Mobilité : « Quelle place et quels usages de la voiture dans la métropole de Lyon ? »
Étude
La place de la voiture mérite d’être requestionnée à l’aune de ces préoccupations et des besoins de mobilité.
Interview de Florence LARCHER
<< Traiter les modes doux de déplacements, c’est traiter l’espace public >>.
Florence Larcher est chef de projet « circulations douces » - Service espace public du Grand Lyon, depuis mai 2003. Sa mission consiste à piloter des actions de développement des modes doux de déplacements sur le territoire de l’agglomération. Elle explique comment le Grand Lyon entend, grâce à des aménagements et des services spécifiques, agit en faveur des piétons et des cyclistes.
Comment se positionne le projet des modes doux de déplacements parmi les autres compétences du Grand Lyon ?
Ma mission est transversale, en ce qu’elle concerne la voirie, l’écologie urbaine, l’urbanisme… Le dénominateur commun de ces différents domaines, c’est bien l’espace public. Traiter des modes doux, c’est traiter l’espace public. C’est installer les piétons, les vélos, les rollers, etc., sur l’espace public. Enun mot, c’est donner une place aux modes doux dans l’espace public.
Comment inscrit-on les modes doux de déplacements sur le territoire de l’agglomération ?
Dans la manière de développer et d’organiser les circulations douces, tout l’enjeu consiste à transformer des conducteurs de voitures, en marcheurs ou en cyclistes. Pour cela, il faut au moins un réseau modes doux continu, sécurisé et agréable à la fois… mais c’est le gabarit de l’axe à aménager qui détermine l’espace que l’on peut au final réserver aux piétons et aux cyclistes. Car l’obstacle principal à l’installation des modes doux, c’est l’espace occupé en surface par l’automobile : voies de circulation et places de stationnement. D’où la nécessité d’inscrire les modes doux en amont des grands projets d’aménagement urbain touchant à la voirie, comme le tramway. En les prenant en compte à l’occasion d’un nouvel aménagement, dès sa conception, on est assuré de ménager une place à la circulation pédestre et cyclable. C’est d’ailleurs le cas des lignes de tramway Lea et Lesly* dont l’aménagement s’accompagne de la création d’une piste cyclable. Ce sont ce qu’on appelle des « axes forts sécurisés » où piétons et cyclistes disposent de leur propre espace de circulation, séparé du flux automobile. D’autres lignes fortes seront ainsi équipées à horizon 2004 : entre la Part-Dieu et la Presqu’île ; des Terreaux au Confluent en passant par Perrache ; de Vaise aux Terreaux en longeant la rive droite de la Saône. Pour 2006, on prévoit une liaison Lyon 6ème/ Villeurbanne (Gratte-Ciel), une autre Parc de la Tête d’Or / Part-Dieu, une autre encore Parc de la Tête d’Or / Parc de Gerland par la rive gauche du Rhône. Les berges du Rhône sont d’ailleurs le projet phare du mandat : la taille de l’aménagement fait que cet axe nord-sud privilégiant les déplacements à pied, à vélo, en rollers, peut véritablement drainer la ville. Outre ces « axes forts sécurisés », le développement des modes douxs’appuie aussi sur des axes secondaires, plus calmes : des contresens pour vélos dans les rues à sens unique, par exemple, très pratiques pour un cycliste qui cherche à relier deux points par un itinéraire aussi direct que possible.
Comment, sur un même axe, partage-t-on l’espace public entre les différents modes de déplacements ?
Le principe que l’on défend aujourd’hui est de séparer les modes plutôt que de les mixer, à l’exemple de la rue de la Part-Dieu où l’on a une voie pour les automobiles, une ligne de stationnement, une voie cyclable, un trottoir. Le mélange des circulations piétonnes et cyclistes fonctionne difficilement : dans la rue du Docteur Bouchut, par exemple, les piétons marchent sur la bande cyclable peinte sur le trottoir – et les conflits piétons-cyclistes sont fréquents ! On s’oriente donc davantage vers une séparation marquée des flux, avec des bandes plantées entre le trottoir et la chaussée, des dénivelés entre les différentes voies circulées (un niveau intermédiaire pour les vélos, entre le trottoir réservé aux piétons et la chaussée réservée aux voitures), des pistes cyclables plutôt que des bandes cyclables… Le long des quais de Saône, pour l’« axe fort sécurisé » Vaise / Terreaux, il est prévu un trottoir côté façade et une piste cyclable côté rivière. Globalement, cette séparation des flux nécessite de l’espace. La ville de Copenhague est un modèle difficile à suivre.
Qu’est-ce qui a changé dans la manière de concevoir la place du piéton et celle du cycliste dans la ville ?
Au cours des années 1970, c’est dans les vieux centres que l’on a organisé des rues piétonnes, en supprimant les trottoirs. En revanche, dans la ville moderne avec ses plateaux suspendus et ses flux automobiles canalisés en-dessous par des trémies, les déplacements piétons étaient compliqués et la pratique du vélo, complètement éliminée. Mais l’urbanisme est revenu à la rue, en calmant la circulation. Depuis les années 1990, on parle de « rues circulées », où le stationnement automobile est limité (si ce n’est supprimé) et les différents flux de circulation placés dans le même plan – c’est-àdire qu’il n’y a plus de trottoirs et que l’espace réservé aux piétons est au même niveau que la chaussée, la séparation entre les deux étant marquée par des potelets ou un traitement du sol différent. Cette mixité est intéressante en terme d’urbanité, de « vivre ensemble ». La place des Terreaux est un bon exemple de « place circulée », contrairement à la place Bellecour. La rue Emile Zola pourrait être une rue circulée. Mais à Lyon, on opte plutôt pour les zones 30, sans toucher au stationnement de surface - ce qui permettrait pourtant de dégager de l’espace. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la place des Jacobins où l’on circule lentement mais où l’on stationne beaucoup : l’automobile, très envahissante, la rend invisible.
Peut-on qualifier la demande sociale en modes doux ?
On ne développe pas les modes doux pour faire du social ; c’est plutôt le rôle des transports en commun. Une cible essentielle des modes doux, ce sont les cadres âgés entre 30 et 45 ans, et les pendulaires, car finalement, les rues bondées, c’est seulement entre 8H et 9H, 17H et 19H. Or le dimensionnement des rues et des carrefours est calé sur ces heures de pointe. La rue Constantine, par exemple, ce sont 8000 voitures en heures pleines et 500 en heures creuses. Il faut donc agir sur les pendulaires en proposant plusieurs solutions permettant l’intermodalité, comme les parkings relais, et accepter aussi qu’il y ait des temps d’attente aux carrefours ! Il est possible de prendre de l’espace à l’automobile, à l’image du réaménagement de la montée des Soldats où l’on a remplacé deux voies automobiles par une voie de bus. On peut aussi empêcher les pendulaires d’emprunter les rues secondaires et de traverser ainsi les quartiers quand les grands axes (les boulevards, les avenues…) sont encombrés, en installant des sens uniques en quinconce – cependant, cela complique aussi les trajets des riverains… Mais le Plan de déplacements d’entreprise est un bon outil de gestion des déplacements liés au travail. Le Grand Lyon souhaite d’ailleurs s’engager dans un PDE. Une enquête menée auprès de ses employés a montré que ceux qui seraient prêts à changer de moyen de transport pour venir à l’Hôtel de la Communauté, préféreraient venir à pied plutôt qu’en vélo parce qu’ils trouvent ce moyen trop dangereux… Notons que les étudiants sont aussi une cible particulière des modes doux.
Comment peut-on alors gagner davantage de marcheurs et de cyclistes ?
Il faut les choyer. Par rapport aux marcheurs, on peut compter sur des déplacements entièrement effectués à pied allant jusqu’à 2 km, mais il faut pour cela jouer non seulement sur la sécurité des parcours (avec des trottoirs larges de 1m40 au minimum), mais aussi sur la beauté de la ville. Il existe un beau centre-ville à Lyon - mais ce serait encore mieux si les quais n’étaient pas des autoroutes ! La beauté, c’est déjà celle des façades longées par le piéton. Et le relief introduit encore plus de diversité dans le paysage urbain. Il faut en fait proposer plusieurs itinéraires pour rejoindre le même point, car cela permet au piéton de choisir le trajet qui lui convient le mieux en fonction du jour, de la météo, etc. Le piéton marche… à l’efficacité mais aussi au plaisir ! Et puis marcher, c’est aussi… s’arrêter : l’espace public circulé par les piétons doit être ponctué d’éléments favorisant le repos, tels que des bancs et des arbres. Du côté des cyclistes, les « axes forts sécurisés » sont complétés par des services de location et d’entretien des vélos. Le Grand Lyon souhaite changer l’image du vélo, ce qui nécessite d’agir à grande échelle, en donnant aux gens la possibilité de louer des vélos (avec un système de carte à puce) à partir de « stations-vélos » réparties en grand nombre et de manière régulière sur l’agglomération - une station tous les 300 m par exemple. L’objectif visé est de 2000 vélos à la location en 2005 ; si cette proposition marche, on en ajoutera 2000 de plus en 2006. Le marché des « stations-vélos » intéresse pour l’instant les constructeurs d’abris bus.
* La réalisation de Lea (Ligne de l’Est Lyonnais) et de Lesly (Ligne Lyon – Saint-Exupéry) est à échéance 2006.
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