Vous êtes ici :

L'innovation en région Rhône-Alpes

Interview de Christian LE

<< beaucoup d’industriels ont compris qu’il était important d’avoir d’étroites relations avec le monde de la recherche publique et fondamentale et ils entretiennent ces liens via des contrats de recherche, l’accueil de chercheurs etc >>.

Interview de Christian Le Bas, professeur en économie au Laboratoire d’Economie de la Firme et des Institutions (EA 4012) – Université Lumière Lyon 2.

Qu’est-ce que l’innovation ou l’innovamétrie ? Quelles sont ses thématiques de recherche? En quoi l’innovation est-elle un enjeu primordial pour une région ou une métropole? Quels sont les critères pour évaluer, mesurer, quantifier l’innovation ?  Quels sont les éléments permettant une «  bonne innovation » ?  
Quels sont les liens entre la recherche académique scientifique, fondamentale ou appliquée, et les industries pour qu’il y ait une  « bonne »  innovation ?...

Réalisée par :

Date : 15/05/2006

Pour vous qu’est-ce que l’innovation ? Quel est le sens que vous accordez à ce « terme » ? 
Il y a plusieurs acceptions du terme. En général, lorsque l’on parle d’innovation, on parle d’innovation technologique c’est-à-dire d’une amélioration des systèmes – par exemple, un système informatique – et des produits ou d’une amélioration de service. Par exemple, en son temps, le téléphone portable a été une innovation. L’autre côté de l’innovation, c’est le procédé. On fabrique les mêmes biens, les mêmes produits, les mêmes systèmes avec des procédés plus efficaces : des machines plus performantes, plus rapides, plus économes, etc. Ce type d’innovation impacte directement les coûts. En règle générale, beaucoup de firmes font les deux types d’innovations en même temps : nouveaux procédés et nouveaux produits. Mais on peut découpler les deux. On peut très bien avoir une vieille entreprise avec de vieux procédés qui invente un nouveau produit. Et de façon tout à fait parallèle, une firme peut garder ses anciens produits tout en améliorant les procédés de fabrication. 
A côté de cette innovation technologique, on voit apparaître des formes d’innovation plus complexes, par exemple, des innovations d’organisation. Dans une entreprise, on garde les mêmes produits, les mêmes procédés mais on organise les choses différemment. Un bon exemple d’innovation d’organisation est la méthode Kamban que les Japonais ont mis au point il y a plusieurs années. L’entreprise n’a plus de stocks et elle va commander juste ce dont elle a besoin quotidiennement. 
On parle également beaucoup d’innovations sociales. On essaie d’inciter les travailleurs, les opérateurs, les salariés à davantage s’impliquer dans leur entreprise, leur société. C’est une modification des ressources humaines dans l’optique d’améliorer la productivité. 
Toutefois, lorsque l’on fait des mesures de l’innovation, c’est de l’innovation technologique qu’il est question.

Dans ce cadre-là, pouvez-vous expliquer succinctement, quelles sont les thématiques de recherche sur lesquelles vous travaillez ? 
Je travaille sur la valeur de l’innovation à différents niveaux avec des comparaisons entre pays, entre régions et entre firmes. L’indicateur qui permet d’évaluer la valeur de l’innovation est la citation de brevet. On part du brevet comme indicateur de l’innovation et on examine les citations qu’il a reçues. L’idée est de connaître, à partir des brevets, les déterminants de la valeur de l’innovation. 
Le deuxième chantier est d’essayer d’étudier les inventeurs dits prolifiques. Ce sont des inventeurs qui ont beaucoup inventé. Il existe déjà des études sur ce thème-là. On essaie de comprendre ce qui fait qu’un inventeur est prolifique. Cela permet de mieux évaluer sa mobilité et notamment sa mobilité « interentreprises ». Il s’agit ici d’inventeurs en recherche privée, dans les laboratoires industriels et non pas en recherche fondamentale ou dans les laboratoires publics. Ces inventeurs représentent un capital humain très inventif et sont à l’origine d’un grand nombre d’inventions dans les entreprises.
Je travaille également sur les innovations et les inventions des firmes internationales. Ce travail est également basé sur les données de brevets. L’objectif ici est d’essayer de comprendre les formes et l’étendue de l’internationalisation des activités de recherche. Qu’est-ce qui fait qu’une firme multinationale établit un laboratoire de recherche en Grande-Bretagne, en Suède, aux Etats-Unis, en Chine, en Inde ou au Pakistan ? 
Le quatrième programme de recherche est plus généraliste. J’essaie de comprendre avec un collègue américain la persistance à l’innovation. Qu’est-ce qui fait que des firmes innovent de façon persistante ? On a montré, qu’en général, ce phénomène de « persistance de l’innovation » est assez spécifique aux grandes entreprises. Ce n’est pas un phénomène émanant des start-up. ces dernières sont très fragiles pour innover durablement. Beaucoup d’entre elles se font racheter ou déposent le bilan. Les start-up sont, en revanche, à l’origine de ce que j’ai nommé « la natalité technologique ». Cette dernière est très importante. Elle montre que les start-up prennent des risques où les grandes firmes ne s’engagent pas. Elles identifient également sur les marchés des besoins très particuliers. 
Les grandes firmes, telles Renault, Peugeot, etc., sont persistantes dans l’innovation car elles sont grandes, elles peuvent minimiser les risques, entreprendre plusieurs projets de recherche en même temps, etc. ce qu’évidemment ne peuvent pas faire les start-up.

Pouvez-vous préciser en quoi l’innovation est un enjeu primordial pour une région ou une métropole ?
Dans un monde où la concurrence internationale est forte, le meilleur moyen de conserver et d’accroître les parts de marché, est de produire des nouveaux produits ou d’abaisser des coûts à travers de nouveaux procédés. Derrière tout cela, l’enjeu n’est pas seulement de garder des parts de marché, c’est également l’emploi. Même aujourd’hui dans des économies fondées sur des facteurs immatériels, comme la connaissance, la créativité, etc., l’innovation reste le meilleur moyen d’assurer une trajectoire de croissance aux entreprises et donc aux régions. Une région qui n’innove pas est une région qui meurt.

Quels sont les critères pour évaluer, mesurer, quantifier l’innovation ?
Il y a une discipline qui relève des Sciences pour l’Ingénieur (SPI) qui est destinée à mesurer l’innovation et qui se nomme la technométrie. C’est la science qui mesure les caractéristiques des produits : la vitesse, le poids, etc. et qui permet de comparer les objets entre eux et leur évolution.
En général, un économiste ne mesure pas l’innovation. Ce qui l’intéresse est de savoir si une nation est plus innovante qu’une autre, si une entreprise est plus innovante que son concurrent, si un secteur est plus innovant qu’un autre, etc. On est toujours dans le domaine de la comparaison. Pour faire cela, on a trois indicateurs : l’investissement en recherche et développement, le brevet, les enquêtes innovation. L’investissement en recherche et développement représente le premier indicateur. Une entreprise, une région, etc. qui investissent beaucoup en recherche et développement ont de fortes chances de produire de nouveaux artefacts technologiques ou de nouveaux produits. L’intérêt d’utiliser les dépenses en R&D est qu’internationalement, on a une méthodologie (basée sur le manuel de Frascetti) qui permet d’établir des comparaisons entre pays. Le problème est qu’il y a des secteurs où l’on fait peu de recherche et développement mais où l’on innove quand même. Par exemple, l’industrie agroalimentaire fait très peu de recherche et développement contrairement au domaine pharmaceutique mais les deux innovent beaucoup.On possède aujourd’hui de nombreuses statistiques de brevets qui permettent d’avoir une idée de la taille des activités d’innovation en fonction des secteurs, des régions et des pays. Les données de brevets sont maintenant beaucoup utilisées dans l’analyse économique de l’innovation. Les enquêtes « innovation » sont de deux types. Les plus anciennes consistaient à demander à des experts de citer et de quantifier un certain nombre d’innovations. Ces enquêtes ne sont plus utilisées, en revanche, aujourd’hui, on interroge directement les firmes (« avez-vous innové ces trois dernières années ? en produits ? en procédés ?). Ainsi, on a une réponse en terme de « population de firmes » qui innovent et non pas en terme de quantité d’innovations qu’elles réalisent. Ces enquêtes « innovation » ont été harmonisées au niveau européen grâce au manuel d’Oslo. Ceci permet de faire des comparaisons entre pays, secteurs, régions, etc. et le développement d’une nouvelle discipline économique que j’ai appelée l’innovamétrie.

Avec ces trois indicateurs peut-on avoir une « photographie » de l’innovation en région Rhône-Alpes ?
La région Rhône-Alpes est très innovante et elle l’est de plus en plus. Si l’on prend les chiffres de recherche et développement, on s’aperçoit qu’en 2003, la région fait un effort de recherche et développement plus important que la moyenne nationale. En effet, elle concentre 11,8% des dépenses nationales en R&D, ce qui la place en seconde région derrière l’Ile de France (43,6%). Si, maintenant, on ramène ces dépenses de recherche à la valeur de l’ensemble des biens créés, de manière à avoir une idée de l’effort de R&D de la région, on a des résultats un peu différents. Avec un ratio de dépenses en recherche et développement par rapport au PIB de 2,6%, la région fait un effort supérieur à l’effort moyen national qui est de 2,1%. Toutefois, elle reste loin derrière l’Ile de France qui est à 3,2% et la région Midi-Pyrénées qui est à 3,7%.
Alors que Rhône-Alpes représente 10% de la population et environ 10% du PNB, les brevets de Rhône-Alpes représentent 16,4% des brevets nationaux déposés. En d’autres termes, le poids des brevets de Rhône-Alpes est plus important que son poids économique dans le pays. Les activités technologiques sont plus fortes en Rhône-Alpes que le poids de Rhône-Alpes dans les activités économiques du pays.

Comment cela s’explique-t-il ?
Il y a ici de très grandes entreprises, des secteurs de pointe qui brevètent beaucoup comme la chimie, la pharmacie, la biotechnologie, les semi-conducteurs, etc. On a deux gros pôles en Rhône-Alpes : le pôle lyonnais plutôt concentré sur la chimie, la pharmacie, la biologie, et le pôle grenoblois avec l’électronique, les semi-conducteurs, les nanotechnologies.
Pour le Grand Lyon, je n’ai pas de données. Mais, il s’agit, à mon sens, davantage d’un pôle d’intelligence, de matière grise que de procédés industriels.

Faut-il justement des liens très forts entre la recherche académique scientifique, fondamentale ou appliquée, et les industries pour qu’il y ait une « bonne » innovation ?
Il y a des secteurs où l’innovation technologique est poussée par des découvertes scientifiques. C’est ce que l’on appelle le « science push ». C’est le cas des nanotechnologies, des semi-conducteurs, de la génétique, des biotechnologies. Il s’agit d’un schéma unilatéral. Cela permet à des secteurs d’être « science base » c’est-à-dire que leurs innovations technologiques sont fondamentalement basées sur des découvertes scientifiques. Dans ce cas, les universités, les grandes écoles d’ingénieurs, les grands laboratoires de recherche académique participent pleinement au processus d’innovation. Mais, il ne faut pas croire que les écoles d’ingénieurs, les universités et les grands laboratoires de recherche n’ont pour rôle que de préparer l’innovation. Ils ont d’autres rôles comme de fournir des ingénieurs, des chercheurs qui vont travailler dans l’industrie et produire de l’innovation. De plus, ces ingénieurs et ces chercheurs auront suivi des enseignements et une formation dans les grandes écoles et dans les universités et seront imprégnés de nouveaux paradigmes, de nouvelles techniques, de nouvelles connaissances qu’ils pourront utiliser en entreprise. Il y a donc un va-et-vient entre les institutions publiques de recherche et l’industrie avec des transferts importants de compétences et de technologies.
Il est vrai que beaucoup d’industriels ont compris qu’il était important d’avoir d’étroites relations avec le monde de la recherche publique et fondamentale et ils entretiennent ces liens via des contrats de recherche, l’accueil de chercheurs, de doctorants, etc.
Il y a donc des relations très complexes entre les uns et les autres. C’est ce que j’appelle la « coopération créatrice ». Aujourd’hui, en France, un tiers des entreprises développent des coopérations externes pour innover et 18% recourent à des collaborations actives et principalement avec les institutions de recherche publique. Les collaborations peuvent passer par les centres techniques dans certains domaines comme la chaussure ou le textile.
Mais ne pensons pas que cela marche que dans un sens : de la science vers la technologie. Cela marche également de la technologie vers la science et ce, pour deux raisons. Premièrement, la technologie crée les éléments comme les microscopes, les machines, les outils qui permettent à la science de progresser. La technologie aide l’avancée des connaissances. Deuxièmement, on constate que les scientifiques se précipitent vers les secteurs où les  opportunités technologiques sont fortes.

Ne serait-ce pas alors ici, à ce point névralgique du lien entre recherche scientifique et industrie que les aides (financières, techniques, humaines, etc.) pour favoriser l’innovation devraient se concentrer ?
C’est en partie vrai. Mais nous sommes à un point focal puisqu’une nouvelle logique de l’innovation se met en place et ce notamment avec les clusters de recherche de la Région Rhône-Alpes et les pôles de compétitivité. On réunit sur un même lieu géographique grandes entreprises, petites entreprises, centres techniques, centres académiques de recherche, etc. pour nouer des communications, des interactions de manière à ce que dans un secteur donné ou dans des champs technologiques donnés, on favorise pleinement l’émergence d’innovation. Tout ceci se fait en lien avec d’autres mesures (baisse de la taxe professionnelle, crédit d’impôt, etc.). Il y a aussi les incubateurs qui permettent aux chercheurs qui ont une idée novatrice de créer leur start-up en limitant les risques financiers. Tous ces systèmes d’aide et d’organisation se consolident les uns les autres.

Quels sont selon vous les autres éléments qui permettent une « bonne innovation » ?
La bonne innovation répond aux besoins du consommateur. Il faut être en phase avec les nouveaux usages, les demandes des clients et au besoin les anticiper.
Il faut également être en phase avec les nouveaux enjeux économiques et sociétaux comme le développement durable par exemple.
Il faut que l’entreprise soit en confiance et qu’en conséquence son innovation soit bien protégée par le secret et le brevet.
Enfin, en dernier lieu, il faut préparer sa mise en œuvre dans l’entreprise et dans ses réseaux commerciaux.