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Bilan et vision pour l'avenir

Interview de Michel NOIR

© Catherine Panassier
Ministre puis Député-Maire de Lyon et Président du Grand Lyon de 1989 à 1995

<< La ville doit être le lieu de l’apprentissage du beau et de l’apprentissage de l’autre >>.

Michel Noir est né à Lyon en mai 1944 et est diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Élu conseiller municipal de Lyon en 1977, ce Croix-roussien devient député en 1978 et sera réélu à quatre reprises. Ministre du Commerce extérieur du gouvernement de Jacques Chirac entre 1986 et 1988, il est élu Maire de Lyon en 1989 en réalisant "le grand chelem", il remporte les neuf mairies d'arrondissement.  
En juillet 1989, il devient Président de la Communauté urbaine qu’il rebaptisera « Grand Lyon et à qui il donnera, une nouvelle impulsion en la dotant d’un véritable projet d’agglomération, une nouvelle dimension en l’inscrivant parmi les grandes villes qui comptent en Europe et une nouvelle esthétique à travers la mise en œuvre d’une politique ambitieuse d’aménagement des espaces publics.
En 1995, il quitte la vie politique après sa condamnation pour recel d’abus de biens sociaux dans l'affaire Pierre Botton, son ancien directeur de campagne. 
En 2000, après son doctorat en sciences de l’éducation, il a créé une entreprise, SBT (Scientific Brain Training), spécialisée dans les logiciels qui stimulent ou rééduquent le réseau neuronal des personnes âgées ou atteintes par la maladie d'Alzheimer, qu’il dirige toujours aujourd’hui. 
Dans cette interview, Michel Noir revient sur les années de son mandat à la Communauté urbaine, comment et pourquoi il a voulu la faire évoluer, les réalisations dont il est le plus fier, mais aussi sur ses déceptions. Il porte également un regard sur le Grand Lyon d’aujourd’hui et donne sa vision pour l’avenir.

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Date : 16/01/2009

Quand vous arrivez à la tête de la Communauté urbaine de Lyon (la COURLY) en juin 1989, celle-ci a alors juste 20 ans. Elle a déjà largement contribué à construire physiquement l'agglomération à travers la création d'équipements et la mise en place de réseaux techniques : voirie, transports collectifs, eau, assainissement…
Avec les lois de décentralisation de 1982 et 1983, la Communauté urbaine a connu une première grande transformation puisqu'elle acquiert à ce moment les compétences en urbanisme et aménagement. Le département Développement Urbain (DDU) est créé en 1983. Par ailleurs, toujours en 1983 et après des années de discussions, un accord a été trouvé permettant à toutes les communes d'être directement représentées au Conseil de communauté, on passe alors de 16 à 55 communes représentées, et de 90 à 140 conseillers communautaires. C'est un autre grand changement !
Ainsi, lorsque vous devenez président, la Communauté urbaine dispose d’une expérience certaine, d'une légitimité accrue et de leviers importants pour agir sur son territoire.

Quel regard portiez-vous alors sur l’institution et, d’une manière générale, sur l’agglomération ?

En 1989, j’étais élu communautaire depuis 1977 et, depuis six ans, Vice-président O.M.I (Organisation, Méthode, Informatique) et chargé de la création et du suivi des zones d’activités. De fait, je connaissais bien l’institution et son contexte. Je ne découvrais donc pas la Communauté urbaine et les trois grands points qui la caractérisaient à cette époque. 
L’absence de stratégie d’agglomération était probablement l’élément le plus marquant. La Communauté urbaine n’était alors qu’un conglomérat de communes qui avaient tenté de mettre en commun des services.
La grande difficulté à s’inscrire dans le temps, à penser l’agglomération à dix ou vingt ans, était un autre point particulier de cette époque. En effet, il n’y avait pas à proprement parler de vision d’avenir de l’agglomération. "Chacun est charbonnier chez soi" était la devise de l’époque.
Enfin, la troisième grande caractéristique de la Communauté urbaine de 1989 était un processus de décision obsolète. La capacité de décision et la qualité des décisions étaient à l’évidence de gros points faibles. 
Il est vrai que la décentralisation avait complètement changé la donne pour les collectivités locales. Cependant, l’imbrication des compétences induite par la décentralisation avait conduit à un morcellement complexe des décisions. Par exemple, pour une décision d’urbanisme, dont la compétence légale appartient à la Communauté urbaine, il fallait consulter les arrondissements, les maires souhaitaient s’approprier les décisions et pour certains avaient gardé l’instruction des permis de construire, le Conseil général donnait son avis, notamment sur les projets de voirie ou de transport en commun, parfois la région était aussi amenée à participer et bien sûr l’Etat restait incontournable. Cette complexité dans les processus de décision était particulièrement forte dans le domaine de la politique de la ville et du développement social urbain. J’étais particulièrement attentif à cette politique qui devait nous permettre d’éviter que la ville se divise en quartiers riches et en quartiers pauvres. Mais, toute décision était débattue entre dix services de l’Etat et cinq acteurs locaux. Ainsi, au lieu de décider en six mois, il fallait deux voire trois ans ! 
Certes, en 1989, la Communauté urbaine avait 20 ans, mais pour une structure de ce type dans un pays comme la France, 20 ans ce n’est rien, c’est tout juste sortir de la grande section de maternelle !

 

Comment qualifiez-vous aujourd’hui l’ambiance du réseau des décideurs de l’époque ? Y avait-il de l’ambition et de la confiance dans l’avenir ?

Il y avait des convictions, mais peut-être pas suffisamment de questionnements. L’acteur économique avançait dans sa fonction, sans lien avec l’agglomération. Il n’y avait pas encore dans les consciences l’importance du rôle qu’une collectivité peut jouer pour favoriser le développement. L’implantation de l’ENS Sciences en 1987 a permis de démontrer l’intérêt de développer les liens entre les grandes écoles, l’université et les entreprises sur un territoire, et ainsi de faire évoluer les esprits. Le rôle du décideur public est de structurer l’espace pour favoriser des dynamiques et notamment le développement économique. Aujourd’hui, on n’en est encore qu’à mi-chemin, il reste beaucoup à  faire.

 

À la fin des années 1980, l’arrêt du « tout voiture » était déjà un objectif partagé ?

À l’époque, sur ces sujets, on subissait l’histoire, les erreurs énormes commises, l’autoroute qui traverse la ville, le centre d’échanges de Perrache. On subissait des décisions non stratégiques, de courte vue. Pour bien vivre, une agglomération doit respecter des règles. C’est pourquoi, l’une des premières choses que l’on a faites a été de définir un plan des déplacements urbains. Mais, nous avons aussi élaboré une charte d’écologie urbaine, ce qui à l’époque, était complètement novateur. Heureusement ces questions semblent aujourd’hui évidentes. Mais en 1989, il fallait amener les acteurs à penser autrement, à notamment s’interroger sur les localisations d’activités en prenant en compte les conséquences écologiques et les risques qu’elles pouvaient générer. Ainsi m’a-t-il fallu m’opposer au maire de Villeurbanne pour ne pas urbaniser La Feyssine.

 

Sur le plan de la cohésion sociale, la question des Minguettes ou plus globalement des banlieues était-elle fortement présente dans l’esprit des élus ou des habitants ?

Dans les années 1980, et pas seulement suite aux « étés chauds » des Minguettes ou à la Marche pour l’égalité initiée ici dans notre agglomération, nous prenions conscience des dangers d’une politique de l’habitat pensée par cercles concentriques, une géographie qui éloigne de plus en plus loin ceux qui cumulent le plus de handicaps. Ce modèle de développement est explosif et, sur le plan humain, dramatique. Même si dans les années 1960, il a bien fallu construire les ZUP, les zones à urbaniser en priorité, pour répondre à la crise du logement. Mais, en y logeant exclusivement une catégorie sociale complètement différente des autres quartiers, nous avons créé une sociologie urbaine d’exclusion. Or, dès qu’elle s’écarte de la diversité, une société humaine et urbaine ne peut plus fonctionner. Là encore, nous subissions des décisions de court terme, dangereuses pour l’avenir.

 

Lorsque vous arrivez à la Présidence en 1989, quels étaient, sur le plan politique, "les sujets qui fâchent" ?

Ce qui, personnellement, me fâchait, c’était la politique du moindre risque. Par exemple, le logement social était une compétence communautaire et les logements sociaux étaient principalement répartis entre trois grands offices HLM. En 1989, nous réhabilitions 250 logements par an. Dès 1990, nous en réhabilitions 2000 ! Vous comprenez combien j’ai souhaité doper cette politique de requalification du parc social. Mais, lorsque j’ai demandé aux élus de Villeurbanne que des élus communautaires représentent la Communauté urbaine  au sein du conseil d’administration de l’office HLM communautaire de Villeurbanne, ces derniers ont vécu cette demande comme une tentative d’éviction. 

 

Vous avez voulu que Jean Rigaud demeure premier vice-président, était-ce pour vous le moyen d’assurer une certaine continuité dans les projets, un souci d’équilibre politique ou la reconnaissance de la qualité des démarches et projets qu’il avait élaborés durant le mandat de Francisque Collomb et qui méritaient d’être mis dans la lumière ?

Jean Rigaud et un petit nombre d’autres élus souffraient beaucoup de l’absence de perspective de l’agglomération dans le temps et dans l’espace. Jean Rigaud était particulièrement habité par cette façon de penser l’agglomération en termes stratégiques. Ce n’est donc pas un hasard si j’ai confié au premier vice-président qu’il était, la stratégie d’agglomération. Pour moi, c’était la priorité des priorités et les politiques sectorielles devaient en découler. De plus, Jean Rigaud était UDF, et je tenais à ce que mon équipe soit représentative du résultat des urnes.

 

Lorsque vous arrivez aux commandes, un de vos premiers projets est de formaliser le nouveau Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme de l'agglomération (SDAU). Pourquoi ?

Les décisions, dans quelque domaine que ce soit, doivent toujours être en cohérence avec la stratégie d’agglomération et subordonnées à celle-ci. Élaborer un SDAU, c’est se donner les moyens d’identifier clairement les objectifs politiques que l’on souhaite poursuivre et se doter d’un cadre d’action pour leur mise en œuvre. L’aménagement et le développement de l’agglomération devaient conjuguer des enjeux de mixité et d’habitat, d’équipement et d’usage de l’espace public, ou encore de politique foncière. Le SDAU, c’était une vision globale projetée à 20 ans et non une gestion à la tête du client !

 

Pour élaborer le SDAU, vous vous appuyez notamment sur la démarche Lyon 2010 conduite au cours des années précédentes, qui fixait trois priorités : faire de Lyon une métropole européenne ; faire de Lyon une métropole équilibrée et solidaire ; faire de Lyon une agglomération où il fait bon vivre.
Que signifiait pour vous, faire de Lyon une métropole européenne ?

Être une métropole européenne ne se décrète pas, c’est une résultante. Cela suppose d’appartenir à des réseaux à valeur ajoutée. Dans les domaines  universitaire, économique, culturel et je pense à la danse par exemple, ou dans celui de la médecine, il convient d’identifier ses forces, de bien cibler les filières, et de les rattacher à des dynamiques et à des réseaux internationaux. 
Pour être une métropole européenne, il faut aussi s’intéresser au fonctionnement de base de l’agglomération. Par exemple, toutes les véritables métropoles européennes sont dotées d’un ring, c’est-à-dire d’un périphérique, et sur ce point, nous n’avons toujours pas l’infrastructure d’une agglomération à l’échelle de l’Europe. Je regrette que Raymond Barre n’ait pas poursuivi notre stratégie qui consistait à structurer l’agglomération. Il a malheureusement arrêté le projet de périphérique, le plan de rénovation de nos hôpitaux ou encore le développement du métro. Et pourtant, nous étions bien engagés dans cette dynamique de construction d’une agglomération européenne. Notre participation active dans le réseau des Eurocités nous avait permis de nous doter d’une vraie vision européenne, mais aussi de prendre une grande leçon d’humilité en nous comparant. À l’époque, le réseau des Eurocités permettait des échanges réguliers entre les maires et leurs équipes. J’ai par exemple beaucoup appris en discutant avec Pascal Maragual à Barcelone et bénéficié d’une vraie leçon sur la réhabilitation et l’aménagement des quartiers industriels anciens à Birmingham. Ces échanges permettent de relativiser. Il est primordial pour un décideur de savoir s’extraire et de sortir du cadre de réflexion établi, pour s’ouvrir et, dans ce cas précis, pour inscrire Lyon dans des réseaux plus larges. 

 

L’inscription de l’agglomération dans une démarche de développement économique était l’un de vos objectifs majeurs. Quels moteurs avez-vous utilisé pour concrétiser cet enjeu ?

Nous disposions d’un outil, l’Aderly, agence regroupant les collectivités locales, la Chambre de commerce et le patronat. Ensemble, nous souhaitions mettre en commun des moyens pour attirer des investisseurs. Nous avions peu de moyens mais d’excellents collaborateurs. 
Le rôle des élus est de définir le meilleur environnement, de construire un espace le plus performant possible pour le monde économique. Un espace performant est un espace doté d’un bon réseau de transport en commun, d’équipements  et de services de qualité. Aussi quand j’ai voulu investir en faveur des hôpitaux, des universités ou de la culture alors que ces domaines ne relevaient à priori pas des compétences communautaires, j’étais aussi dans une logique d’amélioration de l’environnement pour accroître notre attractivité et faciliter le développement économique de l’agglomération. 

 

Que signifiait pour vous faire de Lyon une métropole équilibrée et solidaire ?

La ville doit être le lieu de l’apprentissage du beau et de l’apprentissage de l’autre. C’est ainsi que je conçois la ville et c’est sur ce principe que j’ai construit les différentes politiques de la ville et du Grand Lyon entre 1989 et 1995. 
Les politiques d’aménagement des espaces publics, de l’habitat, de la culture ou encore de l’urbanisme doivent toutes concourir à cet enjeu. Découvrir l’autre, c’est vivre avec, vivre ensemble et c’est donc habiter ensemble. Certes, quelques dents ont grincé lorsque nous avons voulu construire des logements sociaux dans le sixième arrondissement de Lyon. Certes, tous les élus n’ont pas immédiatement perçu pourquoi nous avons voulu investir autant dans les quartiers du huitième ou neuvième arrondissements de Lyon, à Vénissieux ou à Vaulx-en-Velin. Mais avec André Gerin et avec Maurice Charrier, nous partagions un constat et une volonté d’agir, même lorsque les décisions étaient douloureuses. Aux Minguettes, alors que la construction de la ZUP n’était pas achevée, il fallait déjà envisager de démolir. 
Une autre forme de solidarité est le respect de l’autre, de la diversité. Et c’est au nom du respect de l’autre que j’ai décidé de trancher la question de la construction de la mosquée de Lyon. Nous en discutions depuis quatorze ans. Les élus semblaient tous favorables à l’idée qu’il y ait enfin une mosquée dans notre agglomération, mais personne ne la voulait chez lui ! 

 

Que signifiait pour vous faire de Lyon une métropole où il fait bon vivre ?

Une métropole où il fait bon vivre est une métropole agréable qui doit faciliter l’apprentissage du beau. La encore cette notion n’était pas évidente pour tous les élus, ni pour les responsables du SYTRAL. Je me souviens des affrontements avec l’ordre des architectes lorsque j’ai décidé que des espaces comme les stations de métro ou les parkings souterrains devaient bénéficier d’œuvres artistiques. Les architectes avaient la loi pour eux, ils étaient maîtres de leurs ouvrages. Et pourtant, nous avons exigé dans les permis de construire d’intégrer des interventions culturelles.
Une ville agréable à vivre, c’est aussi une ville accessible à tous. C’est pourquoi nous avons aussi intégré cette exigence dans les permis de construire et voulu rendre toutes les stations de métro accessibles aux personnes handicapées. Les discussions ont alors été vives avec le SYTRAL, la ligne D par exemple avait été conçue sans accessibilité. 
Une ville agréable à vivre, c’est enfin des espaces publics avec des aménagements et du mobilier de qualité, et une ville où l’on respire. Il convenait de réaménager les espaces publics pour que la pédagogie du beau ait un sens. La mise en lumière de la ville, la redécouverte des fleuves, les aménagements comme celui de la place Antonin Poncet ou de la place de la Bourse, les 2000 arbres plantés chaque année dans le cadre de la charte de l’arbre adoptée en 1991 sont autant de politiques que nous avons souhaité développer dans cet objectif. C’est aussi pourquoi j’ai voulu que Miribel Jonage devienne le deuxième poumon de l’agglomération. Lorsque j’écoutais les médecins décrire les conséquences de l’important taux de pollution sur la santé des habitants et notamment des plus fragiles, ce projet m’apparaissait comme incontournable. Dans un premier temps, cette décision n’a pas reçu l’aval des élus, notamment de ceux de Villeurbanne qui avaient envisagé un autre devenir pour cette immense opportunité foncière. Mais Brice Lalonde a accepté de classer à ma demande cet espace en zone non constructible et aujourd’hui chacun s’accorde à souligner l’intérêt d’une telle décision. Plus globalement en matière d’écologie, j’ai tenu à écouter les avis des experts et nous avons élaboré la première charte pour l’écologie urbaine. 

 

Votre mandat marque une progression dans l'affirmation de la dimension d'agglomération. D'ailleurs, dés le premier jour de votre présidence, lors de la séance publique du 5 juin 1989, vous proposez qu’une réflexion soit conduite pour trouver un nouveau sigle, voire un nouveau nom, à l’Etablissement public. Qu’est-ce qui a motivé cette idée ?

Je l’ai dit, il n’y avait pas de vision de l’agglomération. L’idée de rebaptiser la Communauté urbaine m’était venue d’une part, en écoutant certains maires de petites communes qui me disaient qu’il était plus facile d’être connu et reconnu comme maire de Lyon qu’en tant que maire de Chassieu ou d’Ecully, et d’autre part de l’expérience du Grand Londres. Il est clair qu’il fallait agir. Qui peut imaginer l’utilisation du mot "Courly" dans un plan de communication ? Que signifie "Courly" à Rome ou même à Turin ?
Lyon est forte de son histoire, de son rayonnement, de sa réalité. Il était évident qu’il était judicieux d’utiliser cette force pour l’ensemble de l’agglomération. Ce n’était pas une idée d’hégémonie même si nombre de mes opposants l’ont dit, mais il est vrai qu’en 1989, ils avaient peur de ce jeune RPR aux dents longues qui débarquait. Je crois qu’ils ont ensuite appris à me connaître. Je me souviens de la dernière séance du Conseil communautaire que j’ai présidé en juillet 1995. Laurent Deschamps du groupe communiste a alors souligné l’action conduite pendant mon mandat, m’a félicité pour avoir su « bousculer le ronronnement de la collectivité communautaire », pour l’ambiance de respect mutuel et pour les actions et les réalisations effectuées. Les longs applaudissements des élus communautaires qui ont suivi son intervention sont pour moi une preuve de qualité du travail accompli. 

 

Au cours des mandats de Francisque Collomb, les principaux vice-présidents jouissaient d'une grande autonomie. Chacun était attaché à la collégialité des décisions. Sous son mandat, Raymond Barre a mis en place une majorité élargie. Face à ces schémas (sur lesquels on s’appuie parfois pour mettre en avant la culture de la conciliation propre à l’agglomération lyonnaise), votre mandature est marquée par un style plus directif. Ceci s’explique-t-il par la largesse de la majorité dont vous jouissiez au sein du Conseil de communauté ou bien par un style politique différent ?

J’étais vice-président de la Communauté urbaine depuis six ans. J’avais eu le temps de me rendre compte que les élus n’avaient pas de pouvoir. C’était le Directeur Général qui décidait. Le cumul d’un bien trop grand nombre de mandats des élus ne permettait pas un investissement constructif de ces derniers. Je savais comment les processus de décision devaient évoluer, et contrairement à Raymond Barre, je ne voulais pas d’une armée mexicaine avec quarante vice-présidents, incapable de fonctionner. J’ai mis en place une équipe restreinte, mais qui devait à la fois s’investir pleinement, beaucoup travailler et surtout travailler en équipe. Nous avions des réunions hebdomadaires. Et, en fonction des besoins, j’allais chercher des experts pour nous permettre de progresser. Par exemple, j’ai demandé à Yves Vérilhac, alors directeur de la FRAPNA région, de revisiter notre plan d’urbanisme avec son regard d’expert en écologie urbaine. Pour bien fonctionner, il faut une autorité car il faut décider. Mais il est indispensable de préparer au mieux les prises de décision. Pour moi, le travail en équipe est le plus efficace. Il est le garant d’une machinerie à décider bien huilée et d’un suivi pertinent des décisions. Par ailleurs, en rencontrant les représentants de l’opposition tous les mois, nous étions bien plus performants qu’en appartenant à une armée mexicaine. De plus, le cabinet avait pour mission de bien préparer ce travail en commun, d’associer le plus en amont possible les personnes concernées, de recueillir les différents points de vue pour enrichir le processus de décision. C’est notamment de cette façon que nous avons travaillé pour élaborer le contrat de ville d’agglomération.

 

Votre exécutif a fixé comme objectif à la Communauté urbaine de devenir le principal acteur d’une politique d’agglomération ambitieuse. Cet objectif justifiait la mise en œuvre d’une démarche de modernisation communautaire. Quels en ont été les contours ? Le dialogue social était-il aisé  ?

Bien travailler en équipe suppose aussi de savoir s’entourer, de choisir de bons collaborateurs. Je suis allé chercher un nouveau secrétaire général, un jeune, un manager d’entreprise. Il a mis en œuvre une réorganisation des services dans le double objectif d’améliorer le service aux publics et de mieux reconnaître les agents. Pierre Ducret a d’ailleurs veillé à ce que les patrons de chaque département soient dans la même logique. Si je prends l’exemple de la direction de la propreté, nous avons sensiblement diminué le taux d’absentéisme en dotant les services d’outils performants, de laveuses automatiques par exemple, mais aussi parce que nous avons eu l’idée d’introduire de la citronnelle dans ces machines. De fait, non seulement les trottoirs étaient propres, mais en plus ils sentaient bon. Les habitants remerciaient les agents. Des agents qui ont été surpris lorsque je débarquais à 6 heures du matin dans les locaux de leur subdivision avant que les équipes partent en mission. Mais, pour moi, c’était une forme de reconnaissance et le moyen de les féliciter pour le travail qu’ils effectuaient. Certains élus n’ont pas besoin de ce contact direct, moi si. 
Plus globalement, avec les syndicats, nos relations étaient fondées sur un respect mutuel. Les syndicats sont des partenaires dans une démarche de progression, et c’est dans cet état d’esprit que nous avons travaillé tout au long du mandat. 
Les agents communautaires se sont retrouvés dans le sens de leur travail, celui de servir les gens et leur espace. Et, je crois que les gens étaient ainsi plus heureux. 

 

La région Urbaine de Lyon (RUL), avait été relancée en 1988, avant votre arrivée. En 1993, la RUL publie un document de prospective "RUL 2010 - Charte d’objectifs de la région Urbaine de Lyon". Quelles étaient les propositions d’évolution proposées dans ce texte ? Et surtout, quelles ont été les avancées et les limites à l’installation d’une véritable plate-forme politique, lieu de coordination des acteurs politiques de ce grand territoire métropolitain ?

La région Urbaine de Lyon était une belle idée, des gens se retrouvaient pour en parler, mais il n’y avait aucun moyen de passer des beaux discours aux actes. Il est évident que la Communauté urbaine est à l’étroit dans sa géographie actuelle. Il est tout aussi évident qu’il est particulièrement difficile de faire bouger les lignes, surtout lorsqu’il faut réunir des villes de départements différents. Fort de ce constat, je me  suis attaché à développer des partenariats privilégiés avec les villes voisines, Grenoble et notamment Saint-Étienne avec qui nous avons mis en place une zone d’activités économiques conjointe. Il faut aussi avoir conscience que certains avaient tout intérêt à bénéficier de la proximité de l’agglomération pour se développer sans avoir à financer des infrastructures et des équipements propices au développement. Je pense notamment aux réseaux de transport indispensables à l’installation de nouvelles entreprises et à l’extension des activités existantes.

 

À votre avis, quelles auront été les réalisations les plus marquantes de votre mandat ?

C’est ce qui dure qui est le plus marquant, et sur cette question, je vous laisse juge…

 

Avez-vous des regrets ?

Je n’ai pas de regret à proprement parler. Je me souviens par contre de l’importance de certains problèmes particulièrement complexes. Je pense notamment aux réponses à apporter aux populations qui cumulent des handicaps, à la difficile question de l’intégration. On sait, et on peut, organiser la mixité dans l’espace urbain. Cependant, l’acceptation de l’autre peut rester difficile dans de nombreuses têtes. Comment alors garantir une vie sociale riche ? Comment permettre l’intégration de tous ? Comment agir suffisamment en amont pour limiter le cumul de handicaps ? Ce sont des questions difficiles à surmonter. Et pourtant, je reste persuadé que la réussite scolaire, et plus largement l’éducation est essentielle. Quand on réussit l’éducation de l’enfant, on réussit la vie de l’individu, mais aussi le vivre ensemble. Dans les quartiers de la politique de la ville, avec l’acteur éducatif, nous n’avons pas été capables de répondre correctement à cet enjeu. Malheureusement dans ce domaine de l’éducatif qui me passionne, je m’interroge encore sur comment faire la révolution.

 

Selon vous aujourd’hui, quels sont les principaux enjeux pour l’avenir du Grand Lyon, les sauts ou les mutations qu’il doit réussir ?

À l’évidence, il convient à la fois de simplifier les structures et de se mettre à la norme internationale, notamment à travers des équipements structurants. Nous sommes dans un espace sans frontière dans lequel l’enjeu majeur est de soutenir et de développer la recherche et les universités. C’est là où se préparent toutes les batailles. Aujourd’hui, 40 millions sont investis sur ce volet, il manque un zéro.

 

Vous êtes devenu chef d’entreprise. Votre entreprise, SBT (Scientific Brain Training), propose des outils pour stimuler et évaluer les capacités cognitives. En vous basant sur cette expérience, quelle appréciation faites-vous de l’environnement scientifique local de votre activité ? Le territoire se trouve-t-il dans une bonne dynamique d’innovation et entrepreneuriale ?

Les hommes et les capacités sont là. Cependant, ils passent 80% de leur temps à chercher des financements. On devrait bien mieux les soutenir tout en ciblant les filières porteuses en fonction des débouchés.

 

 

Les principales réalisations du mandat :

Pour favoriser la dimension européenne de la métropole lyonnaise, on peut citer, outre une participation active au réseau des Eurocités, la Cité Internationale, le Plan "Université 2000" avec notamment l’installation de Lyon 3 à la Manufacture des Tabacs, des implantations publiques comme Euronews (1992), le CERTU (1993), la Police technique et scientifique (1995) ou l’ENSATT, mais aussi le financement par le Grand Lyon d’équipements d’agglomération en dehors de ses compétences comme l’Ecole des Arts Culinaires ou le plan tripolaire des HCL.
Dans le domaine de la cohésion sociale et urbaine, on peut retenir, le Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme (1990 puis 1992), le Schéma Directeur d'Urbanisme Commercial (1994), le Tronçon Nord du périphérique, la ligne D du métro de gare de Vénissieux à Gorge de Loup (ouverture en 1992). En 1992, le Grand Lyon est la première agglomération à s’engager dans un Contrat de ville d’agglomération pour les quartiers les plus en difficulté).
On peut retenir aussi le projet Démocratie à Vénissieux (démolition des dix tours en 1994 pour recréer un nouveau quartier), le Programme Local de l’Habitat ou encore la Grande Mosquée de Lyon (inauguration en 1994).
Différentes réalisations ont contribué à faire de Lyon une métropole où il fait bon vivre : le "Plan Propreté" (1989), la création du service Espaces Publics au sein des services de la Communauté (1990), un nouveau "vocabulaire des Espaces publics" et une ligne de mobilier urbain pour l’ensemble de l’agglomération. Les Plans bleu, vert, des lumières et la Charte de l'arbre (1991) ont également contribué à cet objectif comme la valorisation de l’énergie issue des déchets avec la destruction de la dernière cheminée de l’ancienne usine d’incinération de Gerland (1992), la Charte d'écologie urbaine (adoptée à l'unanimité du conseil de communauté en 1992 ou la Commission consultative des usagers (1993). Le réaménagement des espaces publics notamment dans le centre ville (places des Terreaux, de la Bourse, Antonin Poncet, rue de la République, Opéra, fresques murales) et la création de nouveaux équipements culturels comme le Musée urbain Tony Garnier, le hangar du premier film, le planétarium ou la Halle Tony Garnier, sont aussi des réalisations qui ont participé à l’amélioration du bien vivre dans l’agglomération.

Propos recueillis dans le cadre du projet de commémoration des 40 ans de la Communauté urbaine de Lyon : 40 ans du Grand Lyon, un récit à partager
Après avoir été créée comme une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’État, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Mais l’histoire ne s’arrête jamais : cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération, à savoir le territoire qui, de Saint-Etienne à Ambérieu-enBugey, de Vienne à Villefranche-sur-Saône, regroupe plus de 2 millions d'habitants. 2 millions d'habitants rapprochés par les réalités de la vie quotidienne, mais aussi par la nécessité de former une masse critique capable de maintenir la capacité d'innovation et le rang du Grand Lyon dans le contexte de la concurrence internationale du 21e siècle. Pour y parvenir, il s’agit non seulement de partager collectivement des projets, mais aussi de se doter de racines communes.