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Le Plan lumière à Lyon

Interview de Vincent LAGANIER

<< Pourquoi ne pas éteindre le soir du 8 décembre les illuminations pérennes et événementielles pour redonner plus de sens à l'événement ? >>.

Vincent Laganier est architecte éclairagiste, webmaster et vice-président de l’A.F.E. Rhône-Alpes (Association Française de l’Eclairage). Il fait le point sur la filière lumière et nous livre son approche de l’expérience lyonnaise.

  • les disciplines et les nouveaux métiers liés la lumière.
  • Lyon et le plan Lumière.
  • la place du 8 décembre comme élément du Plan Lumière
  • l'éventualité de trouver un autre type d'événement de niveau international.

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Date : 01/11/2003

Vincent Laganier, vous êtes architecte éclairagiste. Qu'est-ce qui vous différencie d'un concepteur lumière ?
Les professionnels de la lumière utilisent aujourd'hui un vocable très varié, principalement en fonction de leur parcours personnel. Architecte, c'est ma formation. Je suis diplômé de l'École d'Architecture de Nantes Atlantique. Éclairagiste, c'est mon activité professionnelle propre. Je suis conseiller en éclairage urbain au sein du Lighting Design and Application Centre (LIDAC) chez Philips Lighting située à proximité de Lyon1.

Dans mon livre à paraître en décembre prochain2, j'explique l'origine du terme éclairagiste, son évolution terminologique, la traduction en français du mot anglais « Lighting designer » vers la fin des années 80, à l'origine de votre question. Aujourd'hui, le mot concepteur lumière est accepté par l'ensemble des métiers de l'éclairage pour signifier clairement l'exercice libéral de cette profession : le créateur de la lumière pérenne. L’éclairagiste scénique Allemand Max Keller parle des « styliciens de la lumière ».

Pouvez-vous faire un tour d'horizon sur ces disciplines et métiers nouveaux liés à la lumière ?
Parmi les 43 principaux auteurs des réalisations lumière de ces quinze dernières années du XXe siècle mises en exergue dans mon livre, je ne dénombre pas moins de 17 appellations différentes ! En bref, sur le territoire français, il y a trois types de créateurs en matière de lumière : les artistes, les concepteurs et les directeurs artistiques.
Les artistes lumière se définissent comme : plasticiens (Yann Kersalé, Philippe Mouillon), sculpteurs (Keiichi Tahara, Jean-Pierre Charierre), visuels (comme Nathalie Junod-Ponsard qui a notamment réalisé l'installation « Deep Water » dans la piscine Pontoise à Paris dans le Ve arrondissement pour « Nuit blanche 2001 »). Il y a aussi les artistes scénographes réalisateurs (Gérard Le Mouël, Jean-Michel Quesne, Hélène Richard). Ce sont eux qui ont créé la superbe performance d'images géantes projetées place des Terreaux à Lyon pour la Fête des Lumières 2002.
Les concepteurs lumière et éclairagistes sont fédérés en association au niveau national (ACE)3, européen (ELDA)4 et sur le continent américain (IALD)5. Parmi l'ACE, on trouve des généralistes en éclairage qui pratiquent aussi bien la planification lumière urbaine que le projet lumière en architecture (Louis Clair, Laurent Fachard, Roger Narboni, Michel Pierroni, etc.). D'autres ont plus de références dans un domaine précis : l'architecture contemporaine (Philippe Hutinet), le patrimoine (Alain Guilhot), le musée (Georges Berne), les parcours lumière (Vladimir Lyszcznski), les lieux de cultes (Pierre Nègre), etc.
Les directeurs artistiques lumière sont une véritable interface pour le développement de la profession, soit dans le public (Vincent Valère à Monum, Josy Bibes Froment à la Ville de Bordeaux), soit dans le privé (Nathalie Gouraud chez ETDE, Tracy Eck à Disneyland Paris), soit à la demande (Roger Narboni), soit de manière permanente (Jean-François Arnaud). Je viens d'interviewer ces six professionnels français pour la revue Professional Lighting Design (PLD) sous forme d’un article de synthèse de ce nouveau métier6

A l'échelle de la ville de Lyon, quelles ont été vos interventions pour la Fête des lumières ?
J'ai participé à la mise en lumière du Lycée Ampère et de sa passerelle pour la Fête des lumières 2000, avec le lighting designer Duilio Passariello. C'était un hommage à l'inventeur lyonnais de l'électromagnétisme qui donna son nom au symbole de l'intensité électrique. Telle une scénographie, la lumière mettait en scène des fenêtres par un éclairage intérieur bleu et des étincelles blanches tandis que les garde-corps de la passerelle accueillaient, par un dégradé, du blanc et du bleu.
En 2002, à la demande de Roger Narboni, commissaire général des Rencontres de la lumière de la Fête des lumières, j’ai coordonné les 1ères Assises de l’écologie de la lumière organisées par l’AFE - centre régional Rhône-Alpes sur une demi-journée. Pour un éclairage urbain de qualité, le but était de dresser un petit état des lieux et d’examiner quelques nouvelles perspectives7.

Lyon est une des premières villes européennes à avoir expérimenté un Plan lumière. A 15 ans d’intervalle, a-t-elle encore une longueur d'avance ?
L'exception française dans le domaine de la conception lumière le prouve encore. Cependant, aujourd'hui la ville n'investit plus que dans de l'événementiel autour du 8 décembre. Pourtant, les habitants de Lyon sont aussi attirés par les mises en lumière architecturales, comme celle des espaces publics, qui ont fait la réputation de la Ville depuis le plan lumière réalisé à partir de 1989 et visible tous les soirs de l'année. Ces ambiances sont bien plus importantes pour les citoyens dans leur vie quotidienne qu'un événement ponctuel, aussi important soit-il. Ainsi, l'urbanisme lumière ne doit pas être quelque chose de « figé ». La ville évolue, les mentalités aussi. Ce qui était nouveau en 1990, fait aujourd'hui partie du paysage urbain. La pratique des mises en lumière en France a changé, les techniques également. Il ne faudrait pas que la ville devienne un musée de la lumière où tout héritage du plan lumière doit être mis sous cloche ! L’espace urbain, ouvert à un large public, doit-il être condamné à exclure toutes autres innovations, tous tests grandeur nature pour éclairer la ville aujourd’hui ? Par exemple, la Basilique de Fourvière comme l'Hôtel Dieu sont illuminés toujours de la même manière tandis que le quartier de la Part Dieu, lui, prend des couleurs.

Le Plan Lumière de la Part-Dieu coïncidait-il avec l’expérimentation de mise en lumière de l'Hôtel de Communauté du Grand Lyon ?
Dès l'inauguration en 1976 de l’Hôtel de la Communauté Urbaine, appelé aujourd’hui « Le Grand Lyon », un éclairage fluorescent ceinturait chacun des cinq étages, laissant surtout à penser que l'on avait simplement oublié d'éteindre les bureaux la nuit. C'est donc en 1999, lors de la première édition du Festival Lyon Lumières qui inaugurait aussi le plan lumière du quartier de la Part-Dieu, qu’une mise en lumière contemporaine a été réalisée par Michel Paulet. Elle utilise les quatre couleurs du logo du Grand Lyon8- bleu, jaune, rouge et vert - sur les façades et les toitures de l'édifice. L'intervention éphémère de mise en couleur est devenue pérenne à l’issue du premier festival. Les habitants du quartier avaient demandé à ce que l’illumination continue. Depuis, chaque soir, le bâtiment brille de mille feux.

Dans un article de PLD9 en décembre 2002, vous souleviez la question du déplacement de événement lumières de Lyon dans le calendrier. Êtes-vous « pro » ou « anti » 8 décembre ?
Le 8 décembre, c'est une tradition lyonnaise qui a eu, l'an dernier, 150 ans d'âge. La tradition doit savoir s'entretenir, mais aussi évoluer. C'est ce que Philippe Dujardin et Pierre-Yves Saunier ont démontré dans leur rétrospective « Lumière sur le huit »10. La fête a toujours été récupérée par différents groupes de la société : au départ les religieux, puis les commerçants, enfin par les politiques. Je suis très critique dans la dilution de la pratique qui consiste à mettre des petites bougies aux fenêtres le soir du 8 décembre et, ensuite, aller se promener, en masse, dans la rue. Aujourd'hui, seul le deuxième phénomène fonctionne encore, et trop bien : la presqu'île de Lyon est impraticable le soir même. Pourtant, au-delà de ses origines, c’est la magie de cette nuit particulière qui réside en plein hiver. Voir la ville illuminée par de petits lumignons, c'est une scénographie urbaine à l'échelle monumentale qui n'a pas d'équivalent, à ma connaissance, en Europe. C'est l'essence même de la fête autrefois appelée « fête des illuminations ». Alors pourquoi toujours vouloir en faire plus, rajouter des mises en lumière événementielles sur 4 jours alors que, Lyon, ville lumière, a cette chance, cette tradition, de faire accéder l'art à tous alors que par exemple, la capitale essaie de créer un nouveau type d’événement nocturne le premier week-end d'octobre ? Pourquoi ne pas éteindre le soir du 8 décembre les illuminations pérennes et événementielles pour redonner plus de sens à l’événement ? Outre l’économie de moyens, cela permettrait de se concentrer sur un travail plus social à travers les lumignons.

Quelle vision portez-vous aujourd'hui sur la question ?
Mon article dans PLD11 concernait le Festival Lyon Lumières créé en 1999 autour du 8 décembre et des éditions 2000 et 2001. L'avant dernière phrase de celui-ci concernait uniquement le Festival sur quatre jours. C'était une réflexion sincère pour ouvrir le débat sur le sens et l'avenir de la fête lyonnaise après son 150anniversaire. Pour conduire à un véritable renouveau de la ville en la matière, pourquoi ne pas avoir une date autre que celle de la fête des lumières du 8 décembre pour organiser un festival des lumières ? Par exemple, une biennale, comme les événements d’Art Contemporain ou autour de la Danse qui ont fait la réputation culturelle de Lyon sur le plan international. La lumière est une discipline spécifique au carrefour de l’art et de la technique. Je pense qu’une quadriennale, par exemple comme à Prague sur la scénographie, serait sans doute plus appropriée. Cet événement, situé autour de l’équinoxe de printemps, compte tenu de sa durée de maturation et d’organisation, permettrait de recueillir un plus large financement. Le Club des partenaires de la Fête des lumières mis en place l’an dernier par la Ville en est une première étape, mais qui risque de s’épuiser à force de répétition annuelle. Le salon LumiVille sur l’éclairage urbain de demain est aussi un atout pour la métropole qui touche directement les thèmes du festival : écologie de la lumière, éclairage architectural. Il devrait pouvoir s’inscrire en parallèle d’une programmation de Rencontres de la lumière, non plus au Palais Saint-Pierre mais à la Cité Internationale de Lyon. Enfin, une organisation autonome serait ici nécessaire, comme un étalement des réalisations lumière sur une période plus longue, peut-être avec des mises en lumière non simultanées.
Un événement européen à l’échelle véritablement internationale !

1 Le service du LIDAC, Lighting Design and Application Center, conduit 3 types d’activités :
- études d’application d’éclairage en Europe,
- spécifications pour le développement de nouveaux produits,
- enseignement en interne/externe de la lumière.
2 Vincent Laganier, Lumières architecturales en France 1985-2000, Editions AS, Paris, déc. 2003, 304 p.. L’ouvrage présente le bilan de la pratique de 15 ans d’éclairage en architecture à travers 70 projets, dont 21 projets significatifs réalisés à Lyon. Consulter le site de l’éditeur : www.as-editions.fr

3 ACE : Association des Concepteurs lumière et des Eclairagistes.

4 ELDA : European Lighting Designers' Association.

5 IALD : International Association of Lighting Designers.

6 Vincent Laganier, Direction artistique lumière, un nouveau métier pour les concepteurs, PLD n°33, oct. 2003, pp. 32-39.

7 1ères Assises de l’écologie de la lumière organisée par l’AFE Rhône Alpes le 6 décembre 2002. 

8 Avec un changement du logo du Grand Lyon, effectué en 2003, les quatre couleurs initiales ont été remplacées par du rouge et du noir.

9 Vincent Laganier, Des illuminations éphémères… aux lumières pérennes, Festival Lyon Lumières 1999-2001 ”, N° Spécial, décembre 2002, p. 42-49.

10 Philippe Dujardin et Philippe Saunier, Lumière sur le huit, une lecture historique de la fête des lumières à Lyon, Ville de Lyon, déc. 2002.

11 Op. cit.