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L’observatoire des papillons des jardins : point de vue des observateurs

Interview de Véronique BONDEAU et Benoît FONTAINE

© DR
Animatrice de l'Observatoire de la Biodiversité des Jardins, Muséum National d’Histoire Naturelle

<< Lorsqu'une collectivité veut s'engager sur du long terme, elle va par exemple essayer d'organiser tous les ans un événementiel, un atelier, une conférence sur ce thème. Mais il y a aussi des collectivités qui, pour la semaine du développement durable, saisissent l'opportunité d'utiliser les sciences participatives >>.

L’observation citoyenne de l’environnement s’est beaucoup développée au cours des dernières décennies. Dans le domaine de la biodiversité, le mouvement s’est particulièrement épanoui dès la fin des années 1980, avec l’émergence des premiers programmes de sciences participatives. Le principe, qui consiste à mobiliser des volontaires afin de fournir des données d’observation aux scientifiques, a d’abord impliqué des spécialistes et des passionnés. Puis, à partir du milieu des années 2000, le processus s’est démocratisé afin de permettre la participation d’un public beaucoup plus large. Né en 2006, l’Observatoire des papillons des jardins mobilise aujourd’hui plus de 2000 citoyens bénévoles. Il est le plus ancien programme national de science citoyenne en matière de biodiversité en France. Véronique Brondeau, chargée de l’animation du programme au sein de l’ONG Noé Conservation, et Benoît Fontaine, chargé du volet scientifique du programme au sein du Muséum National d’Histoire Naturelle, nous livrent chacun leur point de vue sur cette expérience. Avant tout, faut-il parler de l’observatoire des papillons des jardins, ou de l’observatoire de la biodiversité des jardins ?

L’observatoire de la biodiversité des jardins, comme il s’appelle depuis 2010, comporte deux volets : un volet papillons et un volet escargots. Mais à l’origine, ce programme s’appelait l’observatoire des papillons des jardins. Il a été lancé en 2006. C’était alors le premier programme de science participative sur le thème de la biodiversité destiné au grand public en France. Il est piloté à la fois par notre association, Noé Conservation, et par le MNHN (Muséum Naturel d’Histoire Naturelle, ndr). Avant lui, le plus ancien programme lancé en France, c’est le programme STOC (suivi temporel des oiseaux des champs, ndr) qui s’adresse davantage à des naturalistes. L’OPJ était donc le premier programme sur le thème de la biodiversité destiné au grand public.

Réalisée par :

Date : 25/06/2014

La plus value par rapport aux programmes comme le STOC, c’est donc que l’on vise ici un public beaucoup plus large… Cette idée est venue du MNHN ou de Noé Conservation ?
Le programme existait avant mon arrivée. A l’origine, c’est Antoine Cadi qui en a eu l’idée. Je ne sais pas s’il a eu des inspirations venues de l’étranger. Je le suppose. Ensuite, il est allé proposé l’idée au Muséum. Et comme à ce moment-là le MNHN se posait également des questions, ils se sont alors dit ‘OK, banco : on essaye !’

Il faut dire que Noé abordait déjà cette question de la biodiversité à travers les papillons, dans le domaine de la sensibilisation. Le Muséum s’est alors déclaré intéressé pour collecter des données. Voilà comment tout est parti. Le trio de départ, c’était Antoine Cadi du côté de Noé, Romain Julliard (qui est toujours au Muséum responsable de Vigie Nature) et la troisième personne qui a aidé à choisir les espèces et monter le protocole, c’est Luc Manil, responsable de l’association des lépidoptéristes de France, qui gère actuellement le suivi temporel des rhopalocères de France. Voilà pour la genèse… du moins ce que j’en sais ! Comme Romain Julliard l’explique très bien, nous avons tout de suite été victimes de notre succès. Nous pensions toucher 200 à 300 personnes. Or dès la première année il y a eu 3500 participants. Le site a buggé, enfin bon… il y a eu un gros engouement ! Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas autant de programmes de sciences participatives qu’actuellement, c’était novateur. Les gens se sont alors emparés du programme. En plus de cela, le fait observer des choses qui se passent dans son jardin, comparativement au jardin d’à côté… C’est cet aspect qui intéresse les gens : des papillons que l’on regarde chez soi, dans son jardin…

 

A ce propos, les objectifs pour ces programmes « grand public » ne sont pas toujours très explicites : il y a un objectif de recherche, un autre qui semble plus tourné vers la sensibilisation… pour vous, les deux sont aussi importants ?
C’est un débat permanent. En fonction d’où on met le curseur, on peut avoir des programmes de participation plutôt à vocation de sensibilisation, avec en second ordre l’objectif scientifique. Dans notre cas, les deux aspects sont présents. Au niveau scientifique, on cherche à récolter des données afin de faire avancer la connaissance et faire un suivi sur le long terme. Et du côté de la sensibilisation, on mise sur le fait que la personne qui commence à s’émerveiller dans son jardin et à observer des papillons, cela agit ensuite pour elle comme un cercle vertueux : plus elle va observer, plus elle va s’intéresser. Elle va donc commencer à identifier, à compter. Et elle va aller encore plus loin par la suite, puisqu’elle va se rendre compte que, dans son jardin, en fonction de ce qu’elle fait et des actions qu’elle mettra en place, elle aura davantage de papillons et donc davantage de biodiversité en général. L’objectif, pour nous, c’est bien entendu que cette personne soit sensibilisée, qu’elle comprenne l’importance du papillon et de la biodiversité, mais aussi qu’elle fasse des choses dans son jardin afin de favoriser la biodiversité et la préserver.

 

Donc le MNHM est plutôt en charge du traitement des données, et vous de l’animation du programme et la diffusion du résultat…
Oui, c’est cela. Mais le protocole s’est construit de manière conjointe par les co-fondateurs. Lorsque nous réalisons des enquêtes auprès des observateurs, de notre côté, nous le faisons également avec des scientifiques. Nous ne sommes pas non plus cantonnés chacun dans notre coin. Le MNHN pilote le choix des espèces et l’élaboration du protocole, bien entendu, mais nous en discutons également, nous avons notre mot à dire : il faut que ce soit accessible pour le grand public. Quelles difficultés va-t-on rencontrer, quelles sont les questions qui vont être posées ? Le fait d’échanger avec le public nous permet ainsi d’apporter une aide lors du montage du programme. Ensuite, notre rôle consiste à animer, c’est à dire aider les gens au quotidien dans leurs démarches d’observation, en leur apportant des outils et en les aidant sur le site de saisie qui est aujourd’hui hébergé par le Muséum. Mais les questions nous reviennent lorsqu’il y a un problème.

 

Si on tire à présent un bilan de l’opération, que peut-on en retenir ? En termes de mobilisation, apparemment, cela a été un succès dès le départ…
Oui. En tout cas c’est ce que disent ceux qui étaient présent à ce moment-là. Il est évident que depuis le début de l’opération, il y a deux années, 2006 et 2009, durant lesquelles nous avons eu vraiment beaucoup d’observateurs. Parce que les conditions météorologiques étaient très clémentes, mais aussi parce que c’était le début : il y avait un engouement, c’était quelque chose de nouveau. En 2009, on a également eu un programme sur la migration de la Belle dame, un papillon migrateur, et certaines personnes qui n’observaient pas jusque là se sont alors mises à participer. Depuis 2010, le nombre d’observateurs a diminué, et il se maintient aujourd’hui entre 2000 et 2500 par an, ce qui de notre point de vue est bien. Il faut continuer, maintenir voir augmenter ce chiffre, puisque notre but est de recruter le plus de données possible sur l’ensemble du territoire. Donc nous sommes satisfaits, mais il faut maintenir et poursuivre l’animation, la fidélisation, etc.

 

A ce propos, avez-vous identifié les raisons possibles d’une moindre mobilisation de la part des citoyens ? Avez-vous une idée du turn over des participants ?
Oui. Il y a d’abord les conditions météorologiques : plus il fait beau et plus il y a des papillons, en général. Et plus les gens ont envie d’observer. Donc certaines années, lorsque le printemps ou l’été sont mauvais, on ne fait rien, ou grand chose : les gens n’ont pas envie d’observer – alors même que l’absence d’observation est une information. Mais ce n’est pas facile de faire comprendre aux gens qu’il est important de saisir leurs données même si elles sont égales à zéro. Du coup, la motivation chute. Je pense également que le fait de multiplier les programmes de science participative a fait que les gens se sont peut-être moins intéressés aux papillons, ils sont allés voir ailleurs.

 

Parallèlement, concernant l’opération des escargots, vous avez moins d’observateurs ?
Oui. C’est clair que les escargots, c’est moins fun que les papillons. Au tout début on a eu 700 observateurs, aujourd’hui on se maintient entre 300 et 400 observateurs.

 

Donc l’aspect emblématique de l’espèce à observer est important ?
Oui. Tout à fait. Cela joue beaucoup. De toute façon dans le développement d’un programme de science participative, il faut réfléchir aussi au côté attractif : symbole, beauté, etc. Cela joue beaucoup, c’est indéniable.

 

Les limaces, ça marche moins bien… 
Voilà ! Et puis après, il faut aussi prendre en compte le coté « facile à observer ». Et puis il faut aussi que ce soit pertinent pour les scientifiques. Il faut donc croiser un peu tous ces critères, et c’est vrai que pour les papillons, c’était un coup de maître…

 

Le succès tient donc à la capacité à croiser intérêt du public et intérêt scientifique.
Oui. Tout à fait. Après, la fidélisation de nos observateurs est plus délicate. Depuis le début on a à peu près 10.000 jardins qui ont été suivis, et aujourd’hui entre 2000 et 2500 par an. Et certaines années avec, d’autres sans. Il y a des années à papillons, et c’est un peu pareil pour les observateurs ! J’avais par exemple noté, l’année dernière que, en 2013, il y avait 2144 jardins, dont 449 fidèles depuis 2006 et 1279 qui participaient au moins depuis 2010.

 

A ce propos, le retour des résultats scientifiques est-il un élément important pour l’implication des observateurs ? 
Tout à fait, c’est ce que j’allais vous dire : parmi les facteurs de réussite et de fidélisation, il y a la transmission des résultats. C’est indéniable : il faut montrer aux observateurs ce que l’on fait de leur données, ce qu’elles deviennent et à quoi elles servent. C’est très important. Tous les ans on s’y attelle avec les scientifiques. On n’a pas chaque année une nouvelle information extraordinaire, mais au moins on continue à donner les résultats, la fréquentation, l’évolution, etc. Aujourd’hui, nous essayons à la fois de fidéliser, mais aussi de recruter de nouveaux jardins. La fidélisation n’est pas évidente, mais le recrutement encore moins.

 

Le vivier d’observateurs n’est pas extensible à l’infini…
Oui. Pourtant il y a des millions de jardiniers en France et 10.000 jardins qui ont participé depuis le début. Il faudrait déjà que l’on puisse à nouveau puiser dans ce pool des 10.000 jardins.

 

Est-ce que vous observez des effets de médiatisation sur ce recrutement ?
Oui, tout à fait. L’année dernière, l’agence européenne de l’environnement a publié un rapport sur les papillons en signalant que leur déclin était assez alarmant. C’était en juillet-août. A cette époque les médias n’avaient pas grand chose à se mettre sous la dent et, avec ce rapport, il y a eu un élan : on a fait une interview dans Figaro Madame, puis des télés… Je l’ai d’ailleurs écrit dans mon rapport d’activité cette année : c’est certain que le fait d’avoir pu être interpellée là-dessus (…) a fait qu’on a été identifié comme un référent, une association qui travaille sur le sujet. (…) Je pense que cela a participé au fait que les gens participent à nouveau, notamment ceux qui avaient oublié. Pour la première fois depuis 2010, il y a 70 jardins supplémentaires qui ont participé entre 2012 et 2013. Ce n’est pas énorme, mais je pense que cet événement médiatique a été pour quelque chose dans le fait d’avoir maintenu et de ne pas être passé au-dessous des 2000 participants.

En revanche, nous avons également développé un système de relais. Comme nous sommes une petite association, pour essayer de démultiplier le nombre d’observateurs, nous avons proposé à des associations ou des collectivités, ou même des entreprises, de promouvoir l’observatoire – par exemple avec un article dans un journal, la mise en place d’un atelier autour de l’observatoire pour inviter les adhérents de l’association ou les habitants de la collectivité à participer. Mais au final, même si on continue à développer les relais, on n’a pas l’effet escompté. Aujourd’hui c’est assez clair, même si je n’ai pas fait une étude sur tous les territoires et tous les relais (…). Avec la ville de Courbevoie, qui voulait vraiment s’investir sur l’observatoire, on a par exemple regardé combien il y avait d’observateurs avant 2013 ou 2012, et puis à la fin de l’année suite à des ateliers qu’ils avaient mis en place – certains événementiels qu’ils avaient monté eux-mêmes, pas mal d’actions assez poussées en faveur de la biodiversité et pour l’observatoire de la biodiversité des papillons… Mais au final, on n’est pas passé d’un facteur 1 à 10 par exemple, pas du tout. Si on a eu 1 ou 2 observateurs supplémentaires, c’est à peu près tout. On ne parvient pas à transformer l’essai.

 

D’autres collectivités comme Courbevoie se sont-elles investies ?
Oui, bien sûr. Après, on retrouve peut-être toujours un peu les mêmes villes, celles qui font déjà beaucoup de choses sur la biodiversité. Etant basés en Île-de-France, nous avons pas mal de relais ici. Par exemple, au Conseil Général du 93, avec l’ODBU (l’Observatoire Départemental de la Biodiversité Urbaine, ndr), ils ont une vraie démarche, même auprès des scolaires. Ils ont mis en place les 24 heures de la biodiversité, et pendant cet événementiel ils ont des animateurs dont certains mettent en œuvre les programmes de Vigie Nature. Cela permet de collecter des données. Après, il y a également parmi les associations pas mal de CPIE (Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement, ndr) qui essaient de promouvoir notre programme.

 

Les « relais » (collectivités ou associations) agissent plutôt dans une logique de promotion ou d’animation de la démarche ?
Cela dépend. Les CPIE essayent plutôt d’intégrer le programme dans leurs actions. Pour les collectivités, c’est un peu différent. Parfois, lorsqu’une collectivité veut s’engager sur du long terme, elle va par exemple essayer d’organiser tous les ans un événementiel, un atelier, une conférence sur ce thème. Mais il y a aussi des collectivités qui, pour la semaine du développement durable, saisissent l’opportunité d’utiliser les sciences participatives. Du coup, ils nous contactent. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont donner une suite, qu’ils vont continuer leur action. C’est donc assez variable. Pour nous, l’objectif est de promouvoir la démarche avec les moyens dont nous disposons. (…) Notre but, au-delà de la donnée proprement dite, c’est le volet sensibilisation : que les gens se sentent concernés et aient envie d’aller plus loin, de se reconnecter à la nature.

 

Cet objectif de sensibilisation est d’ailleurs peut-être plus difficile à mesurer, non ?
 Il y a eu la thèse d’Alix Cosquier sur ce sujet… Oui, cette thèse a été faite en collaboration avec Noé. L’auteur a interrogé certains observateurs. Encore une fois, dans l’enquête que nous comptons mener, nous allons poser la question de leurs motivations aux observateurs. Grâce à la thèse d’Alix, nous avons déjà des pistes. Le sentiment d’utilité lié à la participation à un programme d’envergure nationale, le sentiment aussi d’appartenir à une communauté, ce sont des arguments qui ont été avancés par les observateurs. Après, je ne peux pas dire que c’est tel ou tel argument qui prime. La motivation première, je ne peux pas vous dire avec certitude que c’est telle ou telle chose. Mais cela fera parti des questions de notre enquête.

 

Quelles perspectives imaginez-vous pour l’avenir de la démarche ?
A mon avis, dans les facteurs de réussite, il y a aussi la question des outils, en particulier de nouveaux outils à proposer… Aujourd’hui, la fiche de comptage et la fiche d’identification sont des éléments incontournables. Nous envisageons de les repackager un peu, de faire évoluer la mise en forme. Mais sur le fond, cela va rester la même chose.

 

Vous ne surfez pas sur la vague des applications pour smartphones ? 
Oui, bien évidemment, on y réfléchit. Mais cela a un coût pour notre petite association et nous aimerions déjà refaire notre site Internet. Mais on y réfléchit. On travaille à développer ce genre de choses. Il y a déjà des outils de ce style qui sont utilisés dans certains programmes de science participative, mais c’est aussi une question de moyens…

 

Au final, que pourriez-vous conseiller à une collectivité qui réfléchit à cette question de l’observation citoyenne de la nature ?
Nous avons été interpellés par plusieurs acteurs, collectivités ou autres, qui effectivement voulaient faire quelque chose sur leur territoire, à leur échelle. Dans notre programme, le but n’est pas d’avoir de la donnée fine sur un territoire. Notre objectif est de balayer l’ensemble de la France, nous voulons vraiment avoir un suivi à grande échelle. Même si c’est intéressant pour une collectivité d’avoir des informations sur son territoire, évidemment… mais à ce moment là, il faut que la collectivité s’en empare (…). Après, tout dépend aussi du type de programmes de science participative que la collectivité souhaite développer. Si une collectivité veut développer quelque chose qui lui est propre, il faut alors qu’elle se pose la question de savoir si elle retient les deux objectifs des sciences participatives : un objectif scientifique et un objectif de sensibilisation. Ou bien est-ce que la collectivité veut se lancer dans un programme plutôt orienté sensibilisation. Toute la question est là, finalement : il faut là encore s’entendre sur ce qu’on entend par science participative.