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Métiers du prendre soin et du lien : Représentations de genre et pratiques professionnelles

Attractivité des métiers du prendre soin et du lien : Représentations de genre et pratiques professionnelles

Étude

Attrait pour le métier, compétences : une affaire de femmes. Vraiment ?

Les hommes représentent rarement plus de 10 % des effectifs des professions du prendre soin, et jusqu’à 1 % seulement pour les moins mixtes d’entre elles.

Cet état de fait est lié à la construction historique de ces métiers qui s’est élaborée à partir des représentations sociales, les fonctions « naturelles » des femmes étant vues comme celles du maternage et du soin.

Les représentations ont la vie dure, et la masculinisation de ces professions, si elle progresse, n’est que récente et peu avancée.

Des enquêtés de sexe masculin nous disent pourtant l’attrait qu’ils éprouvent pour l’aide et le soin à la personne. Si de réels freins existent quant à leur intégration harmonieuse sur certains terrains professionnels et pour certaines tâches, les mentalités évoluent.

Reste à préciser le type de mixité que nous souhaitons bâtir. Une mixité basée sur la complémentarité des genres, renvoyant aux compétences dites naturelles des femmes et des hommes, ou bien une mixité retenant comme principal principe ordonnateur les compétences professionnelles déployées par chacun, femme ou homme ?

Une enquête conduite par Manon Gris, Alice Quérel et Ludovic Viévard.
Date : 26/03/2024

Retrouvez l'étude complète, à télécharger ici :

 

L'essentiel

 

L’essentiel des constats

 

• Les métiers du prendre soin sont particulièrement féminisés. Les hommes représentent rarement plus de 10 % des effectifs d’une profession, et jusqu’à 1 % pour les moins mixtes d’entre elles. Cet état de fait est lié à la construction historique de ces métiers qui s’est élaborée à partir des représentations sociales : les fonctions « naturelles » des femmes étant vues comme celles du maternage et du soin. Les représentations ayant la vie dure, la masculinisation de ces professions, si elle progresse, n’est que récente et peu avancée.

• Les hommes rencontrés qui ont choisi les métiers du care l’ont fait à rebours des représentations collectives, parfois par volonté, parfois au hasard d’une réorientation ou d’une opportunité. Les hommes se présentent peu aux formations ou au recrutement, parce qu’ils connaissent peu les possibilités offertes ou qu’ils ne pensent pas spontanément qu’il s’agit d’un métier pour eux. Ces freins s’ajoutent à ceux, plus généraux, qui pèsent sur ces professions (dévalorisation, pénibilité, faible rémunération…).

Les hommes rencontrés qui sont en poste dans un métier du prendre soin témoignent le plus souvent d’un bon accueil (dans leur formation initiale, de la part de leurs collègues, et de la plupart des usagers). Être un homme est un atout au point que certains auteurs parlent d’un « escalator de verre » pour expliquer leur progression de carrière, souvent facilitée par rapport à celle des femmes et par opposition au plafond de verre qui stoppe ces dernières. Trouver un emploi est plus facile, prendre des responsabilités d’encadrement également. Si des freins sont parfois relevés (suspicion de pédophilie, de manque de virilité, etc.), ils n’empêchent pas un effet plus prégnant de discrimination positive à leur endroit. Cela dépend toutefois des métiers, les moins qualifiés étant aussi les plus perçus comme étant naturellement dédiés aux femmes.

• L’accueil fait aux hommes tient aussi à ce qu’ils amènent de la mixité dans les équipes. Pour plusieurs des personnes encadrantes rencontrées, ils sont un atout. Pour elles, leur présence facilite la relation entre les professionnels des deux sexes. Selon les personnels encadrants, avoir des hommes au sein d’une équipe permettrait à la fois de faciliter les relation entre professionnels mais également de flécher les hommes sur certaines missions, que ce soit pour répondre aux demandes des bénéficiaires ou aux parce qu'ils présupposent qu’ils sauront mieux gérer certaines situations, notamment d’autorité et de conflit.

Certains des hommes rencontrés disent avoir un lien facilité aux usagers masculins et parfois une « position d’autorité » qui est recherchée par la hiérarchie pour gérer des problématiques spécifiques, notamment dans la relation avec les jeunes en recherche d’une figure paternelle. D’ailleurs, bien que l’intitulé des métiers soient les mêmes pour les femmes et les hommes, leurs pratiques diffèrent parfois. Là encore, les attendus sociaux de genre ont tendance à orienter les postures de chacun, les hommes se retrouvant appelés vers des fonctions d’autorité, des sujets censément masculin (sport, mécanique, bricolage), des manières de faire qui seraient plus rationnelles… Ainsi, la masculinisation ne repose pas sur une vision de l’interchangeabilité des professionnels femmes ou hommes mais s’appuie au contraire sur leur complémentarité et sur des stéréotypes genrés.

Dans la relation des hommes aux usagers, la question de l’intime pose parfois des difficultés. Cela dépend toutefois de nombreux facteurs, allant du type de métier exercé à des effets d’âges ou de cultures des usagers. Pour certains encadrants, les hommes sont plus difficiles à placer à domicile, notamment pour l’accompagnement des personnes âgées, et leur embauche est donc moins évidente.

Pour contourner les effets de genres selon lesquels les femmes seraient naturellement aptes à exercer les métiers du soin, les hommes rencontrés mettent souvent l’accent sur la professionnalité. Ils effectuent un métier, qui nécessite des compétences, et pour lequel ils ont été formés. Plus le métier nécessite un diplôme élevé, plus l'argument est mobilisé.

 

L’essentiel des enjeux

 

L’enjeu de mixité est ressorti comme problématique. L’arrivée d’hommes dans des métiers féminisés est considérée par beaucoup comme un bienfait opérant de façon mécanique. Pourtant, elle pourrait être préjudiciable aux femmes en introduisant des inégalités de genre dans des métiers où elles en étaient jusque-là préservées – du fait de l’absence d’hommes. Si la mixité est un atout, elle ne peut s’effectuer sans une stratégie RH réfléchie et doit éviter de s’appuyer sur les stéréotypes de genre et sur des « idéologies de la complémentarité ». Cela revoie à un enjeu permettant de penser la progression de la mixité professionnelle (comment ? pourquoi ?) et d’organiser la réflexion au sein des équipes pour qu‘elle devienne un levier d’égalité femmes-hommes.

• La facilitation des parcours professionnels des hommes et leur bonne intégration dans les équipes peut être un atout pour leur recrutement. Toutefois, il est important de mieux comprendre les mécanismes de ces facilités. Valent-elles dans tous les métiers du care, y compris les moins qualifiés ? Valent-elles seulement parce qu’il existe un déséquilibre important dans les effectifs des professionnels femmes et hommes et, ainsi, seraient-elles vouées à disparaître au fur et à mesure que celui-ci se comblerait ? Comment faire pour qu’elles ne se fassent pas au détriment de la progression de carrière des femmes ?

• Des effets de culture et de génération pèsent parfois sur l’acceptation des professionnels masculins par les usagers. Pour certains encadrants, cela pose un problème qui doit conduire à un travail pédagogique auprès de ces bénéficiaires. Il pose notamment la question de la place de l’usager dans le choix des personnes qui les accompagnent. Comment faire droit à leur demande sans produire de la discrimination ou conforter des stéréotypes ?

Bien qu’ils soient généralement bien accueillis, les hommes doivent parfois mettre en place des stratégies de légitimation quand ils intègrent les métiers du care (affirmer leur masculinité, rassurer quant aux craintes de pédophilie, etc.). Un travail RH semble nécessaire à conduire à l’échelle de l’institution qui les embauche (quelles attentes vis-à-vis d’eux ? quels rôles ? etc.). Il permet non seulement de mieux les accompagner mais aussi de mieux dessiner la place qu’ils peuvent occuper dans l’institution, avec leurs collègues femmes ou avec les usagers.

D’une façon large, plusieurs enjeux sont identifiés pour la progression des hommes dans les métiers du care. D’abord un enjeu d’information sur les formations (qu’il s’agisse de formation initiale ou de reconversion), les opportunités d’emploi et de carrière, la diversité des métiers, etc.. Ensuite, un enjeu de déconstruction des stéréotypes de genre, à la fois en direction des professionnels eux-mêmes– pour favoriser l’indifférenciation des rôles de genre – mais aussi des usagers.

• Valoriser la professionnalité. Conformément à ce qui précède, la professionnalité est un enjeu majeur. À rebours d’un discours naturalisant les compétences féminines comme étant par essence celle des métiers du care, un effort doit être conduit pour considérer ces métiers comme reposant sur un socle de compétences professionnelles à acquérir, tout en continuant de valoriser les compétences relationnelles nécessaires aux métiers du care comme des compétences professionnelles. Une crainte du secteur est que cette professionnalisation freine les possibilités d’embauche de certaines femmes peu formées, notamment étrangères, qui se présentent dans les métiers les plus en tension. Il nous semble que cela n’empêche pas la valorisation des acquis de leur expérience, et la formation continue, tout en garantissant une meilleure valorisation de ces métiers.