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L’élaboration de la stratégie de développement de l’agglomération

Interview de Pierre-Yves TESSE

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<< La décision de prendre Gerland en régie directe a été pour le Grand Lyon un premier pas significatif vers la gestion des actions de développement économique >>.

Pierre-Yves TESSE, diplômé d’Etudes supérieures de Sciences Economiques, a participé de 1966 à 1973 à l'élaboration du schéma de l'aire métropolitaine Lyon-Saint-Etienne-Grenoble, et a travaillé à partir de 1973 à la CCI de Lyon, en contribuant à l’ADERLY, à l’évolution d’EUREXPO, au plan d’action TECHNOPOLE. De 1990 à 2006, il a été Directeur de l’Animation Economique et de l’Aménagement à la CCI.

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Date : 20/07/2008

Vous faîtes souvent mention de l’importance du périmètre d’action des politiques de développement économique en affirmant que ce périmètre ne doit en aucun cas se limiter aux seules limites administratives. Qui a mis cette question sur la table en premier ?

Je dirais que c’est d’abord l’Etat qui a impulsé une dynamique à l’échelle de l’aire urbaine. Je pense en particulier à l’année 1965 où les Organisations d'Etudes d'Aménagement des Aires Métropolitaines (OREAM) ont été créées dans le cadre de la politique nationale des métropoles d’équilibre Lille-Roubaix-Tourcoing, Marseille, Lyon-Saint-Etienne, Nancy-Metz, Nantes-Saint-Nazaire, Rouen-Le Havre.

Ces organismes créés par l'Etat constituaient le premier volet d’action instauré par la DATAR créée 3 ans plus tôt pour une meilleure répartition des activités sur le territoire français. L’OREAM de Lyon a élaboré le schéma d’aménagement de l'aire métropolitaine associant Lyon, Grenoble et Saint-Etienne. Ce schéma fut approuvé par le gouvernement en  juin 1970. Ses  projets  phares furent l’aéroport Lyon-Satolas et la ville nouvelle de l'Isle d'Abeau. Fondé sur des ambitions fortes de développement, il impliquait une vision du développement lyonnais qui dépassait largement les 56 communes de l'agglomération pour s'appuyer sur les pôles périphériques tels que de Villefranche, Amberieu, Bourgoin et Vienne,  soit une couronne de 30 à 40 km autour de Lyon sans oublier la région stéphanoise. 

La DATAR a également mis en place pendant quelques temps tout un dispositif destiné à favoriser l’implantation d’activités économiques en périphérie, à l’extérieur de l’aire urbaine lyonnaise, partant du fait, dès cette époque, que le périmètre pertinent pour appréhender le développement économique de Lyon dépassait largement celui de la communauté urbaine  et même de l’aire urbaine.

 

Comment la prise en compte du périmètre d’action s’est-elle traduite concrètement à l’époque ?

La création de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau en a été une des traductions les plus symboliques : elle a permis de libérer de nouveaux espaces pour l’implantation de nouvelles activités. Sans l’Isle d’Abeau, je reste convaincu qu’il eut été impossible d’accueillir certaines implantations, tel Hewlett Packard ! De même, le lancement de la plateforme industrielle de la plaine de l'Ain a été un important terrain d’implantations.

 

C’est à cette même époque, en 1974, qu’est créée l’Aderly, l’Agence pour la Promotion et le Développement de la Région Lyonnaise, dont la mission fut –et est toujours -de favoriser l’implantation de nouvelles institutions (entreprises, organismes publics) sur la région lyonnaise. Qu’est-ce qui a présidé à la création de cet organisme ?

La création d’une agence de promotion était quelque chose de très innovant pour l’époque, et ce à plusieurs titres. Les trois organismes fondateurs étaient la CCI (l'équipe technique de l'Aderly fut créée par la CCI, sous l’animation de Jean Chemain), la communauté urbaine et le Gil . Ces trois acteurs voulaient se doter de leviers d’action pour assurer la promotion du territoire à l’échelle de la région lyonnaise. Ceci ne s’est pas fait sans résistances ou interrogations !

L’Aderly en effet, était financée par la CCI et la Communauté Urbaine alors que ceux-ci n’en étaient pas les bénéficiaires les plus directs, bien que la CCI de Lyon investissait dans la zone  industrielle de la ville nouvelle. Malgré son peu d’intérêt manifeste pour l’Isle d’Abeau notamment, le président de la communauté, Louis Pradel, a finalement accepté que l’Aderly conçoive sa promotion à l’échelle de la région lyonnaise. La création de l’Aderly a donc marqué un changement "heureux" dans le sens où elle a permis d’envisager le développement économique de l’agglomération hors des frontières habituelles qui auraient été sclérosantes.

Par ailleurs, l’Aderly a très tôt adapté sa stratégie de développement à l'évolution des fonctions, en particulier les fonctions tertiaires de l’agglomération, ce qui était relativement nouveau pour une ville historiquement industrielle. Il faut rappeler que nous nous situons à l'époque de la décentralisation où les métropoles essaient d’attirer à elles, non seulement des entreprises, mais aussi des services déconcentrés de l’Etat. De ce point de vue la communauté urbaine et la CCI, à travers l’Aderly, ont bénéficié d’une grande liberté d’action. Outre son rôle de lobby auprès de l’Etat pour attirer à Lyon de nouvelles institutions, l’Aderly a sans nul doute joué le rôle de concepteur de la politique de développement économique de l’agglomération lyonnaise.

 

Quelles ont été les principales réalisations et réussites d’implantation revendiquées par l’Aderly ?

Je citerais pour exemple Areva (Framatome à l’époque) en 1978, EDF en 1984, ou encore l’ENS, dossier ouvert dés 1974 et qui a abouti en 1987 et 2001.

 

Qu’en est-il à l’époque du développement endogène, c’est-à-dire interne au territoire ?

Avant que la Communauté Urbaine ne monte en puissance sur la fonction de développement économique, c’est la CCI qui en était la principale responsable. Elle était en particulier responsable de la programmation de la majorité des zones d’activité jusqu'aux années  80.

La stratégie des technopôles est mise en place par l'Aderly en 1984 : y participent la Communauté Urbaine pour la mise en place des zones d'accueil, la CCI pour l'animation et un syndicat mixte pour la création des pépinières. La reprise du Plan Technopôle élaboré en 1998 par le Grand Lyon s’inscrit dans la continuité de ce qui avait été initié par l'Aderly !

 

Quel était alors l’objectif poursuivi à travers la création de ces technopôles ?

On s’est inspiré de ce qui se faisait alors à Grenoble avec la ZIRST de Meylan et à Sophia Antipolis, qui consacraient des terrains à un seul secteur d’activité relié à la recherche. En clair, il s’agissait d'assurer la révélation des secteurs d’excellence, de les traduire en des lieux physiques, tangibles, et d'opérer une animation pour favoriser des liens entre les trois dimensions de toute démarche technopolitaine : la formation, la recherche et les entreprises. Je pense toujours que la concentration dans l’espace d'un même type d'activité est centrale pour exister dans l’esprit des gens. C’est de cette manière qu’ont été créés les parcs de Gerland, ou auraient du l'être ceux de la Doua et d’Ecully.

Parmi ces pôles, celui de Gerland est certainement le plus abouti car c’est celui pour lequel la Communauté et la CCI avaient le plus de leviers d’action. Mais il ne s’agissait pas que d’aménagement puisque nous organisions aussi des rencontres entre industriels, chercheurs et services sur ces pôles. La CCI assurait une fonction d’animation afin de faciliter les échanges et les travaux collaboratifs. Michel Noir s'est senti moins impliqué dans cette politique des technopôles qu’il n'avait pas initié, mais celle-ci a été reprise quand Jacques Moulinier est redevenu adjoint à l’économie en 1993. C’est surtout à partir de 1996 que la Communauté Urbaine a pris le relais de cette politique.

 

Justement, quand y a-t-il eu une translation de la politique de développement économique vers la Communauté Urbaine ?

Cette translation a été progressive et elle a commencé dès le milieu des années 1980, c’est-à-dire avant même l’acquisition, par la Communauté Urbaine, d’une légitimité politique en ce qui concerne le développement économique. Cette montée en puissance de la Communauté Urbaine sur le développement de la métropole s’est faite tout d’abord sur le volet développement urbain et aménagement. Dès les années 1975-80, la CCI a abandonné la partie aménagement de zones d'activités au profit de la Communauté Urbaine dont la puissance financière lui permettait de faire des réserves foncières bien plus conséquentes que la CCI.

Très rapidement, la Communauté Urbaine s’est retrouvée devant le choix du maître d’oeuvre : la Société d’Équipement du Rhône et de Lyon (SERL) qui, jusqu’à présent, réalisait tous les projets d’aménagement pour son compte, ou elle-même en régie directe. La maîtrise d'oeuvre des projets est donc passée pour une part à la Communauté Urbaine. La décision de prendre Gerland en régie directe a été de ce point de vue pour le Grand Lyon un premier  pas significatif vers la gestion des actions de développement économique !

 

Quand est-ce que le Grand Lyon s’est retrouvé au cœur de l’élaboration de la stratégie de développement de l’agglomération ?

La démarche « Lyon 2010 », pilotée par Jean Frébault de l’Agence d’Urbanisme, a été le point de départ d’une démarche stratégique  élaborée collégialement et à laquelle la CCI a été étroitement associée, au même titre que l’Aderly que je représentais. Cette époque correspond, il me semble, à une rupture dans la méthode de planification urbaine qui a fait école depuis ! Une des clés de la réussite de cette démarche, qui se voulait être une démarche de prospective, est précisément la mobilisation d’un grand groupe d’acteurs qui se sont impliqués dans la conception et en furent naturellement les protagonistes dans la réalisation.

 

Nous retrouvons cette démarche collégiale plus tard, dans l’élaboration du Schéma de Développement Economique ?

En effet, mais là encore, cette démarche n’est pas à l’initiative du Grand Lyon mais de l’Agence d’Urbanisme conduite par Henri Chabert. L’Agence d’Urbanisme avait besoin de mobiliser les acteurs économiques, donc elle s’est tournée en toute logique vers les représentants de l'économie donc la CCI qui était, en passant, moins impliquée dans les démarches communautaires. Le Grand Lyon, de son côté, pilotait la démarche Millénaire3 qui avait une vocation sociétale. Il a d’ailleurs mis du temps à intégrer la démarche initiée par l’agence.

 

Y a-t-il, dans ces années-là, un tournant stratégique acté par la Communauté Urbaine pour relancer le développement économique de l’agglomération lyonnaise ?

Je pense que ce sont les notions de compétition internationale, de compétitivité et donc de spécialisation et différenciation qui ont fait peu à peu leur chemin parmi les édiles et les techniciens de la Communauté Urbaine. Cela s’est traduit par des choix stratégiques dont on collecte aujourd’hui les bénéfices. Dans les années 1994-5 en effet, un groupe initié par  Olivier Zarrouati, alors directeur de la DAEI, a ébauché la stratégie de spécialisation de Lyon dans des secteurs économiques précis. L’idée était de passer d’une métropole généraliste à une métropole spécialiste. Ce choix stratégique s’est fait avec l'accompagnement technique  du cabinet Algoé alors fortement mobilisé par la Communauté Urbaine. Je pense que nous récoltons aujourd’hui les fruits de cette stratégie à travers les pôles de compétitivité. On voit bien que ces projets s’inscrivent dans un temps qui est très long, qui doit permettre leur appropriation et leur maturation.

Cette stratégie a très bien réussi dans les biotechnologies mais probablement moins en ce qui concerne les jeux vidéos. Pendant le mandat de Barre, nous travaillions déjà sur la création d’un pôle dédié à l’environnement que l’on pensait implanter Porte des Alpes. Ce projet s'appuyait sur une association des spécialistes de l'environnement. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il était difficile d’attirer en un temps court des entreprises de ce secteur, et le projet n’a malheureusement pas pris l'ampleur qu’il aurait dû avoir si nos élus avaient été plus patients et plus tenaces (on ne fait pas un parc scientifique dédié en deux ans !). Nous avons aujourd’hui un très beau parc d'affaires mais il n’existe pas de parc économique dédié à l’environnement clairement identifié bien que la problématique développement durable soit prise en compte dans différents pôles d’excellence lyonnais (cf : Lyon Urban Truck & Bus, Axellera).

 

Vous faîtes mention du temps long nécessaire à la maturation des projets de développement économique dont beaucoup ont été initiés par l’Aderly ou par  l’Agence d’urbanisme. Est-ce à dire que si les projets changent de main, la feuille de route reste globalement la même ?

Oui, je pense que c’est une caractéristique à Lyon qui mérite d’être soulignée, à savoir que l’on note une forte continuité dans la réalisation des grands projets depuis quarante ans et de la politique en matière de développement économique. Le projet de la Cité Internationale ne date pas d’hier ! Il a été lancé en 1983 et fini en  2006! C’est un exemple parmi plein d’autres !

 

A ce titre, vous nous avez parlé de la stratégie de spécialisation de Lyon, mais peu de la stratégie d’internationalisation de la métropole ?

Celle-ci fut particulièrement le fait de l'Aderly sous l'égide de Jean Chemain. J’évoquerais la politique des salons qui sont somme toute l’expression de la puissance économique d'une région. A la fin des années 70, un groupe de travail s’est constitué à la CCI pour travailler sur de nouveaux salons professionnels. A l’époque où la Foire Internationale commençait à s’essouffler, l’idée était de créer de nouveaux salons. Nous avons essayé de proposer un salon de l'ennoblissement textile et un salon consacré aux équipements des camions mais la sauce n’a pas pris. Nous avons alors décidé de changer la dimension du parc d’exposition en passant du site du quai Achille Lignon (12 ha) à Eurexpo-chassieu (70 ha). Cet investissement a constitué un enjeu de taille pour l’internationalisation de Lyon au travers de ses manifestations économiques. Un aussi grand espace d’exposition nécessitait des compétences de commercialisation qui n’allaient pas de soi à l’époque.

Aujourd’hui, des salons comme Pollutec ou le SIRHA figurent parmi les salons les mieux implantés à Lyon et contribuent à son rayonnement. Il est important de raisonner en terme de chaîne de valeur : pour qu’un secteur économique se développe sur un territoire, il faut qu’il dispose à la fois d’outils de création et d’innovation, d’outils de valorisation et d’outils de diffusion. A ce titre, c’est dans les biotechnologies que l’on observe à Lyon la réussite de ce modèle avec d’un côté, Lyonbiopôle, et de l’autre Biovision qui est le seul grand congrès scientifique avec un volet  économique récurrent sur Lyon.

 

Aujourd’hui, quels seraient les axes sur lesquels Lyon devrait en priorité se positionner pour poursuivre son développement ?

En dehors de la biotechnologie, je pense à la thématique de la sécurité et de l’environnement. L’attraction de manifestations en lien avec ces thématiques relève d’une vraie ingénierie et nécessite des compétences commerciales. Et puis, je pense également au thème des la connaissance et des savoirs auquel je crois beaucoup. Ce thème implique un changement de posture qui consiste à affirmer Lyon comme une place où l’on participe à la conception les choses, où l’on sait mobiliser de la matière grise pour réfléchir à la société de demain, "une ville de l'intelligence du monde " comme le dit si bien Jean-Michel Daclin. Une fois que la mobilisation des acteurs de la connaissance sera faîte, il faudra être capable de porter la voix sur la scène internationale !