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Le métier du paysagiste, c’est la maîtrise de l’espace extérieur

Interview de Michel Desvigne

Paysagiste

<< Le métier du paysagiste, c’est la maîtrise de l’espace extérieur. On l’identifie souvent en premier lien comme celui qui travaille le végétal, mais j’estime que sa spécialité tient plus à la question de l’échelle qu’au matériau >>.

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Date : 29/04/2012

INTERVIEW de Michel Desvignes, réalisé en avril 2012, par Sylvie Boutaudou pour la revue M3 n°2.

Michel Desvigne, paysagiste, a été récompensé en 2011 du Grand Prix de l’Urbanisme. Il a signé des réalisations comme le parc de Greenwich à Londres pour laquelle il a reçu en 2002 le « Civic Trust Award ». Il est actuellement engagé dans des projets comme Innograd, la Silicon Valley russe.

Depuis quelques années, les mandataires d’équipes de maîtrise d’œuvre en charge des projets urbains peuvent être des paysagistes. Une position qui était impensable il y a vingt ou trente ans. Le paysage prendrait-il de l’importance ? L’envie de nature en ville pousserait-elle les urbains du XXIe siècle vers ceux qui savent mettre du vert dans les villes ?
« Pas si simple », répond Michel Desvigne.

 

Les paysagistes n’ont pas toujours eu autant de reconnaissance et de possibilité de s’exprimer. Que s’est-il passé ?

Les paysagistes sortent d’une période d’effacement, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Il suffit de penser à Versailles, ou au XIXe siècle américain où l’attention à la géographie et au paysage a été déterminante dans la forme et le développement des villes. En France, le métier de paysagiste a été sinistré à l’issue des deux guerres mondiales. Les reconstructions se sont faites sans paysagistes ni architectes : tout le pouvoir a été donné aux ingénieurs. Le paysagiste a été relégué au rôle d’aimable décorateur. Et le sentiment s’est répandu que le paysagiste était du côté du luxe, de la touche finale, mais que son travail ne pouvait être ni structurant, ni fondateur.
Les choses ont commencé à changer il y a trente ans. La réglementation française a imposé qu’un paysagiste soit intégré aux équipes des concours publics. Auparavant, cela dépendait du bon vouloir ou de la curiosité des architectes. Parallèlement, une politique renouvelée d’espaces publics a stimulé les compétences. La transformation de Barcelone dans les années 1980 a inspiré certaines villes françaises, comme Lyon ou Nantes qui ont lancé des travaux. Le tramway s’est révélé être un moyen puissant de requalification des espaces. Tout cela a fait travailler des paysagistes, mais les grands lieux étaient encore confiés à des architectes. Y compris à Lyon, très novatrice dans sa politique d’espaces publics, mais qui a demandé à un architecte d’aménager une des artères principales du centre, la rue de la République.

 

Architecte/paysagiste : n’y a-t-il pas une querelle un peu corporatiste ?

La querelle professionnelle n’a pas d’intérêt. Si les espaces publics, ont longtemps été confiés à des architectes, cela tient aussi à la présence de grandes agences d’architectures qui avaient la taille critique pour répondre à des commandes d’envergure. Le développement de la profession de paysagiste et l’existence de quelques grandes agences les mettent désormais sur les rangs. Mais je crois qu’il existe une vraie différence de point de vue. Architectes et paysagistes n’ont pas le même sens de la dimension de l’espace. Un bâtiment, même très grand, c’est une petite chose dans un paysage. Le métier du paysagiste, c’est la maîtrise de l’espace extérieur. On l’identifie souvent en premier lien comme celui qui travaille le végétal, mais j’estime que sa spécialité tient plus à la question de l’échelle qu’au matériau. Regardez ce qu’a fait le paysagiste Michel Corajoud avec les quais de Bordeaux : la ville a pris une autre dimension.

 

Les espaces publics sont nos grands travaux ?

Avec la nuance que l’investissement est relativement limité, sauf peut-être dans quelques réalisations clinquantes, excessivement écrites, qui ne dureront pas. Un espace public ne coûte rien en comparaison d’un édifice public. La requalification de tous les espaces publics du centre ville de Toulouse repose sur un budget d’environ 100 millions d’euros. Par comparaison, l’annexe du Louvre ou le Beaubourg de Metz coûtent environ 150 millions chacun en construction auxquels s’ajoutent 20 % de cette somme par an en frais de fonctionnement.

 

Dans l’évolution actuelle, quelle est la part d’une demande sociale, qu’on décrit comme avide d’espaces naturels en ville ?

Je ne crois pas que la question de la nature soit fondamentale ni première. L’évolution sous-jacente très forte, c’est le retour vers les centres-villes. Il y a quinze ans, pour reprendre l’exemple de Bordeaux, la ville tournait le dos à son fleuve et les Bordelais fuyaient en voiture vers Arcachon dès que possible. Aujourd’hui, les quais sont remplis de monde le dimanche matin, les citadins restent en ville avec plaisir. Je travaille actuellement au réaménagement des quais du Vieux-Port de Marseille, lieu délaissé jusque-là. Il est probable que lorsqu’il aura retrouvé de la qualité, ce port de 2 600 ans attirera. On observe une nouvelle façon de s’approprier les espaces publics extérieurs qui existait déjà depuis longtemps à Amsterdam ou à Copenhague, qui n’ont pourtant pas un climat facile. Le centre retient ses habitants le week-end et attire des visiteurs parce qu’on peut se promener, flâner, boire un verre, laisser les enfants courir dans des zones piétonnes, etc. Certains espaces très minéraux ont cette fonction-là. Et ils attirent, qu’il y ait des arbres ou pas ! Certains professionnels traduisent d’une façon un peu mièvre et complaisante les goûts supposés de la population. On laisse pousser des herbes au pied des arbres parce que c’est à la mode, très bien. Mais le désir de centre-ville des citadins me semble plus profond.

 

Un profond désir de ville, c’est une bonne nouvelle pour contrer l’étalement urbain ?

Il faut y réfléchir dans tous les cas, pour améliorer la situation de la moitié de la population française qui ne vit pas en relation directe avec un centre ville. Le lotissement diffus, au-delà de la banlieue, me semble une question extrêmement difficile. Or c’est le territoire que nous avons. Il est déqualifié, dépourvu d’espaces communs, la population y est isolée, et ne vit avec les autres que grâce à la voiture, pour les courses, le travail, l’école des enfants…
Un petit nombre de paysagistes, dont je suis, pensent que les moyens de recomposer cet espace sont du côté du paysage. Je me suis intéressé en particulier aux lisières de ces lotissements. Car le paradoxe terrible est que leurs habitants sont loin des centres-villes, mais n’ont aucun accès non plus à la campagne. Ils sont enfermés par des clôtures infranchissables à l’arrière des maisons et contraints de prendre la voiture pour se promener !

 

Il faudrait donc aménager cet étalement urbain dont on dit le plus grand mal ?

Bien sûr. Il faut donner une forme à l’étalement urbain parce qu’il est là et que l’on ne construit plus guère de ville nouvelle, sauf au Qatar peut-être. Il y a un grand bénéfice à analyser les zones périurbaines à l’échelle du paysage, comme savent le faire les Américains, qui ont par ailleurs produit un étalement urbain épouvantable. Des villes comme Chicago ou Boston peuvent nous inspirer parce qu’elles se sont construites en parfaite intelligence avec leur territoire au sens géographique, topographique. S’il faut recomposer le territoire périurbain, regardons les lisières, et plus loin les collines, les étangs qui pourraient être valorisés. Une première ouverture serait de qualifier cette frange du territoire qui sépare les champs des habitations. Si l’on pouvait s’y promener, si des chemins étaient aménagés pour faire du sport, jouer avec les enfants, ou même pour développer une microagriculture de jardins, si les fonds de lotissement devenaient des façades vivantes, le gain en qualité de vie serait extraordinaire.