des illustrations marquantes.

Sur le plan mental, les mécanismes économiques à l’origine de la collecte mise en place par Pauline Jaricot pour l’œuvre de la Propagation de la foi, un système de participation par prélèvement qui sera d’ailleurs si efficace qu’il sera repris par le Vatican dans les années 1920 pour financer les missions africaines, témoigne aussi de l’importante considération partagée pour ces questions et surtout de son caractère économique. Ce même système a permis dans les années 1990, à l’association Tiberius Claudius de financer la défense d’étrangers.
 

Quels sont les résultats les plus tangibles en matière de mixité ?

La mixité est un mot technocratique et d’urbanisme qui résumerait le social à l’Est et le moins social à l’Ouest, les banlieues et la ville centre, etc. Or, le vrai problème c’est la diversité, partout et pas seulement de revenu.

La diversité c’est la contribution de tous les territoires à la mixité résidentielle, mais c’est également par exemple la mixité fonctionnelle : il faut du logement à la Part Dieu aux côtés des sièges sociaux des grands groupes. 

L’un des plus grands problèmes de mixité pour demain c’est le manque de riches. Il n’y a pas assez de riches. C’est tout le problème des prix de l’immobilier et du logement pour la classe moyenne. L’un des grands enjeux de demain sera de veiller à ce que ne se développe pas une ville centre qui abriterait des personnes isolées et des banlieues et secteurs péri urbains qui logeraient les familles. Il faut maintenir les familles avec enfants partout, sur tous les territoires de l’agglomération. On peut se réjouir qu’un T5 en ville soit transformé pour de la colocation étudiante, mais dans le même temps, on doit déplorer qu’il devienne trop cher pour les familles. Il faut souligner que si l’accueil en centre ville des jeunes ou des familles n’est pas plus facilité pour les uns que pour les autres, les jeunes arrivent par différents procédés et notamment celui de la colocation à satisfaire leur envie de ville, de feu. De fait ils consomment la centralité et ne sont pas, à l’instar des familles, relégués plus loin en périphérie.

La mixité résidentielle est un bon terme et on a des résultats. C’est un enjeu tenu et à maintenir. Cependant, l’enjeu pour demain est celui de la diversité des fonctions, des ménages, bref, de combinaisons englobant les multiples variables. Conduire une politique de mixité c’est lutter contre la spécialisation de territoire, économique, sociale ou ethnique. On a, et on aura encore, des contradictions car le système économique régule mal le petit, le moyen et le gros. Pour citer un exemple visible, le petit commerce cohabite mal avec la moyenne surface qui elle même cohabite mal avec l’hyper. Nous sommes avant tout dans un monde en compétition. Nous pourrions aussi prendre l’exemple des cinémas entre les grands complexes et les cinémas de quartier.

 

Une politique globale de mixité ou de diversité peut-elle être une garantie de cohésion sociale ?

La ville n’est pas un truc cohérent, c’est un feu. Je ne crois pas à la ville passive ; elle brule plus qu’elle ne chauffe ou ne réchauffe. La ville est un endroit quand même assez risqué. On essaie de garder un équilibre remis sans cesse en cause, car il n’y a pas d’état stable de la ville. Et, comme à bicyclette lorsque le pied se dérobe, l’équilibre peut être rompu, on peut tomber et ça peut être violent. Quelque part, la ville a à voir avec un esprit de conquête, de compétitivité. Personne ne veut venir habiter dans une ville qui va mal. Courir après une ville apaisée, cohérente, égalitaire, harmonieuse est une chimère, mais une chimère nécessaire. Lorsqu’on escalade une voie rocheuse, on lutte contre la loi universelle de la gravitation, mais on ne la vainc pas. Dans la ville, c’est un peu la même chose : on lutte sans cesse pour déranger les tendances à l’entre soi, au repli, à la discrimination, aux inégalités parce que, par dynamique, la ville est ségrégative. On tente de rationaliser ce qui n’est pas rationnel. La ville supporte mal les effets d’incohérence et c’est peut-être ça la cohésion sociale, la tentative de réduire ou de limiter les effets d’incohérence.

 

Quels sont les grands enjeux de solidarité pour l’habitat dans l’agglomération pour les prochaines années ?

La grande question de demain sera celle du stock : comment le logement privé pourra t-il encore loger le plus grand nombre ?

Et comment la collectivité va-t-elle soutenir la vocation sociale du parc privé ?
Trois personnes sur quatre n’entrent pas dans le logement social. Or, on se focalise encore principalement sur la production de logements sociaux.
La question ne se pose donc pas que pour les plus fragiles sur lesquels on se concentre. Elle concerne aussi les classes moyennes. 80% des ménages sont sous plafonds PLS. Il faut désormais se poser aussi la question pour le fonctionnaire communautaire. Nous devons faire évoluer notre réflexion sur le développement économique. De toute évidence, l’économique permet le social et le développement économique est, et demeure, fondamental pour développer des politiques de solidarité. Mais si l’on pose les questions que dans ce sens, on fait du social un effet, une retombée et on rentre en contradiction avec le social dans la société et les questions de redistribution. Aujourd’hui, les gens ne travaillent que 40 ans et vivent de plus en plus vieux : comment finance-t-on et loge-t-on ceux qui ne travaillent pas ou qui ne travaillent plus ?

Le travail garantit le logement, mais comment fait-on quand la combinaison n’existe pas ou n’existe plus ? Il faut dépasser l’injonction idiote de « tu iras à la piscine quand tu sauras nager ». La liaison entre le travail et le logement est à revisiter.
De plus, est-ce que le développement économique tel que nous le vivons aujourd’hui ne massifie pas les difficultés de la classe moyenne ? Peut-être qu’effectivement il crée de la richesse, mais dans un même temps, ne participe t-il pas de l’appauvrissement de la classe moyenne ?

Le renouvellement urbain a bien résolu le problème des banlieues sur le plan urbain, mais elles s’appauvrissent toujours. Bien sûr, ces questions dépassent largement le territoire du Grand Lyon et pose la question du modèle de développement économique que l’on souhaite pour la France ou pour l’Europe. Il n’en demeure pas moins que notre territoire est impacté et que nous devons prendre en compte ces conséquences et nous poser la question de comment canaliser les prix. On voit bien en travaillant sur la question du logement abordable toute la complexité pour trouver des solutions. En France, nous manquons de relai pour négocier, de systèmes performants de négociation. Même s’ils ne sont pas seuls en cause, on peut regretter que les syndicats français soient si faibles et trop souvent arc-boutés dans des postures qui ne permettent pas de progresser. En Suède par exemple, les prix des loyers sont fixés par un accord entre le syndicat des propriétaires et celui des locataires. Et tout locataire cotise par un prélèvement sur son loyer au syndicat national des locataires.

 

Quel est votre point de vue sur les enjeux de solidarité pour la Communauté urbaine ?

L’enjeu pour le Grand Lyon, notamment dans sa transformation en métropole, sera de maintenir le jeu collectif. Il n’est pas garanti et a besoin d’être animé et « flatté ». Il sera même primordial de maintenir et de rappeler souvent l’esprit sportif, collectif, et de le développer.

D’autant que le consensus constitué au sein de la Communauté urbaine est aujourd’hui facilité par l’alchimie permise par le suffrage indirect.
Aujourd’hui, tous les territoires, les plus importants comme les plus petits, et tous les partis politiques sont représentés dans les Vices Présidences de l’Assemblée. Rien ne s’impose aux Maires qui ne relève pas d’une stratégie d’agglomération pour laquelle ils ont contribué à l’élaboration.

Lorsque que le SCOT 2030 impose la création de 150 000 logements nouveaux à l’échelle de l’agglomération, chaque commune est de fait concernée, et chaque commune est engagée.

Dans un autre contexte, la création des SMS aurait pu être vécue comme une injonction violente, mais aujourd’hui toutes les communes participent à leur mise en œuvre puisqu’elles sont parties prenantes d’enjeux d’agglomération partagés, et non imposés. Le Grand Lyon est au service des Maires dans le respect et la reconnaissance des particularités de leur territoire, et les Maires, de petites et de grandes communes, participent ensemble à l’élaboration des réponses aux enjeux d’agglomération. L’interdépendance permet la solidarité.

Avec le suffrage direct, cette fragile alchimie risque d’être perturbée et c’est pourquoi, l’enjeu de la durabilité de l’esprit de consensus est tout à fait primordial.