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L’hébergement social : variation autour des « ressources » des résidents

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Logo de l'association Main dans la Main, Saint Etienne
© Association Main dans la Main, Saint Etienne

Texte de David Grand

Le texte ici fait un état des lieux de l'hébergement social suite à une enquête auprès de plusieurs structures d’hébergement accueillant des personnes étiquetées « SDF », « sortants d’hôpitaux psychiatriques », « demandeurs d’asile ».

Dans ces espaces, on a relevé les nombreuses contraintes que ces personnes ont pu subir ainsi que des parcours bien souvent mouvementés.

Malgré ces « handicaps » on observe bien souvent qu'une dynamique collective  se met en place, capable d'imagination et de création. Cette dynamique prouve que ces résidents sont capables de ressources potentielles et il est nécessaire de retenir cette capacité comme postulat à toute prise en charge.

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Date : 30/11/2008

J’enquête actuellement1 dans plusieurs structures d’hébergement accueillant des personnes étiquetées « SDF », « sortants d’hôpitaux psychiatriques », « demandeurs d’asile ». J’ai observé dans ces espaces les nombreuses contraintes qu’elles peuvent subir : le bâti précaire, le personnel intrusif, la cohabitation et ses épreuves (vol, violence, saleté). J’ai également découvert des parcours bien souvent mouvementés. Comme ce résident « enfant de la DDASS » qui, à trente ans, est toujours dans l’assistance. Cet autre, à peine plus âgé, ancien détenu et toxicomane. Ou encore un dernier qui, depuis plusieurs années, alterne entre domicile familial, hôpital psychiatrique et structure d’hébergement.

Pour autant, et c’est ce qui m’a davantage frappé, ils ont encore et toujours de la « ressource ». Quelques exemples pour illustrer cela. Dans une structure d’hébergement d’urgence, des résidents nettoient d’eux-mêmes les espaces les plus privatifs. Ils décorent en mettant des affiches. Certains posent un tapis devant leur lit ou installent des petites radios. Alors qu’a priori le lieu est loin de s’y prêter. Dans plusieurs structures (et tout particulièrement celles qui sont de petite taille), j’ai noté les liens entre les résidents. Comme entre « voisins », ils se saluent. Ils se rendent des services. Ils se refilent leurs « adresses » (les personnes susceptibles de les aider au mieux). Ils peuvent aller au-delà. Des résidents veillent réciproquement à leurs affaires pour ne pas se faire voler. Quelques-uns organisent même des soirées. Ils fêtent leurs anniversaires. Ces événements sont ordinaires pour tout un chacun. Mais ils ne le sont pas pour les résidents. Privés depuis longtemps parfois, ils les ont redécouverts avec émotions : « ça fait du bien de revivre ces choses là. Vraiment. Ça faisait trop longtemps. Avec l’hôpital et la rue, j’avais presque oublié… ».

Quelquefois les résidents deviennent quasiment des intervenants. Ainsi ceux qui volontairement accueillent les nouveaux résidents : ils leur servent à boire (un café, un thé). Ils leur font faire le tour des lieux. Ils leur expliquent le fonctionnement de la structure. Les résidents qui sont devenus des « bons voisins » ou des « amis » se soucient particulièrement les uns des autres. C’est le cas d’un premier résident qui s’inquiète car son « voisin est enfermé depuis un peu trop longtemps dans sa chambre ». De même un second résident suggère à un autre (très souvent alcoolisé) de ne pas aller boire dehors seul et d’attendre un peu le repas où ils pourront prendre un verre ensemble.

Les résidents peuvent aller plus loin dans la dynamique collective. Ainsi l’association Main dans la Main2 . Suite à un squat, des manifestations, des discussions avec les pouvoirs publics, un petit groupe de SDF soutenu par des sympathisants va créer sa propre structure d’hébergement. En quelque sorte une structure « par » et « pour » les SDF (sans travailleurs sociaux). En réaction aux autres structures, elle proposera un accueil inconditionnel. Assez rapidement elle va mettre en place des activités comme les déménagements sociaux ou la récupération et la revente de meubles, de vêtements, de bibelots dans une boutique, etc. Le cadre construit par les résidents est essentiel. D’après l’un d’eux, il a notamment permis de « reprendre des habitudes, d’avoir des responsabilités, de rencontrer des gens différents, de se sentir utile ». Quoi de plus important après avoir tant douté de soi et comme disparu aux yeux d’autrui ?

Ces quelques éléments de terrain montrent bien que les résidents des structures d’hébergement ne sont pas sans ressource. On ne peut les caractériser seulement par le négatif. Ils ne font pas que subir des contraintes et obéir à des ordres. Ils sont aussi des acteurs. Ils ont à offrir individuellement et collectivement. Cette perspective semble de plus en plus partagée. Dans de nombreuses structures, les « résidents » ne sont plus écartés et relégués à l’arrière plan. Ils sont invités à « participer ». Non sans ambiguïtés parfois. Ils sont également entendus. Discrètement, ils apparaissent dans des groupes de travail ou des colloques. Ils sont interviewés par des journalistes, des sociologues. Parfois ils prennent eux-mêmes la plume et ils racontent leur récit à l’aide d’un tiers3 . Ils peuvent même créer leur propre association comme nous l’avons vu. Que de chemin parcouru depuis les asiles de nuit où les personnes sans domicile étaient entièrement prises en charge ! Le personnel aurait-il pu imaginer que les personnes sans domicile fassent sans lui ? Où même que certaines se mettent même à écrire leurs « mémoires » ?

« SDF », « demandeurs d’asile », « sortants d’hôpitaux psychiatriques », « Rmistes » etc., tous ont de la ressource. Sans doute faut-il redire à quel point ce postulat de départ est important. L’adopter, c’est d’emblée considérer l’autre comme un alter ego et ne pas le reléguer en dehors de l’humanité. C’est également ouvrir de nouveaux possibles et, par là même, défier des logiques déterministes selon lesquelles tout est joué. Pour autant il ne s’agit pas de nier les difficultés. On connaît les contraintes dans lesquelles sont pris les travailleurs sociaux (procédures, projets, partenariats). On sait également combien, tout spécialement avec les plus fragiles, il n’est pas évident de mettre en lumière ces ressources. Sans compter que la « sortie »4 est une affaire incertaine. Ce qui ne signifie pas impossible ainsi qu’en témoigne justement ce résident « schizophrène » : « avant j’étais à l’hôpital. Puis je suis venu ici… j’ai fait une rechute. Avec le temps j’ai bien récupéré. Maintenant ça va. Mais je suis pas guéri. Je dois prendre des médicaments. Sinon je rechute (...) Quand je serai dans mon nouveau logement, il va falloir que je trouve un travail ou une activité. La peinture, ça me plait bien. En même temps, je suis pas sûr. Je vais voir. En tous cas je sais que ma guérison passera aussi par ça ».

 

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Thèse d’anthropologie en cours sur « l’habiter précaire ».
2 Association créée en 1997à Saint-Étienne.
3 Ainsi Yves Leroux et Danie Lederman, 1999, Le cachalot. Mémoires d’un SDF, J’ai lu. Ou encore Pascale Pichon et Thierry Torche, 2007, S’en sortir. Accompagnement sociologique à l’autobiographie d’un ancien sans domicile fixe, Presses Universitaires de Saint-Étienne. Il faut noter que l’association Main dans la Main a également relaté sa propre expérience : Hervé Pepin et Gérard Proton, 2001, Nous voulons être utiles ! Ce château planté sur les nuages, Actes Graphiques.
4 Concernant la « sortie », outre l’ouvrage précédemment cité de Pascale Pichon et Thierry Torche, il est conseillé de se reporter à la référence suivante : Pascale Pichon, 2003, Sortir de la rue : discontinuités biographiques et mobilisation des ressources extrait de Les SDF : Représentations, Trajectoires et Politiques Publiques, Plan Urbanisme Construction et Architecture, Ministère de l'Equipement, des Transports, du logement du Tourisme et de la Mer.