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La position de Lyon en vaccinologie

Interview de Florence FUCHS

<< L’autorité de santé devient un partenaire et non un censeur. >>.

Entretien avec Florence Fuchs, directrice scientifique, en 2005, du site lyonnais de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé.
L’Afssaps est localisée sur 3 sites en France, à Paris, Lyon et Montpellier. La mission du site de Lyon est de contrôler plus spécifiquement les vaccins, sérums, produits thérapeutiques annexes et certains vecteurs de thérapie génique notamment à visée vaccinale.
L'objectif de cette interview est de rendre visible toutes les fonctions de cet organisme et, au delà, d'identifier son rôle dans le renforcement de la position de Lyon en vaccinologie.

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Date : 03/03/2005

Comment fonctionne l’Afssaps ?

La première particularité de l’Agence française est de regrouper dans un même établissement public les missions d’évaluation scientifique et médico-économique, la plus connue du public étant la délivrance d’autorisation de mise sur le marché des médicaments ; les missions d’inspection des établissements pharmaceutiques et les missions de contrôle des produits de santé. La deuxième particularité est que notre activité ne concerne pas seulement les médicaments et les réactifs de laboratoires mais englobe, depuis 1998, les produits de santé au sens large. Cette évolution a fait entrer dans le champ des compétences de l’Afssaps des produits qui n’étaient pas jusqu’à présent considérés comme des biens de santé, comme les dispositifs médicaux et les dispositifs de diagnostic in-vitro, les produits biologiques et issus des biotechnologies (produits sanguins labiles, organes, tissus, cellules et produits d’origine humaine ou animale, produits de thérapies génique et cellulaire, produits thérapeutiques annexes) et les produits cosmétiques. Le champ de l’agence est donc extrêmement vaste et environ 1000 personnes travaillent à l'Afssaps. Dans ce dispositif, le site de Lyon est plus spécifiquement impliqué dans les médicaments immunologiques, en particulier les vaccins. C'est le point central pour toute l’activité de libération des lots de vaccins en France. Nous procédons à des contrôles en laboratoire qui nécessitent des compétences en bactériologie, virologie, immunologie, biologie moléculaire ; ces contrôles sont réalisés dans nos laboratoires de confinement de niveau 2 ou 3. Nous travaillons aussi en collaboration avec les plateaux techniques et les animaleries des sites de Montpellier et de Paris de l’Afssaps.

 

Vous avez parlé d’une mission d’inspection des établissements ?

La mission d’inspection que doit assurer une autorité de santé est d’aller auditer et visiter les industriels sur les sites de production pour vérifier que les normes internationales des bonnes pratiques de fabrication sont respectées. A l’issue de ces inspections régulières, il y a délivrance ou non d’une autorisation de fabrication indispensable à tous les établissements pharmaceutiques pour être autorisés à produire des médicaments. La direction de l’Inspection et des établissement pharmaceutiques de l’Afssaps est localisée à Paris, mais elle peut si nécessaire faire appel à des experts internes, comme par exemple des spécialistes des contrôles.

 

Pourquoi cette spécialisation sur les vaccins ?

Dans la législation pharmaceutique, les vaccins ont un statut à part, essentiellement en raison de leur particularité biologique et du fait qu’ils sont administrés à des patients sains pour prévenir des maladies infectieuses. Pour l’ensemble des médicaments usuels, les autorités de santé opèrent un contrôle à posteriori mais il n’y a pas d’obligation de contrôle de chaque lot avant la mise sur le marché. En revanche, pour les vaccins, des directives européennes et des recommandations OMS imposent un contrôle du lot avant la mise sur le marché. Pour une commercialisation en Europe, le producteur fabrique, contrôle et adresse à une autorité de santé de son choix les lots de vaccins concernés. Cette dernière va procéder à différents contrôles du produit et délivrer un certificat de libération qui lui permettra la libre circulation du lot dans tout le territoire de l’Union Européenne. Ainsi, un produit peut être fabriqué en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas et contrôlé par une autorité de santé en Angleterre ou en Allemagne. Dans tous les cas, le certificat délivré par l'autorité sollicitée sera valable pour tout le territoire de l’Union. C’est ce qu'on appelle le système de reconnaissance mutuelle ou le principe de "mutual confidence".

 

Qu’est-ce qui motive le choix de l’autorité qui va faire le contrôle ?

C'est une bonne question! La directive européenne initiale de 1989 réactualisée en 2001 instaurant le principe de la libération des lots de vaccins en Europe s'est généralisée progressivement. Il s’est avéré que parmi les quinze Etats membres, quatre se sont fortement démarqués : essentiellement en raison du volume et de la diversification de leur activité liés à la présence de producteur de vaccins sur leur territoire. Dans le principe de reconnaissance mutuelle au sein de l’UE, les autorités sont amenées à faire preuve d’une transparences totale dans leur fonctionnement pour garantir la fiabilité de leur expertise: leur compétence scientifique et technique est attestée par les résultats et informations scientifiques qui sont communiqués à l’ensemble des Etats Membres, par des publications scientifiques, par la présence d'experts identifiés dans le domaine vaccins, par leur contribution avérée dans différentes discussions européennes et internationales Au niveau européen, la France est actuellement une autorité de tout premier plan dans ce domaine. De ce fait, nous sommes fortement sollicités et assurons un volume d’activité très important en contrôlant plusieurs milliers de lots par an. Ce contrôle a priori, ante commercialisation, oblige l’Afssaps à une organisation et efficacité optimales afin de tenir compte des contraintes des approvisionnements sur le marché, ce qui rend notre activité un peu spécifique par rapport aux autres activités de contrôle de l'agence, en raison notamment des délais imposés par la Directive Européenne de 60 jours.

 

Un lot de vaccin contrôlé peut-il être commercialisé hors Europe ?

Il y a en fait deux grands référentiels réglementaires de certification des vaccins au niveau international : d'un côté la procédure européenne de libération de lot avec la possibilité qu'une autorité d’un pays hors Union Européenne accepte ce document, car le standard de qualité est très élevé. De l'autre côté, les recommandations de l’OMS légèrement différentes qui correspondent à un standard international valable dans tout le reste du monde où précisément la législation européenne n’est pas applicable. Le site de Lyon de l’Afssaps délivre des certificats pour des produits destinés au marché mondial des vaccins.

 

Faites-vous de la recherche appliquée ?

Nous n’avons pas vocation à être un établissement de recherche. Il y a des programmes de recherche appliquée sur l’amélioration des méthodes de contrôle, le développement, l'implantation ou le transferts de méthodes, mais ce n’est pas de la recherche fondamentale. Cette activité R&D s’inscrit aussi dans un environnement réglementaire européen et international. Nous sommes totalement impliqués dans le processus de normalisation biologique en participant à des travaux collaboratifs européens et internationaux visant à calibrer des substances de référence, valider des standards, des nouvelles méthodes de contrôle. Nous sommes également désignés expert au niveau de la pharmacopée européenne, dans des groupes de travail de l’OMS, de l’agence européenne pour les médicaments à Londres, à la commission de Bruxelles. Nous sommes présents dans toutes ces instances normatives pour faire avancer les choses et faire des propositions sur la base de notre expérience, notamment en laboratoire. La proximité avec l’OMS de Genève est un très gros atout pour nous.

 

Est-ce que vous avez une activité de conseil ?

Aujourd’hui aucune décision de rejet ou de refus de lot n’est péremptoire. En cas de difficulté, il y a des réunions de concertation technique et scientifique. La décision de refus s’accompagne toujours d’argumentation scientifique objective. Tout en gardant une totale indépendance de décision, j’aime parler pour l’Afssaps de partenariat scientifique car nous sommes dans un domaine de santé publique où l’intérêt commun est que le vaccin soit avant tout de la meilleure qualité possible et mis à disposition des patients dans les meilleurs délais. Notre rôle est de contribuer à une politique globale de santé publique, et dans le domaine de la vaccination, la France a été historiquement très présente. A l'OMS, les autorités françaises représentées par divers experts de l’Afssaps sont très actives dans les discussions relatives aux politiques de santé vaccinales. Dans ces instances où se décident les stratégies de santé publique, les industriels sont aussi consultés pour proposer et informer la communauté scientifique des développements en cours des produits et stratégies vaccinales à venir.

 

Peut-on parler de fidélité entre un fabricant et l'autorité à laquelle il adresse ses lots ?

La pertinence des décisions d’une autorité repose sur l'expérience scientifique accumulée depuis de nombreuses années dans ce domaine spécifique des vaccins. Cette expérience est partagée avec la communauté scientifique dans son ensemble, experts académiques et experts industriels. Désormais les décisions les plus importantes sont prises sur la base de consultations collégiales. L’autorité de santé devient un partenaire et non un censeur. De ce point de vue, le système de libération de lots de vaccins a énormément amélioré les choses. Jusque dans les années 80, les industriels du vaccin étaient isolés : ils fabriquaient et contrôlaient leurs produits selon les normes en vigueur mais n’avaient aucun point de comparaison et peu de contact technique avec les autorités de santé dans le domaine des contrôles. Cela a été considérablement transformé, dans le sens d’un partenariat scientifique et technique car les laboratoires sont confrontés aux mêmes problématiques : améliorer les tests, en ajouter des plus pertinents, mettre sur le marché des produits mieux caractérisés. La discussion est avant tout placée au plan scientifique. Le système européen est le plus contraignant et cadré au monde dans ce domaine. Malgré de fortes réticences au départ, il est très bien perçu par les industriels qui comprennent sa logique et constatent sa valeur ajoutée.

 

Travaillez-vous en collaboration avec les autres agences nationales ?

Nous sommes membre du réseau européen des laboratoires officiels de contrôle piloté par le Conseil de l’Europe. Nous sommes en contact quasi permanent avec nos équivalents. Le système est assez cadré pour donner un socle commun de références à l’expertise et nous permet d’avoir une vue d’ensemble des produits existant sur le marché à l’échelle européenne. L’efficacité du système européen est avérée. Nous sommes par ailleurs très activement impliqués dans la coopération internationale découlant d’accords multilatéraux ou bilatéraux avec les autorités de pays du monde entier. Dans ce cadre, des personnels de l’Afssaps participent à des missions de soutien à des autorités de santé ou d’évaluation de producteurs de vaccin.

 

Globalement, les entreprises lyonnaises se tournent-elles vers vous ?

Les grands groupes pharmaceutiques sont des groupes multinationaux dont la production peut être localisée partout dans le monde. Pour cette raison, le monde du vaccin s’est restreint à peu de producteurs et nous avons des contacts fréquents avec les principaux comme Sanofi Pasteur, GlaxoSmithKline, Merck, Wyeth vaccines, etc. Notre activité n’est pas lyonnaise mais essentiellement européenne et internationale. Il se trouve qu’il y a un producteur installé en Rhône-Alpes, mais il l'est aussi ailleurs en France, aux Etats-Unis et au Canada. Il y a par ailleurs en Rhône-Alpes, et autour de Lyon, une école de virologie et de microbiologie de réputation internationale qui renforce l’intérêt de la localisation lyonnaise de l’Afssaps. Cela créé un environnement favorable, propice aux discussions et aux contacts. Cependant, les choses ont radicalement changé en quelques années. La localisation n’est pas un critère suffisant dans le choix d’une autorité par un fabricant. L’atout majeur n'est pas la proximité géographie mais la réactivité, la disponibilité, l’accompagnement, la compétence scientifique et technique que l’autorité peut offrir. Avec les nouvelles technologies de l’information, comme la téléconférence, une grande réactivité est possible, permettant de surmonter les distances géographiques entre continents.

 

Comment êtes-vous intégrés localement ?

La localisation du site de l’Afssaps à Lyon a toute sa logique. Historiquement, le laboratoire national de la Santé précédant la création de l’Afssaps était implanté dans la communauté scientifique lyonnaise. Il y a un environnement de première qualité, des équipes scientifiques CNRS, INSERM. C’est un atout pour nous, de même qu’être localisés sur Gerland où il y a une identité forte de technopôle scientifique. Cependant, la concentration d’acteurs n'implique pas forcément des liens effectifs. L’Afssaps est très connue au niveau institutionnel européen et international mais les équipes lyonnaises ne connaissent pas vraiment la particularité de notre activité. Nos scientifiques, recrutés par concours ou par contrat, viennent de toute la France et sont relativement peu intégrés aux réseaux scientifiques lyonnais. Par ailleurs, nous travaillons en santé humaine, et il est difficile de développer des liens avec les équipes impliquées en santé animale. Nous avons néanmoins de très bonnes relations avec notre homologue, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments, l’Afssa, située à Gerland. C’est une différence forte avec les Etats-Unis où santé animale et santé humaine sont beaucoup plus imbriquées, la Food and Drug Administration gèrant l’ensemble des produits. Il y a sûrement une opportunité pour créer une dynamique locale.

 

Qu’est-ce que l’Afssaps apporte au système local ?

Concrètement, nous avons organisé à plusieurs reprises des colloques auxquels ont assisté des experts européens ou internationaux. Ces scientifiques ont fait connaissance avec la réalité lyonnaise et cela peut générer des contacts ultérieurs éventuels. Les retombées sont le plus souvent indirectes. Ces manifestations ont drainé beaucoup d’intérêt et nous ont permis aussi de nous faire connaître. Aujourd’hui, notre réputation qui s’appuie sur une compétence scientifique et technique reconnue de nos homologues, explique que les principaux producteurs de vaccin font appel à nous. Notre plus gros challenge est de maintenir et développer cette compétence dans l’avenir pour faire face aux nouveaux défis technologiques.

 

Quelles pistes vous semblent intéressantes à exploiter à l'avenir pour renforcer la position de Lyon en vaccinologie ?

La première problématique est de susciter l’intérêt pour développer davantage de synergies locales. Prenons l'exemple du World Vaccine Congress (congrès mondial des vaccins) qui se tient annuellement à Lyon : ce sont des collègues américains ou anglais qui en parlent le plus! On peut regretter que l’événement ait si peu d’écho au niveau local. Cela n'a pas les répercussions qu'on pourrait attendre, notamment en terme de rencontres avec des équipes locales qui pourraient être organisées en marge de cet évènement. Bien sur, il y a par ailleurs des initiatives locales pour regrouper des équipes autour d’un thème mais l’assiduité est difficile à maintenir en raison d’emplois du temps très chargés et de déplacements à l'étranger nombreux pour les participants. L’initiative des conférences organisées par l’ENS avec des scientifiques de renommée internationale donne une plus grande visibilité à certaines thématiques et permet de se rencontrer. Entre équipes lyonnaises, il y aurait sans doute des logiques de plateaux techniques à partager ou de conventions de partenariat à mettre en place concernant la mise en commun des équipements les plus sophistiqués et coûteux. Je pense que nous sommes nombreux à ne pas savoir précisément qui travaille sur quoi ou qui dispose de tel ou tel équipement dans le périmètre lyonnais Dans le domaine de la vaccinologie, des personnalités comme celle du Dr Charles Mérieux sont rarissimes et cela a été une chance inouïe pour Lyon d’avoir bénéficié de cette renommée. L’industriel très connu et d’une réputation sans faille, fut longtemps fortement associé à l’image de Lyon et drainait l’image du vaccin de façon globale. Il faut désormais faire évoluer l’image de l’école Pasteurienne française vers l’ère technologique du 21ème siècle et Lyon ne doit pas devenir le musée du vaccin. Nous sommes désormais dans une logique européenne et internationale. Ce qui se fait autour du Bio pôle vaccinologie est une évolution tout à fait pertinente pour moderniser l’image lyonnaise dans le domaine des vaccins et la faire entrer dans le nouveau millénaire.