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E-commerce et livraisons (synthèse des enquêtes)

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Étude

Enseignements et défis pour la logistique urbaine

L’explosion des ventes de produits en e-commerce reconfigure les territoires. Face à cette tendance partie pour durer, il est utile d’anticiper les effets sur la ville, comme la congestion, les conflits d’usage dans l’espace public ou les besoins immobiliers.

Pour y voir plus clair, une première question s’impose : que sait-on des pratiques d’achat de biens en ligne ? Des préférences en termes de livraison ? Comment les commerces indépendants se sont-ils adaptés à cette nouvelle norme de consommation ?

Pendant un an, la Direction de la prospective et du dialogue public a travaillé sur ces questions avec AREP et Mobil’homme, membres de son réseau de veille.

En croisant revue de littérature, entretiens auprès de chercheurs et expériences de consommateurs et de commerçants, cette synthèse rédigée par Marc Antoine Messer et Yannick Pitton du bureau Mobil’homme (membres du réseau de veille de la Métropole de Lyon) propose 5 enseignements et 3 défis pour mieux comprendre ce qui se joue

La synthèse est à télécharger ou à retrouver ci-dessous.

Pour approfondir, retrouvez les études et interviews dans le dossier « E-commerce et logistique urbaine : quelles pratiques pour quels effets ? ».

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Date : 22/04/2024

Ce document présente une synthèse de l’ensemble de ces travaux, sous la forme de 5 enseignements et 3 défis pour les collectivités locales.

 

 

Cinq enseignements sur l’e-commerce
et la logistique urbaine

 

Consommer en ligne : une pratique de masse et des commerçants indépendants qui s’adaptent

 

Les études mettent en évidence que la livraison est désormais devenue une pratique globale, rendant obsolète la pertinence d’identification de publics types, telle que la littérature scientifique a tenté de le faire dans la dernière décennie.

Il est désormais nécessaire d’envisager qu’il n’existe plus un profil type unique derrière la consommation de biens en ligne mais bien une diversité au moins aussi grande que celle des consommateurs de biens dans les magasins physiques.

Il y a aussi lieu d’admettre que le recours à la livraison s’est totalement généralisé : 83,2% des personnes qui ont accès à internet en région Auvergne-Rhône-Alpes achètent des biens en ligne par exemple. Dans la région lyonnaise, la onzième étude de la Chambre du Commerce et d’Industrie (2022) confirme une tendance similaire : l'augmentation des achats en ligne touche toutes les catégories de produits. Parallèlement, l'étude met en évidence un renouveau de l'intérêt pour le commerce local. Les petits commerces y gagnent du terrain face aux hypermarchés, tout en ne limitant pas la croissance de la vente en ligne.

Les groupes de discussion organisés avec les habitantes et habitants du territoire métropolitain ont mis en lumière cette diversité de profils d'acheteurs, même s’il existe probablement des personnes plus familières et habituées aux achats de biens en ligne que les autres.

Un discours unique n’est donc plus suffisant pour toucher ces consommateurs. Conformément à ce que suggère la littérature, le recours au e-commerce semble un peu influencé par l'âge : les personnes plus âgées tendant à acheter moins fréquemment en ligne comparativement aux générations plus suivantes.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la généralisation du recours à l’e-commerce pour les achats de biens. Parmi ceux-ci, le développement important de certaines grandes marketplaces et leurs marketings agressifs influence directement les pratiques de consommation des Françaises et Français.

Cela se manifeste notamment à travers des stratégies de fidélisation incitant à la consommation comme la mise en place des abonnements ou le ciblage publicitaire grâce aux données récoltées sur le web.

L’offre des marketplaces en ligne a également évolué de manière significative ces dernières années, s'adaptant de plus en plus aux pratiques courantes de consommation. Ces services sont devenus plus sûrs, accessibles, flexibles et fiables, avec un coût parfois plus avantageux comparé à l'achat en magasin. Ils répondent aujourd’hui totalement aux exigences des modes de vie contemporains et offrent ce que l’on définit comme les 4 flexibilités de l’e-commerce, la flexibilité de lieu, de temps, de choix et de prix.

De plus, l'achat en ligne a réussi à se distinguer du commerce traditionnel grâce à des fonctionnalités inédites, telles que les comparateurs de prix, la possibilité de laisser des commentaires sur les produits et de consulter les avis d'autres clients.

Habitant de Lyon, 1er :

Je sais que Amazon, je me trompe pas, quand j’achète chez eux. Les avis sont fiables en fait. Y’a les étoiles, les avis, et même si y’a des avis négatifs, en plus, ils apparaissent. Y’a vraiment le terme d’objectivité qui est important. 

Les commerçants indépendants rencontrés ont d’ailleurs bien cerné cette tendance et sont désormais conscients qu’il est nécessaire pour eux aussi d’être présent en bi-canal, à savoir à la fois sur internet et en physique pour assurer la vitalité de leur activité. Tous les types de commerces indépendants sont concernés, cependant leurs réalités varient surtout selon la nature des produits qu'ils offrent et leurs contraintes logistiques spécifiques.

La généralisation du e-commerce était un phénomène déjà en cours bien avant l'apparition du COVID-19. La pandémie n'a pas radicalement transformé cette tendance de fond, mais l'a plutôt intensifiée, en particulier pour ce qui concerne la livraison de repas cuisinés et l’utilisation du numérique chez ceux qui ne l’utilisaient pas auparavant.

Dans ce contexte, les pratiques de consommation en ligne sont entrées dans les habitudes des consommateurs et ces pratiques tendent à s’intensifier.

Il est donc important que les collectivités publiques intègrent ces nouvelles pratiques de e-commerce dans leur réalité urbaine et adaptent leurs politiques publiques.

 

 

La motivation économique
devant le gain de temps et la praticité

 

La littérature mettait en lumière l'importance du gain de temps et de la praticité comme motifs principaux du recours à l’e-commerce. Cependant, d'après les retours des consommateurs, le critère prédominant semble plutôt être celui du prix. En effet, lors des groupes de discussion avec des consommateurs en ligne, la prédominance de la raison « prix » sur les autres motivations a fait l’objet d’une inattendue unanimité.

Les participants estiment que le prix des biens est plus bas lorsqu’il est proposé à la livraison ou en drive que lorsqu’il est proposé en rayon, et ceci au sein des mêmes enseignes. La comparaison entre les prix en ligne et en magasin est donc une pratique assez systématique chez les consommateurs en ligne.

L’e-commerce offre aussi la possibilité de comparer facilement le prix entre plusieurs enseignes grâce aux comparateurs de prix. Cette fonctionnalité permet de suivre en temps presque réel l’évolution des prix sur l’une ou l’autre enseigne, offrant ainsi la possibilité de réaliser des économies financières.

L'accès facilité à des coupons et rabais, particulièrement via des sites web dédiés, est également souvent cité comme un avantage par les consommateurs. Cela renforce le sentiment d'avoir trouvé la meilleure offre, contribuant ainsi à l'impression de réaliser des économies.

Enfin, l’e-commerce permet d’éviter les achats compulsifs supplémentaires et de s’en tenir strictement au nécessaire. Ainsi, les sites marchands en ligne aident à se limiter dans ses achats en proposant par exemple d’acheter systématiquement les mêmes listes d’achat de fois en fois.

Habitante de Givors :

Les courses alimentaires c’est une fois par semaine, je fais tout [en ligne] chaque semaine. (…) Je préfère faire tout pour la semaine, comme ça je ne vais pas chaque jour. C’est le principe que j’ai mis, je ne vais pas au magasin, parce que tu y vas pour acheter pour 1 ou 2 euros et tu sors avec 20 ou 30 euros. Je te jure, ça m’arrive. Du coup j’ai mis ça en place, je récupère le vendredi soir, comme ça le weekend je suis tranquille et puis voilà. 

L’élément financier est de loin le déterminant principal dans l’arbitrage du choix de la livraison. Dans la très grande majorité des cas, la livraison à domicile est souhaitée. Si elle n’est pas choisie systématiquement, c’est parce qu’elle est généralement plus chère voire tout simplement payante. Par conséquent, des options de livraison moins onéreuses, voire offertes, telles que les points relais ou le drive, sont alors préférées.

Conséquence de cette attention au prix, la perception du coût réel de la livraison est inexistante. Les grandes plateformes mettent en avant que la livraison est « gratuite », alors qu’elle est offerte et les consommateurs ont tendance à considérer qu’une livraison « gratuite » est normale. Dès lors, ce sentiment de gratuité renforce la « bonne affaire » et incite à l’action d’achat.

L'idée de l'e-commerce en tant que « commerce du pauvre », telle que théorisée par les experts, ne se vérifie pas directement mais doit davantage être comprise comme le commerce des consommateurs faisant preuve d'une attention particulière à la recherche des bons plans et des prix les plus bas, ce qui est particulièrement courant en période d’inflation.

L’ensemble de ces arguments confirment que l’attrait de l’e-commerce et de la livraison sur le facteur prix est ainsi à la fois autant objectif que subjectif et que les deux se renforcent pour faire de l’argument prix une certitude bien enracinée.

À noter que le gain de temps s'ajoute au critère du prix comme un avantage supplémentaire de cette pratique. Généralement, c'est d'abord le gain de temps qui attire les consommateurs vers l'e-commerce (changements d’emploi, arrivée des enfants, covid-19, etc.), puis c'est le critère du prix qui les fidélise et les incite à poursuivre cette pratique.

 

Une diversité des pratiques d’achat
et des modalités de livraison

 

À la diversité des pratiques d’achats répond la diversité des habitudes de livraison. Ces pratiques et préférences de livraison sont influencées par de multiples arbitrages individuels.

Les consommateurs n’ont pas de préférences uniques quant à l’arbitrage du lieu et des modalités de la livraison mais alternent en fonction des contraintes exogènes (prix, disponibilité, distance) et endogènes (présence à la maison, concierge, coût du colis, risque de vol).

Malgré les contraintes, les focus group suggèrent que la livraison à domicile est de loin la plus fortement souhaitée, même si elle n’est pas toujours choisie (la 11ème enquête de la CCI le démontre aussi). Le prix reste le principal critère déterminant le choix du lieu de livraison, suivi dans une moindre mesure par l'urgence de la livraison. Lorsque la livraison est offerte, par exemple grâce à des abonnements, la livraison à domicile est choisie dans la majorité des cas.

Il est à relever que l’achat de biens par e-commerce n’est pas unique dans ses modalités et peut se réaliser de plusieurs manières, en combinant des modes : se rendre en magasin pour effectuer des achats puis opter pour une livraison à domicile, commander en ligne et récupérer les produits en boutique, comparer les prix en ligne avant de finaliser l'achat en magasin physique, etc.

Ainsi, les trajets induits par l’e-commerce et la livraison ne se réduisent pas uniquement au parcours classique entre l’entrepôt et le domicile ou entre l’entrepôt et le point relais. La livraison multiplie et diversifie les trajets associés aux achats, en comparaison avec la pratique antérieure de se rendre une fois par semaine dans un hypermarché généraliste pour un déplacement unique.

Par conséquent, œuvrer en faveur d'une livraison plus durable nécessite d'intervenir sur une large gamme de déplacements, qu'il est essentiel de comprendre de manière approfondie afin de pouvoir les cibler efficacement. La variété et la complexité des comportements d'achat en ligne et des modes de livraison contribuent à accroître la complexité de l'écosystème logistique actuel (sous-traitance, contrat à brève échéance), ce qui rend une réponse homogène difficile à mettre en œuvre pour les collectivités locales.

 

Acte d’achat et effets de la livraison, un lien impensé 

 

La littérature suggérait que la prise de conscience environnementale se renforçait auprès de la population française. Cependant, les impacts environnementaux de l'e-commerce et de la livraison ont été très peu étudiés.

D'après l'étude de la CCI, 31% des résidents choisissent régulièrement des produits d'occasion, et trois consommateurs sur quatre favorisent les produits locaux. Cependant, cela n'influence pas directement l'augmentation des achats en ligne.

Notre investigation qualitative montre que les consommatrices et consommateurs rencontrés ne sont pas particulièrement conscients des enjeux environnementaux liés à la vente en ligne. Ils ne semblent pas non plus totalement informés à ce sujet.

Même si certains consommateurs sont conscients de l'impact environnemental de leurs achats, cela ne semble pas produire un changement de pratique ni estomper la satisfaction liée à la consommation. Pour d’autres, la livraison à domicile est même jugée comme une pratique vertueuse, en effet, le déplacement du livreur n’est pas vu et remplace le déplacement personnel que l’acheteur aurait peut-être fait avec sa voiture. Le fractionnement des actes de livraison – et donc la démultiplication des trajets – directement généré par des achats plus fréquents et sur des sites différents, n’est pas du tout appréhendé.

Habitante de Lyon 1er  :

J’y pense quand je commande, je me dis, ah mince, faut penser à l’environnement, faut penser à la pollution et tout, mais bon, une fois que j’ai commandé et j’ai payé, j’y pense plus. 

Pour les consommateurs résidant à Lyon – moins pour ceux de la périphérie – les répercussions sur la circulation et le trafic ont été évoquées, comme l'encombrement des routes et les stationnements illégaux.

Par ailleurs, les questions sociales, en particulier concernant les conditions de travail des livreurs et des employés, sont mieux comprises et semblent susciter une plus grande préoccupation parmi les acheteurs de biens en ligne du centre-ville. Dans cette situation, il leur était plus facile d’incarner et d’imaginer les difficultés que peuvent les professionnels de la logistique et développer une forme d’empathie à leur égard.

Habitant de Tassin-la-Demi-Lune :

Des fois je suis peut-être un peu plus indulgent avec la personne, s’il y a un délai un peu plus long, je me dis, ah, ils ont des conditions de travail difficile.

En ce qui concerne la responsabilité individuelle, elle semble être limitée. Autrement dit, les consommateurs ont du mal à admettre que leur acte d'achat individuel entraîne un acte de livraison visible dans la rue. Ce manque d’appréhension peut être dû au fait que la livraison en milieu urbain souffre d'un manque de clarté et de visibilité auprès du grand public.

Ainsi, les collectivités publiques ont intérêt à améliorer la perception de la livraison comme étant un service rendu, répondant à un besoin et à une demande du citoyen.

 

 

Pour les commerçants indépendants 
pas de guerre contre les géants du numérique

 

Amazon reste bien évidemment une option largement répandue et bien ancrée dans les modes de consommation en ligne des habitantes et habitants du Grand Lyon.

En ce qui concerne les commerçants indépendants, une plateforme généraliste comme Amazon ne répond souvent pas à leurs objectifs, ceux-ci ne cherchant pas nécessairement à élargir leur zone de chalandise. Dans d’autres cas, recourir à Amazon n’est tout simplement pas une option viable en raison de la nature même des produits qu’ils proposent.

En ce sens, le commerce indépendant ne se sent pas réellement en concurrence directe avec les grandes plateformes généralistes comme Amazon car leurs publics et leurs prestations sont différents à bien des égards. Ils ont plutôt tendance à se tourner vers des marketplaces spécialisées, qui proposent des produits en adéquation avec ce que vendent les commerçants.

Rappelons que les objectifs principaux des commerçants indépendants s'engageant dans la vente en ligne sont de promouvoir leur activité, de diversifier leur service et d’atteindre un public plus large. Ainsi, adopter une approche bi-canal, combinant présence en ligne et physique, est perçu comme complémentaire et indispensable pour mettre en valeur leurs offres et pérenniser leur activité à long terme. Ainsi, la livraison constitue également un pilier pour le commerce de proximité.

Animalerie dans Lyon 7:

Pour moi, le site internet, ça remplace un peu la vitrine. Avant, les gens faisaient du lèche-vitrine et on rentrait dans les magasins. Alors aujourd’hui, je vois les gens qui passent devant ma boutique, qui regardent effectivement ma vitrine. Y a toujours un peu de lèche-vitrine, mais le lèche-vitrine principal, c’est sur Internet.

Toutefois, la transition d'un commerce vers internet nécessite un investissement conséquent en termes de temps, d'argent et de compétences techniques, ressources que les commerçants ne possèdent pas toujours. S'engager dans de nouvelles activités peut donner aux commerçants le sentiment de s'éloigner de leur métier de base, qui est la vente.

En ce qui concerne la livraison, les commerçants indépendants rencontrent des difficultés à rivaliser avec les offres de livraison des grandes plateformes en ligne. La livraison « gratuite » (en réalité offerte) est devenue une attente courante pour les consommateurs en ligne, mais un tel service est souvent hors de portée pour un commerçant indépendant. Effectivement, selon les commerçants indépendants, la prestation de livraison est un service onéreux qui ne peut pas être offert gratuitement aux clients.

Commerce de meubles vintage à Albigny-sur-Saône :

Quand vous voyez sur un site une armoire en bois de 300 € et quand vous voulez la livraison, bah c’est 280 € en plus. Donc il faut avoir un certain panier moyen pour avoir des meubles qui valent quand même assez cher pour pouvoir passer ses transporteurs. 

Par conséquent, un risque de divergence se profile entre les stratégies des commerçants et les habitudes de consommation en ligne, un écart qui semble s'élargir. D'une part, les consommateurs recherchent les prix les plus bas et une livraison offerte, tandis que d'autre part, les commerçants indépendants ont du mal à réduire leurs tarifs de livraison pour rivaliser avec les grandes plateformes en ligne.

Par conséquent, permettre aux commerçants indépendants de faire du e-commerce en leur garantissant une logistique adaptée peut aussi être pour la Collectivité une manière de soutenir l’économie locale.

 

Trois défis pour les collectivités locales

 

Ce chapitre expose les défis associés aux enseignements croisés présentés dans la section précédente. Ceux-ci transcrivent en action potentielle les leviers d’intervention pour les collectivités locales en vue de soutenir une logistique plus soutenable et maîtrisée sur leur territoire.

 

Sensibiliser les consommateurs
aux effets de leurs pratiques de consommation

 

La revue de littérature comme les entretiens d’experts ne permettent pas, à ce stade du travail, de donner des éléments incontestables qui pencheraient en faveur d’un impact environnemental positif ou négatif de la livraison à domicile, tant cette évaluation dépend de facteurs multiples (type de véhicule, distance, chargement).

En revanche, les effets induits par la fragmentation de la livraison, c’est-à-dire la tendance à la livraison de colis en plus grand nombre (plusieurs vêtements achetés puis retournés), auprès d’expéditeurs différents (facilité par les marketplaces), vers des lieux dispersés (de préférence chaque domicile) et à tout moment de la semaine, créent un effet rebond non négligeable de multiplication des trajets et donc d’effet sur le bilan carbone et sur la circulation en ville.

Spontanément, les consommateurs rencontrés voient, quant à eux, principalement des avantages écologiques à la livraison parce qu’elle leur économise des trajets individuels et qu’elle peut parfois reposer sur l’achat de produits de seconde main.

En même temps, ils peuvent se montrer très critiques face aux livreurs qu’ils voient dans les rues, sans faire le lien entre leurs propres pratiques de consommation et les effets sur l’espace public. De plus, les consommateurs sont généralement pas du tout conscients du coût de la livraison étant donné qu’elle est souvent considérée comme gratuite, là où elle est en fait offerte par les Marketplaces.

 

 

 

Que peuvent faire les collectivités locales ?

 

Les collectivités locales n’ont pas une compétence directe en matière de logistique. Les régions et les Autorités Organisatrices des Mobilités (AOM), souvent des intercommunalités – et la Métropole de Lyon –, peuvent « organiser ou contribuer au développement des services de transport de marchandises et de logistique urbaine, en cas d'inexistence, d'insuffisance ou d'inadaptation de l'offre privée, afin de réduire la congestion urbaine ainsi que les pollutions et les nuisances affectant l'environnement » (Article L1231-1-1 du code des transports).

Au niveau des consommateurs, les actions se limitent à de la sensibilisation. À cette fin, un discours pédagogique reposant sur des éléments factuels sur les effets de la multiplication des livraisons sur la congestion urbaine et les conditions de travail constitue une première étape intéressante. La collectivité publique gagnerait à informer le consommateur sur le coût effectif de la livraison et à axer sa communication autour d’une amélioration et une meilleure visibilité des enjeux autour du service à la population offert par la livraison.

De manière plus prospective, les focus group montrent que les consommateurs seraient prêts à se faire livrer parfois moins vite ou dans points relais (mais pas à payer plus cher) pour des raisons écologiques. La décision d’encourager les points relais ou d’autres formes de livraison relève d’une chaine complexe d’acteurs en charge de la logistique (du consommateur au transporteur sous-traitant) qui échappe aux AOM. Néanmoins, si cet objectif est poursuivi par les collectivités locales, ces dernières pourraient jouer un rôle d’influence en faveur de futures réglementations sur le sujet ou auprès des acteurs logistiques qu’elles côtoient.

Anticiper une diversification forte des flux de dernier kilomètre en ville

 

La littérature avait montré le double recours au domicile et au point relais, en soulignant plutôt les différences de praticité de l’un par rapport à l’autre. Cependant, cette perspective ne se vérifie pas vraiment dans notre approfondissement empirique. Là, c'est surtout le coût qui freine la livraison à domicile et oriente les consommateurs vers le choix d'un point relais. Avec la tendance à la généralisation d’une livraison offerte, il faut donc s’attendre à une augmentation du flux logistique vers les habitations.

La régulation des flux de livraison vers les points relais (tels que les commerces et services) peut être mise en œuvre grâce à des dispositifs existants, comme des emplacements dédiés pour la livraison ou des créneaux horaires favorisés pour accéder à certaines rues.

 

Que peuvent faire les collectivités locales ?

 

Réguler les flux de livraison à domicile s'avère plus compliqué en raison de la diversité des points de livraison réalisés par des moyens carbonés et du plus petit volume des livraisons. Cette complexité rend l'encadrement par les autorités locales d'autant plus difficile.

Au niveau des collectivités locales, le besoin d’anticipation est plutôt du côté des conflits d’usages sur les trottoirs qui pourraient naître de l’explosion des livraisons à domicile.

Au niveau prospectif, elles pourraient explorer de nouvelles formes de régulation ou d’aménagement, telles que la promotion de casiers sur des lieux stratégiques du territoire, l’installation de micro-hubs au pied des immeubles et la diffusion des places de livraison dans les quartiers résidentiels.

Cette gestion équilibrée de la place de la logistique en ville n’est pas aisée : elle doit parvenir à tenir l’équilibre entre d’un côté les autres usages légitimes de la voirie, de l’autre les besoins des commerces en ville (cf. point suivant) et enfin les pratiques de e-commerce sur lesquelles les pouvoirs publics n’ont pas prise.

 

Soutenir les commerces de proximité
dans leur passage au bi-canal

 

Comme évoqué précédemment, face à la généralisation du e-commerce, les commerçants indépendants ont reconnu la nécessité d'adopter une approche multicanale pour maintenir la pérennité de leurs activités. Néanmoins, passer au numérique requiert des investissements et des compétences spécifiques, telles que la maîtrise de l'informatique et la gestion des inventaires, dont tous les commerçants ne disposent pas forcément.

Dans la gestion logistique de leurs produits par exemple, les commerçants indépendants ne savent pas toujours comment choisir leur prestataire logistique. Par conséquent, leur sélection n'est pas basée sur le critère de la durabilité de la livraison, mais plutôt sur l’opportunisme et la facilité.

 

Que peuvent faire les collectivités locales ?

 

Dans cette optique, les collectivités locales pourraient :

  • Appuyer les commerçants indépendants dans l'acquisition de compétences nécessaires pour établir une présence en ligne.
     
  • Offrir des orientations ou des directives pour aider ces commerçants à choisir les prestataires logistiques jugés les plus durables ou les plus vertueux sur des critères sociaux.
     

Enfin, l’écart entre les pratiques déclarées par les habitants rencontrés, qui déclarent une utilisation récurrente de l’e-commerce et de la livraison à domicile, et les réticences des commerçants indépendants à recourir à ce mode de consommation, peut interroger dans un souci de préserver une offre de commerces de proximité.

Les prises de parole récoltées ne sont certes pas représentatives et ne permettent pas non plus de connaître tous les comportements de consommation : ceux qui déclarent se faire livrer souvent peuvent aussi se rendre à des commerces de proximité qu’ils affectionnent. Néanmoins, on ne peut pas minimiser le risque d’une fuite d’une partie de la clientèle vers le tout numérique, ce qui aurait un impact sur les commerces de proximité.

Les collectivités locales peuvent se mettre en veille sur ce sujet pour mieux appréhender la diversité des situations sur leur territoire, en fonction des lieux de vente ou de la typologie des commerces.