Intercommunalité et projets de territoire : quelques chiffres clés
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En infographie, la synthèse d’une étude de Assemblée des Communautés de France (AdCF) publiée en 2020, à laquelle ont participé 150 intercommunalités.
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En élaborant les lois de décentralisation au début des années 1980, le législateur avait eu à cœur de définir précisément les rôles de chaque collectivité locale. Mais ce découpage par « blocs de compétences » a très vite montré ses limites. À la fin des années 1990, le Président de l'Assemblée des districts et communautés de France résumait ces inconvénients en déclarant devant le Sénat qu’il était, selon lui, « illusoire de délimiter des frontières nettes dans la mesure où l'aménagement du territoire, l'organisation de l'espace, la lutte contre l'exclusion et l'intervention économique [sont] par nature des domaines à responsabilités partagées ». Se faisant l’écho de nombreux praticiens et élus locaux, Marc Censi estimait alors qu’il était urgent d’assouplir cet assemblage de blocs en améliorant « l'organisation des relations, notamment contractuelles, entre différents partenaires ».
C’est en partie pour répondre à cette demande que la notion de projet de territoire s’est progressivement imposée au cours des décennies suivantes. Il s’agissait de passer d’un mode de gestion en silo de compétences, peu adapté à la vie des territoires, à un fonctionnement transversal inspiré des démarches de gestion de projet, en cherchant à articuler au mieux les prérogatives de chacun autour d’une vision partagée du territoire et de son avenir.
Même si le vocable peut paraître assez contemporain, le projet de territoire n’est pas pour autant un concept nouveau. On retrouve déjà cette idée en germe dans les documents d’urbanisme intercommunaux, qui nécessitent de formuler une vision partagée d’un territoire à l’horizon de plusieurs décennies. Ceci étant dit, même intercommunale, la planification urbaine reste une politique thématique et réglementaire, là où l’idée de projet de territoire se veut davantage transversale et partenariale.
S’il faut trouver une parenté lointaine aux projets de territoires actuels, c’est peut-être du côté des Parcs naturels régionaux qu’il faudrait aller la chercher. Initiés à la fin des années 1960, les PNR réunissent en effet plusieurs ingrédients des projets de territoire : ils associent des collectivités de différents niveaux autour d’un territoire à forte identité, dans le but d’élaborer de manière collégiale, et avec une forte implication de la société civile, un projet de territoire qui prend la forme d’une charte, qui sera elle-même déclinée en un plan d’actions.
Le succès des PNR a indubitablement inspiré la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT) votée en 1999. Cette dernière incite les collectivités à se réunir autour d’un territoire qui ne correspond pas forcément aux intercommunalités d’alors : le pays (en milieu rural) ou l’agglomération (en milieu urbain). Les collectivités réunies autour de ce territoire sont alors invitées à définir de manière concertée un projet de développement durable commun, prenant la forme d’une charte. La loi précise également les moyens de la concertation à mettre en œuvre, en instituant les Conseils de développement, qui visent à associer largement la société civile dans l’élaboration du projet.
Enfin, la loi prévoit une contribution financière aux projets de territoire à travers une contractualisation entre l’État et les Régions, renégociée au niveau local par le biais des projets de territoire – c’est à dire les chartes de pays ou d’agglomération. Dans l’esprit de la loi, les chartes devenaient ainsi un élément clé de la contractualisation entre l’État, les Régions et, enfin, ces nouveaux territoires de projet qu’étaient les agglomérations et les pays.
L’idée de contractualisation (entre collectivités membres, mais aussi avec l’État et les Régions) était donc très présente à l’origine des projets de territoire. En effet, à la fin des années 1990, l’objectif du législateur était clairement d’inviter les collectivités locales à dépasser leurs frontières et leurs compétences propres, pour passer d’une logique de guichet à une logique de projet.
Dans les années 2000-2010, et plus encore après le vote de la loi portant sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République (dite loi NOTRe), l’usage des projets de territoire va progressivement changer. À cette date, la loi NOTRe va obliger les communes à ajuster les frontières des intercommunalités pour les faire correspondre aux bassins de vie. Les périmètres des anciens territoires de projets de la LOADDT vont dès lors se superposer à peu de chose près avec ceux des nouvelles intercommunalités issues de la loi NOTRe. À partir de cette date, les projets de territoire vont de plus en plus être initiés et portés par les intercommunalités.
Même si aucun texte n’oblige les collectivités à engager un projet de territoire, les enquêtes menées par l’AdCF (l’association qui représente les Intercommunalités de France) montrent qu’environ deux tiers des structures intercommunales avaient engagé un projet de territoire en 2020. Ce pourcentage est plus élevé (80 %) dans les agglomérations. Et parmi les intercommunalités qui n’ont pas engagé une telle démarche, bien souvent faute de moyens et d’ingénierie suffisants, beaucoup sont toutefois impliquées dans un processus assez similaire (charte de PNR ou pays, par exemple).
Le code général des collectivités territoriales utilise différents termes pour désigner le projet de territoire, dont il ne prévoit pas une formalisation obligatoire. Ne faisant pas l’objet d’une définition juridique précise, le projet de territoire reste donc un outil volontaire, qui peut être saisi de différentes manières par les collectivités et prendre de ce fait des formes variées.
Cette grande liberté n’empêche pas une progressive harmonisation des méthodes utilisées pour élaborer les projets. L’enquête de l’AdCF montre que presque toutes les démarches s’appuient sur la réalisation d’un diagnostic – parfois propre au projet de territoire, parfois élaboré à l’occasion d’un autre document de planification.
Cet état des lieux est ensuite mis en débat afin de faire émerger les enjeux prioritaires du territoire : développement économique, tourisme, transition énergétique ou écologique, valorisation de la trame paysagère, etc. C’est à ce moment que la concertation avec les acteurs du territoire s’organise, afin de faire interagir les points de vue et les idées des élus et des techniciens avec ceux des parties prenantes : communes, acteurs socio-économiques, associations et parfois même citoyens.
Le plus souvent, ce travail amène à la rédaction d’un projet de territoire qui se présente sous la forme d’une stratégie, c’est-à-dire une vision commune de l’avenir du territoire déclinée en un certain nombre d’enjeux prioritaires. Dans plus de 80 % des cas, cette stratégie est déclinée en un plan d’action, présentant des échéances prévues de réalisation des projets, les budgets alloués, les partenaires mobilisés et, parfois, les indicateurs permettant de suivre et d’évaluer le projet de territoire.
Les contrats de territoire : des formes assez variées (AdCF, 2020)
Si la méthode utilisée est souvent la même, les projets de territoires n’en sont pas pour autant homogènes. En l’absence d’obligation formelle, chaque collectivité volontaire peut avoir des raisons très différentes d’entamer un tel processus. Après la loi NOTRe, beaucoup d’intercommunalités nouvellement formées se sont saisies du projet de territoire pour construire une dynamique collective entre les nouveaux élus, ou pour positionner la structure auprès des autres acteurs institutionnels (communes membres, département, région). Pour certains, le projet de territoire est l’occasion de réaliser un exercice prospectif dépassant les temporalités des élections et les compétences de la collectivité, tandis que d’autres y voient l’opportunité de construire un plan de mandat à court terme.
En analysant différents projets de territoires, la Métropole de Grenoble a par exemple mis en évidence trois catégories de démarches assez distinctes :
La finalité du projet de territoire détermine en grande partie la profondeur de la concertation réalisée. Lorsque le projet est centré sur les compétences des collectivités et la durée du mandat, l’association des acteurs du territoire est souvent superficielle. Au contraire, lorsque la visée est plus lointaine et stratégique, le projet est davantage partagé. Au-delà des partenaires institutionnels, ce sont alors les acteurs économiques et les associations qui sont mobilisées à différentes étapes de la construction du projet. Lorsqu’un Conseil de développement existe – ce qui est davantage le cas en milieu urbain – il sert généralement de support à la concertation.
Le Cerema a identifié 7 méthodes participatives pour élaborer les projets de territoire (Cerema, 2021)
La mobilisation des habitants semble en revanche plus difficile. Dans l’enquête de l’AdCF, il apparaît que 42 % seulement des intercommunalités déclarant avoir réalisé un projet de territoire ont associé les habitants – que ce soit par le biais de réunions publiques, d’ateliers ou encore d’enquêtes. Et dans la plupart des cas, la démarche n’a pas été un franc succès, de l’aveu même des collectivités. Le plus souvent, cette déception est mise sur le compte d’une mobilisation qui ne s’est pas avérée à la hauteur des espérances. La faible reconnaissance des intercommunalités par les citoyens n’est sans doute pas étrangère à ce résultat.
Au final, il semble que les projets de territoire soient devenus au fil du temps des outils majoritairement dédiés aux intercommunalités, en particulier après la loi NOTRe. Cette évolution présente toutefois un risque, évoqué dès 2014 par Gilles Rey-Giraud, qui rappelait alors que les pays avaient été « créés par la loi en tant que territoires de projet : l’élaboration d’une stratégie de développement territorial est donc leur vocation première ». Gilles Rey-Giraud avouait alors sa crainte « que l’élargissement récent ou futur des périmètres d’un nombre important de communautés [soit] un frein à l’élaboration d’un projet territorial, la préoccupation première revenant à des questions d’harmonisation des compétences et de gestion des ressources humaines » (Rey-Giraud, 2014, p. 12).
L’enquête menée en 2020 par l’AdCF confirme pour partie cette crainte : il semble bien qu’en adoptant un projet de territoire à l’échelle de leurs frontières administratives, les intercommunalités aient souvent eu tendance à se recentrer sur leurs compétences et leurs moyens. Cela semble particulièrement vrai lors de la phase qui permet de passer de la stratégie de territoire au plan d’action, durant laquelle les intercommunalités ont naturellement tendance à se focaliser sur leurs compétences propres… quitte à reléguer au second plan la dimension partenariale et multi-compétences qui était pourtant le cœur du projet de territoire à son origine. Dans ce cas, il arrive que le « projet de territoire » se soit paradoxalement substitué au « territoire de projets ».
Cette conclusion mériterait sans doute d’être confirmée par des enquêtes plus précises. Il existe d’ailleurs de nombreux exemples de territoires qui ont su échapper à cette tentation du repli sur leurs compétences propres, pour continuer à faire vivre un territoire de projets débordant des frontières administratives. On pense, par exemple, aux collectivités réunies autour du projet de développement durable Biovallée, dans le département de la Drôme.
C’est en tout cas ce genre d’expérience qui a inspiré la mission d’information parlementaire sur la préparation d’une nouvelle étape de la décentralisation. Pour ses auteurs, « il s'agit de passer d'une logique de compétences à une logique de projet et faire passer le projet avant les réalités institutionnelles ». Reste à savoir si l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), créée à cette fin, parviendra à mieux activer cette dynamique, en particulier en dehors des métropoles, où le besoin de coopération semble le plus évident.
Pour aller plus loin, quelques références bibliographiques :
Article
En infographie, la synthèse d’une étude de Assemblée des Communautés de France (AdCF) publiée en 2020, à laquelle ont participé 150 intercommunalités.
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