La démocratie représentative traditionnelle est en crise, comme le souligne l’un des slogans scandé par les Indignés depuis 2011 : « Ils ne nous représentent pas ! ». Face à cela, de plus en plus de voix appellent à repenser les mécanismes délégataires, valeurs et pratiques du système politique et à expérimenter de nouvelles formes démocratiques, horizontales et égalitaires. Elisa Lewis et Romain Slitine se sont attachés à recenser ces initiatives dans un ouvrage très documenté dont le titre choc « Le Coup d’État citoyen » affirme que le changement viendra d’une prise du pouvoir par les citoyens et non d’une illusoire réforme du système de l’intérieur.
Certes la classe politique a formulé des propositions ces dernières années :septennat non renouvelable, introduction de la proportionnelle aux législatives, réduction du nombre de parlementaires, non cumul des mandats, parité, nouvelles règles de transparence etc.
Insuffisantes et non suivies d’effets, ces propositions ont surtout le tort d’être institutionnelles. Or « limiter la question démocratique française à la question institutionnelle, c’est l’appauvrir et, déjà, la confisquer – affaire de spécialistes, de professionnels, d’experts patentés » affirme Edwy Plenel.
Pour Elisa Lewis et Romain Slitine, le régime représentatif électif est dépassé car il n’offre aucune capacité d’intervention citoyenne réelle dans le débat public entre deux échéances électorales, soit tous les 5 ou 6 ans. Il est donc en décalage profond et totalement « sous-optimal » par rapport aux possibilités culturelles et technologiques d’information, de mobilisation et d’interaction du 21e siècle.
Activistes de la démocratie et acteurs de la civic tech
Pour imaginer des outils et mécanismes permettant de faire advenir une « démocratie continue »,des défricheurs ouvrent des pistes inédites, comme le collectif Démocratie ouverte ou le Forum mondial de la démocratie organisé par le Conseil de l’Europe. Ces activistes de la démocratie s’inscrivent dans la dynamique des modèles collaboratifs qui rendent obsolète la présence d’une autorité centrale. Ils multiplient les civic techs, projets numériques qui déploient de nouveaux outils pour accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique ou rendre le gouvernement plus transparent et collaboratif.Certains s’emploient à ouvrir les portes de la politique à tous (partis ou assemblées de citoyens) ou à associer les citoyens au processus législatif, voire à la réécriture de leur Constitution comme en Islande.Des réponses viennent également de territoires pionniers où s’inventent des utopies concrètes et où les habitants sont amenés à reprendre en main leur destinée. Les politiques de « démocratie participative » ont suscité un empilement des dispositifs d’association des citoyens aux décisions publiques locales : conseils de quartier, conseils citoyens, conseils de développement ou encore commission nationale de débat public.Mais là encore il s’agit d’une offre institutionnelle de participation octroyée par le haut, générant une « technocratie de la participation sans véritable vision politique ni remise en cause des rapports de force » estiment les auteurs.
Reprendre le pouvoir sur son territoire
En marge des ces dispositifs institutionnels, Le Coup d’État citoyen relève des initiatives intéressantes. Loos-en-Gohelle a mis en place une démarche de concertation et de coproduction systématique. Comités de pilotage, réunions publiques et questionnaires sont complétés par un espace collaboratif citoyen en ligne, une télé participative (Loos TV) et un service d’échange local (SEL).Le Budget participatif initié à Porto Alegre en 1980 et mis en place par Paris pour 5% du budget d’investissement de la capitale, suscite une implication concrète des citoyens. À Saillans, dans la Drôme, des citoyens ont remporté les élections municipales de 2014 et ont mis en œuvre trois principes : transparence et accès de tous à l’information, collégialité au sein de l’équipe municipale, participation des citoyens à la gestion de la commune via notamment des groupes action-projet.
Madrid a fait le pari du numérique pour gouverner autrement. Portés à la tête de la capitale espagnole par la plateforme d’unité populaire et citoyenne Ahora Madrid, l’ancienne juge Manuela Carmena et son équipe ont lancé un laboratoire de recherche et d’expérimentation DemIC (Intelligence collective pour la démocratie) et proposent une plateforme en ligne développée en open source. Cette plateforme est un véritable hub de l’engagement citoyen. On y trouve l’ensemble des données produites par l’administration madrilène, un budget participatif (60 M€ en 2016), un espace de débat ouvert à tous, des consultations régulières et un dispositif d’initiatives citoyennes. Les propositions qui recueillent sur le site le soutien d’au moins 2% de la population de plus de 16 ans doivent être soumises à référendum. En avril 2016, quelques mois après l’ouverture de la plateforme, 11 000 propositions citoyennes avaient été déposées, dont les plus populaires avaient recueilli 25 000 votes (par exemple la proposition d’un billet unique pour le transport public), nombre insuffisant mais jugé très encourageant. Progressivement, la Ville de Madrid construit une nouvelle ossature des relations de pouvoir qui s’appuie fortement sur le numérique et sur les liens horizontaux de con-citoyenneté et qui permet d’accroître le pouvoir d’agir directement des gens.
Parallèlement, des administrations locales ou nationales se dotent de « laboratoires d’innovation publique » pour stimuler des collaborations inédites avec la société civile. C’est le cas du Mindlab à Copenhague, de Laboratorio para la Ciudad à Mexico, du Laboratorio de Gobierno au Chili ou du Sharing Seoul Project à Séoul. Ces initiatives dessinent les contours de ce que la ville d’Amsterdam nomme Wikicity (3). « Il s’agit d’utiliser la ville comme un immense cerveau collectif qui mobilise les expertises d’usage, les savoirs, les idées et les représentations des habitants pour mieux réfléchir à la ville de demain » explique Zef Hemel, directeur adjoint du département planification d’Amsterdam.
Toutes ces initiatives posent in fine la question des biens communs et des formes de gouvernance associées à ces ressources pour permettre leur partage, leur préservation et leur renouvellement. « Les communs qui voient les citoyens en posture de contributeurs actifs, et non de consommateurs de politiques publiques, appellent à imaginer de nouvelles formes de gouvernance des territoires » estiment les auteurs du Coup d’État citoyen.
Pour en savoir plus
- Les 20 outils de civic tech à avoir dans sa boite à outils citoyenne, par Stephen Boucher
- Les civic techs au service d’une démocratie en danger, par Pierre-Alexandre Conte
- Site de Civic Techno
- Site de Wikicity