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Les apports de l'évaluation pour les territoires

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Michel Basset, Président de la Société Française d’Évaluation
Michel Basset, Président de la Société Française d’Évaluation

Texte d'auteur

« L’évaluation produit des effets profitables pour tous, du décideur au bénéficiaire »

Michel Basset est consultant, Maître de conférences associé à Sciences Po Lyon et Président de la Société Française de l’Évaluation (SFE). Dans ce texte, il revient sur la variété des formes d’évaluation en France et les effets qu’une évaluation peut produire, dans une administration et sur le territoire.

"Alors qu’il n’a jamais été aussi utile d’apprécier l’impact des politiques publiques afin de les améliorer, beaucoup d’administrations peinent à dépasser une approche centrée sur la reddition de comptes. Or, l'évaluation n’a pas pour seul objet de rendre compte sur ce qui se fait et les effets de l’action publique. D’une part, elle participe à la décision en proposant des ajustements, voire des modifications en profondeur des politiques ou programmes évalués. D’autre part, elle s’adresse à toute la chaîne de production de la politique, du décideur au bénéficiaire."

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Date : 27/04/2020

L’évaluation, encore une pratique ponctuelle

La grande variété des expériences des collectivités territoriales en matière d'évaluation des politiques publiques, dont a témoigné une nouvelle fois le baromètre 2019 de la Société Française de l'Évaluation (SFE), montre l'étendue des possibilités, mais aussi les limites de son usage dans les collectivités. Dans de nombreuses collectivités, l'évaluation reste le plus souvent une pratique ponctuelle, voire marginale. À la faveur du renouvellement d'un schéma ou de l'élaboration d'un plan d'action, des diagnostics, des bilans ou des études à dimension évaluative sont commandés aux évaluateurs. Alors même que leurs échelles d'intervention sont compatibles avec le déploiement de démarches d'évaluation, une minorité d’intercommunalités élaborent des feuilles de route en matière d'évaluation et réalisent un travail d'acculturation aux fondamentaux de l'évaluation. 

Or, soulignons quelques paradoxes :

  • La justification de l'action publique (pertinence des orientations, appréciation de la qualité de service, mesures des effets, efficience) est considérée comme un enjeu politique majeur pour l'avenir du service public. Pourtant peu de collectivités disposent d'une équipe ou de compétences dédiées à l'évaluation. 
  • L'implication des usagers ou des bénéficiaires, à travers le recueil de leurs points de vue est reconnue comme potentiellement porteuse de renouvellement des politiques publiques, de reconstruction de liens de confiance entre les élus et les habitants. Mais elle reste au final confinée à des domaines limités. 
  • Les programmes pluriannuels d'évaluation, ces feuilles de route qui peuvent contribuer, aux côtés des délégations d'élus ou d'instances spécifiques, à asseoir la légitimité et l’efficacité de l’action publique, sont rares. Le manque d’implication des évaluateurs dans la production de préconisations stratégiques et opérationnelles qui leur est quelquefois reproché peut être une explication de cette situation. 

Pour y répondre, on parle aujourd’hui d’« évaluation engagée » lorsqu’elle consiste à ne pas avoir simplement un regard distancié producteur de jugement mais une approche qui implique, qui attise la curiosité et qui laisse une place importante à la réflexion sur les préconisations qui peuvent être faites pour éviter que les travaux d’évaluation restent lettres mortes. Cette posture s'inscrit dans la perspective d’un meilleur pilotage de l’action publique.

 

L’évaluation, des effets profitables pour tous

D’un autre point de vue, l’évaluateur n’est pas le seul à être outillé pour produire de l’information utile au pilotage des politiques et des programmes. La diversité des expériences locales montre que les méthodes d'investigation et les méthodologies de l'évaluateur (analyses statistiques, enquêtes par questionnaires, entretiens individuels ou collectifs, observation...) sont adaptées à l’évaluation des politiques publiques conduites par les collectivités. Mais ces travaux n’ont de sens que si les décideurs mesurent l'intérêt de lever le nez du guidon de la gestion quotidienne des activités. Dans ce cas, la conduite d'évaluations produit des effets profitables pour toute la chaîne de production des politiques, du décideur au gestionnaire (partage des enjeux, compréhension des points de vue, objectivation fondée sur des éléments de preuves permettant de dépasser les débats subjectifs,...). Dans ces conditions, l'évaluation ouvre le pilotage à la connaissance fine des attentes et des besoins, et elle le fait en mobilisant les points de vue des parties prenantes, ce qui constitue un enrichissement considérable de l'action par rapport aux approches uniquement managériales et internes. 

 

Externaliser… et internaliser

Enfin, les démarches qui permettent la complémentarité entre internalisation et externalisation, en termes de conduite des évaluations, sont une source d’enrichissement et de renforcement des compétences internes des collectivités pouvant produire des effets d'acculturation des managers. L’externalisation peut être réalisée de différentes manières. Par le recours à des prestations de cabinets aux compétences éprouvées, des conventions avec des laboratoires universitaires, voire même des étudiants qui trouvent là leurs terrains de stage et des perspectives professionnelles. Au plan interne, ce type de démarche nécessite à la fois la mobilisation des ressources des services opérationnels et celles de services d’appui (finances, contrôle de gestion, audit, prospective,…), une bonne segmentation stratégique des politiques et programmes évalués et… un suivi efficace de ces derniers en termes de mobilisation de moyens, de ressources et d’activités réalisées ou soutenues (notamment dans le cas de politiques ou programmes mises en œuvre par des opérateurs externes).

 

Élargir les usages de l’évaluation

L’utilité de l’évaluation est donc bien liée à sa capacité à répondre aux attentes des décideurs en tenant compte de la temporalité des politiques. Mais, l'utilité de l'évaluation doit être démontrée autrement que dans le cadre d'un rapport exclusif aux élus. La plupart des travaux d'évaluation, même lorsque la commande d'évaluation provient d'un Exécutif, sont en effet utiles, à la fois, aux décideurs, aux pilotes opérationnels des politiques, aux partenaires et à leurs bénéficiaires. Le plus souvent, les propositions issues des évaluations peuvent concerner à la fois les orientations, la mise en œuvre des politiques, les pratiques des professionnels et les partenariats. 

Plutôt que se focaliser dans la quête du Graal du bon décideur passionné par l'évaluation, les évaluateurs doivent donc s'adresser à toutes les parties prenantes des politiques publiques et élargir considérablement l'utilité et les usages de l'évaluation. Une telle proposition vise en particulier à assurer un continuum d’analyse et d'action entre les besoins et les attentes, les ambitions et les objectifs, les réalisations et les effets.

 

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